06. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les liaisons dangereuses : le libertinage selon Laclos · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

Le roman épistolaire de Laclos,  Les liaisons dangereuses paru en 1782, eut un très grand succès et déclencha une polémique autour du libertinage car il est bien difficile de savoir si l’auteur dépeint un couple de libertins pour en dénoncer l’orgueil et le cynisme ou s’il décrit des personnages pour lesquels il éprouve une sorte d’admiration . Composé d’une centaine de lettres échangées entre une dizaine de correspondants, les intrigues amoureuses en sont la trame principale. Les premières lettres dressent des portraits des deux principaux protagonistes ; un ancien couple, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont dont la relation demeure ambigüe , savant mélange de tendresse et de rancune.  La Marquise souhaite que le vicomte la venge en séduisant une jeune fille Cécile de Volanges , avant le mariage de cette dernière mais il a d’autres projets : il cherche à conquérir la Présidente de Tourvel, une jeune femme dont la vertu semble inattaquable. Dans cette quatrième lettre du roman, Valmont s’apprête à annoncer à la Marquise , son projet de conquête. Voyons quel portrait du personnage de Valmont , Laclos nous offre-t-il  dans cette lettre  ?

Dans cette lettre que le vicomte adresse à la marquise, le romancier dresse le  portrait d’un séducteur sûr de lui ,  qui part conquérir une femme comme un soldat qui s’apprête à livrer une bataille et qui prêche une nouvelle forme de religion : la gloire des conquêtes amoureuses. Un commentaire littéraire pourrait adopter le plan d’étude suivant : a) un conquérant b) sa religion : la séduction c) sa vision de l’amour . La lecture linéaire se base sur les 23 premières  lignes  de cette lettre.

Il s’agit de la quatrième lettre du roman:l’occasion pour le lecteur de décourvrir le projet de conquête du Vicomte : une femme à la réputation inattaquable. Plus sa victime sera difficile à conquérir et plus il en tirera de gloire. La première ligne peint sa relation avec son ancienne maîtresse: la Marquise de Merteuil  dont il critique finement de l’autoritarisme : en effet, il mentionne ses ordres et les associe, deux fois , à un adjectif mélioratif : “charmant ; leur relation se place donc sous le signe d'une rivalité qu'on distingue sous le badinage; vous feriez chérir le despotisme L’oxymore ici manifeste la contradiction entre un régime politique souvent détesté qui se fonde sur l’imposition de la force  et le verbe chérir qui évoque une forme de tendresse et de douceur . La seconde phrase révèle, plus en détails, la nature de la relation entre les deux libertins :  cetet relation s’est dégradée car elle le traite de “monstre ” alors qu’elle lui “donnait des noms plus doux ” c’est à dire des surnoms amoureux lorsqu’ils étaient amants ; Valmont rappelle ici, à dessein, leur passé commun car l’enjeu de son pari avec Madame ed Tourvel, c’est de reconquérir, d’une certaine façon, le coeur de la Marquise, de lui prouver qu’il est le plus fort et de la soumettre à nouveau .  Pour dépeindre leur relation, il emploie également le terme esclave , qui rappelle l’idée d’être esclave de ses passions. Or, justement, le but d’un libertin est de s’affranchir des passions et notamment de la passion amoureuse en exerçant sa volonté et en se montrant plus fort que ses propres sentiments, en cherchant en permanence à les contrôler ; Le Vicomte balaie d’un mot leur ancienne liaison en rappelant , avec un peu de mépris ” de plus grands intérêts nous appellent ; ce comparatif de supériorité monter qu’il s’agit de son objectif principale, indiqué sous la forme d’une sorte de maxime “ conquérir est notre destin . Le mot destin ici doit être compris , non pas dans le sens de fatalité mais dans le sens de but fixé. Et la volonté est manifeste avec l’expression, toujours impersonnelle: il faut le suivre ” L’individu met donc toute son énergie dans la conquête et il ne la fait pas apparaître comme  un  simple projet personnel mais comme une force supérieure justement à sa volonté individuelle, une sorte de mission “divine ”   . Il glisse ensuite une série d’allusions au libertinage de la marquise , et par provocation, il emploie des termes religieux;  Néanmoins, il tient à garder la première place dans leur “concours” comme l”indique la précision ” vous me suivez au moins d’un pas égal ” ; Il reste donc le numéro un et il sait que cela risque de froisser l’orgueil de la Marquise ; La précaution oratoire ” soit dit, sans vous fâcher ” montre ici son cynisme et traduit sa volonté de blesser l’amour-propre de Madame de Merteuil.  Il ironise ensuite sur les cause de leur séparation “pour le bonheur du monde ” : ce sous-entendu évoque, par antiphrase , au contraire, tous les gens qu’ils vont rendre malheureux à cause de leur hypocrisie et de leurs mensonges. ” Nous prêchons la foi chacun de notre côté ” . Ce constat marque d’une part l’échec de leur couple : ils se sont séparés  car aucun deux ne voulait renoncer à sa liberté de conquête et on note ici , la perversion des valeurs religieuses ;

