La vie en rose ! Premier prix au niveau national !

Résultat d’images pour palme d'or

Article composé par Lucas et Victoria.

Cette année, madame Dibot a senti un filon et nous a inscrits au concours Zéro Cliché, organisé par le CLEMI. Cet article devait dénoncer les stéréotypes filles/garçons dans “les médias, le sport, la mode, l’école, la famille… ” .

Notre article a pour thème l’orientation scolaire post 3ème des filles, majoritairement issues de l’immigration. Pour rappel, nous sommes dans un collège classé REP+.

Notre article comporte les témoignages de quatre filles de 3ème de l’option média issues de l’immigration (Guinée Bissau, Réunion, Portugal, Mayotte), ainsi que l’interview de Mme Fontenit et de M Aimé.

Nous avons d’abord été sélectionnés au niveau académique puis au niveau national… et nous avons gagné, nous sommes donc invités à assister à une cérémonie de remise des prix (le premier prix, en ce qui nous concerne !), à Paris, le lundi 28 mai.

Mais, même si le dicton affirme “en mai, fais ce qu’il te plaît”, nous risquons fort de ne pas être en mesure de rejoindre la capitale, pour cause de grève annoncée à la SNCF !!!!

Résultat d’images pour sncf grève

Lucas, Victoria.

L’article soumis au concours :

La vie en rose ?

