Nouvelle 35 : On ne rigole pas avec les sandwiches !

– Dégage !

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Le grognement frustré de Johnny fut suivit d’un violent coup de pieds en avant, dirigé vers les trois pigeons qui jusque là picoraient les restes de son déjeuner. Les trois comparses s’envolèrent vers le fond du square, probablement pour digérer leur repas. En soupirant bruyamment, Johnny balaya les miettes qui étaient tombées de son sandwich jusque sur son jogging et les envoya directement dans le petit ruisseau qui coulait tout près du banc sur lequel il était assis. La majeure partie d’entre nous aurait suivi les miettes des yeux, aurait vu celles-ci naviguer sur les flots calmes du petit point d’eau. Johnny Béton ne fit pas cela. Au lieu de ça, il secoua son journal pour enlever les miettes récalcitrantes qui s’étaient incrustées entre les reliures. Trop occupé par sa lecture des gros titres, il ne vit pas la continuité du petit ruisseau, qui se changeait rapidement en rivière et s’enroulait gracieusement autour des collines qui bordaient le parc. Il ne vit pas non plus les hérons, les deux pattes dans l’eau près de la petite cascade, attendant sûrement une grenouille qui ne viendra jamais puisque nous étions en milieu d’après-midi. Il ne vit pas non plus les merles, les mésanges, les papillons colorés qui ne voletaient qu’à cette heure-ci près du vieux moulin ou les écureuils qui se reposaient sur leur branche.

Il ne vit rien de tout ça, et ne l’avait d’ailleurs jamais vu bien qu’il fût dans ce parc tout les jeudi après-midi à partir de seize heures, et cela depuis quinze ans. Il ne venait pas dans le square pour son atmosphère si calme ou le fait qu’il n’y avait plus belle merveille dans un rayon de cinq cents kilomètres, mais pour échapper à sa femme. Il estimait qu’une fois par semaine, il pouvait laisser ses trois enfants avec Fibula sans craindre de se faire retrousser les manches en rentrant puisqu’eux, l’imaginaient toujours au travail. Aucun d’eux n’avait vérifié les horaires de fermeture du magasin de bricolage et personne ne savait donc qu’il fermait ses portes exceptionnellement tôt le jeudi.

Johnny fit battre son journal dans l’espoir de lui redonner une forme tout en jetant un regard attristé aux restes de son jambon-beurre se reposant toujours sur l’asphalte. Il n’aimait pas particulièrement les sandwiches jambon-beurre, mais il n’avait jamais essayé d’autres saveurs… Selon-lui, nul besoin de goûter aux autres : celui-là était très bon, c’était souvent le préféré des gens et sa popularité semblait confirmer que c’était un très bon sandwich, le meilleur de tous.

On ne rigolait pas avec les sandwiches.

À Yeet, c’était quasiment la seule chose que l’on consommait pendant les pauses déjeuner. La boulangerie était le seul magasin de tout Yeet qui vendait des denrées comestibles. Seulement, la célébrité du jambon-beurre avait presque conduit à la fermeture de la boulangerie qui avait dû se reconvertir en Boulanjambonbeurre au court du mois de novembre précédent. Depuis, lorsque les clients entraient, un sandwich jambon-beurre les attendait déjà chaud sur le comptoir puisque c’était la seule chose que l’on vendait à la Boulanjambonbeurre et plus généralement, la seule chose que l’on vendait dans tout Yeet.

En tout cas presque la seule chose, puisque pas plus loin qu’à l’autre bout du parc, le seul client de la Boulanjambonbeurre qui ne commandait pas de jambon-beurre, était en plein shooting photo. Tout du moins, il était en plein shooting photo avant que quelqu’un ne hurle de frustration à cause de pauvres petits pigeons. Son modèle, une jolie huppe en pleine parade avait rangé ses plumes après avoir été surprise par le rugissement. Elle s’était ensuite enfuie lorsque le bruit d’un jambon-beurre que l’on jette à l’eau se fit entendre.

