Le Carnet d’Antoine

taaf – Biodiversité australe – CROZET

Prochaines nouvelles d’Antoine : vendredi 17 et samedi 18 juin à Zoodyssée. Echanges et ateliers à l’occasion des 3ème Rencontres de la Biodiversité de Chizé.

Date: lundi, 4 avril 2011 5:35 PM

Bonjour,

« Après deux semaines de bateau, une nuit d’avion et quelques heures de train me voici de retour en forêt de Chizé, quelque part dans l’ouest de la France. C’est une belle journée printanière ce lundi 4 avril, les arbres sont en feuille et les oiseaux migrateurs sont revenus, alors que j’avais quitté cet endroit au coeur de l’hiver, il y a trois mois : sensation étrange d’avoir loupé le changement de saison. Il me faudra quelques jours pour me remettre sur les rails, m’informer sur ce qui s’est passé ici et dans le monde pendant mon absence.

Crozet et les autres terres australes sont des endroits très particuliers, loin du tumulte de la civilisation, au coeur d’une nature vraiment sauvage et presque inaccessible. Ces îles ne sont pas vierges et souffrent encore des erreurs de nos prédécesseurs (espèces introduites, destruction d’habitats, sur pêche) mais il est réconfortant de savoir qu’il existe des endroits sur terre qui bénéficient dorénavant d’un statut de protection intégral. Notre époque n’est plus celle du pillage systématique des richesses naturelles, les consciences ont changé et c’est une bonne chose. Ce patrimoine naturel est unique et mérite notre respect.

Fouler ce sol lointain et côtoyer de près ces animaux extraordinaires a été un grand privilège, j’en suis conscient et je resterai marqué à jamais par ces moments intenses au coeur de la biodiversité australe. «

A très bientôt

Antoine.


Un “au revoir” à Crozet
,
Crozet mars 2011.

Date: Dimanche, 27 mars 2011 5:06 PM

Bonjour,

Voici les dernières lignes avant mon retour.

Après avoir quitté les îles Kerguelen ce 19 mars nous avons mis le cap au nord-est, en direction des deux seules îles subtropicales de l’Océan Indien : Saint Paul et Amsterdam. Après deux jours de mer, nous étions au mouillage à quelques centaines de mètres de la minuscule (7 km²) mais mythique île de Saint Paul, cet extraordinaire cratère effondré formant un port presque trop parfait pour être naturel. Pourtant c’est bien une violente tempête du 17ème siècle qui a ouvert le cratère et y a laissé entrer la mer.  Situées sur la route maritime reliant l’Afrique à l’Australie, les îles de Saint Paul et Amsterdam ont été découvertes à la fin du 16ème siècle, bien avant Crozet et Kerguelen, entourées d’océans plus difficiles à naviguer et découvertes presque 200 ans plus tard.

Saint Paul,
mars 2011.

© A.Joris

Etrangement nous n’étions pas seuls au mouillage devant Saint Paul. Bien que nous soyons au cœur d’une aire marine protégée, il existe une activité de pêche à proximité immédiate de l’île. Un seul navire, l’Austral,  a obtenu l’autorisation de pratiquer une pêche commerciale dans ces eaux et cette pêche vise essentiellement l’énorme langouste endémique que l’on y trouve en abondance. L’Austral l’attrape à l’aide de casiers et son quota annuel est de 390 tonnes. Le Marion Dufresne dispose également d’autorisations exceptionnelles de capture lors de ses rotations à condition que l’ensemble de la pêche soit consommé à bord. Nous avons donc disposé deux gros casiers pendant une nuit entière, remontant à bord pas moins de 270 kg de langoustes le lendemain matin. C’est dire l’abondance de l’espèce dans cette région, qui a même été à l’origine de la construction sur Saint Paul d’une conserverie perdurant jusqu’au début du 20ème siècle. L’isolement de l’île a fini par provisoirement avoir raison de ces pratiques commerciales, notamment suite à la tragédie des « oubliés de St Paul » : des dizaines de malgaches et de bretons abandonnés sur l’île et emportés par le scorbut en 1928.

Langoustes pêchées à Saint Paul,
mars 2011.

© A.Joris

Mais nous n’étions pas venus ici pour pêcher la langouste ! Notre présence visait à effectuer différentes observations ponctuelles, via le très bref (une matinée) débarquement d’une demi-douzaine de personnes sur l’île.  Il s’agissait notamment d’effectuer un comptage des otaries nées plus tôt dans l’année et de rechercher la présence d’insectes et de plantes introduites.  Saint Paul est la seule île des TAAF ayant bénéficié d’un programme complet de dératisation, justifié par la complète disparition des petites espèces de pétrels qui nichaient sur l’île avant les activités humaines du 19ème siècle. Ces différentes espèces (notamment une espèce strictement endémique à St Paul, le Prion de Mc Gillivray) n’ont pu survivre dans cette zone que grâce à la présence d’un très petit îlot vierge de rats et situé à proximité immédiate de St Paul, la Quille.  L’éradication des rats et des lapins, conduite entre 1999 et 2001 a été un succès et le prion endémique recommence a nicher sur l’île principale.

Après cette brève escale à Saint Paul, nous avons mis le cap sur sa grande sœur, Amsterdam, située à environ 90 km au nord.  Contrairement à St Paul qui est inhabitée, Amsterdam accueille une base permanente, la base Martin de Vivies, de taille à peu près comparable à celle de Crozet. Sa présence est justifiée par les activités scientifiques qui ont lieu sur l’île. Située à 3000 km de tout continent, Amsterdam est considérée comme l’une des îles les plus isolées au monde. Cet éloignement de toute activité humaine permet à l’île d’être un point de référence mondial à la mesure du CO2 planétaire. Le CO2, principal gaz à effet de serre et donc acteur majeur du réchauffement climatique, est mesuré à Amsterdam depuis 1981.

L’île d’Amsterdam,
mars 2011.

© A.Joris

Deux choses  frappent le visiteur qui pose le pied pour la première fois à Amsterdam, en venant de Kerguelen et de Crozet : l’abondance de la végétation et le grand nombre d’otaries qui peuplent le bord de mer. La base a été plantée de nombreux arbres (cyprès essentiellement) et plantes exotiques. Il ne gèle jamais sur l’île, ce qui permet la persistance de grands massifs de géraniums et d’hortensias, ainsi que la culture de différents légumes dans les endroits abrités du vent. Certains grands tubes volcaniques effondrés sont aujourd’hui d’adorables petits potagers abrités, permettant de cultiver tomates, salades, concombres et même de récolter quelques fruits comme des pommes ou des prunes. Le statut de réserve naturelle dont bénéficie l’île depuis 2006 impose cependant de progressivement faire disparaître un maximum de végétaux non autochtones et 2011 sera sans doute la dernière année des cyprès et autres arbres introduits sur Amsterdam.

Jardin abrité d’Amsterdam,
mars 2011.

© A.Joris

Les otaries quant à elles ont recolonisé l’ensemble des plages desquelles elles avaient été exterminées par les phoquiers au cours du 19èmesiècle. La population à St Paul et Amsterdam est estimée à 30 – 40 000 individus. En certains endroits la progression a pied est difficile tellement la densité d’otaries est élevée. L’otarie n’est pas le plus inoffensif des animaux et n’hésitera pas à mordre le visiteur imprudent qui s’est trop approché ou qui a failli marcher sur une otarie endormie dans les rochers. Pendant le rut les gros mâles peuvent être agressifs et poursuivre les humains pour les chasser en dehors du petit territoire qu’ils défendent.

Otarie subantarctique montrant de l’agressivité,
Île d’Amsterdam, mars 2011.

