Nouvelle 24 : non loin des côtes de Spitzberg

Au 66° nord, par un jeudi matin ensoleillé, non loin des côtes de Spitzberg, je rejoignis mon ami comme tous les jours, pour bavarder autour du saumon matinal. Nous discutions tranquillement de choses et d’autres, assis chacun sur un morceau de banquise flottant, mon ami Ernest et moi, lorsque que nous aperçûmes, sur l’iceberg d’en face, énorme, puissant, moutonneux et filant droit devant lui à basse altitude, un nuage blanc extraordinairement rectangulaire.

– Réfléchissez, voyons, vous vous rendez bien compte que nous allons disparaître !

– Oublions tout cela, on s’en portera mieux…

– Je ne vous prends pas au sérieux, vous plaisantez ? Vous faites de la poésie… vous vous amusez de moi…

– Grrr !

– Notre avenir est compromis ! La banquise fond à vue d’œil, nous avons de plus en plus de mal à trouver de la nourriture…

– Des clichés, vous me racontez des bêtises.

– Des bêtises ?

– Absolument, dit-il d’une voix rauque difficilement compréhensible

– Je suis étonné de vous entendre dire cela, mon cher. Perdez-vous la tête ? Enfin, aimeriez-vous aller chasser le phoque encore plus loin ? Souhaitez-vous vous contenter de proies de plus petite taille comme les renards et les oiseaux ?

– Oh, une belle peau de phoque bien grasse et bien épaisse, je ne dis pas non.

– Surtout pour nos femelles, elle est essentielle car elle est riche en énergie.

– Pourquoi pas ? Je n’ai pas de préjugés.

– Et la banquise, vous y avez pensé à la banquise ?

– Pourquoi ? Elle est toujours aussi blanche et le ciel toujours aussi bleu !

– La banquise est vitale, pour nous, les ours polaires, car c’est à la fois notre lieu de chasse, de repos et de reproduction. Ne la voyez-vous pas diminuer années après années ?

J’avais à peine fini de poser ma question que je vis Ernest se transformer : tout d’abord, il devint inexpressif, puis il commença à friser comme un mouton. Enfin, il commença à apprécier la géométrie, car il se transforma en pavé droit ! Ernest était devenu en un clin d’œil, un énorme nuage moutonneux et rectangulaire !

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Mon ami ne put que constater les conséquences de la fonte des glaces, puisque, après avoir subi cette première transformation, il devint limpide… puis liquide avant de s’évaporer, telle une expérience sur les états de l’eau, en passant de l’état liquide à l’état gazeux.

C’est ainsi, que par cette fin de matinée, je me retrouvai tout seul, assis sur mon morceau de glace qui fondait, en train de réfléchir sur mon extinction certaine si rien n’était entrepris pour me sauver.

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