Laclos emploie, en effet, le champ lexical de l‘endoctrinement : les libertins considèrent souvent la religion comme une forme de contrainte ; leur impiété est généralement le signe d’une révolte contre l’ordre social et la religion, qui fait partie des valeurs transmises par la société. Le romancier associe donc ici des mots comme “mission d’amour ” “prosélytes ” “ardente ferveur ” “patronne ” “saint ” à des entreprise amorales de séduction . D’une certaine manière, on peut dire qu’il pervertit les valeurs religieuses.  On peut même évoquer une forme directe d’impiété avec  la référence de la ligne 9 ” et si ce Dieu -là  comme l’autre nous juge sur nos oeuvres ” ; Soit le vicomte remet en cause le jugement divin en se moquant des croyants qui pensent qu’on les juge sur leurs actions, soit il montre à quel point ils sont, tous deux , actifs dans le domaine de la séduction et mériteront d’être récompensés pour leurs faits glorieux; Notons que cette fois, il attribue la victoire à la Marquise mais la première place qu’il lui accorde demeure virtuelle comme on le voit avec l’emploi du futur ” vous serez un jour la patronne de quelque grande ville  ” Il relie ensuite ce vocabulaire religieux à son projet de séduire la Présidente : comme cette dernière est très pieuse, il doit jouer le rôle d’un homme épris de foi et de vertu afin de mieux la tromper. Pour s’entraîner à ce rôle de composition, il s’exerce donc à employer un vocabulaire religieux. Une fois de plus, il revient aux liens qui l’unissaient avec Madame de Merteuil en se prétendant ” forcé de vous désobéir ” . Il prépare , en effet, son annonce et multiplie, pour la rendre plus attractive, les adresses à sa destinataire  “ne vous fâchez pas, écoutez-moi “ Ces adresses au lecteur rendent la lettre plus convaincante et en  même temps, touchent le le véritable lecteur qui se voit ainsi apostrophé, en lieu et place du personnage fictif . On a souvent dit que la structure particulière du roman épistolaire donne au lecteur le rôle d’un voyeur ; il connaît les secrets de tous les personnages et assiste à toutes leurs confidences; Il voit ainsi, les personnages naïfs comme la Présidente ou Cécile Volanges tomber dans les pièges que leur tendent les séducteurs . Ce qui accroit , en quelque sorte, la dimension pathétique et dramatique du récit.

A la ligne 14 , le personnage apparaît comme un “conquérant” et confie ‘son plus grand projet ”   Ce superlatif montre l’importance qu’il accorde à son objectif ; Il s’agit; non pas  d’une jeune fille  “qui n’ a rien vu, ne connaît rien ” ; On retrouve ici, l’un des principaux problèmes de société, entrevu avec La Princesse de Clèves  : l’absence d’éducation des jeunes filles confrontées dès leur sortie du couvent, à la galanterie des hommes. On se souvient que dans son roman, Madame de Chartres éduque, justement  sa fille pour la prévenir des dangers de l’amour et lui dresse un tableau effrayant des passions; Un siècle plus tard : le constat est le même; Les jeunes filles sont  encore des proies faciles pour les séducteurs de tous ordres; Valmont lui, dédaigne ce qui lui semble , une proie trop facile qui lui “serait livrée sans défense ” comme il est précisé , à la ligne 16; Il décrit d’ailleurs, avec beaucoup de mépris la facilité avec laquelle on peut “perdre l’honneur d’une jeune femme;  Cela semble à la portée du premier venu comme il l'explique , ligne 17 " vingt autres peuvent y réussir comme moi “. Il tient justement à exceller et à se démarquer des autres, par orgueil. . Il décrit les étapes de la séduction en mentionnant  d’abord : “un premier hommage ne manquera pas d’enivrer ” ; Ensuite, on aiguisant sa curiosité; En effet, les jeunes femmes, à qui personne n’a jamais parlé d’amour, veulent avant tout découvrir ce qu’est une relation ; Elles agissent plus par “curiosité “ que par amour.  Valmont dédaigne donc la facilité et se fait une gloire d’atteindre un objectif beaucoup plus ambitieux.

Au passage, on notera à quel point sa vision des femmes est teintée de mépris. Son orgueil le conduit à priser la difficulté pour recueillir “ la gloire et le plaisir ” . On retrouve ici deux motivations essentielles chez les libertins : briller et prendre du plaisir ; Ce mélange d’orgueil et d’épicurisme marque,  le courant libertin et caractérise Valmont. Il qualifie sa future proie selon trois valeurs qu’il va s’empresser de défier :” sa dévotion, son amour conjugal et ses principes austères;“, ligne 19. Dans l’ordre, la jeune femme est qualifiée de pieuse : elle croit en Dieu et sa foi devrait lui servir de barrière contre l’entreprise du Vicomte; Il s’attaque donc ici à  la religion  et va chercher à tester sa foi.D’autre part, elle avoue aimer sincèrement son époux : ce qui là aussi contribue à la protéger des tentatives d’un séducteur par crainte de l’adultère; Enfin, elle obéit à des valeurs morales nobles comme la vertu, le sens du devoir, le respect de la morale; Elle paraît donc la cible idéale pour tester les compétences du Vicomte ; Il termine en citant ,tout en les déformant , des vers de La Fontaine tirés de sa préface à Monseigneur le Dauphin;Le fabuliste y dépeint son projet au futur roi : chanter les aventures des animaux et faire des peintures légères pour instruire et  divertir . Il termine son épître par ces mots “ et si de t’agréer je n’emporte le prix , j’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.” Il faut comprendre ici que Valmont craint de déplaire à la Marquise et il cherche à se prémunir contre les conséquences de sa désobéissance . Lorsqu’elle recevra sa lettre , la Marquise de Merteuil répondra en en le traitant d’insolent  car elle a bien compris qu’il n’agissait pas dans le but de lui plaire mais pour son propre plaisir et pour lui ravir un titre de gloire . D’ailleurs , elle tente de lui faire changer d’avis et dépeint la Présidente de manière très critique; On sent toutefois une pointe de jalousie chez elle et une très forte dose de cynisme . Voilà un extrait de sa réponse : “ ici c’est bien pis encore ; votre prude est dévote, et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; et quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte et non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a près de deux qu’elle est mariée. Croyez-moi, vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce. “