© A.Joris

Amsterdam est très célèbre dans la communauté ornithologique mondiale puisqu’elle héberge l’entièreté de la population de l’un des oiseaux les plus rares du monde, l’Albatros d’Amsterdam. La présence de « grands albatros » nichant sur le haut plateau central de l’île était connue depuis les années 50 mais ce n’est qu’en 1983 que des scientifiques s’y sont intéressés et que l’espèce a été officiellement décrite. L’espèce était alors déjà d’une extrême rareté et 5 couples seulement ont été recensés à l’époque.

L’albatros d’Amsterdam,
mars 2011.

© A.Joris

L’Albatros d’Amsterdam est très proche de l’Albatros hurleur. Il est un peu plus petit (mais atteint quand même 3m d’envergure), et sa coloration est identique à la coloration d’un Albatros hurleur juvénile. Ce dernier blanchira avec les années, tandis que l’Albatros d’Amsterdam restera sombre toute sa vie. Le meilleur moyen d’identifier l’espèce consiste à examiner la couleur de son bec, différente de celle de l’Albatros hurleur.

L’espèce fait l’objet d’une attention particulière par la communauté scientifique. Tous les individus sont systématiquement bagués depuis 1983, ce qui permet d’estimer assez précisément la population à 160-170 oiseaux. L’espèce ne se reproduisant qu’à partir de 9 ans et seulement 2 années sur 3, il n’y a généralement pas plus de 25-26 nids qui sont occupés. De nombreuses menaces pèsent sur tous les albatros, et en particulier sur une espèce aux effectifs aussi réduits que l’Albatros d’Amsterdam. Les principales causes de mortalité des albatros sont les captures accidentelles par les palangriers de pêche au thon ou à la légine australe. Il a été calculé que la mortalité accidentelle de 6 Albatros d’Amsterdam par an suffirait à mener à l’extinction de l’espèce à moyen terme.

Amsterdam présente un autre risque majeur pour ses albatros, celui engendré par les épizooties de choléra aviaire et de rouget du porc dont souffre  l’immense colonie d’Albatros à bec jaune (18 000 couples soit 70% de la population mondiale) de la falaise d’Entrecasteaux, à un jet de pierre de la colonie des Albatros d’Amsterdam.  Ces maladies bactériennes sont responsables de taux importants de mortalité chez les poussins de l’Albatros à bec jaune et font baisser les effectifs de la colonie d’environ 7% par an. S’il s’avère qu’elles ont le même impact sur l’Albatros d’Amsterdam les conséquences pourraient être rapidement irréversibles pour l’espèce. Ces deux bactéries ont vraisemblablement été apportées par le bétail emmené sur l’île au cours du 19ème siècle et ensuite disséminées par les oiseaux locaux. Le climat favorable d’Amsterdam a encouragé l’élevage de volailles (jusqu’en 2007), de  cochons et de  vaches. Ces dernières, dont 5 avaient été introduites par un colon en 1871, se sont multipliées et ont entraîné la presque complète destruction de la végétation arbustive originelle de l’île. Amsterdam possède un arbre endémique, le Phyllica, qui autrefois recouvrait toute la surface de l’île située à moins de 400m d’altitude, formant une couronne boisée aujourd’hui réduite à un petit bois de moins de 2 hectares. Par le piétinement, les vaches ont aussi un impact important sur le site de nidification de l’Albatros d’Amsterdam, qui n’accepte de faire son nid que sur les fragiles tourbières humides du plateau central de l’île. La population bovine a atteint un pic d’environ 2000 têtes dans les années 50 et 80, avant la mise en place d’un plan de contrôle puis d’éradication dans les années 80. La dernière vache a été abattue en 2010.

L’albatros à bec jaune,
mars 2011.

© A.Joris

Des précautions sanitaires drastiques sont prises pour éviter de contaminer la zone de reproduction des albatros avec des bactéries pathogènes. L’accès au célèbre plateau des tourbières est strictement interdit à toute personne en dehors d’un cadre scientifique et il est imposé au personnel scientifique de changer de vêtements et de bottes en arrivant sur la zone. Observer l’oiseau sur son nid est donc un privilège réservé à quelques chercheurs mais il est cependant possible de voir l’Albatros d’Amsterdam en mer autour de l’île. Nous avons eu l’opportunité d’en observer 5 ou 6 exemplaires depuis le Marion Dufresne et la depuis les alentours de la base.

Afin de faire face le plus efficacement possible à toutes ces menaces, un  « Plan national d’action pour l’Albatros d’Amsterdam » a été rédigé conjointement par la LPO, le CNRS de Chizé et la Réserve Naturelle des TAAF. Ce dossier détaille toutes les préconisations nécessaires à la sauvegarde de l’espèce à court, moyen et long terme et selon des degrés de priorité. Lors de cette rotation, nous avons déposé sur Amsterdam Jean-Baptiste Thiébot, actuel agent de la réserve naturelle et ancien thésard de l’équipe « Prédateurs marins » du CNRS de Chizé. Jean-Baptiste sera chargé lors des prochains mois d’objectiver, via l’installation de caméras de surveillance infra-rouge,  la présence de chats et de rats sur le plateau des tourbières où niche le rare albatros.

Tout n’est pas sombre cependant pour l’Albatros d’Amsterdam, malgré les nombreuses menaces auxquelles il doit faire face. Entre sa découverte au début des années 80 et l’année 2007, les effectifs ont en moyenne augmenté de 5% par an et il a été démontré que le taux de survie annuel des adultes était de 97% (94% pour les immatures), ce qui est un taux excellent même pour un oiseau aussi longévif que cette espèce.  Le déplacement loin d’Amsterdam des activités de pêche à la palangre qui avaient lieu autour de l’île jusque dans les années 80 est sans doute à l’origine de cet accroissement de population.  On assiste cependant depuis 2007 à une stagnation des effectifs autour de 24-26 couples reproducteurs.

C’est donc avec Amsterdam que ce termine cette rotation et ma participation à la 48ème mission sur Crozet. Nous voguons actuellement quelque part entre Amsterdam et la Réunion, que nous atteindrons après une brève escale technique à l’île Maurice.

A bientôt,

Antoine

Date: Dimanche, 20 mars 2011 5:06 PM

Bonjour ,

Voilà maintenant une semaine que nous avons quitté l’archipel de Crozet.

Après deux jours de navigation sur une mer assez agitée, nous avons atteint le plus grand archipel des Terres Australes Françaises, les îles Kerguelen. C’est aussi le deuxième plus grand archipel de l’Océan austral, après les îles Malouines. Il s’étend sur 195 km du nord au sud et sur 145 km d’est en ouest et se compose d’une île principale, la Grande Terre, et d’environs 300 ilots de taille très variable. Les paysages y sont très variés. L’ouest se caractérise par la présence d’une calotte glaciaire coulant vers  l’Océan à travers de profondes vallées creusées par les glaciers. Ces vallées sont elles-mêmes prolongées par d’impressionnants fjords pouvant atteindre plusieurs dizaines de km de longueur. C’est également dans l’ouest que l’on retrouve le point culminant des TAF, le mont Ross (1850 m).

La partie orientale de l’île est très différente. La vaste péninsule Courbet présente un paysage très plat ponctué de dizaines de petits lacs. C’est là qu’est installée la base permanente de Kerguelen, Port aux Français.

Port au Français,
Kerguelen, mars 2011.

© A.Joris

Beaucoup plus grande que la base Alfred Faure de Crozet, elle peut accueillir plus de personnel,  les effectifs dépassant chaque année la centaine en période estivale (35-40 à Crozet). Beaucoup de manipulations ayant lieu en des points éloignés de Port aux Français, Kerguelen est dotée d’une grosse trentaine de refuges prévues pour loger de petites équipes travaillant loin de la base. Crozet, pour continuer la comparaison, n’en possède que trois.

