11. mai 2016 · Commentaires fermés sur Du mythe au film : les ajouts et les transformations. · Catégories: Divers · Tags:

oed16.jpgUn mythe possède est un peu comme une matière vivante qui évolue et que les artistes s’approprient au fil du temps pour y englober leurs préoccupations majeures . Chaque adaptation devient ainsi une nouvelle création et permet aux lecteurs ou aux spectateurs de réfléchir à des questions existentielles. 

 

 

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A l’origine, un mythe est un récit véhiculé oralement qui se présente comme une sorte de vérité, une parabole à décoder qui fait intervenir des éléments divins ou surnaturels et propose un sens caché. De la découverte de ce sens découle une vision de l’homme et de la société. Un mythe peut par exemple expliquer la création du monde (mythe des origines) et évoque l’irruption du divin dans les résolutions des conflit humains (mythe de Prométhée, mythe de Narcisse, Orphie et Eurydice, Pandore) . Ces récits contiennent une fable centrale qui  peut faire l’objet d’ajouts et présente souvent un nombre considérable de variantes : c’est donc une matière malléable qui peut servir de support à des fictions dont elle constitue la matrice. 

 

Le mythe d’Oedipe avant Sophocle raconte l’histoire d’un enfant abandonné puis recueilli qui tue son père (le parricide est toujours  cité en premier ) et couche avec sa mère en ignorant ce qu’il a fait ;  Homère , par exemple, insiste sur le fait que la mère d’Oedipe , Jocaste (appelée alors Epicaste la belle ) : ” commit une action monstrueuse sans le savoir ”  Le poètes grecs mettent en évidence le fait qu’oedipe agit  en “parricide involontaire ” ; agent d’un Destin qui a déclaré la perte de sa lignée, il accomplit ainsi l’oracle d’Apollon. Les Dieux interviennent d’abord en amont (ils décident de punir la faute originelle  de l’aïeul Labdacos) , ensuite au cours de l’action (ils multiplient les avertissements donnés par leurs représentants , prêtres et oracles) et enfin lors du dénouement en rappelant que nul ne peut échapper à son destin et que le sort de l’homme peut subir des variations brutales  : “gardons nous jamais d’appeler un homme heureux avant qu’il ait franchi le terme  de sa vie sans  avoir subi un chagrin ” . Le mythe permet ainsi le rappel des lois divines : tout contrevenant s’expose à une fin horrible.

Le mythe originel se fonde sur différentes étapes : le roi de Thèbes ne peut avoir d’héritier et l’oracle l’informe que son fils le tuera et épousera sa mère ;  le schéma du mythe peut se décomposer en étapes mais il ne faut pas oublier de le relier à la faute originelle de l’aïeul.  Enfant abandonné, père tué, inceste après la victoire sur la sphinge, punition sont les phases du récit mythique. Chacune sera plus ou moins développée par les repreneurs.

 Laïos ; pourtant informé de ce qu’il l’attend s’il a un descendant, décide néanmoins de concevoir un enfant (première transgression ) et ensuite de le faire périr (seconde faute ). Il mourra symboliquement de la main même de celui qu’il a sacrifié dans une sorte de vengeance  : il paye  en partie ses fautes en expirant . L’enfant recueilli  et élevé à Corinthe est l’objet de rumeurs qui font état d’une origine douteuse (enfant supposé ) et ce dernier part alors consulter les Dieux (oracle ). Lorsque la prédiction lui révèle son destin funeste (meurtre du père et inceste) , il s’enfuit pour déjouer les projet divins et en chemin, accomplit la première partie de son destin en tuant son géniteur au hasard d’un carrefour. Il obtient le trône de Thèbes pour avoir déjoué l’énigme meurtrière du monstre et ce faisant, reçoit la main de la reine; Il n’est nullement question, dans le récit mythique ,  d’une quelconque attirance coupable entre Jocaste et Oedipe; Le couple est formé pour des raisons politiques comme on le voit d’ailleurs dans la tragédie de Sophocle.

