Nouvelle 20 : Il est temps de changer, non ?
Juin 1964, Claude et son amis François étaient amis depuis l’enfance grâce à leur passion pour le football. Claude était directeur d’une entreprises automobile et de son coté François était à la tête de l’entreprise famille de charpente. Ils se retrouvaient deux fois par semaine dans le restaurant en face de leur travail respectif. Ils en profitaient pour discuter de différents sujets et pour regarder les matchs de football qui passaient sur la télévision du restaurant. Ils avaient trente-deux ans et trente-trois ans et n’avaient pas d’enfants. Ils habitaient avec leur femme des appartements en région parisienne. Jeanne et Carole sont les femmes des deux amis d’enfance. Elles s’entendaient très bien et se voyaient régulièrement au marché et à la piscine néanmoins, elles vivaient très différemment, puisque Jeanne était beaucoup plus libre que Carole. Car les deux amis venaient de milieux sociaux très différents. Claude vient d’une famille d’agriculteurs. Il est fils unique et petit, il voyait son père maltraiter sa mère et elle ne disait rien. Elle ne se couchait qu’après avoir fini le linge, le repas, le ménage et avoir nourri les poules. C’est sûrement le fait d’avoir vu sa mère faire tant de choses sans avoir de temps pour soi, qu’il laissait beaucoup de liberté à Jeanne et ne lui reprochait pas de ne pas avoir nettoyé la maison ou étendu le linge. François, lui, venait d’une famille aisée avec quatre frères et sœurs. Il a toujours vu sa mère s’occuper seule de la tribu alors que son père était le chef de l’entreprise de charpenterie qui était dans la famille depuis trois générations. Il savait que sa mère se couchait tard mais pour lui c’était normal et il ne pensait pas qu’elle recevait énormément de pression de la part de son mari pour que la maison soit propre et toujours bien entretenue. C’était donc normal pour lui que sa femme fasse pareil.
Un vendredi soir vers dix-neuf heures, ils étaient tranquillement attablés dans un restaurant, quand Claude s’exclama :
– Je ne t’ai pas dit mais Jeanne cherche un travail ! Elle est allée cette après midi à un rendez-vous dans une boulangerie.
– Tu es d’accord avec ça ? répondit François surpris
– Bien sûr, pourquoi serais-je opposé à cette idée ? Elle peut faire ce qu’elle veut! Je le lui ai toujours dit.
– Si Carole m’avait dit ça je ne sais pas comment j’aurais réagi.
– Ah bon ! répondit François étonné.
À ce moment là, la Marseillaise retendit dans le restaurant et le vacarme se stoppa net. Tout le monde était réuni dans le restaurant pour voir le match. Les chaises se tournèrent et les yeux se rivèrent sur l’écran disposé en face des baies vitrés. Des cris et des sifflements se firent entendre dès les premières minutes du match. Le lendemain du match, Jeanne annonça à Claude qu’elle était prise dans la boulangerie. Ils sautaient de joie.
En allant au marché, elle croisa comme à son habitude plusieurs amies. Elle leur parlait donc de son emploi et beaucoup trouvaient cela super. Elles n’avaient encore jamais osé en parler à leur mari mais elles rêvaient de travailler pour enfin changer d’air et ne pas toujours être aux chevet de leur mari. Le jeudi, Jeanne et Carole allèrent à la piscine. Sur le chemin, Jeanne était impatiente d’annoncer à son amie, qu’elle n’avait pas vue depuis une semaine, qu’elle avait trouvé un travail.
– À partir de la semaine prochaine je vais travailler dans une boulangerie, j’ai fait un essai hier ! Je suis trop heureuse, je vais gagner mon propre argent.
– J’aimerais tellement moi aussi pouvoir travailler mais je pense que François ne sera pas d’accord, disait-elle sur un ton triste. Petite je rêvais de devenir vétérinaire et je n’ai jamais pu aller au bout de ce rêve.
– Tu pourrais peut-être lui demander et tu verras bien sa réponse, questionna Jeanne.
Une fois leur séance terminé, elles se séparèrent et rentrèrent chacun de leur coté. Carole était bien décidée à convaincre son mari de la laisser reprendre ses études pour qu’elle puisse réaliser son rêve.
Mais un fois rentrée dans son appartement, François était là, et commença à lui faire des reproches. Carole se figeait, terrorisée. Elle ne sut dire que : « Je suis désolée, je vais faire à manger » et partit à toute vitesse dans la cuisine et s’y enferma pour pleurer.