Sur Kerguelen les déplacements se font à pied mais également par bateau. Les fjords imposent parfois de très longs détours aux marcheurs et il est souvent beaucoup plus court d’y aller par la mer. L’archipel est donc doté d’un chaland qui peut emmener du personnel et du matériel en n’importe quel point du golfe du Morbihan, cette énorme étendue d’eau qui coupe en deux la moitié est de l’archipel.

Le Marion Dufresne au mouillage dans le Golfe du Morbihan,
Kerguelen, mars 2011.

© A.Joris

Cette année le chaland est rapatrié à la Réunion pour mise en cale sèche et révision. Le chargement de cette embarcation de 40 tonnes sur le pont avant du Marion Dufresne fut une manœuvre très impressionnante réalisée ce 18 mars, privant les hivernants d’embarcation pendant tout l’hiver à venir.

Une autre différence importante avec Crozet est le nombre de grandes espèces animales introduites sur Kerguelen au cours des  siècles passés.  L’espèce la plus visible est le lapin, qui pullule littéralement en de nombreux endroits de la Grande Terre.

Lapins entourés d’Acaena,
Kerguelen, mars 2011.

© A.Joris

Il est responsable de profondes modifications dans le paysage végétal de Kerguelen. Dans les zones colonisées par le lapin le chou de Kerguelen disparait systématiquement, laissant place à la plus vigoureuse acaena, cette petite rosacée australe au fort pouvoir colonisateur. En creusant ses terriers, le lapin est également responsable d’érosion prématurée en de nombreux endroits, faisant disparaître la terre végétale pour ne plus laisser derrière lui que des zones sablonneuses. Son principal prédateur sur Kerguelen est le chat domestique, qui malheureusement ne mange pas que du lapin.

Prion antarctique,
Kerguelen, mars 2011.

© A.Joris

Une découverte très fréquente sur Kerguelen est l’aile de prion, ce petit pétrel nichant en terriers et dont les chats se régalent, ne délaissant que les ailes qu’ils laissent traîner à l’endroit où ils ont dévoré l’oiseau.  L’évolution ne les ayant pas préparés à la prédation, les prions et autres petits pétrels sont une proie très facile pour les quelques 10 000 chats présents aujourd’hui sur l’archipel.


On trouve aussi des troupeaux d’ongulés de trois espèces sur Kerguelen : des moutons, des mouflons et des rennes, tous introduits. Les répercussions sur la végétation et le paysage sont lourdes également, notamment via le piétinement. Les mouflons ont pratiquement été éradiqués, il n’en reste que 5 exemplaires. Il est prévu d’éradiquer également les moutons dans les années à venir mais ce sera beaucoup plus complexe pour le renne qui,  bon nageur, a commencé à coloniser certains ilots.

L’archipel des Kerguelen est d’une importance considérable pour l’Eléphant de mer puisqu’on y retrouve la deuxième plus grande population mondiale, avec plus de 100 000 individus.  On en trouve les plus grandes densités sur les plages de la péninsule Courbet, parsemées de plusieurs dizaines de milliers d’individus au moment de la reproduction (novembre) ou de la mue (mars-avril).

Eléphant de mer,
Crozet, février 2011.

© A.Joris

L’Éléphant de mer, au même titre que de nombreux oiseaux marins, passe l’essentiel de son existence en haute mer.  Il se nourrit de quantités considérables de poissons et de calmars, pêchés à des profondeurs le plus souvent comprises entre 400 et 800 mètres, le record ayant été établi à 2200 mètres par un mâle de Kerguelen. Seuls certains cétacés comme le cachalot plongent plus profondément.  Afin de mieux connaître la biologie de ce prédateur supérieur de l’Océan austral, des équipes britanniques, australiennes et françaises ont commencé en 2004 à équiper certains animaux de balises Argos. Celles-ci permettent non seulement de connaître la distribution géographique des populations en mer mais les balises de nouvelle génération sont également capables d’enregistrer des données de température, de salinité et de pression de l’eau. L’Eléphant de mer se nourrit essentiellement en bordure de la banquise antarctique, traversant sur plus de 2000 km les eaux les plus tumultueuses de l’Océan austral pour rejoindre ses zones de nourrissage. En route, il fera plusieurs centaines de plongées et un animal équipé d’une balise récoltera donc des informations difficilement accessibles par les moyens habituels (bouées, navires, satellites) aux océanographes et aux climatologues.

Retrait de la balise Argos collée sur la tête d’un Eléphant de mer
Kerguelen, mars 2011.

© A.Joris

L’Océan austral est sans doute l’Océan le moins étudié de la terre, en raison de son éloignement géographique et des conditions climatiques qui y règnent. En reliant les Océans Pacifique, Atlantique et Indien les puissants courants de l’Océan austral sont les moteurs essentiels de la circulation des eaux marines sur terre. Ces mouvements d’eau ont un rôle fondamental dans les échanges de température et de gaz carbonique entre les océans et l’atmosphère et à ce titre peuvent être considérés comme des acteurs majeurs du climat mondial.

En équipant de balises des éléphants de mer originaires de Géorgie du Sud, de Nouvelle-Zélande et de Kerguelen il est devenu aisé d’accéder à des données aussi fondamentales que la température et la salinité sur la presque totalité de l’Océan austral, y compris sous les 14 millions de km² de la banquise antarctique, régulièrement fréquentée par l’espèce mais inaccessible aux moyens humains de prises de mesure.

Une fois toutes les opérations de ravitaillement terminées, nous avons quitté Kerguelen ce 19 mars pour reprendre la route du nord. Prochaine étape : les îles Saint Paul et Amsterdam qui sont les îles les plus isolées du monde puisqu’elles sont à 3000 km de tout continent.

A bientôt,

Antoine

Date: vendredi, 11 mars 2011 4:56 PM

Cette fois je vous écrit un vendredi plutôt qu’un dimanche puisque c’est la dernière journée dont nous disposons pour utiliser cette adresse mail … A partir de dimanche je serai joignable sur une adresse mail du Marion Dufresne …

Pour ce neuvième compte-rendu je laisse la biologie de côté pour vous parler de logistique. Cette semaine a été entièrement consacrée à OP1, cette opération de ravitaillement qui dessert l’île de la Possession 4x par an. Le Marion Dufresne est arrivé jeudi au petit matin. Les opérations de ravitaillement ont débuté aussitôt, avec les premières rotations d’hélicoptère dans l’heure qui a suivi l’arrivée du bateau.

Rotations de l’hélicoptère,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

Comme l’exige la tradition ce sont d’abord les sacs postaux qui ont été débarqués et à eux seuls ils ont nécessité deux tours d’hélicoptère. Ensuite une trentaine de personnes ont pris le même chemin pour descendre à terre : la moitié étant constituée de personnel des TAAF ou de l’IPEV ayant des travaux à effectuer sur la base, l’autre moitié de touristes et de leurs accompagnateurs.

Débarquement des touristes et dépose du personnel,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

J’en profite pour dire un petit mot sur le tourisme dans les TAAF, probablement l’un des plus encadrés au monde. La seule possibilité pour visiter les Terres Australes Françaises en dehors d’un cadre strictement professionnel est de monter à bord du Marion Dufresne lors d’une des quatre rotations annuelles de ravitaillement. Un certain nombre de cabines sont prévues pour accueillir des touristes qui veulent effectuer cette croisière de trois semaines avec escale à Crozet, Kerguelen et Amsterdam.
Bien que le prix du billet soit exorbitant, la liste d’attente pour ce voyage est deux ou trois ans puisqu’il n’y a de la place que pour une quinzaine de touristes à la fois. Les touristes débarquent à la journée sur les différents districts, toujours accompagnés de 2 ou 3 guides et remontent sur le bateau juste avant la nuit. Avec une soixantaine de touristes par an, les Terres Australes Françaises  peuvent donc se vanter d’avoir su se préserver du tourisme de masse !

