Les artistes du jour : Stéphane Poulet et Karim Souini, compagnie Super Super

Stéphane Poulet et Karim Souini dans Plouf et Replouf, Fêtes le pont, La Rochelle, octobre 2019. Photographie M. Monteiro

Lors des “Fêtes le pont” du 11 au 13 octobre 2019, quatre élèves de la CHAAR ont pu, en plein festival, interviewer Stéphane Poulet et Karim Souini avant de voir leur spectacle Plouf et Replouf. Merci aux artistes pour leur disponibilité, et à l’équipe du CNAREP-Sur le pont  pour l’organisation de cette rencontre !

Fleur : Comment vous voyez-vous ?

Karim Souini : Comment on se voit ? Par rapport au spectacle ou en tant qu’artiste ?

Fleur : En tant qu’artiste.

Karim Souini : Comment on se définit en tant qu’artiste ? [ Karim Souini à Stéphane Poulet] Toi, tu réponds… [Rire ] Pour moi, on se définit plutôt dans le clown… Je ne sais pas si c’est cela la question mais nous, on est plutôt dans un registre de clown… Et de clown de rue.

Stéphane Poulet : C’est dur, hein ? Ouais, je pense qu’on peut individuellement… si on peut dire… parce qu’en terme de spectacle… Tu ne parles pas du spectacle mais de nous en tant qu’artiste ? Ouais, en tant qu’artiste… Ben écoute, je suis un peu perdu. Je t’assure, je suis un peu perdu. J’avais le désir au début de ma formation, si on peut dire, d’arpenter la rue et je me suis rapidement retrouvé à m’enfermer dans ça. Là, depuis que je fais ce spectacle-là, je redécouvre l’extérieur. Parce qu’on peut pas dire que ce soit un spectacle vraiment de rue parce qu’on est en fixe, on est sur une ouverture bien précise mais notre jeu s’ouvre à la rue parce qu’il intègre tous les moments d’interférences, toutes les choses qui se présentent. Ça, c’est super intéressant et je trouve ça vivant. On est vraiment dans le spectacle vivant. Donc ouais, en tant qu’artiste, ce qui me plaît, c’est de pouvoir travailler et figer des choses mais qu’elles restent complètement ouvertes à l’imprévu.

Samuel : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Karim Souini : On s’est rencontré sur un festival d’art de rue, à Aurillac… C’est un gros rendez-vous pour le spectacle de rue, tous les ans et…

Stéphane Poulet : Il y a cinq, six cents spectacles… Sur un week-end

Karim Souini : On avait des amis en commun et c’est là où on s’est rencontré vraiment pour la première fois. Ouais…

Stéphane Poulet : Ouais… Parce qu’à la base, ce spectacle qu’on va jouer, là, il a été créé par un duo : Yvan [Yvan Mézières, compagnie Super Super] et moi. Et Karim, quand il dit : “Voilà, je les ai rencontrés”, c’est qu’il a remplacé Yvan assez rapidement et ils se partagent le rôle. Ce qui fait que je joue avec Karim sur ce week-end, et des fois je joue avec Yvan, voilà. Mais on s’est rencontré en dehors du spectacle.

Gamistick : Comment avez-vous su que vous vouliez faire des arts de la rue ?

Stéphane Poulet : C’est une question que l’on pourrait vous retourner, et j’aurais envie de vous questionner là-dessus mais… Personnellement, et j’ai un peu répondu dans la première question. C’est qu’en fait… Voilà dans une salle, tout est propret, bien rangé, on applaudit trois fois [Claquement de mains] et on rentre chez soi. Tout est beau, tout est bien rangé. Et dans la rue, justement, faut aller travailler. Faut aller travailler l’humain, travailler l’humain dans l’urbain et même si on se retrouve de plus en plus posé à des endroits où c’est quand même assez tranquille, l’intérêt des choses, c’est d’aller chercher le badaud, de l’interloquer, et puis d’aller l’interloquer là où il vit tous les jours. Tu vas sur le marché : comment t’arrives à l’empoigner ? Comment t’arrives à le questionner sur ce qui se passe là, sur une question de société ou pas? Mais en tout cas, ce mec-là qui est sur le marché, il a pas forcément payé son abonnement en salle. Et ça, c’est intéressant d’aller pouvoir peut-être arpenter le badaud et l’ouvrir à une culture. Ça, c’est mon avis personnel.

Karim Souini : Et…  c’était quoi déjà la question ? Comment…

Gamistick : Comment avez-vous su que vous vouliez faire des arts de la rue ?

Karim Souini : Pour moi, en fait, je me suis retrouvé à la fin de l’adolescence à aller voir… à découvrir le spectacle de rue et d’avoir aussi des amis qui étaient dans le cirque et le spectacle de rue. Jusqu’à un moment donné où je me suis retrouvé en fait à prendre des ateliers de théâtre de clown, et à travailler ça, et à aimer ça et à se dire : “Bon, ben, voilà, là, c’est le moment de faire un spectacle.”

Lunettes : Pourquoi avez-vous décidé d’enlever votre slip de bain dans le spectacle ?