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La matière originelle mentionne que 20 années environ s’écoulent lorsque Oedipe est au pouvoir avant que la peste se déclare; les Grecs considéraient les épidémies comme des fléaux divins et adoptaient alors une démarche de sacrifice ; on recherchait le coupable , celui qui avait provoqué la colère des Dieux et on l’ostracisait  (bannissement et peut des droit civiques) ou on le mettait à mort (théorie du bouc émissaire : une société charge un individu d’une faute souvent collective et l’offre en pâture aux Dieux; cette victime sacrificielle offerte en holocauste aurait le pouvoir de calmer la colère des buveurs de sang, périphrase qui désigne souvent les dieux courroucés ) . Pour comprendre l’origine de la peste, le roi , chez Sophocle, envoie Créon , le frère de sa femme , consulter les Dieux et au retour de ce dernier mène l’enquête sur le meurtre de LaIos. A noter que dans le mythe ancestral, c’est Oedipe en personne qui consulte l’oracle et découvre l’horrible vérité. Le châtiment  dans le mythe est introduit tardivement , avec les versions des tragiques grecs. Il varie selon les versions mais il présente néanmoins des constantes  : Oedipe se crève les yeux soit  avec les agrafes du vêtement de sa mère qui vient de se pendre ou avec l’épée de son père ou avec ses propres mains; Le fait de  s’arracher les yeux signifie symboliquement que le héros est demeuré aveugle aux paroles divines et c’est ce qu’il finit par admettre;  Sophocle choisit de cacher Oedipe dans le palais et Pasoloni de le faire devenir mendiant dans les rues de Bologne. Selon les différentes versions,   Oedipe  devient un apatride, un exilé et il prend  le chemin d’Athènes  guidé soit par Antigone soit par un messager  comme dans la version de Pasolini .

Le mythe repris par Sophocle devient l’ingrédient essentiel de la tragédie . Le dramaturge effectue des choix et recentre l’action tragique autour de l’enquête sur le meurtre de Laïos : l’épidémie de peste sert d’élément déclencheur à la découverte de la vérité cachée des origines de la faute; La pièce est un retour sur le passé, une sorte de machine à remonter le temps et le destin d’Oedipe s’est accompli sans qu’il en mesure la dimension funeste et criminelle; la tragédie se concentre sur l’élucidation des fautes et l’impiété de Jocaste  ainsi que les doutes du roi sur la vérité de la parole divine sont  souvent mises en évidence. Le personnage d’Oedipe chez Sophocle se caractérise par un questionnement sans fin : sa quête de vérité est entravée par le silence ou le refus de parler des principaux protagonistes : l’envoyé, le corinthien, Tiresias, Jocaste elle-même. L’action tragique se resserre autour des étapes de l’élucidation du meurtre : Oedipe découvre sa vérité et se véritables origines en découvrant son histoire; Paroles des Dieux et paroles des hommes sont désormais unies pour lui révéler ce qu’il n’aurait jamais du ignorer . Néanmoins, cette quête des origines bien qu’importante, semble moins développée que la dimension politique de la tragédie: l’histoire d’Oedipe peut se prêter à une lecture politique : la best est un signe divin qui menace l’ordre social et le coupable doit être démasqué et chassé pour que l’équilibre revienne. Le Choeur souligne constamment cette réflexion politique en montrant la menace que le mauvais roi représente pour son peuple . En bouleversant la généalogie , Oedipe s’est rendu coupable d ‘un désordre grave et a bouleversé l’équilibre social  qui repose sur la transmission générationnelle . Sophocle insiste sur ces manquements à l’ordre : “ce père, mes enfants qui, sans avoir rien vu, rien su,s’est révélé soudain comme vous ayant  engendrées dans le sein où lui-même avait été formé”  (exodos) . Le dramaturge grec donne comme dernière image au spectateur celle de la chute du roi, du passage de la grandeur à la déchéance .  