Une fois le courrier et les visiteurs débarqués c’est au tour des vivres fraîches de descendre à terre : fruits, légumes, fromages … tous très attendus et très vite disposés en chambre froide. Ensuite tout le reste est débarqué : denrées non périssables, vêtements pour la COOP, matériel et équipements divers et variés. L’ensemble du personnel de la base, scientifiques compris, est mis à contribution pour le dépotage des dizaines de caisses qui contiennent les tonnes de vivres. Pendant ce temps l’île de la Possession “fait le plein” : une manche à gasoil de près d’un kilomètre relie le Marion Dufresne aux 6 cuves de 50 m” chacune qui serviront à faire tourner la centrale électrique. Lors de certaines opérations de ravitaillement il n’est pas possible de remplir les cuves, la mer trop démontée ne permettant pas de sortir la manche. Le volume de gasoil stocké quand les conditions sont bonnes permet cependant d’en avoir d’avance jusqu’à l’OP suivante voire celle d’après.

potage des caisses de vivres,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

Les conditions météo sont à l’origine de bien des modifications de dernière minute lors d’une OP. Dès que la brume s’installe ou que le vent se lève il faut arrêter les vols d’hélicoptère. Si le mauvais temps persiste et que la mer n’est pas trop démontée les opérations continuent en utilisant la “portière”, une sorte de radeau tiré par la vedette entre le bateau et la plage. Tout le chargement est ensuite remonté à la base par tracteur. Le matériel trop lourd pour être emmené par l’hélico (limité
à 750 kg de charge) sera transporté par ce moyen-là également. Ainsi le vieux tracteur (surnommé Charly par le personnel des TAAF !)qui avait déjà servi à Kerguelen avant de venir à Crozet est reparti ce jeudi soir pour la Réunion. Vision irréelle que de ce tracteur flottant sur son radeau au milieu de la baie du Marin.

Le vieux tracteur sur la  portière,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

Quand toutes les opérations de déchargement sont terminées l’hélicoptère est mis à contribution pour certains travaux à effectuer en des points éloignés de l’île : récupération ou remplacement de matériel sur les stations scientifiques, enlèvement de caisses de déchets, réparation d’arbecs, pose de caillebotis sur les tourbières, comptage de manchots par photographie aérienne …

Voilà, ainsi se terminent six semaines en immersion sur une île du bout du monde, certes, mais loin d’être déserte. Les activités scientifiques qui fourmillent ici (mais aussi sur Kerguelen et Amsterdam) depuis plus de 30 ans placent la France à la pointe de la recherche en zone subantarctique.
En ayant ce patrimoine naturel unique sur son territoire la France a aussi une lourde responsabilité et des obligations de protection et/ou de restauration du milieu, des habitats et des espèces qui y vivent.

Nous appareillons ce samedi 12 janvier, en direction des autres îles australes françaises que sont Kerguelen, Saint Paul et Amsterdam. Le voyage se terminera à la Réunion dans un peu moins de trois semaines.

Voilà pour aujourd’hui.

A bientôt,

Antoine

Date: Dimanche, 6 mars 2011 8:54 PM

Bonjour ,

Voici en textes et en images un compte-rendu de la sixième semaine à Crozet (la septième du voyage).

Ça sent le départ ! Bien que nous ne quittions l’île de la Possession que le weekend prochain, toute la semaine qui vient sera consacrée à la préparation d’OP1 qui commencera jeudi 10 mars. Qu’est-ce qu’OP1 ? Un des nombreux termes “taafiens” (avec discro, bibcro, GP, vac, géner, plonplon, manip, arbec, etc etc)qui signifie “opération portuaire numéro 1”. Une opération portuaire est une opération de ravitaillement de la base par le Marion Dufresne. Il y en a quatre dans l’année, en mars, août, novembre et décembre. Celle de mars signe la fin de la campagne d’été, campagne qui a commencé avec l’OP de novembre et l’arrivée des “campagnards d’été”. Après OP1 ne resteront sur l’île de la Possession que les 22 futurs hivernants, la plupart (sauf 4) passant une année entière sur l’île. Outre les 4 OP de l’année, le Marion Dufresne peut aussi faire la rotation des terres australes lors de campagnes océanographiques. C’est lors d’une de ces campagnes que nous sommes arrivés à la mi-janvier. Il ne reste alors que quelques heures au mouillage devant les îles, le temps de débarquer/embarquer du personnel et du courrier.

Une OP dure donc plusieurs jours. Celle-ci s’étalera sur 4 jours, le temps de débarquer tout le ravitaillement pour l’hiver qui vient (nourriture, stock coop, gasoil, produits d’entretien, commandes de matériel diverses et variées …) et d’embarquer tout le matériel qui a servi aux scientifiques campagnards d’été ainsi que leurs prélèvements, congelés à -20 ou -80°C.

Voici donc venu le moment de faire un petit bilan de nos activités de recherche sur le Manchot royal pendant le mois qui vient de s’écouler.

Manchot royal qui marsouine,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

Un petit rappel tout d’abord sur l’équipe que j’ai intégré pendant ces quelques semaines. Il s’agit d’une équipe de 5 personnes travaillant uniquement pour le programme “394, Oiseaux plongeurs”, le “394” pour les intimes. Le responsable de ce programme est Charles-André Bost, du CNRS de Chizé. Son objet est l’étude de la stratégie énergétique des prédateurs
marins et de la variabilité physique et trophique de l’océan Austral. Ce programme existe depuis 2005 et est reconduit tous les quatre ans après délibération du Conseil des Programmes Scientifiques et Technologiques, un comité scientifique international au sein de l’IPEV. Il y a actuellement 78 programmes financés par l’IPEV en cours, dans les TAF, en Terre Adélie
et en zone arctique. Les sujets d’étude sont variés : astronomie et astrophysique, géophysique et géologie, sciences de l’atmosphère, glaces et climat, océanographie, environnement, hommes et sociétés.

Pendant ces 6 semaines, nous aurons équipé et déséquipé un total de 37 Manchots royaux dans le cadre du “394”. Le principe est le suivant : nous équipons des manchots en phase de reproduction pour être certains de les voir partir en mer se ravitailler (les études portent sur le manchot en mer) et revenir au terme de ce voyage pour que nous puissions leur retirer l’équipement installé. Ces voyages durent de quelques jours à plus de 3 semaines, selon la phase de reproduction dans laquelle se trouve le
manchot équipé : les manchots en début d’incubation partent longtemps en mer tandis que ceux occupés à nourrir un poussin de plusieurs semaines feront des voyages plus courts.

Manchot royal A1 sur la plage avec sa balise Argos,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

Les 37 manchots n’ont pas tous été équipés de la même façon puisque nous avions plusieurs sujets d’étude en cours. Dix manchots ont été équipés d’enregistreurs de l’activité cardiaque, de la luminosité et de la pression de l’eau, 10 autres d’accéléromètres 3D et de GPS, 4 ont emmené un balise satellite Argos, 6 autres avaient des enregistreurs de la
luminosité et de pression de l’eau et les 7 derniers ont été équipés d’enregistreurs de la température osophagienne permettant de dénombrer le nombre de proies capturées. Outre ces études en mer, Astrid notre écophysiologiste a également équipé 15 Manchots royaux (et 6 Gorfous macaronis) pour des études à terre du coût énergétique de la marche, portant le total à 52 Manchots royaux équipés/déséquipés pendant cette campagne d’été.

Manchots E1 et E2  équipés d’ ECG dans la colonie,
Crozet, mars 2011.

© A.Joris

Une fois déséquipés, les manchots sont relâchés dans la colonie et reprennent leurs activités de reproduction. Le matériel récupéré est alors déchargé de son contenu numérique soit sur place si une connexion est possible soit par le laboratoire qui a conçu le matériel si celui-ci doit être démonté pour récupérer l’information. Certains loggers développés par Yves Handrich enregistrent jusqu’à 2 Giga de données : pour le manchot E8 par exemple ce sont 522 millions d’informations qui ont été stockées en 15 jours par les enregistreurs combinés d’activité cardiaque à 250 Hertz, de pression de l’eau, de température, de luminosité et d’accélération 3 axes à 50 Hertz. Les seuls équipements permettant d’acquérir les informations à distance sont les balises satellite Argos.

