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Abus de faiblesse et délit de concussion

ABUS DE FAIBLESSE
Cour d’appel de Poitiers
8 décembre 2016

Faits :
Monsieur X, fonctionnaire territoriale (Directeur de deux foyers logements dépendant des CCAS), personne physique, a interjeté en cour d’appel suite à son jugement lors de son premier procès au tribunal correctionnel. Monsieur X a été condamné à un an de prison avec sursis, interdiction d’exercer une fonction publique, accompagné de dommages et intérêts (2500 € pour préjudice moral, 6000€ pour préjudice matériel, 750 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile).
Il a été accusé d’abus de faiblesse envers Madame Y, personne physique, âgée de 87 ans, atteinte de problèmes respiratoires et cardiaques, fragile psychologiquement depuis le décès de son époux, résidente de la résidence qu’il dirigeait.
Par ailleurs, il a été accusé de délit de concussion mais celui-ci n’a pas été retenu lors du premier jugement.
Monsieur X a fait appel de cette décision devant la Cour d’Appel de Poitiers.

Problème de droit :
Monsieur X a-t-il vraiment profité de la faiblesse de Madame Y ?
Monsieur X a-t-il commis un délit de concussion ?


Arguments de la défense :

Concernant l’abus de faiblesse :
Monsieur X prétend qu’il entretient une relation privilégiée avec sa résidente car justement, ils se connaissent depuis l’arrivée de Madame Y. Celui-ci lui rendait visite dans sa chambre, fréquemment, parfois accompagné de sa compagne. Il lui rendait service dès que possible. Elle lui confiait ses papiers et il gérait pour elle les problèmes administratifs. Monsieur X estime être de bonne foi, il avait une relation de proximité avec Madame Y, une affection réciproque.
C’est elle-même qui a proposé à Monsieur X de l’aider financièrement. Il a accepté des prêts d‘un montant de 22 000 € sans intérêts et l’a remboursée dès que possible. Il ne s’agissait pas ici de dons, mais de prêts qu’il a d’ailleurs remboursés, il n’y a donc pas de préjudice.
En ce qui concerne les deux assurances vie souscrites en son nom pour 40000 € et au nom de sa compagne pour 35 000 €, Monsieur X affirme qu’il n’a rien demandé à Madame Y. Cette dernière avait déjà une assurance vie au profit de son aide à domicile mais suite à un désaccord elle a décidé d’annuler cette souscription. Elle a donc demandé à Monsieur X de faire venir sa conseillère financière afin de mettre fin à ce contrat. C’est alors qu’elle a dit à Monsieur X qu’elle le mettait comme bénéficiaire de l’assurance vie, Monsieur X n’a rien accepté, n’a rien signé. D’ailleurs les documents ont été établis ultérieurement par la conseillère financière de Madame Y, Monsieur X n’est pas intervenu dans la signature de ces documents. Monsieur X n’a rien demandé, ni rien signé, ni rien accepté, c’était la volonté de Madame X qui est une personne saine d’esprit et nullement irresponsable.
Son avocat affirme que Monsieur X est une personne dévouée, plusieurs résidents et leurs familles en témoignent. Il accepte toutes les personnes ayant besoin d’une aide quotidienne ou non, il accompagne les résidents jusqu’à la fin de leurs jours, et la politique de l’établissement n’a jamais été de se séparer des résidents pour des raisons médicales. Tout est mis en œuvre pour qu’ils restent au foyer logement le plus longtemps possible.
D’ailleurs, si on critique la situation de Monsieur X envers Madame Y, on ne s’émeut pas du fait que Madame Y a fait un testament au profit du foyer logement et du CCAS…

Concernant la concussion :
Monsieur X bénéficiait de la gratuité de son logement. En 1991 il est devenu responsable de deux foyers logements mais son salaire restait inférieur à celui de certains de ses collègues dans une situation similaire. Il a donc demandé en compensation, à bénéficier de la prise en charge des charges d’eau et d’électricité par le CCAS. il dit que la vice-présidente de l’époque lui a donné son accord oral.
Pour lui il n’y avait donc pas d’indélicatesse de sa part.