Ed soupira et commença à ranger ses affaires. Il s’arrêta cependant un instant pour savourer la beauté scintillante du parc, que la petite rivière qui se reflétait sur les arbres et les rochers faisaient briller. Il s’allongea ensuite dans l’herbe et déballa son déjeuner, un sandwich toasté à l’ananas et au saumon, avec sauce blanche, moutarde et curry, sur un pain hawaïen saupoudré de fruits confits. Il n’avait jamais rien goûté d’aussi délicieux, c’était comme croquer dans un nuage du paradis, avec le pain moelleux mais craquant, le parfait mélange de mie, de croûte et de sauce, ni trop pâteux, ni trop croustillant. Ed était très différent de Johnny. S’il se rendait si souvent dans ce square, c’était parce que lui, trouvait sa beauté passionnante. Il n’y allait pas pour lire le journal, ou hurler sur des pigeons. Il venait pour immortaliser cette beauté qu’il aimait tant et se détendre. Ed était curieux de nature, on ne pouvait le nier. Il avait sauté sur chaque nouvelle opportunité qui s’était présentée à lui au cours de sa vie. Il avait tout essayé, du saut en parachute jusqu’à la poterie, des courses sur autruches au parapente. Ed ne regrettait aucune de ces choses.

Bien que Johnny et Ed aient des personnalités totalement différentes, ils avaient un point commun : ils avaient un dîner le soir même, où ils comptaient renouer avec un vieil ami. Ils avaient habité toutes ces années dans la même ville mais ne s’étaient jamais croisés. Et alors que Johnny râla dans sa barbe toute la journée, Ed avait grande hâte de retrouver son vieil ami.

Le soir même, dans le restaurant de la Bouljambonbeurre, Ed sirotait son verre d’eau en attendant son ami en retard. La salle dans laquelle il avait réservé une table était sombre, la lumière était tamisée et un immense chandelier pendait en son centre. Ed se dit que le chandelier valait probablement plus cher que l’ensemble de l’argenterie, pourtant luxueuse, qui se trouvait à chaque table. Il pendait à quelques mètres de lui mais il parvenait tout de même à en saisir quelques détails plus ou moins surprenants : de vraies bougies étaient accrochées sur l’objet, elles semblaient infinies puisque même si elles brûlaient, il n’y avait aucune coulée de cire sur leurs pourtours. Le métal qui le composait était aussi brillant qu’une nacre, il semblait parfaitement lisse et sans défaut mais la couleur de ses reflets oscillait de blanc à noir selon l’angle par lequel on l’observait. Ed savait que s’il avait été cambrioleur, il aurait sans doute volé le chandelier plutôt que de piller la caisse. Il se serait ensuite sûrement rendu au Canada pour brouiller les pistes puis serait allé à Berlin, là où ce genre de pièce à le plus de valeur au marché noir, pour revendre le chandelier. Ed ricana, sachant que ce serait totalement le genre de son ami Dwight de déballer de pareilles sottises lors d’un repas, aussi se fit-il la promesse silencieuse de se tenir aussi bien que possible devant son vieil ami. Johnny était peut-être devenu avocat ? Ou bien un éminent professeur ? Peut-être même un médecin, comme lui. La nervosité s’empara de lui lorsque les pas de quelqu’un pénétrant dans la salle se firent entendre.

– Ed ?

La voix provenait de derrière lui, Ed se retourna alors pour voir son ami.

– Johnny !

Les deux hommes échangèrent un accolade puis prirent place autour de la table.

– Eh bien mon vieux, tu m’as l’air tout droit sorti d’un magazine ! s’exclama Johnny à l’intention de son ami qui, par pure politesse, lui retourna le compliment.