Tracé argos

D’autres graphes inédits ont été tracés pendant cette campagne, notamment par Kozue Shiomi qui a équipé 10 manchots d’accéléromètres permettant de retracer le trajet du manchot dans les grandes profondeurs dans les 3 dimensions. Pour des raisons d’exclusivité mondiale, ces tracés ne seront pas diffusés avant leur publication par une revue scientifique.

En remerciant ceux qui auront lu ce texte jusqu’au bout,

A bientôt,

Antoine

Date: Dimanche, 27 fév 2011 7:49 PM

J’ai évoqué largement dans les messages précédents les études en cours sur les oiseaux et les mammifères à Crozet. Si on veut dresser un tableau complet de la biodiversité subantarctique il faut maintenant se pencher sur la flore très particulière qui s’y est installée et sur les invertébrés qui y sont associés. Cette semaine c’est aux travaux de Carole Pusterla que je vais m’intéresser. Carole, biologiste et botaniste, passe une année entière sur l’île de la Possession. Elle a intégré un programme
d’étude de l’impact des végétaux et invertébrés introduits sur l’île de la Possession. Ce programme est permanent sur Crozet et est dirigé par Marc Lebouvier de l’Université de Rennes.

La première chose qui saute à nos yeux d’européens débarquant sur l’île de la Possession est l’absence totale d’arbres et de buissons. L’île est très verte vue de loin mais en approchant on se rend vite compte que cette verdure est entièrement composée d’une flore très basse faite de mousses, de graminées, de fougères naines, de lichens et de quelques plantes et fleurs. Et quand on prend la peine d’examiner de plus près cette végétation, on trouve facilement des massifs entiers de plantes familières en France (pissenlits, trèfle, épilobes, …), involontairement introduites ici et qui ne sont pas sans poser certains problèmes de conservation.

Les contraintes climatiques fortes de la zone subantarctique expliquent la présence d’une flore autochtone globalement assez pauvre et sur Crozet on ne dénombre pas plus de quelques dizaines d’espèces de plantes vasculaires et autant de mousses et de lichens. La plus grande est le superbe Chou de Kerguelen, seul brassicaceae de l’île et endémique aux îles subantarctiques de l’Océan Indien. Une autre plante remarquable est l’Azorelle de Magellan, un ombellifère nain formant de grands coussins
vert tendre ponctués de petites fleurs jaunes. Ces coussins ne supportent pas le piétinement humain. Un seul pas sur un coussin entraînera sa mort en quelques semaines, en modifiant l’hygrométrie à l’intérieur du coussin et en provoquant son pourrissement. C’est d’autant plus désolant que la croissance de cette plante est extrêmement lente : elle met plus d’un
siècle à atteindre un mètre de diamètre. Tout le personnel des stations scientifiques le sait et trouver une azorelle piétinée est heureusement très rare. Les azorelles les plus âgées ont près de 1000 ans. L’âge peut être déterminé en examinant les tiges qui s’allongent et ne produisent qu’une paire de feuilles par an. Comme les feuilles mortes ne tombent pas de la tige, il suffit de les compter.

Coussin d’Azorelle,
Crozet, février 2011.

© A.Joris

Une des plantes autochtones les plus répandues est l’Acaena (prononcer asséna), jolie petite rosacée formant des tapis de petits fruits épineux dressés vers le ciel. Cette plante s’est répandue sur toutes les îles de la zone subantarctique, grâce à son très fort pouvoir de fixation sur le plumage des oiseaux ou le pelage des mammifères (zoochorie). Quiconque a fait l’erreur de déposer un pull en laine dans un tapis d’acaena sait qu’il est très difficile de s’en débarrasser. C’est un peu la bardane locale.

Le nombre d’espèces de végétaux introduits voire invasifs a aujourd’hui dépassé le nombre d’espèces autochtones. On dénombre pas moins de 65 espèces introduites sur Crozet aujourd’hui, la majorité d’entre elles étant d’origine européenne. Si les premières introductions ont sans doute eu lieu lors de la découverte des îles à la fin du 17ème siècle, il ne fait aucun doute que l’installation des bases scientifiques a été à l’origine de la grande majorité des introductions de végétaux et de leur
dissémination. Les scientifiques et le personnel des bases sont d’involontaires semeurs de plantes : les fonds des poches, les ourlets, les sacs à dos, tous ces endroits sont de très efficaces réservoirs de graines européennes. Les études de distribution des végétaux introduits montrent clairement que les plus fortes densités de plantes invasives sont retrouvées autour des bases et le long des sentiers utilisés pour rejoindre les arbecs, ces refuges disséminés sur l’île. Certains végétaux comme le pissenlit sont de redoutables colonisateurs et peuvent empêcher le développement de la végétation locale. Des programmes d’arrachage systématique de certaines plantes invasives sont en cours, notamment les 4 espèces de bruyères qui se propagent lentement autour de la base et dont l’éradication devrait être possible en quelques années. Pour d’autres, comme les pissenlits ou de nombreuses graminées, il est probablement déjà trop tard.

Associés à ces végétaux invasifs, on retrouve tout un cortège d’insectes, introduits eux aussi. Il y a 6 espèces de pucerons sur l’île de la Possession, tous introduits via les fruits, les légumes ou les plantes d’ornement. Ce ne sont pas les seuls, ils sont accompagnés de nombreux diptères, hémiptères, coléoptères, myriapodes et araignées. Le risque n’est pas négligeable pour les rares espèces autochtones (une vingtaine, dont plusieurs endémiques), qui sont essentiellement des décomposeurs, les
herbivores étant rares et les prédateurs totalement absents.
L’introduction d’un insecte prédateur pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les insectes endémiques n’ayant jamais eu à subir la prédation. Il y a un exemple sur Kerguelen où un coléoptère prédateur sud-américain a été involontairement introduit, entraînant des extinctions locales du principal insecte décomposeur de cadavres d’animaux, une mouche aptère (ayant perdu la faculté de voler).

L’absence d’ailes est une caractéristique très répandue chez les insectes subantarctiques, soumis à des vents trop forts et trop constants pour leur permettre de voler. Les 3 espèces de papillons autochtones de l’île de la Possession sont toutes incapables de voler, leurs ailes s’étant atrophiées au cours de l’évolution. Seules les chenilles se nourrissent, les adultes n’ayant d’autres fonctions que la reproduction.

Il reste donc encore beaucoup de choses à découvrir sur les invertébrés des les îles subantarctiques. Ceux qui peuplent les nombreuses rivières de l’île ont été très peu étudiés jusqu’à maintenant et il est probable qu’on y découvre des choses encore inconnues. Une aide précieuse pourrait être apportée en examinant les contenus stomacaux des deux seules espèces de

poisson d’eau douce de l’île de la Possesssion : la Truite fario et l’Omble de fontaine. Ces deux salmonidés ont eux aussi été introduits, mais volontairement cette fois, à partir des années 60. La tendance était alors de tenter de reconstituer un environnement familier au personnel des bases subantarctiques permanentes afin de faciliter leurs conditions de
vie en acclimatant certaines espèces animales et végétales. La présence de truites de belle taille dans ces rivières permettait au personnel de pratiquer la pêche à la ligne et venait égayer une alimentation à base de conserves. Cette introduction a été un succès et aujourd’hui beaucoup de rivières de Crozet et Kerguelen regorgent de truites dépassant parfois les 5 kg lorsqu’elles deviennent migratrices et passent la belle saison en mer. L’impact négatif de cette introduction n’a pas encore été démontré,
ces poissons occupant une niche écologique laissée vacante par l’origine océanique des îles Crozet. C’est la raison pour laquelle lors de certaines parties de pêche miraculeuses effectuées sur l’île (en prendre plusieurs dizaines sur une matinée n’est pas un exploit), la plupart des poissons sont relâchés par les pêcheurs à la ligne et aucun plan d’éradication n’a été prévu.

