L’artiste du jour : Pierre Riberolle, compagnie KL
Une nouvelle interview des élèves de la CHAAR lors des “Fêtes le pont” du 11 au 13 octobre 2019 ! Merci à Pierre Riberolle pour sa franchise pleine d’humour, et encore merci à l’équipe du CNAREP-Sur le pont pour l’organisation de cette deuxième rencontre !
Gamistick : Alors, comment vous voyez-vous ?
Pierre Riberolle : Dans un miroir, hein … [Rires] Comment je me vois ? Je me vois comme quelqu’un de chanceux… de perspicace… de sarcastique ! De chanceux, je l’ai déjà dit… Sarcastique… Heureux par rapport à mon métier, en tout cas. Heureux, sarcastique, chanceux… fatigué souvent. Souvent fatigué. Voilà. Comment je me sens ? Comment je me vois, c’est ça ? Voilà… je me vois comme quelqu’un qui amène, qui essaye d’amener du bonheur aux autres, voilà… Et de la réflexion en même temps. Je crois que c’est pas mal déjà comme réponse ! C’est pas facile… On n’est pas habitué toujours… à l’interview.
Fleur : Pourquoi avez-vous choisi d’être artiste de rue ?
Pierre Riberolle : Alors, c’est une longue histoire. Vous êtes prêt pour la longue histoire ? [Rires] S’il y a eu une question : comment tu as commencé ? Et comment tu en es venu à l’art de rue ? Cela va se rejoindre un peu. Moi, j’ai commencé la jonglerie au lycée. L’art de rue, en fait, j’y suis arrivé par le cirque, principalement. J’ai commencé l’art de rue au lycée. C’est un copain qui jonglait dans la cour et moi, je lui ai dit que je ne saurai jamais faire ça, j’y arriverai jamais. J’ai insisté pendant quatre heures et au bout de quatre heures je savais jongler avec trois balles et puis j’ai un peu délaissé mon ordi… enfin à l’époque c’était ma console et la télé et au lieu de faire ces activités-là, ben, j’ai jonglé et je passais mon temps à jongler. Après, j’ai rencontré une association de jonglerie, sur Poitiers, au bout de quatre ans. Quand même, j’ai jonglé tout seul pendant quatre ans… Et cette asso, elle m’a donné l’occasion de faire des carnavals, de la scène, de manière amateur, c’est-à-dire sans avoir la pression de faire rire, de réussir en tout cas ce que j’avais mis en place. Il n’y avait pas la prétention de : “Voilà, c’est important, c’est important.” Et puis cela m’a donné l’occasion de me frotter à la scène – j’adore cette expression – voilà, donc : je me suis frotté à la scène grâce à une association amateur. Et là j’ai rencontré… donc j’avais fait un lycée hôtelier “Hôtellerie/ Restauration” où j’ai passé quatre ans jusqu’à un bac pro : “Restauration” qui m’a emmené à être très à cheval, très rigoureux dans ma préparation, dans tout ça. Ensuite, j’ai fait un autre boulot qui était un peu nul et puis j’ai rencontré une femme qui, très rapidement, a attendu un enfant et elle m’a demandé si je voulais continuer à faire un boulot un peu nul ou si je voudrais pas me mettre à être artiste de rue et à faire des spectacles dans la rue. Et donc j’ai lancé mon premier spectacle : Slam et des balles. J’ai commencé à aller dans la rue pour jouer ce spectacle et c’était compliqué parce que c’était un spectacle de poésie et de jonglerie. Donc, il y avait beaucoup de jonglerie comme le texte de la fin par exemple : Là… Les deux textes de la fin d’ailleurs : le texte du vent et le texte bonus que j’ai fait et voilà…. Donc je me suis pointé dans la rue avec de la poésie et de la jonglerie et les gens, ils ne s’arrêtaient pas et je n’arrivais pas à faire de cercle. Et donc, je me suis dit : ” Ben, je vais aller à un endroit où les gens, ils font des cercles.” Je suis allé à la Rochelle. Donc, je suis venu à La Rochelle, il y a douze ans maintenant : c’était en 2007, et voilà. Je suis arrivé à l’art de rue dans la rue de La Rochelle et là, j’ai vu d’autres artistes qui faisaient des cercles avec des trucs beaucoup moins poétiques et donc, je me suis dit : “Tiens ! Il faut que je mette du burlesque. Il faut que je mette des trucs drôles à l’intérieur du spectacle, sinon je n’arriverai pas à captiver les gens et à les garder, en fait, tout… pendant quarante minutes parce que ce n’est pas facile de garder les gens pendant quarante minutes attentifs. Ou des fois, ils sont à moitié attentifs ou des fois, ils font semblant d’être attentifs. Voilà, donc, le challenge. Donc, comment je suis arrivé à l’art de rue ? Ben, grâce à – elle s’appelle Cassandre – grâce à Cassandre qui m’a mis un coup de pied au derrière pour aller faire ce que je faisais en amateur et essayer de devenir professionnel.