Par pure politesse effectivement puisque tandis qu’Ed avait mit un de ses plus beaux costumes, s’était correctement coiffé et avait ciré ses chaussures pour la deuxième fois de la journée, Johnny avait conservé ses habits du parc. Ses cheveux semblaient avoir absorbé l’entièreté du contenu d’un pot de gomme et l’odeur âcre d’une eau de cologne bon marché avait quasiment empesté la pièce. Une aura embarrassée asphyxiait désormais les deux amis, bien que les sujets de discussion soient illimités lorsque l’on ne s’était pas croisé pendant plusieurs décennies. Aucun d’eux ne parvenait à relancer un dialogue. Quelques mots furent tout de même échangés, des : « Alors comme ça tu es marié ?», des : « Tu travailles où exactement ? Ah, j’ai une tante qui habite dans le bâtiment d’en face.» et des : «Ah toi aussi tu avais un oncle John ?» désormais perdus dans la pièce silencieuse. Johnny faisait semblant de lire le menu en commentant à voix basse les prix soit disant excessifs pendant qu’Ed regardait son chandelier comme une souris regarderait un gros morceau de Mont D’Or. Le serveur, comme s’il avait remarqué l’ambiance dans laquelle baignaient les deux amis, arriva presque en courant dans la salle, ignorant les autres clients qui le hélaient et slalomant entre les grandes tables.

– Désolé pour le retard messieurs, vos deux jambon-beurre sont en train d’être préparés en cuisine. Puis-je vous apporter des boissons ?
– Puis-je avoir un Hawaïen au lieu d’un jambon beurre ? demanda Ed, à son habitude.
– Oh désolé je ne vous avait pas reconnu Monsieur Rubberbands, je vous apporte un toasté à l’ananas et au saumon, avec sauce blanche, moutarde et curry, sur un hawaïen.
– N’oubliez pas les fruits confits ! ajouta Ed lorsque le serveur fit mine de s’éloigner.

Puis la salle fut à nouveau plongée dans le silence, ébahi cette fois. Johnny fixait son ami avec tant d’incompréhension que ses yeux semblaient sortir de leurs orbites.

– Tu… Tu ne prends pas de jambon beurre ? finit-il par demander.
– Non, je n’aime pas vraiment cela, répondit Ed, stoïque.
-Mais… Mais… Tout le monde aime les sandwiches jambon-beurre !
– Eh bien pas moi.

La pomme d’Adam de Johnny fit un aller-retour, comme si celui-ci essayait d’avaler ce qu’il venait d’entendre.

– C’est impossible, murmura-t-il.

Ed fronça les sourcils, pourquoi cela était si dur à digérer pour la plupart des gens ?

– Et puis d’ailleurs, pourquoi aimez-vous les jambon-beurre à ce point dans cette ville ? demanda-t-il agacé.
– On aime ça parce que… Et bien parce que… Qui se pose sérieusement ce genre de questions ? Tout le monde aime, c’est que c’est bon, tant que les gens en mangeront, j’en mangerai. Pourquoi se poser des questions idiotes ? Personne ne se pose de questions ici, on aime puisque tout le monde aime.
– Vous devriez essayer l’hawaïen un de ces jours, recommanda Ed après un long silence, peut-être cela vous fera changer d’avis sur les jambon-beurre.
– Absolument pas, je mange des jambons beurre depuis que je suis né et regardez moi ! Je suis en parfaite forme !

Ed dut se forcer pour ne pas contredire son ami dont le tee shirt moulait parfaitement ses bourrelets.

– Rien n’est jamais arrivé aux gens qui mangent des jambon-beurre et ce n’est pas près d’arriver, c’est pour cela que j’en mange, ça n’est pas nocif et c’est relativement peu cher.

Ed soupira en silence alors que le serveur refit son entrée portant cinq jambon-beurre fumants et un hawaïen tout aussi chaud. Alors qu’il déposait les sandwiches des deux hommes en face de ces derniers, un cri déchirant se fit entendre, quelque chose d’inhumain qui glaça le sang de tout ceux présents dans la salle.