Quelques jours plus tard, Jeanne rentrait de son travail et découvrit dans la rue une dizaine de cerf avec d’immense bois et se demanda pourquoi ils étaient là. Chez elle, alors qu’elle se posait dans le salon, elle alluma la radio et découvrit avec stupeur que toutes les chaînes de radio parlaient des cerfs. Ils se regroupaient de plus en plus nombreux dans les rues de Paris. D’après les journalistes, c’était les hommes qui se transformaient pour montrer leur puissance et supériorité aux femmes et leur montrer qu’ils ne souhaitaient pas que leur femme travaillent. Jeanne comprit alors rapidement que c’était les maris de ses amies qui ont demandé à leur mari pour travailler et ça ne leur a pas plu. Ils s’étaient donc transformés en cerfs.
Samedi 15 mars, Claude se dirigeait chez son ami, François ouvrit la porte:
– Bonjour , comment vas-tu ?
– Bonjour, ça va et toi ? demanda Claude
– Ça pourrait aller mieux … dit François qui prononçait ces mots avec colère.
– Que se passe-t-il ? Tu as des ennuis ?
– Allons s’asseoir, je vais te raconter.
Ils s’assirent, François servait du café à son ami. Claude attrapa la tasse dans ses mains :
– Pourquoi ça ne va pas? questionnait Claude
– Ce matin, je vais dans la salle de bain et je mets un pied dans mon bain que ma femme m’avait fait couler et il était froid ! Tu te rends compte : j’ai dû attendre une heure que ma femme revienne des courses et qu’elle refasse couler un bain! Elle ne s’est même pas excusée !
– Tu ne pouvais pas vider ton bain et le remplir toi même? Au lieu d’attendre revenir ta femme ?
– Je ne suis pas une femme, ce n’est pas mon rôle !
– Ton rôle ! Ce n’est pas non plus son rôle comme tu dit ! Tu peux faire les mêmes choses qu’elle! Qui t’a mis cette idée dans la tête? Ce sont les hommes qui se transforment en cerf et qui défilent dans la rue pour montrer leur puissance aux femmes ?
– Bien sûr que non , mais les femmes sont tout le temps à la maison alors que nous, nous travaillons. Elles doivent bien s’occuper de nous et des enfants, nous n’avons pas autant de temps qu’elles pour faire les taches ménagères et je ne vois pas pourquoi ça serait à nous de le faire . Mes parents ont toujours fait comme ça !
– Il est temps de changer, non ?
– Mais non ! Pourquoi changer?
– Je pense que les femmes peuvent travailler et se libérer de certaines taches ménagères que nous pouvons faire. Jeanne travaille depuis une semaine dans une boulangerie et même si elle ne gagne pas beaucoup d’argent, elle est très heureuse, disait Claude
– Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, tu devrais rentrer chez toi, s’exclama François sur un ton grave
– Très bien et ne deviens pas comme eux, ok ?
– Oui, ne t’inquiète pas pour moi.
– Au revoir.
– Au revoir !
Quatre jours plus tard, la femme de Claude appelait François paniquée car Claude n’allait pas bien. Après vingt minutes, il arriva devant la porte de Claude. C’était sa femme qui lui ouvrit et qui l’amena dans la chambre où se trouvait Claude :
– Ça va pas? Que se passe t-il?
– Je ne sais pas, j’ai chaud et j’ai aussi mal à la tête!
– Mais non ne t’embête pas. Va chercher une écharpe ! disait-il en regardant sa femme
– Oui, bien sûr j’y vais tout de suite, fit-t-elle.
– Ce n’était pas la peine j’aurais pu y aller. Tu t’es cogné récemment la tête?
– Non pourquoi?
– Car on peut deviner deux bosses de chaque coté de ton front. Tu ne commences pas à te transformer en cerf ? Rassure-moi, disait Claude
– Ils ne sont pas si méchants, ils veulent justes être puissants et moi aussi. Pour impressionner nos femmes.
– Oh, non c’est pas vrai, ça y est tu te transformes ! Comment puis-je faire pour t’en empêcher?
– Mais je veux être puissant ! Arrête de m’en empêcher, Carole verra que c’est moi qui décide pour elle, prononçait-il avec un regard qui devenait noir charbon.
Sa peau passait de blanc à marron, sa voix devenait aiguë, on pouvait ensuite commencer à distinguer les bois pousser sur son front. Sa femme revenait avec une écharpe et découvrait son mari par terre à quatre pattes et complètement changé. Il avait des bois, des poils sur sa peau. François était assis sur le lit en train de regarder son amis se transformer devant ses yeux. François avait choisi son camp et ce n’était pas celui de Claude. Il descendit et rejoignit les autres hommes qui défilaient dans la rue. Carole était restée dans la chambre en larmes alors que François est descendu avec le cerf qui était son ami.
Au fur et à mesure que les nouvelles se repandaient dans le pays, les cerfs se faisaient de plus nombreux et plus capricieux. Les hommes qui étaient comme Claude, qui laissaient leur femme travailler étaient peu nombreux. Malgré le nombre infime qu’ils représentaient, ils restaient unis pour espérer qu’un jour la mentalité des hommes change.