Guirlande de Lou

Je fume un cigare à Tarascon en humant un café

Des goumiers en manteau rouge passent près de l’hôtel

[des Empereurs

Le train qui m’emporta t’enguirlandait de tout mon

[souvenir nostalgique

Et ces roses si rose qui fleurissent tes seins

C’est mon désir joyeux comme l’aurore d’un beau matin

 

Une flaque d’eau trouble comme mon âme

Le train fuyait avec un bruit d’obus de 120 au terme de sa

[course

Et les yeux fermés je respirais les héliotropes de tes veines

Sur te jambes qui sont un jardin plein de marbres

Héliotropes ô soupir d’une Belgique Crucifiée

 

Et puis tourne tes yeux ce réséda si tendre

Ils Exhalent un parfum que mes yeux savent entendre

L’odeur forte et honteuse des Saintes violées

Des sept Départements où le sang a coulé

 

Hausse tes mains Haus tes mains ces lys de ma fierté

Dans leur corolle s’épure toute l’impureté

Ô lys ô cloches des cathédrales qui s’écroulent au nord

Carillons des Beffrois qui sonnent à la mort

Fleurs de lys fleurs de France ô mains de mon amour

Vous fleurissez de clarté la lumière de jour

 

Tes pieds tes pieds d’or touffes de mimosas

Lampes au bout du chemin fatigues des soldats

Allons, c’est moi ouvre la porte je suis de retour enfin

C’est toi assieds-toi entre l’ombre et la tristesse

je suis couvert de boue et tremble de détresse

Je pensais à tes pieds d’or pâle comme à des fleurs

Touche -les ils sont sont froids comme quelqu’un qui meurt

 

Les lilas de tes cheveux qui annoncent le printemps

Ce sont les sanglots et les cris que jettent les mourants

Le vent passe au travers doux comme nos baisers

Le printemps reviendra les lilas vont passer

Ta voix fleurit comme les tubéreuses

Elle enivre la vie ô voix ô voix chérie

Ordonne ordonne au temps de passer bien plus vite

Le bouquet de ton corps est le bonheur du temps

Et les fleurs de l’espoir enguirlandent tes tempes

Les douleurs en passant prés de toi se métamorphosent

Écroulements de flammes morts frileuses

[hématidroses-

En une gerbe où fleurit la Merveilleuse Rose

GUILLAUME APOLLINAIRE, Poèmes à Lou.

Les nourritures terrestres

Il y eu cette oasis dans la roche et le sable, où nous entrâmes à midi, et par des flammes tellement chaudes que le village exténué ne semblait même pas nous attendre. Les palmiers ne se penchèrent point. Les vieillards causaient au creux des portes; les hommes étaient assoupis; les enfants jasaient à l’école; les femmes, on ne le voyait pas.

Rues de ce village de terre, roses au jour, violettes au coucher; désertes à midi, vous vous animerez au soir; alors les cafés vont s’emplir, les enfants sortir de l’école, les vieillards causer encore au pas des portes, les rayons s’assoupir et les femmes montées sur les terrasses et dévoilées, comme des fleurs, se raconter longtemps leur ennui.
Cette rue d’Alger, vers midi, s’emplissait d’une odeur d’anisette et d’absinthe. Dans les cafés maures de Biskra l’on ne buvait que du café, de la limonade, ou du thé. Thé arabe: douceur poivrée; gingembre; boisson évoquant un Orien plus excessif encore et plus extrême- et fade; – impossible de boire jusqu’au fond des tasses.
Sur la place de Touggourt il y avait des marchands d’aromates. Nous leurs achetâmes différentes sortes de résines. On reniflait les unes. On mâchait les autres; les autres se brûlaient. Celles qui se brûlaient avaient souvent la forme de pastilles; elles répandaient, allumées, une abondance de fumée âcre où se mêlait un très subtil parfum; leur fumée aide à provoquer les extases religieuses et se sont elles que l’on brûle dans les cérémonies des mosquées. Celles que l’on mâchait emplissaient aussitôt la bouche d’amertume et poissaient désagréablement les dents; longtemps après qu’on les avaient crachées la saveur en durait encore. Celles que l’on sentait, se sentaient simplement.
Chez le marabout de Témassine, à la fin du repas on nous offrit des gâteaux au parfums; ils étaient ornés de feuilles d’or, gris ou roses, et semblaient faits de mie de pain tripotée. Iles s’effritaient comme du sable dans la bouche; mais j’y trouvait pourtant un certain agrément. Les uns sentaient la rose; les autres la grenade, d’autres semblaient complètement éventés. – Dans ces repas il était impossible d’arriver à l’ivresse autrement qu’a force de fumer. On passait des plats en quantité fastidieuse et la conversation variait à chaque détour des plats. – Ensuite, un nègre versait sur vos doigts l’eau aromatisée d’une aiguière; l’eau retombait dans un bassin. Et c’est aussi ainsi que les femmes là-bas, vous lavent après l’amour.
André Gide

Un hémisphère dans une chevelure

Laisse moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! Tout ce que je sens! Tout ce que j’entends dans tes cheveux! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure, je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.
Laisse moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
Charles baudelaire, Le spleen de Paris

Le marchand de parfum

 Tu prétends que Karoûn et que Balkis ne possédaient pas des parfums plus suaves que le tiens; tu prétends que le jardin de Marib s’exhalent pas des odeurs plus pénétrantes.

Je n’ai connu ni Karoûn ni Balkis, je n’ai jamais traversé les jardins de Marib, mais j’ai respiré le parfum de ma bien-aimée.

A présent, ma bien-aimée boit les eaux sacrées du Kaoussar, ma bien-aimée est retournée à Dieu, et je cherche son parfum.

Je l’ai demandé au vent du sud, qui avait saccagé des oasis ; au vent du nord, qui avait caressé les fleurs blanches des montagnes ; je l’ai demandé à l’haleine du printemps. Mais l’haleine du printemps ne charriait pas assez d’arômes, le vent du nord n’avait pas caressé les seins de ma bien-aimée, et le vent du sud n’avait pas emmêlé sa chevelure.

Marchand de parfums, ne me montre pas tes buires.

Traduit de l’arabe par Franz Toussaint,

Le jardin des caresses.