Les deux hommes cherchèrent du regard la provenance de ce cri perçant, provenance qui se précisa lorsque d’autres cris, cette fois horrifiés résonnèrent dans la pièce. En tournant le regard, la scène qui se dessina sous les yeux de Johnny lui glaça le sang : une femme était en train de hurler, assise à sa table. Son corps se mouvait violemment, comme balloté par des vagues imaginaires. Sa bouche était tordue dans un rictus de douleur, tout ses traits étaient tirés, sous les assauts de souffrance qu’elle semblait endurer. Mais le plus déstabilisant était sa peau elle-même. Quelque chose semblait bouger sous elle, semblait vouloir sortir, la surface de ses avant-bras et de son visage se distordait, se courbait et ondulait, comme des vers qui lui creusaient le derme le l’intérieur. Elle prit l’apparence d’une peau brûlée, brune et dure.

Un cliquetis répété détourna l’attention de Johnny de la peau distordue de la femme, et l’attira sur l’assiette de cette dernière. Assiette dans laquelle tombait des dents ensanglantées, tout droit sorties de la bouche déformée de douleur de la femme. Le bruit qu’elles produisaient en entrant en contact avec l’assiette en céramique donnait à la scène encore plus de violence, alors que les ballotements de la pauvre dame continuaient. Soudain, un gargouillis provenant du plus profond du ventre de la femme se fit entendre, il devint de plus en plus aigu, jusqu’à ce qu’un jet puissant de sang jaillisse de la bouche tout aussi ensanglantée. Johnny reçut le vomi rouge en plein visage, ce qui déclencha son vomissement à lui aussi. Il se pencha sous la table et vomit son jambon beurre de déjeuner. C’est en remontant la tête qu’il se rendit compte des hurlements horrifiés de tous les clients du restaurant, qui jusque là, et au même titre que Johnny, avaient été absorbés par le sinistre spectacle que leur offrait le corps désormais
étalé sur le sol et convulsant de la jeune femme.

-Évacuez la salle immédiatement ! hurla le serveur parmi les hurlements. Faites de la place aux secours, ils seront là d’une minute à l’autre !

Tout les clients ainsi que Johnny et que les amis de la jeune femme se ruèrent à l’extérieur. La plupart sortirent leur téléphone pour appeler soit leurs proches, soit les journaux locaux. Ce fut à ce moment-là que Johnny se rendit compte de l’absence d’Ed. Johnny se dit qu’après tout, il était médecin et sûrement était-il en train d’aider la jeune femme à l’intérieur. Johnny entreprit de nettoyer son jogging trempé de sang et de vomi mais s’arrêta lorsqu’un nouveau hurlement, plus strident cette fois-ci, fit relever la tête de tout les gens attroupés devant la Bouljambonbeurre. Le silence était total, jusqu’à ce que des bruits de vaisselle qui se casse, de tables renversées et de vitres qui rompent se firent entendre. Il faisait trop noir pour en être sûr, mais à ce moment là, Johnny aurait parié voir un immense oiseau s’envoler de l’autre côté de la Bouljambonbeurre en direction du parc.

Quelques jours plus tard, alors que Johnny finissait sa troisième bière, sa femme, Fibula, jusqu’alors retranchée dans la pièce voisine, entrouvrit la porte du salon, téléphone en main.

– John, mon poussin, j’ai Madame Warner au téléphone, elle voudrait savoir si tu avais vu Ed ces derniers temps.

Pour la première fois en deux semaines, Monsieur Béton se questionna sur l’état de son ami car, en effet, il n’avait pas eu de nouvelles de celui-ci depuis l’incident au restaurant. Se grattant le menton, il répondit à la négative.

– Je lui fait passer le message, est-ce que tu pourrais passer à la pharmacie plus tard dans la journée ? La migraine des enfants a empiré.