En synthèse , quelques éléments du portrait d’un libertin  pour compléter le parcours Individu, Morale et Société  et  pour vous servir à constituer des éléments de conclusion   : source : site magister

  L’étymologie de ce terme (il vient du latin libertinus qui signifie affranchi donc qui cesse d’être esclave)  est précieuse pour comprendre la relation entre l’individu et la société ; Le libertin est celui qui s’affranchit des conventions sociales et de la morale . “Grand seigneur méchant homme” aux dires du valet de Don Juan, son activité va à l’encontre des valeurs communément admises. A travers Valmont et Merteuil, le romancier entend faire le portrait de deux libertins au sens de l’époque . A vrai dire, nos deux personnages sont plutôt des “roués”, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire deux hypocrites qui font du mensonge un signe aristocratique . Il n’a donc pas grand chose à voir avec le “petit maître” de la Régence, jeune débauché courant de conquête en conquête, ni surtout avec le libertin au sens philosophique qui prône l’impiété et se fait l’adepte d’une morale épicurienne.  Le vrai triomphe du libertin dépeint par Laclos est de s’assurer l’estime d’une société éprise de respectabilité tout en étant un parfait scélérat.

  • être protéiforme, le libertin peut endosser toutes les apparences que réclame une situation : ainsi Valmont qui,  simule la générosité et la charité pour séduire Madame de Tourvel , feint d’être “amoureux et timide” (lettre LVII) ou déguise dans ses lettres à Mme de Tourvel “le déraisonnement de l’amour”

  • comédien consommé, le libertin excelle dans la représentation, et le mensonge.

  • orgueil et mépris caractérisent également le personnage de Valmont. Il se place au-dessus du commun des hommes et célèbre la perfection de ses actions.
      Cet orgueil veut trouver ses signes manifestes : c’est d’abord l’assujettissement des faibles et le cynisme affranchi de toute valeur morale

  • la séduction est une guerre : il s’agit pour le conquérant de dissiper d’abord chez sa victime les scrupules de la raison. Cette séduction dépasse parfois la raison dans la fascination “serpentine” que Valmont exerce sur Mme de Tourvel

   
 

 

29. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La fable et la vérité : Florian, fabuliste du dix-huitième siècle · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Les Anciens et notamment Esope , utilisaient la fable comme le préconisait Horace, à la fois , pour plaire et instruire . A l’époque classique, La Fontaine s’en servit lui aussi, comme d’une alliance entre la dimension plaisante d’un récit varié et la nécessité d’une finalité morale . Pour autant, toutes les fables ne délivrent pas le même type d’enseignement et certaines paraissent plus sérieuses que d’autres; L’univers des fables est varié :  on y rencontre des animaux qui parlent, des  personnages issus de contes orientaux et qui font place au  merveilleux et des allégories qui représentent des  observations philosophiques qui nous montrent la voie de la sagesse. Au siècle des Lumières, l’apologue  emprunte, le plus souvent, la forme du conte philosophique, mise au point par Voltaire . Néanmoins, quelques écrivains comme Jean-Pierre-Claris de Florian, continuent à écrire des fables . Ce dernier garde un esprit proche de celui du moraliste du siècle précédent avec  toutefois, une touche de cynisme en plus. Voyons comment se présente la rencontre entre la fable et la vérité .

La fable de Florian se présente clairement sous la forme d’une rencontre entre deux femmes : l’une est l’allégorie de la fable et l’autre représente la Vérité .
L’allégorie est double ici : elle se présente sous la forme d’une double personnification de la fable et de la vérité, c’est-à-dire d’un genre et d’une valeur en apparence opposés. Toutes deux sont représentées, en effet, avec l’apparence de deux femmes diamétralement opposées par l’âge et la tenue.  Le récit débute par la présentation de la vérité qui est d’emblée qualifiée par sa nudité. Les deux premiers vers réactivent un proverbe ancien . « la vérité sort du puits »,. Ce surgissement de la vérité semble tout d’abord surprendre comme on le voit avec le passé simple qui illustre la rapidité de l’action de surgir , et  l’indication de temps « un jour » . La personnification montre la faiblesse de la vérité qui a une apparence repoussante ” ses attraits par le temps étaient un peu détruits” . On a l’idée ici , au vers 3, qu’elle est  encore reconnaissable mais abîmée , dégradée. Le lecteur est ému par l’état de faiblesse de cette  allégorie qui semble avoir du mal à faire face aux “outrages du temps ” comme on nomme la vieillesse.  Le fabuliste rajeunit une formule courante en la prenant au pied de la lettre et en imaginant une forme humaine pour une idée abstraite.