Stéphane Poulet : Alors, on était dans la question avec Yvan en processus de création de rechercher une situation à deux parce qu’on est dans une natation synchronisée. Rapidement, on a créé le spectacle, on l’a créé sous une forme de cabaret où c’était que la fin : on arrivait déjà en slip, on faisait un échauffement et après, on faisait la choré, et puis voilà. Ce que vous verrez. Et comme c’était bien passé du public, on a essayé de chercher en amont ce qui se passait . On a testé des choses, on a trouvé la piste et puis après, on s’est dit : “Est-ce que des situations clownesques…” Parce qu’à chaque fois, chaque petite chose que vous allez découvrir qui porte à rire, eh ben, comment on la développe, comment on la pousse de plus en plus. Et en terme de travail, on se disait : ‘Tiens, une serviette pour deux..” Voilà. Est-ce qu’une serviette pour deux… Est-ce qu’un maillot de bain pour deux… Cette chose-là, vous la verrez et vous verrez pourquoi on a pris ce chemin-là. Généralement, c’est un moment qui est un peu…

Karim Souini : Charnière.

Stéphane Poulet : Charnière, ouais. Où le rire est un peu exponentiel à ce moment-là. C’est libérateur plus, plus. Et en fait, quand on regarde bien, c’est une personne qui avait bien analysé qui disait qu’en fait, cela reflète toutes les peurs que l’on peut avoir. Le clown, il est un peu.. On peut dire qu’il a cette – comment dire ? – cette fonction-là mais : il se joue avec les codes, avec nos peurs, ou avec tout ce qui nous anime et lui, il va les exacerber. Ou en tout cas, il va les prendre pour lui, et puis après, nous, cela va nous faire rire. Pourquoi ? Parce qu’on n’aimerait pas que ça nous arrive et généralement, quand ça arrive à l’autre, on en rit.

Karim Souini : Comme le fait d’arriver… Tu vois ? Ce cauchemar-là : d’arriver en pyjama à l’école. Ou d’être tout nu à l’école. Des trucs comme ça, quoi.

Stéphane Poulet : Tu n’aimerais pas que cela t’arrive mais si il y a quelqu’un à qui ça arrive, c’est assez drôle. Parce que voilà : on est aussi dans une société où l’on a une pudeur avec le corps, aussi …

Karim Souini : Tu vois ? Dès qu’il y a une nudité, c’est un peu… C’est ce qui génère ces peurs-là, en fait, ces codes-là de société qui génèrent des peurs. En ça, on est tous à peu près pareil.

Fleur : Quels sont les moments les plus durs quand on est artiste de rue ?

Stéphane Poulet : Ah, au bout de vingt ans de festival, je dirais que c’est de retourner au bar. Ça peut être un moment dur.

Karim Souini : De retourner au bar ?

Stéphane Poulet : De retourner au bar, oui, parce que, au bout de vingt ans de festival, je crois que… tu dois avoir la gueule bien marquée… Trêve de ça : ben, je te dirais que ce qu’il y a de super … ben, je vais inverser, je vais dire que – je ne vais pas faire mon politicien – c’est que tu peux avoir des moments : tu mets en place, tu attends le public, cinq minutes, tu joues, le public t’applaudit et puis après, tu vas manger. Puis ça, c’est un moment… de redescente parce que tu redeviens le badaud, commun des mortels : tu as brillé et puis maintenant, tu ranges tes affaires et puis c’est tout. Voilà, t’as fini de jouer et après, tu reprends la route. Ce qui peut être le plus dur, c’est, voilà, de te couper de ta famille pendant pas mal de temps. Quand tu es en tournée, tu ne peux pas l’emmener avec toi, tout le temps, et tu fais des… huit cents… mille cinq cents… kilomètres pour aller jouer… deux heures ! Ça fait que ça te prend deux heures de temps pour monter, jouer, démonter, et au final tu vas faire… vingt heures de route…

Karim Souini : Aller-retour…

Stéphane Poulet : Aller-retour, en deux jours. Donc ça, c’est peut-être un moment dur, qu’il faut accepter dans notre métier, c’est qu’on ne peut pas jouer localement, que localement.

Karim Souini : Oui. Puis, il y a le rythme aussi. Parce que forcément, nous, on va avoir un rythme de… de travail avec le spectacle qui va être dans son…. qui va être haut pendant la période de l’été, parce que c’est la période où, c’est, en France, où il y a beaucoup de festivals, il y a beaucoup de propositions de pouvoir aller jouer par ci, par là, mais c’est apprendre aussi à jauger, comme le dit Stéphane, avec les kilomètres et donc avec les kilomètres s’additionne aussi la fatigue. C’est… apprendre à gérer ça, apprendre à gérer cette fatigue. Le stress aussi, parce que c’est pas forcément tout le temps… Cela se passe différemment à chaque fois et nous, on doit aussi gérer la façon dont on va jouer mais en plus de ça toute l’installation : faire attention au soleil, faire attention pour pas que le public l’ait pas dans les yeux, l’emplacement… est-ce qu’il y a des gens qui vont passer derrière ? Est-ce qu’il y a du bruit autour ? Est-ce que le public va pouvoir être avec nous ? Parce que, s’il y a de la musique au bar, le public, forcément, va décrocher. Donc il y a plein de petits éléments comme ça qui vont entrer dans une case du stress qu’il faut aussi apprendre à gérer. Et le plus dur aussi – parce que là, on a la chance d’avoir un spectacle qui marche bien – mais il y a aussi… Le plus dur, c’est quand tu as un spectacle qui marche moins bien… de pouvoir essayer d’en vivre, que ce soit dans le spectacle ou dans tous les métiers-passion. C’est difficile parfois de vivre de ce que l’on aime faire. Faut aller chercher, faut aller chercher, faut aller. Faut lancer des petits hameçons. Et puis des fois ça marche et des fois, ça marche pas.

Vous aimerez aussi...