Nouvelle 7 : La cage

Il y a onze ans, nous étions le 8 juillet 2009. Mon ami Antoine et moi sommes nés en 1989, dans les bas-fonds de cette magnifique ville de Montpellier. Grandir entre racisme et inégalité, la richesse des bourgeois et les autres, considérés la plupart du temps comme des moins que rien, ne fut pas si simple. En effet, nous ne sommes pas allées dans des grandes écoles, nous ne sommes pas non plus des lions ou des cerfs ou je ne sais quel animal majestueux qui a toujours été gâté par la vie. Il a fallu survivre dans ce qu’on appelait autrefois la cage. La cage, c’était tous les quartiers malfamés de cette ville. Et quand on naît panthère noire dans la cage, il n’y a pas trente-six solutions de s’en sortir.

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Mon ami Antoine, né d’une famille riche, est né dans la même clinique que moi le même jour. Coïncidence ou destin … ?? Mais dans sa famille, les gènes, c’était primordial car c’était l’une des familles les plus respectées de la ville. Tous des beaux tigres de Sibérie, des vrais monstres, leur taille et leur pelage couleur feux en faisaient des vrais dieux. Ils avaient immigré à Montpellier il y a longtemps et avaient bâti leur fortune sur l’immobilier. Lors de la naissance d’Antoine, cela ne se passa pas comme prévu. Au lieu d’êtres un beau tigre couleur soleil, Antoine était couleur neige. Il était albinos, ce qui n’enchanta pas du tout son père. Il était censé hériter du grand empire des ses parents mais hélas, par sa couleur de pelage, il fut tout de suite refoulé par son père, qui paya la maternité afin qu’on le croit mort à la naissance et pour se débarrasser de lui. La femme qui était chargée de cette sale besogne ne put se resigner à faire du mal à un innocent, donc elle le mit à côté de moi dans la maternité. Moi, ma naissance fut encore plus compliquée car ma mère était un prostituée donc je ne connaissais pas mon père. Ce jour-là, il n’y avait que lui et moi, tous deux dans cette maternité, si seul. D’un côté, ma mère qui ne savait quoi faire d’un gamin comme moi et de l’autre, mon ami qui se révèle être plus mon frère qu’autre chose. Antoine semblait être le bébé le plus seul au monde. Ma mère a eu un accouchement plus difficile que la moyenne. Elle mit du temps à venir me chercher : elle a accouché vers cinq heures du matin et elle est venue me chercher vers deux heures du matin suivant. Elle avait dormi à l’hôpital, tant elle était fatiguée. La sage-femme qui vint chercher ma mère pour la conduire auprès de moi était la même qui avait posé Antoine à côté. Ma mère, malgré son métier peu orthodoxe, était une femme des plus douce et attentionnée que je connaisse. Quand elle m’a vu à côté d’Antoine, elle dit à la sage-femme : « On dirait des frères, non ? » À ce moment-là, la sage-femme lui expliqua que sûrement, ce petit tigre allait mourir car ses parents l’avaient abandonné à cause de sa couleur de pelage.  Ma mère se dit : « Un enfant de plus, qu’est-ce que c’est pour une panthère noire ? » alors elle décida de ramener Antoine à la maison.

C’est là que débute notre vie dans la cage.

Faisons maintenant un bond de dix-sept ans dans l’histoire. Antoine et moi avons bien grandi et nous sommes devenus de petites racailles. Pour notre défense, notre environnent ne nous laissait pas vraiment le choix. Notre mère qui se tuait au travail était tombée malade d’épuisement. Mais son employeur qui se trouvait être le plus grand sale type qui puisse être, ne voulait pas la laisser tranquille et lui réclamait encore et toujours de l’argent. Alors un jour, on alla voir son patron, qui se révélait être un gros porc dans tous les sens du terme et sûrement, pour lui demander de laisser notre mère tranquille. Et là, il dit la chose qu’il ne faut pas dire à deux prédateurs en colère. Il nous regarda et nous dit que notre mère n’était qu’un bout de viande et qu’elle lui appartenait et que, de ce fait, nous aussi nous lui appartenions. À ce moment précis, une drôle de sensation nous traversa le corps : nos pupilles se sont muées en formes d’amande et des feulements encore jamais sortis de notre gueules surgirent d’un coup, et là, nous commettons l’impardonnable… Nous l’avons déchiqueté sans aucun remord. C’était l’instinct de prédateur, celui qui prend le dessus dans des situations de stress intense ou de colères incontrôlables. Une fois accompli ce que nous devions faire, nous cachâmes le corps, et nous nous sommes enfuis le plus vite possible.

Une fois rentré, le meurtre de ce cochon était de loin notre priorité, étant donné que dans la cage, des types qui décèdent, il y en a tous les coins de rue. Le plus embêtant, c’était d’annoncer à notre mère qu’elle n’avait plus de travail. Alors nous décidâmes d’aller en chercher à sa place. Le souci, c’est que dans la cage, le travail était soit illégal, soit extrêmement dangereux. Dans les deux cas, notre mère n’acceptera jamais de vivre avec de l’argent sale ou volé. Du coup, pour la première fois de notre vie, nous sommes sortis de la cage afin de rejoindre le centre de Montpellier, vraiment l’endroit le plus beau qu’on ait jamais vu. Nous nous sommes rendus dans une agence d’emplois, pour trouver un vrai travail. Il y avait toutes sortes de boulot mais ce qui nous faisait le plus envie, c’était un poste de garde du corps pour une famille de riche. Alors qu’on se faisait des films dans notre tête, le directeur de l’agence nous expliqua que pour des personnes comme nous, jamais ils n’accepteront d’êtres protégés par des déchets. À ce moment-là, Antoine devint comme la dernière fois, mais si on enfreignait, on était emprisonné. Alors j’ai arrêté Antoine dans son élan et j’ai gardé l’adresse du travail.