Le dénuement de la vérité est symbolisé par la brièveté du vers impair de 7 syllabes, qui inaugure l’apologue ; l’auteur joue  également sur le double sens du qualificatif « pauvre » (au v. 5). Ici antéposé , c’est à dire placé avant le nom auquel il se rapporte, il a le sens de “à plaindre, qui attire la pitié, la compassion” . Les effets produits par l’apparition de cette vieille femme nue  corroborent cette interprétation : elle provoque la fuite de toute la population “jeune et vieux” dès qu’elle montre le bout de son nez. On peut noter un aspect comique des réactions décrites et une forme d’exagération mais cette formulation traduit bien l’idée que la vérité effraie vraiment les gens. La vieille dame est alors présentée comme une mendiante qui est “sans asile” puisqu’elle ne peut retourner se terrer dans son puits, sous terre. Elle se trouve exposée à la vue de tous et éprouve un sentiment de tristesse et de désolation qu’indique l’adjectif “morfondue” . C’est alors qu’intervient le second personnage : la fable, qui fait elle, son entrée en scène, sous les traits d’une très belle dame “richement vêtue.” Le contraste est alors saisissant entre les deux représentations. Le costume rutilant de cette dernière est composé de “plumes ” et de diamants ” On retrouve ainsi au vers 9 , à la fois une idée de luxe car le diamant est une pierre précieuse mais également de chaleur et  de légèreté avec les plumes qui étaient des décorations très prisées à cette époque; On les utilisait pour agrémenter un vêtement ou un chapeau, par exemple mais aussi pour transformer un vêtement ordinaire en vêtement d’apparat.  Le vers suivant introduit l’idée de l’artifice et du faux semblant avec la mention du caractère “faux ” des diamants. Le spectateur sera avant tout frappé par leur brillance et risque d’oublier que ce ne sont pas d’authentiques pierres précieuses. Florian met ici en opposition le dénuement de la vérité et le bel habillage de la fable tout en soulignant le mensonge de la fiction .

C’est la fable qui prend la parole la première : elle semblait être à la recherche de la Vérité et la salue poliment : “bon jour “dit-elle ; Elle ne semble pas rebutée par l’apparence de la vieille femme mais elle s’étonne de la trouver seule et lui demande la raison de cet isolement au vers 12.  La réponse ne tarde pas à venir et prend le tour d’un constat, quelque peu désabusé . En fait, Florian a construit son anecdote à partir des différences et des contrastes entre les deux femmes jusqu’à la proposition d’alliance du vers 25 , L’absence de vêtement explique la réplique  de la vérité au vers 13, « je gèle ». À l’inverse, la fable est « vêtue » : à la pauvreté de la première répondent le « richement vêtu » du vers 8, les ornements et les bijoux (v. 9), l’éclat (« brillants », v. 10), le « manteau »  protecteur du vers 25. La mention  du vers 10 (« la plupart faux ») rappelle  adroitement et de manière imagée, le caractère hybride de la fable, mixte de vérité et de mensonge. Alors que la vérité est seule et rejetée de tous (vers 4, 6, 14, 16),  on apprend que la fable est  partout « fort bien reçue » (v. 20)  La vérité prend alors la parole pour expliquer sa situation et sa mise à l’écart : ses demandes d’abri sont des échecs comme le montre l’adverbe “en vain “ au vers 14 . Consciente que son apparence rebute les gens , elle impute cette situation à sa vieillesse avec une tournure proverbiale qui prend l’allure d’une vérité générale  “ vieille femme n’obtient plus rien ” . Cette impression est remise en cause par les paroles de la fable qui insiste  volontairement, avec une question rhétorique, sur la nudité de la vérité et lui propose de se cacher, en partie, sous son manteau au vers 25 . Toutes  deux sont alors présentées comme marchant de concert et leur union, leur sera à toutes deux, bénéfique. C’est ce que démontre Florian dans les 8 derniers vers de l’apologue.