Lunettes : quel est l’art de la rue que vous ne pratiquez pas mais que vous préférez ?
Pierre Riberolle : Que je ne pratique pas mais que je préfère ?… La danse contemporaine ? [Rires] Non, je déconne : c’était pour voir si ça vous faisait sourire… L’art de rue que je ne pratique pas ? Alors, c’est un peu compliqué parce que, mine de rien, dans 45, je ne sais pas si vous avez remarqué mais je fais plein de trucs en fait : je suis comédien – j’ai un personnage de docteur Fastoche un peu… Voilà… Arrgh ! Qui parle comme ça, vous voyez ? – Voilà… Je fais de la jonglerie mais à l’intérieur de cette jonglerie, il y a beaucoup de cirque : il y a des équilibres sur objet, sur le diable… Voilà. Alors, le clown ? Ouais, je pratique un petit peu le clown mais j’espère pas… voilà j’espère pas en copié/collé sur d’autres clowns. Ouais… Le théâtre d’objet, on va dire, même si je pratique un petit peu le théâtre d’objet mais le théâtre d’objet, j’en fais vraiment pas beaucoup et je trouve ça très, très fort de raconter des histoires avec une tranche de pain en faisant : “AAAAhh !” Voilà : je trouve ça génial. Mais il y a Capuche dans le spectacle et Capuche, c’est un peu du théâtre d’objet, quoi. C’est un peu entre de la marionnette et du théâtre d’objet, si on réfléchit bien, il y a… Voilà. Qu’est-ce qu’il y a d’autre en art de rue ? Vous pouvez peut-être m’aider ? Le théâtre ? Le clown ? Le théâtre d’objet ?
Lunettes : La danse !
Pierre Riberolle : La danse, on en a parlé déjà. [Rires.] C’est vraiment pas ma… en fait, la danse, il y a des choses qui sont très belles mais c’est vraiment pas ma tasse de thé. Donc, je ne pourrais pas dire la dan… LA CONSTRUCTION ! J’adore tout ce qui est construction… métallique. Les grosses installations, où ça habille un site et tout ça, et j’en fais pas. Voilà : la construction, c’est de l’art de rue et je trouve ça très fort. Et j’aimerais bien mais je fais attention à mes mains parce que, quand on fait de la soudure, du bricolage, tout ça, ben les mains, ça les abîme un peu. Enfin, ça les rend comme ça quoi [ Pierre Riberolle claque dans ses mains.]… Dures comme de la pierre et moi, j’ai besoin d’un petit peu de souplesse dans mes mains pour arriver à gérer tout le bazar… Jongler, là… Voilà. C’est une bonne réponse ? Ils ne l’ont pas dit avant ? Ouf !
Gamistick : Quels sont les moments les plus durs quand on est artiste de rue ?