Johnny répondit par un grognement et Fibula quitta rapidement la pièce, le laissant à sa boisson. Johnny, qui n’était pourtant pas du genre à s’inquiéter du sort de quiconque, sentit un voile de culpabilité s’enrouler autour de son estomac et de sa gorge, provocant la sensation désagréable d’un poids intérieur dont il ne pouvait se libérer : ses entrailles touchaient ses talons, comment pouvait-il, après tout ce qu’il s’était passé au cours de leur dîner, oublier jusqu’à l’existence même de son ami le plus cher ?

Rectification : de son seul ami ?

Johnny se leva, déterminé à tout faire pour retrouver son ami sain et sauf. Il claqua la porte de son petit appartement mais s’arrêta subitement sur le palier. Où est-ce que les gens tels que son ami, lunatiques,
bornés et insolites se rendaient-ils pour se reposer ? Toute personne normalement constituée, à Yeet tout du moins, serait allée à la Bouljambonbeurre car rien n’est mieux qu’un bon sandwich jambon-beurre lorsqu’on est effrayé ou perdu, mais son ami, lui, ne pensait pas comme les habitants de Yeet. Johnny n’avait jamais autant réfléchi. À vrai dire, il n’avait jamais vraiment eu à le faire, il avait fait comme les autres toute sa vie, il s’était uniformisé, il était devenu un 1, un habitant de Yeet, ici, on ne réfléchissait pas. Certains habitants des villes voisines affirmaient que c’était dans leur code génétique, que la paresse et l’ignorance couraient à Yeet, mais là encore, il n’était pas sûr du sens de ces mots. Sans s’en rendre compte, ses pas l’avaient porté jusqu’au square, désert, à son habitude. Finalement, c’était peut-être l’endroit qu’Ed était le plus susceptible de choisir pour se reposer.

Après avoir suivi le petit chemin graveleux pendant une vingtaine de mètres, il le vit.

Il était assis sur un banc, celui où Johnny avait abandonné son sandwich quelques semaines plus tôt. Des dizaines de volatiles l’entouraient, piaillant bruyamment et sautillant aléatoirement sur le bitume, leurs petites pattes produisant un faible cliquetis lorsqu’elles rebondissaient. Johnny s’approcha, il jeta son journal à la poubelle de manière à produire un son qui alerterait son ami de sa présence, pour ne pas le surprendre. Ed ne tourna cependant pas la tête, son regard était perdu dans le vide, ne s’attachant à rien, comme s’il se mouvait avec sa propre volonté. Johnny dut poser sa main sur l’épaule de son ami pour lui faire détourner le regard du vide. Ses yeux rencontrèrent ceux d’Ed et il fut surpris de n’y voir que du contentement et de la satisfaction. Johnny se racla la gorge avant de demander :

– Tout va bien mon ami ?

Ed ne répondit pas, du moins pas immédiatement, il fixa encore plus intensément son ami, jusqu’à ce qu’un sourire fende ses lèvres, un sourire qui laissa place à un grand éclat de rire.

– Si je vais bien ? Je ne me suis jamais porté mieux ! Mon plan se déroule à merveille : bientôt toute cette ville sera réduite non pas en poussière mais en plumes !

Son éclat de rire s’était transformé en fou rire, il se tordait sur le banc à cause des hoquets que provoquait son hystérie.

– Que voulez-vous dire par là mon ami ? s’enquit Johnny, inquiet.
– Voyez vous, mon ami, Ed avait prononcé ces mots avec dédain, je me suis permis de réduire à néant tous les simples d’esprit de cette ville, et par cela j’entends, toute la population.

Ed rigola de plus belle.

– Toute ma vie, je n’ai fais qu’observer la bêtise humaine aux côté d’idiots, vous ne réfléchissez pas par vous-même, vous vous fiez trop aux autres, vous ne créez pas vos propres expériences et ne vous intéressez à rien d’autres qu’aux goûts des autres. Figurez-vous, mon cher, que j’ai trouvé la source de toute cette bêtise, et que je m’emploie à détruire tout ceux qui boivent à cette maudite source.
– Je ne suis pas sûr de vous suivre, avez-vous bu ? Il y a une fièvre qui court en ville, êtes-vous sûr de ne pas être malade ? demanda Johnny, inquiet.