Omble de fontaine dans une rivière de Crozet,
Crozet, février 2011.

© A.Joris

Le seul vertébré terrestre introduit (involontairement) sur l’île de la Possession est le Rat noir, sans doute arrivé très tôt au 17ème ou 18ème siècle avec les premiers navires. Cette introduction a quant à elle des conséquences désastreuses sur de nombreuses populations de petites espèces de pétrels dont ils dévorent les oufs et les poussins. Sa présence est très visible pratiquement partout : crottes, trous, coulées dans la végétation, choux de Kerguelen rongés. Nous en voyons tous les soirs
autour de la base, une fois la nuit tombée. Même à Pointe Basse, de l’autre côté de l’île, ils sont partout également. Si elle est envisagée un jour, son éradication de l’île de la Possession sera extrêmement complexe.

Voilà pour cette semaine.

A bientôt,

Antoine

Date: Dimanche, 20 fév 2011 1:30 PM

Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas parler d’oiseaux cette fois-ci…
L’île de la Possession et ses alentours accueillent aussi des mammifères marins. De plus, la très brève visite de Paul Tixier sur l’île de la Possession il y a quelques jours,  est un excellent prétexte pour aborder le sujet.

Paul Tixier est actuellement en thèse de doctorat au sein de l’équipe “Prédateurs marins” du CNRS de Chizé, sous la direction de Christophe Guinet. L’objet de sa thèse est l’étude des interactions entre les bateaux de pêche à la Légine australe, un gros  poisson de fond capturé à la palangre, et deux espèces de cétacés, les Orques et les Cachalots.
Certains groupes de ces cétacés se sont en effet spécialisés dans la “déprédation” : ils suivent les bateaux de pêche à la Légine et lorsque ceux-ci remontent leurs lignes, ils se servent et décrochent les Légines prises à l’hameçon.

Pêche à la légine autour de Crozet,
Crozet, février 2011.

© A.Joris

La pêche à la Légine australe est une activité très lucrative et très encadrée : dans les eaux de Crozet et de Kerguelen seuls 7 palangriers sont autorisés à pêcher, et la majorité des prises part à l’exportation vers le Japon. Les pertes occasionnées par les Orques ne sont pas négligeables et peuvent atteindre plus de 100 tonnes par an dans les eaux de Crozet et Kerguelen (pour un total annuel de prises variant de 400 à 800 tonnes). Celles occasionnées par les Cachalots semblent plus difficiles à évaluer.

Paul a embarqué début février sur un palangrier qui ouvre autour de Crozet. Il y est contrôleur des pêches et a aussi pour mission de compléter le catalogue de photo-identification des Orques et Cachalots de la zone, de réaliser des biopsies (prélèvements à distance de peau et lard) et de poser des balises Argos sur quelques Orques. Tout ceci afin de
mieux comprendre leurs déplacements, leur mode d’alimentation, identifier les groupes et les sous-populations et éventuellement proposer des mesures à prendre pour limiter la déprédation.

Ici sur l’île de la Possession nous n’avons pas encore eu la chance d’apercevoir les Orques depuis notre arrivée à la mi-janvier. Leur présence près des côtes est plus régulière au printemps austral (notre automne) lorsqu’ils viennent se nourrir des jeunes Éléphants de mer nés quelques semaines plus tôt. Crozet est l’un des rares endroits au monde où les Orques chassent en eau très peu profonde et sont même capables de s’échouer partiellement sur les plages pour capturer leurs proies. Ils
capturent aussi des Manchots royaux. Les observations d’Orques depuis les côtes de l’île de la Possession se raréfient d’année en année, indiquant un possible déclin de l’espèce dans les eaux de Crozet.

Groupe d’orques,
Crozet, février 2011.

© P.Tixier

Revenons à terre. Les Éléphants de mer ne sont pas les seuls pinnipèdes à occuper les plages de Crozet. Deux espèces d’otaries s’y reproduisent également : l’Otarie antarctique et l’Otarie subantarctique. Alors que les Éléphants de mer sont des phoques, les otaries appartiennent à un groupe bien distinct, celui des otariidae, qui comprend aussi les lions de mer.
Il existe des différences anatomiques marquées entre les phoques et les otaries, les principales étant la présence de pavillons auriculaires externes chez les otaries et leur mode de locomotion, utilisant les 4 membres. Les phoques se déplacent plutôt en rampant, sans utiliser les nageoires.

Dans la Crique du navire où nous travaillons, les visites des otaries sont très irrégulières et même les manchots ne semblent pas habitués à voir cet animal. Ce vendredi 18 février, deux jeunes otaries sont sorties de l’eau devant la manchotière et se sont aussitôt retrouvés encerclées puis suivies par une trentaine de manchots curieux, qui semblaient n’avoir jamais rien vu de tel sur leur plage (ils ne prêtent aucune attention aux omniprésents Éléphants de mer). Les otaries, qui venaient là pour trouver la tranquillité et se reposer, ont vite fait de passer les “barrières anti-manchots” qui séparent la plage des bâtiments scientifiques pour aller se reposer dans l’herbe à l’arrière de nos locaux.  Elles y sont restées tout l’après-midi.

Deux jeunes otaries antarctiques devant les locaux,
Crozet, février 2011.

© A.Joris

C’est l’Otarie antarctique qui fréquente la Baie du Marin. Cette espèce largement répandue dans l’Océan austral se différencie de l’autre espèce par sa taille plus grande et sa coloration plus uniforme. Mais la distinction n’est pas toujours aisée, surtout quand le pelage est mouillé : les couleurs s’estompent. L’autre espèce, l’Otarie subantarctique, est plus nettement bicolore (face et poitrine chamois-orangé) et le mâle adulte possède une crête de poils caractéristique sur la tête. Sur l’île de la Posession, l’espèce subantarctique fréquente surtout la côte nord-ouest. Nous en avions vu beaucoup à Pointe Basse la semaine dernière.

Chez les deux espèces le dimorphisme sexuel à l’âge adulte est très marqué : les mâles sont beaucoup plus gros. Celui de l’espèce antarctique peut atteindre 200 kg, soit 50 kg de plus que celui de l’espèce subantarctique.
Chez les deux espèces les femelles pèsent de 25 à 50 kg. Ce dimorphisme s’explique notamment par le mode de reproduction, en harems de 5 à 20 femelles, où seuls les mâles les plus gros se reproduisent régulièrement.
Chez l’Éléphant de mer, espèce au dimorphisme très prononcé également, les harems peuvent atteindre 100 femelles pour un gros mâle.

A bientôt,

Antoine

Date: Dimanche, 13 fév 2011 5:46 PM

Bonjour,

Comme chaque dimanche voici en quelques lignes et images, un compte-rendu de ma semaine à Crozet.

Tous les loggers ayant été posés et les retours de Manchots royaux équipés n’étant pas attendus avant la semaine prochaine, j’en ai profité pour rejoindre une équipe du CNRS travaillant à l’autre extrémité de l’île sur un autre oiseau, collectionneur de superlatifs lui aussi : l’Albatros hurleur (ou Grand Albatros).

Couple d’Albatros hurleur immature,
Pointe basse – Crozet, février 2011.