« On s’épanouira quand on aura quitté la maison, et on quittera la maison
quand on sera mariées… » Cette phrase résume à elle seule l’ambition de
quelques-unes des élèves de troisième de notre collège. La vie en rose, quand
on est une fille de 15 ans de collège REP+, issue de l’immigration ? Vraiment ?
Dans notre collège, les professeurs
convient tous les élèves de troisième à
assister, s’ils le souhaitent, aux conseils de
classe des premier et second trimestres.
L’occasion pour nous, élèves, de dialoguer
avec nos professeurs et d’évoquer notre
orientation. La grande question se pose à
nous : « Quel est notre projet personnel
d’orientation ? » Sounita et Larissa,
déléguées de classe, dressent, à l’issue de
leur conseil de classe, un bilan alarmant : il
apparaît que de nombreuses filles de la
classe voient leur projet professionnel
réduit aux murs de la ville de
Châtellerault, voire aux murs du lycée de
leur quartier, le lycée Edouard Branly. A
commencer par leur propre avenir à
toutes deux…
Vous avez dit « égalité fillesgarçons
» ?
Pour certaines des filles de notre classe,
quitter Châtellerault est impensable :
« nos parents, nos familles, ne veulent pas
nous laisser partir pour faire des études,
ils veulent qu’on reste à côté d’eux. De
une, on est des filles, de deux… de deux,
ils veulent nous surveiller » nous dit
Sounita, élève originaire de Mayotte,
arrivée à Châtellerault à l’âge de 8 ans.
« Ils ont peur qu’on dérape, qu’on ait de
mauvaises influences, ajoute Larissa, née à
la Réunion, arrivée en France
métropolitaine à l’âge de 3 ans. En plus,
moi, je suis fille unique, c’est pire, parce
que ma mère est tout le temps sur moi :
elle ne me laisse jamais faire ce que je
veux. Pour ceux qui ont des frères et
soeurs, c’est plus facile : il y a d’autres
enfants après eux pour s’occuper de leurs
parents. Moi, je suis obligée de rester au
service de ma mère. Pour le voyage, l’an
dernier, elle n’a pas voulu me laisser
partir, alors que mon cousin, lui, aurait pu
partir. Rien qu’à Poitiers, ma mère, mon
oncle et ma tante ne me laisseront pas
partir, alors que lui, oui.»
« J’ai plusieurs frères, dont un avec qui j’ai
quatre ans de différence, il a 19 ans. Lui,
s’il veut faire des voyages, quitter la
France pour aller travailler, ma famille va même l’encourager. Si c’est moi, il y aura toujours un petit problème, on va dire. », soupire Sounita.
Constat similaire pour Jessica, née au Portugal, arrivée en France à 4 ans : « Ma mère ne veut pas que j’aille loin, elle a peur que je m’éloigne trop, que je ne m’occupe plus d’elle, qu’il m’arrive quelque chose : elle et mon frère ne pourraient pas me protéger des dangers. Si j’allais travailler sur Paris, mon frère viendrait avec moi. Pour moi, il quitterait son travail ! »
Gwendoline, elle, interrogée sur son intention d’orientation, observe que sa mère « n’a pas peur, elle dit que ça (la) ferait mûrir d’aller ailleurs ». Quand elle explique qu’elle ira l’an prochain préparer un Bac Professionnel « aide à la personne » en MFR en internat, Sounita s’inquiète :
« T’as pas peur ? Aller à l’internat ? Toute seule, en plus ? Moi, j’aurais peur ! Etre livrée à moi-même : on nous a trop habituées à être à la maison, ensemble… Le jour où on verra des nouvelles têtes, on aura peur, c’est mon avis… C’est difficile de s’intégrer quand on est toute seule. »
« Ma mère ne veut pas me laisser dormir à l’internat, même si je m’inscris à Poitiers pour un Bac Pro Vente, ma mère dit que je devrai rentrer tous les soirs, précise Jessica. Sinon, je ferai un Bac Général à Branly, à 15 minutes de chez moi. »
Le lycée du quartier pour tout horizon
(La Plaine d’Ozon, notre quartier, notre collège, notre futur lycée : notre périmètre)
Un petit tour de table nous permet de constater que nous sommes, en tant que filles, destinées à poursuivre nos études, non pas en fonction de nos rêves, mais bien de la localisation géographique des lycées. Le lycée Branly est situé à 50 mètres de l’appartement de Larissa, à 2 minutes de chez Sounita et de chez Victoria.
Victoria, justement, explique ce « choix » de lycée : « ma mère m’a dit que je n’avais pas le droit d’aller plus loin que Branly car je devais l’aider à ma maison. Elle est un peu malade, alors, mes soeurs et moi devons l’aider, mes soeurs sont plus petites, je suis l’aînée. Je vais chercher mes soeurs à l’école, je dois faire à manger, je fais aussi les courses. Pour moi, c’est normal, j’ai été éduquée comme ça. Ma mère est mère au foyer, je ne rêve pas d’être femme au foyer, comme elle. »
« Ma cousine doit, chaque soir, faire le repas pour huit personnes, elle ne peut se mettre à ses devoirs scolaires qu’à partir