Ed fronça les sourcils, il avait l’air furieux.

– Ne me parlez pas sur ce ton, je ne suis pas malade car, voyez-vous, je n’ai pas consommé de jambon-beurre récemment. Comme je le disais, j’ai trouvé la source d’où proviennent tous les simples d’esprits de la ville, cette source mon ami, sont les fameux sandwiches de la Bouljambonbeurre. Seuls ceux qui n’ont pas d’opinion propre, autrement dit, les imbéciles, en consomment. Pour les éliminer, rien de plus simple : empoisonner leur seule nourriture.

Johnny parut sous le choc un instant, mais Ed ne le laissa pas exprimer sa stupeur.

– Les symptômes sont les suivants : maux de tête aigus, crampes abdominales, convulsions, perte des canines, puis des incisives et pour terminer du reste de la dentition, les os changent soudain de formation, ce qui provoque de nombreuses ruptures de vaisseaux sanguins puis une hémorragie interne fatale dans le meilleur des cas, dans le pire des cas, la transformation se poursuit, les follicules pileux engendrent des plumes à une vitesse phénoménale. Elles recouvrent presque immédiatement le corps de la victime, le cerveaux s’atrophie, le sang envahit les globes oculaires, laissant la victime partiellement aveugle, quoiqu’à ce moment là de la transformation, appeler ceci une victime ne serait pas approprié, je l’appellerais donc créature, la créature donc, s’envole ensuite, à la recherche d’un endroit sombre, généralement une ruelle, une grotte ou une voie de métro, pour achever se reposer d’une telle transformation. Puis la créature erre jusqu’à trouver un chien errant, un enfant ou une autre créature et reprend ses forces en les dévorant.

Johnny était pétrifié, ses enfants et sa femme semblaient déjà souffrir des premiers symptômes, il devait vite les emmener chez un médecin, il avait encore le temps de les sauver, il fallait qu’il ait encore le temps de les sauver. Il s’élança en direction de la sortie du square, déterminé à éviter la transformation de sa famille en bêtes féroces et plumées assoiffées de sang. Il eut juste le temps d’entendre le rire gras de son «ami» et…

Fin n°1
Il eut juste le temps d’entendre le rire gras de son «ami», d’apercevoir l’immense masse noire et sanguinolente qui volait droit vers lui et d’avoir une dernière pensée pleine de regrets envers sa famille avant que la créature ne s’abatte sur lui et ne commence à le dévorer.

Fin n°2
Il eut juste le temps d’entendre le rire gras de son «ami» avant que celui-ci ne lui attrape le bras.

– Je rigolais Johnny, je dois avouer que je n’aime pas particulièrement les bêtas, mais de là à les tuer ! Ah ! Même mon fils n’aurait pas cru à cette histoire de pigeons-zombies, c’est complètement barré ! Rentrez chez-vous, dites à ma femme que je vais bien, je devais juste prendre mes distances. Ce qui s’est passé au restaurant m’a chamboulé plus que je n’aimerais qu’elle le sache. J’ai cru comprendre à votre
réaction que votre famille était malade, courrez donc veiller sur eux, je rentrerais dès que possible.

Sur ceci, Ed commença à s’éloigner avec grâce et disparut bientôt entre les arbres. Johnny se dirigea comme un automate vers le centre-ville, il venait de vivre le plus grand ascenseur émotionnel de sa vie, et sa vision en était brouillée. Une fois les médicaments achetés, cependant, il parvint à descendre les marches sans tomber. Il entra donc dans la bouche de métro sans encombres et profita un instant du
silence du souterrain vide. Il ne comprit que lorsque l’immense silhouette plumée sortit de l’ombre, que son ami avait menti.

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