Pierre Riberolle: Quand on est artiste de rue, les moments les plus durs, c’est quand le spectacle ne marche pas. Quand le public n’accroche pas, quand il est morose ou qu’il n’est pas venu là forcément pour regarder un spectacle et se marrer mais plutôt pour juger. Du coup, j’imagine que… il y a des gens dont le travail, c’est programmateur : ils doivent aller voir des spectacles et ils doivent les juger. Et ça, je trouve ça… dur, quand… en tant qu’artiste de rue, d’être devant un public qui est là pour juger. Les moments qui sont durs ? Les moments de création : quand… On a beaucoup de doutes quand on crée un nouveau spectacle. Par exemple, là, en ce moment, je suis en train de créer un nouveau spectacle qui s’appelle Crash Terre et où il y a un passage très difficile dans Crash Terre où je torture le volontaire à la fin. Je le torture : donc, je le ligote, déjà, avec la grosse corde que vous avez vue, là… Je fais des tours de roller autour de lui et puis il se retrouve ligoté. Et donc, dans la création en gros, on a des moments où on sent quelque chose et où, au final, sur scène, cela va être un carnage, quoi. Le public va faire : “Non, non, mais là, on n’adhère pas du tout.” Ça marche pas. Et du coup, quand on est en création, qu’on sait pas, on invente quelque chose, on s’invente un truc dans notre tête, et on arrive devant le public et la première, et là… [Rires] On est un peu devant vous, ah ben, mince. Est-ce que ça, je le fais ? Je le fais pas ? Ben, si, je le fais : je l’ai écrit, je l’ai bossé, machin… Donc ça passe comme ça. Des fois, ça passe, des fois, ça casse. Donc, les moments de création sont des moments difficiles.
Moi, je tourne beaucoup tout seul. Des fois, après le spectacle, ben, je me retrouve tout seul, alors que je viens de faire marrer trois cents personnes. Et puis, ben, là je me retrouve tout seul, au bar alors, ben… voilà… La solitude, ouais, la solitude, c’est des moments difficiles dans la vie d’artiste de rue. Il y a beaucoup d’artistes de rue qui tournent tout seuls. Par exemple, sur le port de La Rochelle, là – je ne sais pas si vous êtes de La Rochelle – il y a beaucoup d’artistes de rue qui font des solos, qui font des gros cercles et tout ça, et voilà… Le fait d’être seul, des fois, c’est pas facile. À la maison, j’ai une femme, deux enfants : j’suis très heureux quand je les retrouve, et quand ils m’accompagnent des fois… Mais quand je suis tout seul, pendant un mois… Par exemple, cet été, j’ai été un mois et demi tout seul en tournée, et au bout d’un moment, dans le camion, j’aurais bien voulu avoir quelqu’un… pour discuter avec… pour me marrer… Et non : j’étais avec… Capuche dans le coffre… qui ne disait rien ! [Rires.] Voilà, donc : les moments de création, les moments quand le public, il aime pas… enfin… il apprécie pas le spectacle qu’il regarde pas avec le regard qu’on aimerait qu’il ait, et.. voilà. Quoi d’autres ? Des fois, euh… Qu’est-ce qu’il y a comme moment difficile ? C’est déjà pas mal ! Avec tous les bons moments qu’il y a !
Donc, je vous donne un truc : quand je suis tout seul au bar, et que je m’ennuie, et que c’est un moment difficile, ben, je sors… J’ai toujours un bilboquet dans mon sac à dos. Et je sors un bilboquet et en fait, le bilboquet, ben… Tout le monde dit : “Ah ! Je peux essayer le bilboquet ? ” Il y a un ancien, un vieux papi qui va faire : “Oh, ben, moi, le bilboquet, c’était il y a bien longtemps. Je ne sais plus faire.” Et là, je lui tends le bilboquet et je me mets à discuter avec quelqu’un, et du coup, je rencontre quelqu’un et on crée un lien et du coup, je ne suis plus tout seul. Mais voilà… des fois, je suis avec des gros bourrins qui disent n’importe quoi et qui savent pas faire du bilboquet. Et puis des fois, j’suis avec des gens trop cools, et on passe la soirée ensemble, et on se file nos numéros de téléphone après. Et ils me disent : “Ah ! Ben, on sera sur ce festival. Si t’es tout seul, qu’tu t’ennuies, ben, vas-y : passe-nous un coup de fil et puis on se retrouve, quoi.” Voilà… Des moments difficiles.
C’était la cinquième question ? Waouh ! Et vous en avez pas d’autres ?
Fleur, Gamistick, Lunettes : Non.
Pierre Riberolle : Sur la jonglerie, par exemple ? [Silence.] Et ben, tant mieux : si vous n’avez plus de questions, moi, ça me va.
Pour aller plus loin
Interview de Pierre Riberolle sur jonglerie.net