En effet, leur alliance va leur permettre à toutes deux, de toucher tout le monde : le sage ne refusera plus la fable sous prétexte qu’elle est mensongère et fausse ; le fou, lui, ne maltraitera plus la vérité; A elles deux, elles sont complémentaires et tissent des liens entre raison et folie ; Ce qui les amène à servir chacun “selon son goût” ( v 30 )  Le récit es termine sur leur duo; elles forment une compagnie , qui va leur ouvrir toutes les portes. Cependant, on a bien l’impression que c’est la fable qui l’emporte .
La fable  est celle qui mène le jeu et le dialogue dans cet apologue :  c’est elle qui prend la parole au vers 18 et la conserve jusqu’à la fin de la fable. La vérité se tait désormais  comme si elle n’avait plus droit à prendre la parole. Bien que la fable manifeste du respect à son égard, à la différence des passants, en la qualifiant de « dame » (v. 21), elle propose ensuite une solution, un pacte intéressé (v. 24), un échange de bons procédés : la fable a besoin de la vérité pour entrer chez les sages et la vérité  a besoin de la fable pour convaincre les fous. Elle tire ainsi sa malheureuse compagne de la misère et de la solitude, et lui promet des jours meilleurs :  la fable semble posséder une certaine expérience  et rappelle qu’elle est plus âgée que la vérité; On peut peut être y lire une allusion à la préexistence des mythes par rapport aux récits explicatifs et sérieux. La fable paraît assez sûre d’elle  et sa fausse modestie “sans vanité ” est aussi une marque de son orgueil. Elle affirme connaître les hommes et exprime sa certitude  de la réussite de leur entreprise  commune à l’aide du futur « vous verrez » (v. 32). Au vers 23, la fable n’hésite pas à se montrer critique envers la vérité et lui reproche, notamment , sa maladresse : “cela n’est pas adroit.” Elle prétend savoir mieux y faire pour être accueillie par les hommes.
 En conclusion , Florian a  choisi astucieusement deux représentations imagées de la vérité et de l’imagination.Les hommes fuient la vérité , soit par ce qu’ils la redoutent  soit parce qu’ils ne veulent pas la voir; elle est même « maltraitée » par les « fous » . L’allégorie est claire : les hommes n’aiment pas « la vérité toute nue », illustration de l’adage « toute vérité n’est pas bonne à dire », la vérité n’est pas toujours belle à voir, sa laideur dérange, l’humanité préfère les enjolivements de la fable. Si les hommes préfèrent les fables, c’est parce qu’elles enrobent, elles habillent et masquent , en partie,  l’âpreté du vrai.  La fable  ménage l’orgueil humain. Mais sans la vérité, la fable n’est plus qu’un mensonge , un récit imaginaire – elle a donc besoin de s’allier à cette dernière pour se justifier. Florian se livre à un éloge de la fable, du pouvoir de celle-ci qui lui paraît supérieur à celui de la vérité.  Comme le rappelle d’ailleurs dame fable ,la vérité commet une erreur en se présentant « toute nue » : ce n’est pas le meilleur moyen de parvenir à ses fins. La leçon est moins pessimiste que lucide, il faut prendre l’homme tel qu’il est et non tel qu’il devrait être, pour reprendre La Bruyère. On rattachera cette morale implicite à la préface des Fables de La Fontaine.

 

 

12. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Diversité des morales : réfléchir sur les relations entre la morale et l’oeuvre littéraire · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

 Un livre n’a pas pour principal objectif d’être lu comme un traité de morale mais la tentation est grande d’y chercher des valeurs morales; C’est pourquoi il importe de bien définir le mot morale dans son usage appliqué à l’oeuvre littéraire .  On peut d’abord distinguer  , un premier plan, l’observation des moeurs : comment un récit montre-t-il  des manières de penser ou d’agir  , par l’intermédiaire de ses personnages ou parrfois  directement  par des jugements ou des des pensées de l’auteur dans les Essais , par exemple. . Ensuite, on parle de morale prescriptive quand l’oeuvre littéraire contient une forme de jugement , de critique de ce qui est décrit ; cette critique peut être implicite ou explicite  ; C’est le cas par exemple lorsqu’un narrateur commente les actions d’un personnage ou ses manières de faire . Enfin, on peut également penser  qu’une oeuvre se fait l’écho de valeurs morales dans le choix des thèmes abordés et la construction des personnages ainsi que  par son appartenance à un genre littéraire . ( roman, apologue, fable, tragédie, poésie ) Très souvent il s’agit de déterminer quelles valeurs morales sont diffusées par une oeuvre ?  Il faut alors différencier les idées de l’auteur , ce qu’on sait de lui te de se prise de positions publiques et son projet littéraire ; essayons de clarifier ces notions en prenant quelques exemples ..

Par exemple,  lorsque Molière, au dix-septième siècle,  met en scène le destin d’un séducteur ,cela ne signifie pas que l’auteur défend le libertinage mais qu’il en montre plutôt les dangers : Don Juan, son héros, “grand seigneur mais méchant homme ” rend les femmes malheureuses et meurt foudroyé par une punition du Ciel ! C’est à travers le dénouement tragique de la pièce, qu’on peut comprendre la position  morale que défend le dramaturge ; dans cette oeuvre jugée scandaleuse parce qu’elle donne le premier rôle à un séducteur impie , Molière n’approuve pas les agissements de son personnage car il le condamne en le faisant mourir . Montrer le mal ne signifie pas s’en rendre complice mais la pièce a été interdite à cause des positions anti-religieuses du personnage de Don Juan.

 

Quand on pense aux Fables de La Fontaine, on évoque souvent la morale finale  des récits qu’on juge, parfois,  immorale . Mais comment lire au juste les morales des fables? Le récit pourrait-il transmettre une réflexion sans  morale ou serait-il moins aisé d’en déchiffrer l’enseignement ? Faire triompher le mensonge est-il moral ? Non bien sûr ! Mais montrer que les puissants dominent la société et que le mensonge devient la seule arme efficace pour leurs victimes  , c’est écrire en moraliste soucieux de faire réfléchir ses contemporains. Le spectacle de Perrette qui perd en quelques secondes, à cause de son imagination, le produit d’un dur labeur, n’est pas fait pour nous réjouir ni pour nous désoler mais pour illustrer la puissance de l’imagination et peut -être, aussi,  les dangers de perdre de vue la réalité; Toute l’habileté de La Fontaine consiste à ne pas faire entendre  directement sa voix mais il s’arrange pour nous montrer ce qu’il souhaite que nous ne perdions pas de vue . C’est un moraliste qui ne s’appesantit pas sur les défauts des hommes même s’il leur accorde une place importante au sein de son recueil qui se veut quand même didactique ; le choix de la fable comme forme littéraire   et celui de l’humour comme tonalité, rendent les leçons et les prescriptions plus digestes et moins lourdes pour le lecteur.