de 21 heures, témoigne Larissa. Et moi qui dîne chez elle, je ne peux faire mes devoirs qu’en rentrant chez moi : je garde chaque soir le neveu de ma cousine qui a un an, depuis qu’il est né, je m’occupe de lui. Du coup, j’ai directement la responsabilité de le garder quand je rentre du collège. Je me mets à mes devoirs à 21 heures, pas avant. »
Sounita interpelle son professeur de français : « Vous, vous dites que le rôle des parents, c’est de laisser s’épanouir notre ambition. Moi, c’est ma soeur aînée qui m’a éduquée jusqu’à mes deux ans. Je vivais à Mayotte. Puis elle est partie en France. Du coup, quand elle est venue en 2009 pour me reprendre, et me ramener en France, elle m’a demandé de faire la même chose pour elle : je m’occupe de ses enfants, mes neveux et nièces. C’est un service rendu à ma soeur. Je lui suis reconnaissante de m’avoir emmenée en France, pour mon avenir. Je n’ai en fait jamais été élevée par ma mère. Ca m’a fait mûrir plus tôt. »
Et quand le professeur ose la question : « Quand et dans quel travail allez-vous vous épanouir ? », la réponse est formulée en choeur : « Quand on aura quitté la maison. Et on quittera la maison quand on sera mariées. »
(Enfin un Prince Charmant qui épouse une princesse de couleur !)
Interview de Mme Fontenit, chef d’établissement : « Mon rêve ? Réussir une meilleure égalité. »
« Beaucoup de filles ne souhaitent pas s’orienter en dehors de Châtellerault, elles réduisent leurs voeux pour ne pas aller ailleurs. Dans notre collège, 50% des filles se limitent à la voie professionnelle de façon à rester à Châtellerault : en somme, cela représente la moitié des filles du collège ! Les garçons sont plus ouverts, avec eux, il n’y a pas de problèmes, ils quittent facilement leur famille, leur ville. Tout cela est une question de culture : dans les cultures africaine subsaharienne et musulmane, on dit que, si une fille ne réussit pas ses études, ce n’est pas grave, de toutes façons, elle est là pour faire des enfants et s’occuper du foyer. C’est injuste, c’est de l’inégalité filles-garçons. En tant que principale, je cherche à réagir contre cela, je prends en compte les lois de la République, que je cherche à privilégier. Pour lutter contre ces inégalités, il faut que les filles se cultivent, apprennent, fassent des études. Mon rêve ? Réussir une meilleure égalité. »
Châtellerault, une petite ville de province en difficulté économique
Châtellerault pour tout horizon professionnel ? Notre ville ne fait pas rêver les auto-entrepreneurs, ni les ambitieux, à l’exception de quelques-uns de nos aînés qui, eux, ont réussi à s’implanter sur la ville et à gagner leur vie. Quelques-uns. Plus rares sont les filles qui, comme nous, sont issues de « l’immigration », à avoir réussi.
Châtellerault est une ville de 38 227 habitants, située dans la Vienne. Elle a été victime d’une crise économique en 2009 qui a entraîné le déménagement de plusieurs habitants et la fermeture de nombreux commerces : la plupart se sont réimplantés dans les centres commerciaux, d’autres ont fermé définitivement.
Interview de M. Aimé, professeur d’Histoire : « Châtellerault se fait belle pour être attractive, mais cela ne suffit pas. »
(Le pont Henri IV que les Allemands ont épargné pendant la guerre)
« Châtellerault est une ville en reconversion. Dans les années 90, il y avait beaucoup d’usines, sauf que c’était un problème, puisqu’il s’agissait d’emplois peu qualifiés (ouvriers), et les conditions de travail étaient mauvaises (des ouvriers travaillent de nuit, par exemple). Depuis 2000, beaucoup d’entreprises ont fermé, ce qui a réduit le nombre d’emplois. L’enjeu pour Châtellerault est de se renouveler, mais c’est difficile car c’est un cercle vicieux : perte d’emploi, chômage, départs, perte d’attractivité de la ville, et ainsi de suite. En fait, Châtellerault est un trompe l’oeil, la population augmente, mais c’est une population pauvre : par exemple, dans notre collège, les élèves ont souvent des mamans seules, qui ne travaillent pas. Les gens restent sans doute vivre à Châtellerault parce que les loyers ne sont pas chers, des personnes qui travaillent vont plutôt vivre en zone périurbaine. Là-bas, elles ont une vie tranquille, avec petite maison et jardin. Elles ne sont pas trop loin de la ville… Le risque pour Châtellerault est la délocalisation des entreprises. Il y a du travail à Châtellerault, mais aucune entreprise ne souhaite s’implanter ici. Il n’y a plus de centre ville. Châtellerault se fait belle pour être attractive, mais cela ne suffit pas. »
Pour conclure, nous sommes « destinées » à vivre à Châtellerault, proches de nos parents, en attendant que le Prince Charmant ne nous emmène sur son cheval blanc, ailleurs…
Larissa, Sounita, Gwendoline, Chloé, Mathis, Jessica, Lucas, Fantafonée, Victoria.

Agnès Dibot

Enseignante de Lettres et animatrice de l'option media.

Vous aimerez aussi...