© A.Joris

L’équipe “albatros” est composée de David Grémillet, chercheur au CNRS de Montpellier, d’Aurélien Prudor et de Maxime Loubon, ornithologues. Tous deux passent 5 semaines dans un “arbec” (nom local donné aux maisonnettes en bois disséminées sur l’île et qui accueillent les scientifiques ayant à travailler loin de la base), au lieu-dit “Pointe basse”, sur la face nord-ouest de l’île de la Possession. Les études sur les albatros sont supervisées par Henri Weimerskirch du CNRS de Chizé.

Rejoindre Pointe Basse depuis la base n’est pas une promenade de santé, surtout si la météo a décidé d’être capricieuse. Ce fut le cas mardi dernier, lorsque nous avons effectué ce transit d’une quinzaine de km qui nous a fait traverser l’île de la Possession de part en part. La pluie constante et les rafales de vent de plus de 120 km/h ont rendu notre progression difficile. Les quelques petits ruisseaux à traverser se sont transformés en puissantes rivières pour l’occasion et leur passage à gué a achevé de nous tremper de la tête au pied. Heureusement au bout du transit c’est un thé chaud qui nous attendait, ainsi qu’une nuit réparatrice dans un arbec sec et confortable.

David Grémillet, Aurélien Prudor et Antoine Joris  dans l_’arbec,
Pointe basse – Crozet, février 2011.

© A.Joris

Dès le lendemain nous accompagnions David et Aurélien sur le mythique “champ des albatros” de Pointe Basse : une plaine de plusieurs centaines d’hectares en bord de mer, qui accueille la plus grande colonie d’Albatros hurleurs de l’île de la Possession (plus de la moitié des 350 couples).
Cet endroit n’est accessible qu’aux scientifiques travaillant sur les oiseaux qui y nichent. Tous les déplacements s’y font en raquettes, pour ne pas abîmer la fragile tourbière qui en compose la surface.

David et Aurélien participent à améliorer notre connaissance de l’Albatros hurleur. Leur étude concerne l’alimentation en mer des Albatros. Ils prennent certaines mesures (masse, longueur du bec, fréquence cardiaque, …) et posent des GPS sur les oiseaux prêts à partir en mer pour localiser avec précision leurs zones de nourrissage. De plus ils répertorient tous les nids de cette espèce qui est  baguée systématiquement sur l’île de la Possession depuis des décénnies. Ceci  permet de suivre leur longévité et de déterminer avec précision les déplacements et le recrutement des jeunes entre colonies. Mieux connaître l’Albatros hurleur permettra de mieux le protéger. A la mi-février, les adultes sont en pleine couvaison. Il n’y a pas encore de poussins. Par contre, de nombreux oiseaux immatures paradent entre les nids des adultes. C’est à cet âge-là (entre 5 et 10 ans) que les couples se forment, pour la vie.

Capture d’un albatros hurleur,
Pointe basse – Crozet, février 2011.

© A.Joris

Le transit de retour s’est déroulé dans de biens meilleures conditions météo qu’à l’aller et nous a permis de mieux profiter des paysages de l’intérieur de l’île.

La vallée des branloires,
Île de la possession- Crozet, février 2011.

© A.Joris

Voilà pour cette semaine, prochain rendez-vous le 21 février.

A bientôt,

Antoine

Date: Dimanche, 06 fév 2011 4:08 PM

Bonjour à tous,

Quelques mots de la météo tout d’abord. Nous avons essuyé une dépression assez forte cette semaine, avec des rafales de vent de 100 à 120 km/h et un peu de pluie. Les températures sont toujours relativement douces, de 6 à 12°C. Un temps normal à cette latitude, en fait, et ce sont plutôt les journées ensoleillées et sans vent qui, bien qu’agréables, sont atypiques ici.

Côté boulot, la première partie de la mission est accomplie puisque depuis ce 5 février tous nos loggers ont été déployés sur les Manchots royaux.
Quinze oiseaux ont été équipés au total, auxquels s’ajoutent les quatre oiseaux équipés de balises Argos par Marguerite peu avant notre arrivée.
Il nous reste maintenant à attendre que ces 19 manchots reviennent de leur voyage en mer et tous seront déséquipés au plus tard début mars.

© A.Joris

 

Le premier déséquipement a déjà eu lieu cette semaine, sur le manchot “A1”, équipé d’une balise Argos le 10 janvier. Le 31 janvier au petit matin, après 21 jours en mer, il était de retour sur la plage de la baie du Marin. Aussitôt capturé, sa balise lui a été retirée en quelques minutes par Marguerite qui en a profité pour le peser : en 3 semaines, A1 a grossi de 5 kg, passant de 9 à 14 kg, démontrant l’impressionnante et rapide capacité de stockage adipeux chez cette espèce.  Cet engraissement rapide permet au Manchot royal d’effectuer de longs jeûnes sur son ouf ou auprès de son poussin, ou encore au moment de la mue qui se déroule à terre. Je n’ai pas le détail géographique du périple de “A1”, pour lequel les données arrivent directement à Chizé, mais ce périple de 3 semaines l’a probablement emmené à plusieurs centaines de kilomètres de la colonie.

Deux autres espèces de manchots fréquentent régulièrement la plage : le Manchot papou et le Gorfou macaroni. Alors que le Papou est présent tous les jours (quelques dizaines d’individus, qui se tiennent généralement à l’écart des Manchots royaux), le Gorfou quant à lui est un visiteur plus irrégulier, qui préfère les falaises aux plages. En d’autres endroits de l’archipel par contre il peut être extrêmement abondant et ses effectifs à Crozet se situent entre 2,4 et 3,9 millions de couples soit deux à trois fois plus que les effectifs de Manchot royal.

Manchot papou.

© A.Joris

 

L’oiseau le plus discret de la baie du Marin est lui aussi un endémique des TAAF (Crozet et Kerguelen uniquement): c’est le Canard d’Eaton. On dit ici que c’est “le canard le plus lourd du monde”. Je vous laisse comprendre pourquoi … Plus sérieusement, ce canard autrefois chassé par les membres des expéditions subantarctiques ressemble beaucoup à notre Canard pilet mais en nettement moins coloré, surtout à cette saison quand les mâles sont en plumage d’éclipse. La population de Kerguelen est elle aussi très menacée … : les chats, oubliés sur l’île par nos prédécesseurs du 20ème siècle. En Baie du Marin, nous ne voyons pas le Canard d’Eaton tous les jours. Un ou deux couples se montrent de temps en temps.

Canard d’Eaton.

© A.Joris

 

Pour l’anecdote, nous avons eu la visite de deux oiseaux à la coloration inhabituelle cette semaine : un Pétrel antarctique de phase blanche (cette phase ne concerne que quelques % des oiseaux cette espèce, les autres étant invariablement gris à tête claire) et un Manchot royal partiellement mélanique (mutation génétique rare, sans doute moins d’un manchot sur 10
000). Ce dernier avait la gorge noire et non jaune. Les photos illustreront mon propos.


Manchot royal partiellement mélanique et Pétrel antarctique de phase blanche.

© A.Joris

 

Voilà pour la seconde partie de la présentation des oiseaux de la Baie du Marin. Il y en manque encore dont les trois espèces qui nichent un peu plus haut sur les pentes herbeuses : Albatros hurleur, Albatros à dos clair et Pétrel à menton blanc. J’y reviendrai ultérieurement, ainsi que sur un autre endémique : le Cormoran de Crozet.

Un petit mot également de la visite que nous avons eue ce mercredi. Ce jour-là, alors qu’il peut se passer des mois sans qu’un bateau ne s’arrête ici, ce sont deux bateaux qui ont fait escale pour la journée. Ces bateaux avaient chacun des personnes souffrantes à bord et ont demandé les services de Julien, notre médecin, et de l’hôpital de Crozet : consultation, radiologie, échographie, dentisterie, chirurgie, hospitalisation … bref de quoi faire face à toutes les urgences médicales ou presque. C’est très rassurant quand on sait qu’il faut 5 jours de mer (si on a un bateau, ce qui n’est pas notre cas !) pour rejoindre l’hôpital le plus proche, à la Réunion.