Madame de La Fayette, durant la même période, adopte une autre position de moraliste : elle dépeint un monde corrompu , gangrené par l’ambition et dans lequel la galanterie, loin d’être simplement un art d’aimer, s’apparente davantage à un art de la tromperie; Ses personnages souffrent tous de passions malheureuses et l’amour , en dehors du mariage, loin d’épanouir les individus, semble les condamner irrémédiablement , à se perdre.

Deux personnages , a priori, paraissent différents : Madame de Chartres qui  a fait le choix d’éduquer elle-même sa fille et de la mettre en garde contre les séductions mais aussi contre les dangers de l’amour , et la princesse, héroïne du roman , qui se livre à un combat intérieur dont sa vertu finit par triompher , au détriment de son bonheur personnel . Que doit -on comprendre des agissements des personnages  de ce roman qui se termine de manière tragique ? Quelles sont leurs valeurs morales  déployées dans le récit et quelles sont celles de l’auteure ? Que nous apprend le destin tragique de l’héroïne ? qu’il faut renoncer à ce que notre coeur nous dicte ou qu’il ne faut pas écouter ce que nous dicte notre coeur car c’est une puissance trompeuse? Est-ce une condamnation de la Cour, de ses faux-semblants , de l’ambition permamente qui semble motiver chaque action . La sincérité des aveux de la Princesse a des conséquences terribles ! Et si chacun se fixait comme objectif d’aimer son mari et d’en être aimé, en irait-il autrement ? Autant de questions morales qui demeurent en suspens dans ce récit écrit par une femme qui paraît savoir ce dont elle parle ; sans doute pour l’avoir, en partie, vécu.

 Toujours à la même époque, un autre écrivain poursuit, à sa manière ,  des ambitions de moraliste , en mettant en scène des spectacles tragiques qui effraient et tentent d’émouvoir les spectateurs. Pour pouvoir évoquer la dimension  morale dans la tragédie de Racine, Phèdre, on doit, là encore, établir une différence entre les agissements des personnages et les pensées du dramaturge . Racine cherche à incarner sur scène  des effets tragiques à travers notamment le choix des caractères : il justifie dans ses nombreuses Préfaces, le choix de  “monstres gentils ” ; Il a besoin que Phèdre se rende coupable mais qu’elle puisse , sur certains points, paraître innocente , ou tout au moins victime d’une fatalité qui la dépasse; En articulant la malédiction divine et  une passion humaine, le poète nous permet de ressentir de la pitié pour cette femme condamnée à l’avance par les Dieux; Nous sommes ainsi d’autant plus sensibles à sa souffrance qui ne semble pas feinte même si l’objet de son amour peut paraître immoral . On peut ,d’ailleurs, se demander si la référence à la fatalité ne constitue pas une sorte d’alibi pour cette amante qui ne peut pas être considérée comme entièrement responsable de son choix . Les souffrances de Phèdre, malheureuse dans son mariage avec Thésée, sont une preuve de la condamnation de la passion mais également une preuve de sa puissance; dans le combat que l’homme doit mener quotidiennement afin de faire triompher la Raison de l’emportement de ses passions, la victoire est lojn d’être assurée, constate Racine . Convaincu de la justesse de certains aspects du jansénisme, Racine ne semble pas se montrer plus confiant que la Fontaine, son ami, dans la capacité de l’Homme à effectuer les bons choix et à prendre les bonnes décisions, Madame de La Fayette est-elle aussi pessimiste ?

07. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Quel moraliste est La Fontaine ? Auour des morales des fables et de sa position de moraliste · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: , ,

Si vous choisissez de disserter sur une oeuvre du programme, vous aurez probablement à fabriquer un plan à partir de l’analyse d’un sujet; Aidez-vous des mots clés et prenez le temps de bien comprendre la citation parfois, ou la phrase qui va servir de point de départ à votre réflexion sur les Fables . Voici quelques  exemples de constructions de plans de dissertations .

La Fontaine prétend faire oeuvre de moraliste mais que nous enseigne-t-il ? un monde où triomphent le mensonge et la cruauté? Est-ce ce que nous voulons enseigner à nos enfants ? Etes vous d’accord avec cette citation ?

Disserter va d’abord consister à analyser les mots clés de la phrase afin de bien comprendre comment utiliser notre connaissance des fables ; cela revient à se demander sous quel angle aborder l’oeuvre . Le jugement paraît sévère avec le terme “prétend faire ” qui invite le lecteur à penser que La Fontaine n’est pas un “bon moraliste ” ; Autrement dit qu’il ne faut pas suivre son enseignement ou que ses idées sont dangereuses pour la morale . Il importe donc, de donner une définition du terme moraliste tel qu’il est employé à cette époque; “écrivain qui souhaite qu’on tire une enseignement de son travail” ;  Si on suit cette définition, alors La Fontaine est incontestablement un moraliste On aurait pu formuler la citation autrement ” La Fontaine est-il un moraliste ? ” La réflexion aurait porté sur le même aspect des fables mais dans notre citation, nous disposons d’un élément supplémentaire ; la critique de la manière dont il dispense son enseignement : l’auteur critique , en effet, son usage constant du mensonge et de la cruauté. Il va donc falloir démontrer, dans noter dissertation si oui ou non les fables contiennent beaucoup de mensonges et si elles reflètent bien une forme de cruauté. Cela pourrait être notre thèse : elle donnerait ainsi, en partie raison, à l’auteur de notre citation.  Un point important va consister , ensuite , à examiner la nature de cette cruauté; s'agit-il pour le fabuliste de constater que le monde est cruel et de nous mettre en garde ou de fabriquer des morales où triomphe la cruauté ; Même raisonnement pour le mensonge : effectivement beaucoup de fables exploitent ce thème du mensonge mais pour montrer quoi et peut-on différencier la nature des mensonges : ceux qui sont des mensonges de défense par exemple pour tenter d’atténuer la cruauté des plus forts ou des plus puissants . On va ainsi articuler les deux notions de mensonge et de cruauté pour prouver qu’elles sont étroitement liées par des liens de causalité. C’est parce que le monde  que peint le fabuliste est désespérement cruel que , souvent,les plus faibles sont amenés à mentir pour échapper à leurs prédateurs ; L’intelligence et la ruse suppléent, en partie, à ces inégalités constitutives de la société de l’ancien Régime.