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Qu’en est-il ensuite sur la scène française avec Corneille et Voltaire ?  Corneille incite sur la culpabilité du roi maudit en montrant un monarque coléreux, tyrannique et violent et Pasolini reprendra dans son film cet héritage classique .  Le dramaturge y pose la question de la légitimité du pouvoir tees risques de l’usurpation . Lorsque Oedipe se sait de sang royal , son rang ne fait plus aucun doute. Voltaire quant à lui, insiste sur le parricide et la culpabilité du personnage en mettant en scène le fantôme de Laïos et une rivalité avec Philoctète, l’amant de Jocaste; les enfants de l’inceste n’apparaissent pas plus que dans la version de Pasolini . C’est surtout le thème de la haine du père qui alimente cette tragédie voltairienne et cette image sera encore nettement présente avec Pasolini. 

Comment Pasolini travaille -t-il à partir de ces différentes versions ? Lire  et résumer les pages 215 à 230 de l’édition folio-classiques . 

04. mars 2016 · Commentaires fermés sur Sophocle et le spectacle tragique · Catégories: Divers · Tags:

Après la mort de Sophocle, on fit représenter à Athènes sa dernière pièce : Oedipe à Colone ; lui même originaire de cette ville, le dramaturge reprend ici la figure d’Oedipe en insistant sur sa dimension héroïque ; Revenu sur les lieux de son enfance, Oedipe réalise la seconde partie de l’oracle : il dépasse ses souffrances et devient une figure légendaire. «  Souvenez-vous de moi après ma mort et que la fortune vous soit fidèle »

Les
choix artistiques de Sophocle sont avant tout des choix politiques :
homme public, il participe au développement et au renforcement de la
puissance d’Athènes qui vient d’accéder à la démocratie  et
de remporter deux victoires décisives sur l’Empire Perse de Darius à
Marathon et face à l’ armée de Xerxès à Salamine. Sophocle
participe activement à la vie politique en devenant hellétomane,
c’est à dire magistrat trésorier et ensuite , en exerçant à
plusieurs reprises la fonction de stratège , aux cotés de Péricles
par exemple.

Un artiste renommé et un citoyen célèbre 

Dramaturge
connu, vainqueur de nombreux concours organisé notamment aux grandes
Dyonisies, il écrit plus de 100 pièces et on lui doit l’invention
du troisième acteur sur scène ainsi que le décor. Ses tragédies
s’inspirent toutes de figures mythiques comme Antigone, Electre ,
Hercule, Ajax et bien sûr Oedipe.

La
tragédie grecque est en lien étroit, à la fois avec la religion et
la politique : elle pose les problèmes principaux auxquels
sont confrontés les cités et leurs citoyens : la guerre ou la
paix ? quel roi choisir ? à qui faire confiance pour
exercer le pouvoir ? Espace public d’échanges et de réflexion,
le théâtre grec organise des représentations codifiées : le
spectateur comprend qui sont les héros et quels combats ils vont
devoir livrer ; le spectacle fait se suivre les dialogues des
acteurs et les interventions du choeur qui souvent commente l’action
en cours.Une tragédie commence par un prologue qui précède la
parodos : la première entrée du choeur, et ensuite alternent
stasima et dialogues jusqu’à la sortie du choeur appelée exodos.
Au fur et à mesure de son évolution, la tragédie grecque tend à
réduire les parties chorales pour donner plus d’importance aux
échanges entre les acteurs. Les confrontations entre acteurs portent
le nom d’agon et constituent l’essentiel des parties dialoguées. De
plus, Sophocle renonce à la trilogie et ainsi, le destin d’Oedipe se
sépare peu à peu de celui de sa lignée : celle des
Labdacides.