Nous partîmes à la recherche de cet endroit quand tout à coup, nous tombâmes sur une bâtisse des plus majestueuses. Cette incroyable maison se nommait « Le Manoir Strovswky ». À ce moment-là, nous étions subjuguées par cette demeure. Après quelques minutes à contempler le manoir, nous décidâmes de sonner. Un domestique nous ouvrit le portail et nous demanda pour quelle raison nous étions là. Suite à cette question, je lui répondis que nous avions postulé pour être gardes du corps. Le domestique eut un petit sourire et nous fit signe de le suivre. À ce moment- là, nous ne savions pas dans quel pétrin nous nous étions mis. Nous traversions le jardin quand tout à coup, nous vîmes une jeune tigresse de notre âge qui, tout de suite, tapa dans l’œil d’Antoine. Je l’ai directement remarqué, alors je fis signe à Antoine d’arrêter de la dévisager. Au même moment, nous arrivâmes à l’antre de la demeure. Le domestique nous demanda de le suivre dans le jardin d’hiver le temps qu’il prévienne les maitres de maison. Nous patientâmes environ cinq minutes avant qu’un tigre grand de plus de deux mètres surgisse de la porte. J’étais totalement impressionné par sa taille et sa corpulence. Qu’un tel être puisse exister ! Déjà que je trouvais Antoine très grand… Quand le maître entra, il défigura Antoine, et il nous demanda pour quelle raison deux individus comme nous étions dans sa maison. À ce moment-là, je pris la parole pour lui dire que nous avions vu l’annonce de garde du corps. Je n’ai pas pu finir mon explication qu’une tigresse descendit à son tour pour nous rejoindre et là, il c’est passé quelque chose de très étrange :  la tigresse à son tour regarda Antoine avec plus d’intensité mais pas comme le tigre, plus comme quand notre mère nous voit rentrer alors qu’elle s’est inquiétée. Soudain le tigre nous dit de quitter les lieux de façon agressive. Sans broncher, c’est ce que nous fîmes mais en partant, j’ai laissé mon numéro au domestique, si les maitres lieux avaient changé d’avis. Du coup après cet échec luisant, nous décidâmes de rentrer chez nous. Déçus, nous devions quand même trouver de l’argent pour manger et pour acheter les médicaments de notre mère. Étant donné que nous n’avions pas vraiment le choix, on prit la décision d’aller braquer la station-service de la quatre-vingt-dixième rue. Nous étions près à faire le saut, mais d’un coup mon téléphone sonna. Je répondis avec espoir que ce soit le maitre de maison qui avait changé d’avis, mais la personne au téléphone était le domestique qui nous demanda de le rejoindre dans une heure dans le jardin de l’épervier, puis il raccrocha net. Etonné par cette appel et curieux de savoir ce que le domestique nous voulait, nous prîmes la décision d’y aller. Une fois arrivés, ce n’était pas le domestiques qui nous attendait mais la femme du maître de maison. Dès qu’elle nous vit arriver, elle accourut vers Antoine, le regarda dans les yeux et se mit à pleurer. Etonné par cette attitude, nous demandâmes à cette tigresse ce qu’il lui prenait et elle regarda Antoine dans les yeux et lui dit : « Ta place n’est pas ici. » Antoine, perdu, me fit signe qu’il voulait partir, qu’il se méfiait de cette femelle. Je voulais savoir ce qu’elle disait par:  « ta place n’est pas ici » et là une idée me traversa la tête, et je compris que cette femelle était la vraie mère d’Antoine.

À ce moment, tout se chamboulait dans ma tête. Je ne savais pas quoi dire à Antoine. S’il avait vécu avec cette famille, il n’aurait pas fini à braquer des stations-services pour manger, mais c’est mon frère. Ma mère l’a recueilli comme son fils, l’a protégé, nourri, logé, et lui a donné tout son amour pendant plus de dix-sept ans alors qu’eux, ils l’ont abandonné comme des chiens parce qu’il n’était pas normal. Ils ne le méritent pas. J’avais pris ma décision. Antoine, c’est mon frère, il le restera. J’ai dit à Antoine que nous devions partir. Ces gens-là ne nous accepteront jamais. Nous rentrâmes à la maison sans dire un mot sur le trajet. Et les jours passèrent, jusqu’au jour où notre mère perdit la vie. Les médecins ont dit qu’elle était morte de surmenage. Ce fut le pire jour de ma vie. Antoine était vraiment triste aussi. Lors de l’enterrement, j’ai décidé de lui avouer pour la famille Strovswky qu’ils étaient sa vraie famille. Il me répondit qu’il était déjà au courant : dès qu’il a vu ce gigantesque tigre, il a remarqué qu’il avait la même odeur. Il m’a dit qu’il y a deux familles : celle dans laquelle on naît et celle qu’on choisit. Il préférait de loin vivre dans la misère et être traité comme un chien galeux par les bourgeois de la société que de passer une minute de plus avec de tels monstres.

Il finit par me dire que ça a été un honneur d’avoir une mère comme la mienne et que, par amour et par loyauté pour notre famille, on ne se quitterait jamais.

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