“C’est une tarte à la crème !” : la réponse

Emile Zeizig, www.mascarille.com

Emile Zeizig, www.mascarille.com

Bravo les élèves de 6eD : c’est votre classe qui a répondu le plus à l’énigme ! Alors, d’où vient l’expression  : “C’est une tarte à la crème ” ?  Comme le dit Eléa, c’est une “allusion littéraire”. Erine a trouvé des éléments de réponse : “Dans La Critique de l’Ecole des femmes,” l’expression “tarte à la crème” serait prononcée “plus de dix fois.” Erine et Elea ont découvert l’auteur à l’origine de l’expression : Molière. Mais l’expression se trouve tout d’abord dans L’Ecole des femmes. Dans cette pièce, Arnolphe n’a qu’une crainte : être trompé par sa femme. Voilà pourquoi il ne s’est pas marié. Au tout début de la pièce, il explique à son ami Chrysalde qu’il a décidé d’épouser une jeune fille choisie… pour sa bêtise et sa naïveté, car une femme intelligente et instruite ne lui convient pas :

ARNOLPHE

[….] Je prétends que la mienne1, en clartés peu sublime,

Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;

Et s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon2 

Et qu’on vienne à lui dire, à son tour : « Qu’y met-on ? »

Je veux qu’elle réponde : « Une tarte à la crème » ;

En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême ;”

Molière, L’Ecole des femmes, Acte I, scène 1, v. 95-100, 1662.

1. Je prétends que la mienne : je prétends que ma femme

2. Jeu qui consiste à trouver des rimes en « -on » à tour de rôle.

 

Si vous voulez découvrir cette pièce, voici quelques extraits de L’Ecole des femmes de Molière par le TNP, mise en scène de Christian Schiaretti :

 

iframe frameborder="0" width="480" height="270" src="http://www.theatre-video.net/embed/e7uXnLI6">

L’Ecole des femmes a déclenché ce qu’on appelle au dix-septième siècle une querelle, c’est-à-dire un débat très vif entre ceux qui défendaient la pièce et ceux qui la critiquaient. Certains trouvaient, par exemple, que la réplique avec l’expression “tarte à la crème” ne convenait pas à une pièce de théâtre. Cela mit Molière en colère. En 1663, il écrivit La Critique de l’Ecole des femmes où, par provocation, il accumule “tarte à la crème” dans les répliques de ses personnages :

ÉLISE.- Dites tout ce que vous voudrez, je ne saurais digérer cela, non plus que le potage, et la tarte à la crème, dont Madame a parlé tantôt.

LE MARQUIS.- Ah ! ma foi, oui, tarte à la crème. Voilà ce que j’avais remarqué tantôt ; tarte à la crème. Que je vous suis obligé, Madame, de m’avoir fait souvenir de tarte à la crème. Y a-t-il assez de pommes en Normandie pour tarte à la crème1 ? Tarte à la crème, morbleu, tarte à la crème !

DORANTE.- Eh bien que veux-tu dire, tarte à la crème ?

LE MARQUIS.- Parbleu, tarte à la crème, Chevalier.

DORANTE.- Mais encore ?

LE MARQUIS.- Tarte à la crème.

DORANTE.- Dis-nous un peu tes raisons.

LE MARQUIS.- Tarte à la crème.

URANIE.- Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble.

LE MARQUIS.- Tarte à la crème, Madame.

Uranie.- Que trouvez-vous là à redire ?

LE MARQUIS.- Moi, rien ; tarte à la crème.

Molière, La Critique de L’Ecole des femmes, scène 6, 1663.

1. S’il est vrai qu’au dix-septième siècle, on vendait des pommes cuites dans les théâtres et qu’il pouvait arriver que ces pommes soient lancées par des spectateurs mécontents, n’imaginez pas des lancers de tartes à la crème ou de tartes aux pommes ! Dans cette réplique, le marquis plaisante : l’expression  “tarte à la crème” montre que la pièce L’Ecole des femmes est tellement mauvaise que toutes les pommes de Normandie ne suffiront pas pour être jetées sur la scène.

Au dix-huitième siècle, lorsque Bruzen de la Martinière publie les œuvres de Molière, il écrit une biographie du dramaturge et raconte une anecdote le mettant aux prises avec le duc de la Feuillade, furieux car il se serait reconnu dans Le Marquis étourdi :

 « Le duc de la Feuillade […] s’avisa d’une vengeance aussi indigne d’un homme de sa qualité qu’elle était imprudente. Un jour qu’il vit passer Molière par un appartement où il était, il l’aborda avec des démonstrations d’un homme qui voulait lui faire caresse. Molière s’étant incliné, il lui prit la tête, et en lui disant : “Tarte à la crème, Molière, tarte à la crème”, il lui frotta le visage contre ses boutons qui, étant fort durs et fort tranchants, lui mirent le visage en sang. Le roi, qui vit Molière le même jour, apprit la chose avec indignation, et le marqua au Duc, qui apprit à ses dépens combien Molière était dans les bonnes grâces de Sa Majesté. »

Bruzen de la Martinière, Œuvres de Molière, chez Pierre Brunel, Amsterdam, 1725, in-12, Vie de Molière, Tome I, p. 8-116.

Molière est mort en 1673 : il est donc difficile de savoir si cette anecdote est vraie, mais elle montre que cinquante ans après la mort du dramaturge, on se souvient de la Querelle de L’Ecole des femmes et des critiques que l’expression avait suscitées.

De nos jours, l’expression : “C’est une tarte à la crème !” est utilisée familièrement pour désigner, comme l’ont écrit Raphaël et Manon, “un lieu commun, une banalité.” Lisons Romane : “Je pense que c’est quand ça se reproduit tout le temps ; c’est banal.” Une tarte à la crème, c’est donc, au figuré, un cliché, une évidence, une redite.

Mais alors, ces images de tartes à la crème qui, d’après Charlotte,  “volent à travers la pièce”, d’où viennent-elles ? Des films burlesques des années 1930 ? Certainement, mais surtout du cirque. Souvenez-vous du clown blanc qui écrase une tarte à la crème sur la figure de l’auguste. En 2011, NIKOLAUS propose dans son spectacle Jongleur ! – mise en scène de Michel Dallaire – une version mécanisée de l’entartage:

Si vous avez aimé, vous pouvez trouver d’autres vidéos de ce spectacle sur le site de la compagnie Pré-O-Coupé.

Vous aimerez aussi...