La critique, comme on est maintenant en mesure de le voir, porte davantage sur les aspects que La Fontaine a choisi de mettre en lumière . On lui reproche souvent de montrer le côté sombre de l’humanité et son pessimisme parfois peut avoir un effet négatif sur de jeunes enfants auxquels on aimerait faire croire que l’homme est une créature bonne et généreuse et qu’il faut faire confiance à son prochain.

Si on y regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que La Fontaine ne fait pas toujours l’éloge du mensonge ; au contraire il condamne celui des courtisans par exemple et celui des commères ; On remarque également qu'il montre le monde sans fard et qu'il présente , non sans les critiquer, les abus des puissants ou des forts; certes, nous voyons leurs victimes parfois innocentes, périr sous leurs griffes   , ce qui peut nous sembler cruel; Il nous enseigne ainsi à voir le monde tel qu'il est et pas tel que nous voudrions qu'il soit. De plus, il faut noter que La Fontaine condamne toujours le mensonge quand il est utilisé pour nuire aux autres et l’animal qui ment est puni à la fin de la fable, le plus souvent .

On pourra néanmoins réfléchir , dans une dernière partie,à certaines fables qui pourraient heurter des valeurs morales et sembleraient faire triompher le Mal ; On citera sans doute Les Animaux malades de la Peste, L’araignée et l’hirondelle, Les poissons et le berger qui joue de la  flûte ; Dans cette dernière, l'enseignement parait , en effet, ambigu car le berger a tenté d'abord de pêcher les poissons en les charmant avec un doux chant ; face à son échec, il a alors employé la force en lançant son filet ; Sa morale s'adresse aux Rois et le fabuliste leur conseille d'utiliser la force mais dans un cas bien précis " Rois qui croyez gagner par raison les esprits d’une multitude étrangère, servez-vous de vos rets la puissance fait tout ; Eloge de la force certes mais également constat d'une impuissance de la raison dans certaines situations ; Est-ce immoral ? Ce constat  de la faiblesse de la raison est fait par de nombreux autres moralistes comme Pascal par exemple, qui montre à quel point elle est fragile face à l'imagination .

On prouvera, également, dans ce travail de dissertation que La Fontaine cherche à nous inculquer des valeurs morales essentielles et positives comme la valeur de la Sagesse, la valeur et l’importance de l’amitié , la nécessité d’agir avec mesure en toutes choses : il condamne notamment le désir lorsqu’il nous pousse à commettre des folies ( on peut penser à la Tortue qui veut voler ou aux chiens qui boivent l’eau de la rivière pour manger l’animal qui y flotte ) . On pourrait également utiliser la morale du loup et du chasseur qui apparaît ici comme une double condamnation des attitudes extrêmes “la convoitise perdit l’un / l’autre périt par avarice ”

  Pour conclure , si certains reprochent au fabuliste de noircir la réalité et de faire la part belle aux bas instincts et à la cruauté ambiante, il se contente peut- être simplement de montrer le monde tel qu’il le voit et s’il en exagère la noirceur, c’est pour mieux nous en révéler les dangers permaments; Mais il le fait avec le sourire: pas dans l’espoir de nous voir  faillir mais en nous assurant que nous sommes à l’avance pardonnés,  toujours avec le sourire, car la tâche est ardue et nous ne sommes que des hommes …

Les plans pourraient s’articuler autour de ces notions :

Les fables sont le reflet du monde , un miroir fidèle donc elles comportent beaucoup de cruauté et de mensonges ( qui peuvent triompher )

Mais le but du fabuliste est de nous mettre en garde et de nous enseigner la prudence ainsi que certaines vertus (un “vrai moraliste chrétien)

Néanmoins son regard diffère parfois de celui de la morale traditionnelle (libre-penseur, parfois libertin et surtout philosophe partagé entre épicurisme et stoïcisme; prêt à nous pardonner nos fautes ..)

Si vous voulez vous exercer et prolonger la réflexion , cherchez quelles fables et quelles morales vous pourriez insérer dans cette ébauche de dissertation ; Constituez -vous une fiche: La Fontaine moraliste  avec des titres , des morales et des thèmes communs.