La
dynastie des Labdacides

A
l’origine de cette famille maudite , un roi de Thèbes Labdacos le
boîteux mais la légende commence avec son grand-père Cadmos,
fondateur de Thèbes qui épouse une fille du Dieu de la Guerre ;
Son petit fils Labdacos fera la guerre contre Athènes et à sa
mort, son fils Laïos est trop jeune pour gouverner : chassé
par le régent, il s’exile chez le roi Pélops dont il séduit et
enlève le fils. Héra va alors maudire tou slse membres de sa lignée
à venir ; Laïos devenu finalement roi de Thèbes à son tour
épouse Jocaste mais un oracle lui prédit que son fils sera à
l’origine de sa perte. Un soir où il a trop bu, il fait l’amour
avec Jocaste et cette dernière met au monde Oedipe. Il remet alors
l’enfant à des bergers afin qu’ils aillent l’exposer en haut du mont
Cithéron. La suite est connue : Oedipe tue Laïos et épouse sa
mère dont il aura quatre enfants : deux garçons Etéocle et
Polynice qui à la mort de leur père s’entretueront pour régner et
deux filles Ismène et Antigone . Selon les versions du mythe,
Antigone s’enfuit avec son père ou est enterrée vivante par son
oncle Créon dont elle a enfreint l’interdiction d’honorer la
sépulture de Polynice

Chaque
dramaturge puise, en fait, dans le mythe un fonds d’inspiration et
réordonne les épisodes légendaires selon ses besoins. Pour les
spectateurs grecs, Oedipe est avant tout le héros d’une histoire et
sa tombe était localisée soit à Colone, soit à Athènes .

Les
choix de Sophocle

Sophocle
choisit de ne pas mentionner la première malédiction de Laïos qui
punit sa faute envers son hôte dont il a séduit le fils ; le
dramaturge choisit ainsi de concentrer la culpabilité dans le
personnage d’Oedipe et de montrer la violence de la chute du roi . La
pièce s’ouvre sur la peste de Thèbes ; Oedipe en roi
bienveillant déclare qu’il a envoyé Créon consulter l’oracle. La
réponse du devin mentionne le meurtre impuni de Laïos comme cause
des malheurs des habitants ; le roi décide donc de reprendre
l’enquête pour démasquer le véritable coupable. Le choeur est
partagé entre espoir et inquiétude. Oedipe bien décidé à
élucider les circonstances du meurtre de son prédécesseur fait
apple à Tirésias ; comme ce dernier refuse de parler, Oedipe
se fâche et l’accuse d’être le meurtrier ; Tirésiais à son
tour finit par accuser le roi avant de de partir. Le choeur doute des
paroles du devin. Créon est alors rapidement pris à parti par
Oedipe qui l’accuse de comploter contre lui et menace même de le
tuer ; Jocaste intervient pour faire cesser la querelle entre
les deux hommes et Créon se retire sain et sauf. Jocaste et Oedipe
reviennent sur le meurtre de Laïos et Oedipe ment en prétendant que
c’est Créon qui l’a accusé d’être le véritable meurtrier de
l’ancien roi ; Jocaste raconte alors la prédiction qui a
précédé sa naissance et Oedipe commence à penser qu’il est bien
ce fils abandonné devenu meurtrier de Laïos ; Il se remémore
alors ce que l’oracle de Delphes lui a révélé à propos de son
destin : qu’il tuerait son père et épouserait sa mère ;
Il s’est alors enfui de Corinthe pour échapper à la malédiction et
c’est là que sa route a croisé celle de Laïos, son père
biologique . 

Oedipe n’a plus qu’un espoir : c’est que l’unique
survivant du drame lui ôte ses soupçons en lui racontant sa version
des faits . Au cours de l’épisode suivant, Jocaste récuse la
parole des oracles et fait preuve d’impiété : elle refuse de
croire les messages divins. Un messager apporte la nouvelle de la
mort de Polybe le père adoptif d’Oedipe et ce dernier se moqu ealors
des paroles divines mais lorsque le messager lui révèle ses
véritables origines, et son adoption, Oedipe commence à douter ;
Jocaste, elle , a compris et quitte la scène : ce qui déclenche
l’inquiétude du choeur. Le serviteur finit par avouer la vérité à
Oedipe sur ses origines et ce dernier effondré, rentre dans le
palais ; le messager révèle alors la pendaison de Jocaste
et la mutilation du roi qui s’est crevé les yeux ; ensanglanté
sur scène , Oedipe s’entretient avec le choeur qui veut savoir ce
qui s’est passé ; Il revient sur son passé et demande une
dernière faveur à Créon le nouveau roi : il souhaite pouvoir
quitter la ville et ne pas être séparé de ses filles.