Les nourritures terrestres

Il y eu cette oasis dans la roche et le sable, où nous entrâmes à midi, et par des flammes tellement chaudes que le village exténué ne semblait même pas nous attendre. Les palmiers ne se penchèrent point. Les vieillards causaient au creux des portes; les hommes étaient assoupis; les enfants jasaient à l’école; les femmes, on ne le voyait pas.

Rues de ce village de terre, roses au jour, violettes au coucher; désertes à midi, vous vous animerez au soir; alors les cafés vont s’emplir, les enfants sortir de l’école, les vieillards causer encore au pas des portes, les rayons s’assoupir et les femmes montées sur les terrasses et dévoilées, comme des fleurs, se raconter longtemps leur ennui.
Cette rue d’Alger, vers midi, s’emplissait d’une odeur d’anisette et d’absinthe. Dans les cafés maures de Biskra l’on ne buvait que du café, de la limonade, ou du thé. Thé arabe: douceur poivrée; gingembre; boisson évoquant un Orien plus excessif encore et plus extrême- et fade; – impossible de boire jusqu’au fond des tasses.
Sur la place de Touggourt il y avait des marchands d’aromates. Nous leurs achetâmes différentes sortes de résines. On reniflait les unes. On mâchait les autres; les autres se brûlaient. Celles qui se brûlaient avaient souvent la forme de pastilles; elles répandaient, allumées, une abondance de fumée âcre où se mêlait un très subtil parfum; leur fumée aide à provoquer les extases religieuses et se sont elles que l’on brûle dans les cérémonies des mosquées. Celles que l’on mâchait emplissaient aussitôt la bouche d’amertume et poissaient désagréablement les dents; longtemps après qu’on les avaient crachées la saveur en durait encore. Celles que l’on sentait, se sentaient simplement.
Chez le marabout de Témassine, à la fin du repas on nous offrit des gâteaux au parfums; ils étaient ornés de feuilles d’or, gris ou roses, et semblaient faits de mie de pain tripotée. Iles s’effritaient comme du sable dans la bouche; mais j’y trouvait pourtant un certain agrément. Les uns sentaient la rose; les autres la grenade, d’autres semblaient complètement éventés. – Dans ces repas il était impossible d’arriver à l’ivresse autrement qu’a force de fumer. On passait des plats en quantité fastidieuse et la conversation variait à chaque détour des plats. – Ensuite, un nègre versait sur vos doigts l’eau aromatisée d’une aiguière; l’eau retombait dans un bassin. Et c’est aussi ainsi que les femmes là-bas, vous lavent après l’amour.
André Gide