15. septembre 2019 · Commentaires fermés sur La Fontaine: un moraliste ? Quelle est la morale des animaux malades de la peste ? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: , ,
ani.jpg
 

La fable à étudier racontait une histoire édifiante car, comme se plaisait à le répéter La Fontaine, “le conte fait passer le précepte avec lui”. Autrement dit, on doit d’abord intéresser les lecteurs grâce à une histoire amusante avant de pouvoir leur proposer une leçon de vie . Cette fable évoque tout d’abord une situation initiale dramatique : une épidémie de peste frappe les animaux et chacun craint pour sa vie. Le monde entier semble se paralyser sous l’effet de cette menace et le roi des animaux propose une solution. Il relie l’origine de la maladie à une cause divine et pour apaiser la colère des Dieux, envisage que chaque animal vienne publiquement confesser ses péchés . Le plus coupable servira ainsi de bouc-émissaire à la collectivité . Dans les faits, les animaux les plus puissants confessent leurs fautes mais on finit par sacrifier un âne qui a avoué, simplement  avoir mangé de l’herbe dans un pré qui ne lui appartenait pas. Le lecteur comprend alors que cet animal n’est pas celui qui a commis la plus grosse faute (le lion a par exemple dévoré des bergers ) mais qu’il a été choisi comme une victime idéale. 

ani4.jpg aa

A travers la morale de cette fable “selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs “, le fabuliste  dénonce une injustice ; Les hommes ne sont pas condamnés de manière équitable pour leurs fautes: la justice se montre  ainsi corrompue parfois et inévitablement  plus sévère avec les hommes de condition sociale modeste . A l'époque de Louis XIV, La Fontaine dénonce le fait qu'elle  tend à absoudre les crimes des plus puissants . Le renard joue dans cette fable le rôle de l’avocat qui prend la défense du lion et le loup est celui qui parvient à influencer la foule. L’âne, quant à lui, est la victime sacrifiée : l’idée du bouc- émissaire est liée au récit biblique; le bouc est l’animal dans lequel les prêtres  déposaient les péchés des hommes ; Ils envoyaient ensuite le bouc dans le désert pour que les péchés s’éloignent et que les fautes soient pardonnées. On appelle donc bouc émissaire la personne à qui l’on attribue toutes les fautes d’une communauté et qu’on se prépare à sacrifier au nom d’une collectivité. L’illustration montre bien l’animal sacrifié qui s’avance face aux autres tête baissée .

A travers cette fable, pour mieux ne dénoncer les dysfonctionnements ,  La Fontaine imite justement  le fonctionnement d’une cour de justice : le lion réunit son conseil ( v 15 ) et expose les faits ainsi que l’idée de sacrifice individuel pour obtenir une guérison commune (v20 ) .  Il invoque donc le bien collectif et prétend agir non pas dans son propre intérêt mais dans celui de la communauté toute entière . La confession est donc publique  : La Fontaine reprend une idée importante au dix-septième siècle, celui des aveux publics; On obligeait notamment les hérétiques à reconnaître publiquement leurs fautes . On a bien ici une parodie d’un tribunal religieux comparable à l’inquisition. et le lion avoue ses fautes mais il est défendu avec brio par le Renard qui démontre que les moutons et bien sûr les bergers, ont mérité d’ être mangés et qu’il ne s’agit aucunement d’une faute;  On retrouve ici des arguments déjà utilisés par le loup pour justifier qu’il puisse dévorer l’agneau . Le méchant ou l’agresseur  fait passer la victime pour un criminel et ainsi se place, aux yeux de l’opinion publique  du côté du droit . Le Tigre, l’Ours et même les chiens confessent leurs péchés mais “on n’osa trop approfondir ” ; La Fontaine montre ici que la foule craint ces animaux et préfère retourner sa colère vers un animal inoffensif .  Les Courtisans sont donc, une fois de plus, présentés comme, à travers ce regard satirique ,comme hypocrites et serviles : ils s’empressent de flatter le pouvoir en place et n’osent jamais contredire les puissants de peur d’être mis à l’écart ou punis . C’est alors qu’arrive le tour de l’âne au sein de cette parodie de justice.  Placé au bas de la hiérarchie animale, il prend la parole en dernier , après les Puissants et confesse une faute minime avec beaucoup sincérité. Il a tout simplement mangé de l’herbe : le fabuliste s’est amusé ici, à mettre en parallèle, les méfaits du lion et ceux de l’âne  afin que les lecteurs mesurent la disproportion : la décision finale de la foule paraît d’autant plus injuste d’autant que l’âne est brocardé, insulté et pendu comme un malfaiteur. Sa fin pathétique touche d’autant plus le lecteur qu’il est dépeint comme un animal fort sympathique et innocent . Son martyr fait ressortir la cruauté de la foule et des puissants 

ani3.jpg
 

La Fontaine montre ainsi que la justice ne juge pas équitablement les prévenus et que les puissants ne sont pas condamnés pour leurs crimes ; la société désignera des boucs-émissaires parmi les personnes les plus plus faibles qui ne pourront pas exercer de représailles sur la collectivité . Sous ce récit plaisant se dissimule une satire de la  cruauté  du monde en général et de la justice en particulier à l’époque du roi Louis XIV. Cette fausse justice qui protège les Grands en dépit des crimes commis et  exécute les plus faibles à tort a-t-elle totalement disparu de nos jours ? 

A titre d’exemple pour vous aider dans la construction de la lecture linéaire, voici un extrait du commentaire  littéraire de cette fable sur le site commentairecompose.fr …

https://commentairecompose.fr/les-animaux-malades-de-la-peste-commentaire/