Arguments de l’accusation et du Procureur République :
Concernant l’abus de faiblesse :
Monsieur X a abusé de la faiblesse de Madame Y, démunie depuis la mort de son mari, fragilisée par des problèmes de santé, cette dame avait peur d’être obligée de quitter la résidence. Monsieur X lui aurait assuré que tant qu’il serait “là” elle resterait au foyer. Madame Y est une dame âgée possédant un patrimoine d’environ 300 000 €.
Il a fait part à Madame Y des problèmes financiers qu’il connaissait et a accepté plusieurs prêts sans intérêts qu’il n’aurait jamais dû accepter de la personne dont il s’occupait. D’ailleurs le règlement intérieur précisait que le personnel ne devait en aucun cas accepter de cadeau d’un résident (prêt, assurance vie, tableau…). Il était parfaitement au courant de cette règle puisqu’il était le directeur de l’établissement et que c’est lui qui fait appliquer le règlement. Il y a eu des reconnaissances de dettes mais celle-ci ont été conservées par Monsieur X et non pas Madame Y, et ont été retrouvé lors de la perquisition au domicile de Monsieur X, il ne les a pas remis de lui-même. Il a remboursé les prêts dès lors que la justice a été saisie, envoyant même un huissier voir Madame Y à l’hôpital, la veille de l’audience, pour lui faire signer l’acte stipulant le dernier remboursement des sommes dues. Ce n’est pas parce qu’il s’est empressé de rembourser qu’il n’y a pas pour autant abus de faiblesse.
Concernant les assurances vie à son nom et au nom de sa compagne, c’est Monsieur X qui a appelé la conseillère financière de Madame Y pour qu’elle vienne afin de réaliser les documents nécessaires à l’assurance vie. On s’étonne d’ailleurs de la souscription au profit de sa compagne, que Madame Y ne voyait qu’épisodiquement. D’ailleurs il semblerait qu’avant 2012, certains sommes ont disparu des comptes de résidents, mais comme il y a prescription, aucune investigation n’a été faite de ce côté.
Cette affaire n’aurait pas éclaté si Madame Y ne s’était pas confiée à une aide-ménagère qui a immédiatement alerté les services judiciaires.

Concernant la concussion :
Monsieur X ne payait pas les charges de son logement, selon lui la vice-présidente du CCAS lui aurait accordé mais en aucun cas le président du CCAS de l’époque n’a validé cet accord, or pour cela il était nécessaire qu’un arrêté soit pris, ce qui n’a pas été le cas. Par contre, un arrêté de 1994 du président du CCAS qui était maire également, signalait que si les logements de fonction étaient gratuits, cela ne concernait nullement les charges. Monsieur X était au courant de cet arrêté et savait dès lors qu’il était “hors la loi” en faisant payer ses charges par le CCAS. Cela représente la somme de 11 000 € depuis 2012 puisqu’il y a prescription pour l’antériorité, mais cela dure depuis 1994 !
Monsieur X est une personne chargée de l’autorité publique, il connaît la loi, et savait qu’il n’avait pas à recevoir ces sommes. Il doit dès lors rembourser ce qu’il a perçu.

Règle de droit applicable :
Délit de concussion :
L’article 432-10 du Code pénal réprime « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ».
Abus de faiblesse :
L’article 223-15-2 du Code pénal, “est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse […] d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique […], est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire […] cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende.”

Définition de l’abus de faiblesse :
L’abus de faiblesse se définit juridiquement comme l’exploitation de la vulnérabilité, de l’ignorance ou l’état psychologique ou physique d’une personne afin de la conduire à faire des engagements dont elle ne peut apprécier la portée. Il s’agit d’un délit réprimé par la loi pénale donc la personne qui s’estime victime d’un abus de faiblesse peut porter plainte

Décision du juge :
La décision reste inconnue puisque le procès n’était pas encore terminé.

 

Posted in Compte rendu de justice.

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