A la semaine prochaine !

Antoine

Date: Dimanche, 30 Jan 2011 7:26 PM

En quelques lignes  voici un petit compte-rendu de la deuxième semaine du voyage (la première sur Crozet). Je serai un peu
plus long que la dernière fois, mais il y a tellement de choses à dire !

Lundi et mardi ont été consacrés au grand nettoyage annuel des locaux et du matériel qui serviront à l’implantation des loggers sur les Manchots royaux. Toute cette infrastructure et les différents appareillages ne servent que quelques semaines par an, pendant l’été austral. Il a donc fallu astiquer les instruments, ranger les placards, jeter les produits périmés, tester les appareils (électrocardiographe, appareil d’anesthésie gazeuse), tout en faisant connaissance avec cette multitude d’animaux qui fréquentent la Baie du Marin.

© A.Joris

 

La colonie de Manchot royaux occupe entièrement la plage et les premières centaines de mètres de la vallée. C’est la “Grande manchotière”, constituée de 20 à 30 000 manchots royaux. Plusieurs autres espèces d’oiseaux fréquentent aussi la crique, toutes ou presque étant intimement associées à la présence des manchots…

Dès mercredi, nous avons commencé à équiper des manchots avec les différents loggers prévus pour les études de cette année. Le préalable indispensable à l’équipement d’un manchot est de repérer un couple en train d’effectuer une “relève” : c’est le moment où le manchot qui couve est rejoint par son partenaire, qui était parti en mer depuis 1 à 2 semaines pour se nourrir. Le partenaire prend alors la relève, c’est à dire que pendant les 1 à 2 semaines qui viennent, c’est à son tour de rester à terre pour couver l’ouf ou le poussin, sans manger, pendant que l’autre se nourrit en mer et ramène de quoi nourrir le poussin.

© A.Joris

 

Deux cas de figure se présentent alors, selon l’équipement que l’on veut voir partir en mer sur le manchot : certains équipements doivent être posés sous anesthésie générale (par exemple le matériel qui sert à enregistrer l’activité cardiaque ou la température corporelle), d’autres pas (par exemple les GPS, les balises Argos, les capteurs de pression ou les accéléromètres qui servent à reconstituer la trajectoire du manchot dans les 3 dimensions) :

– S’il faut anesthésier le manchot pour l’équiper, on choisira alors d’intervenir sur un manchot qui revient d’un séjour en mer. On est alors certain qu’il restera à terre (sur l’ouf ou le poussin) pendant les 2 semaines suivantes, ce qui lui laisse tout le temps de se remettre de l’anesthésie avant d’entamer son prochain voyage de ravitaillement.

© A.Joris

– S’il ne faut pas l’anesthésier pour l’équiper, on choisira alors d’intervenir sur un manchot qui était à terre depuis deux semaines et qui repartira en mer dès la fin de l’intervention.

Repérer le bon manchot à équiper demande donc de longues heures d’observation de la colonie. Il est indispensable de savoir interpréter les différents comportements observés pour ne pas risquer d’équiper un  manchot au mauvais stade de son cycle de reproduction. Les manchots que nous équipons seront déséquipés dans un mois, nous devons donc être absolument certains que toutes les conditions soient réunies pour n’intervenir que sur des manchots qui pendant le mois de février feront un séjour en haute mer, au terme duquel ils reviendront dans la Baie du Marin pour se faire retirer la matériel qu’on leur a installé sur le dos.

Pendant cette première semaine nous avons équipé 6 manchots.

 

A la semaine prochaine !

Antoine

Date: Dimanche, 23 Jan 2011 06:57 PM

« Nous sommes donc arrivés à Crozet hier samedi vers 14h sous le soleil…

Un petit bilan de la semaine passée en mer : le trajet a été très calme, nous n’avons essuyé aucune période de gros temps. Les seuls « évènements » météo de la semaine sont deux journées à épais brouillard, lors du passage de la convergence subantarctique (l’eau de mer passe de 18°C à 9°C en quelques dizaines de kilomètres, vers 41° Sud)…

Le débarquement s’est fait en zodiac.Nous sommes d’abord descendus tous les 5 « débarquants »(Yves, Kozue, Jean-Patrice, David et moi), puis les 26 autres scientifiques ont suivi pour une petite visite de 2-3h, ainsi que le commandant et quelques membres d’équipage. Ils se sont répartis en petits groupes de 4-5 et sont sont fait guidés par les VCAT de l’île.

Le petit kilomètre en zodiac entre le Marion Dufresne et le ponton de la baie du marin est un moment très spécial pour une première approche de l’île. Nous avions d’abord patienté sur le Marion au mouillage, pendant une bonne heure, le temps de mettre le zodiac à l’eau. Rapidement des manchots curieux sont venus nous voir par groupes de 20-30, tournant autour du bateau en se toilettant. Les odeurs et les bruits de la manchotière de la baie du marin sont clairement apparus à mesure que nous approchions du ponton de débarquement.

© A.Joris

Sur le ponton nous attendaient une vingtaine de personnes, scientifiques et personnel technique de Crozet…

Nous profitons du weekend pour nous installer, prendre nos marques et faire le planning. Le programme est très chargé et les semaines qui viennent seront bien remplies. Les manips qui me concernent commencent dès demain lundi.

Aujourd’hui dimanche la météo est très calme : très peu de vent, pas de pluie, ciel très bas, températures de 10-12°C. La vue depuis la base est extraordinaire : l’île de l’Est, toute proche, se détache majestueusement sur l’océan. Des albatros hurleurs survolent la côte en permanence, leurs nids se situant sur les pentes herbeuses entre la base et la mer… »

A bientôt ! Antoine

© A.Joris

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Date: Dimanche, 16 Jan 2011 11:13:06

Message d’Antoine Depuis le Marion

« Me voilà donc connecté au reste du monde. Le Marion a quitté la Réunion (35°C) vendredi 14 à 17h30, direction plein sud. Nous avons parcouru quelques dizaines de km dans la nuit et la journée de samedi s’est déroulée dans une atmosphère encore très chaude (eau à 28°, air idem).
Aujourd’hui dimanche nous sommes à 27° Sud (La Réunion est à 21°, Crozet  à 46°4), soit à peu près au niveau de la pointe sud de Madagascar. L’air se rafraîchit un peu (25,5° en milieu de journée) et la mer est maintenant à 26,5°. C’est beaucoup plus respirable.

La mer est très calme pour l’instant.

Il y a 31 scientifiques à bord, et seulement 5 d’entre nous descendrons sur les TAAF, et uniquement sur Crozet : Yves Handrich, Jean Patrice Robin (du même labo strasbourgeois qu’Yves, travaillera aussi sur les manchots royaux mais plutôt sur les poussins), David Grémillet (chercheur au CNRS de Montpellier, travaillera sur un programme Albatros hurleur, coordonné par Henri Weimerskirch de Chizé), Kozue Shiomi (notre doctorante japonaise) et moi-même.

Les autres scientifiques sont tous impliqués dans la campagne
océanographique et travaillent sur différents projets :

– une équipe étudie l’évolution du Courant Circumpolaire Antarctique, le courant marin le plus puissant de la planète, en effectuant des carottages dans le fond marin.
– une équipe étudie les concentrations en CO2 dans l’eau, à différentes profondeurs
– une équipe effectue des pêches de plancton en immergeant des filets à maille microscopique à différentes profondeurs
– une équipe envoie des microphones dans l’océan, accrochés à un lest sur le fond, qui enregistrent pendant un an les « bruits de l’océan » (sismiques, baleines, activités humaines, craquements d’iceberg)

David Gremillet et moi occupons nos journées à effectuer des comptages d’oiseaux et mammifères marins : pendant toute la durée du jour (en ce moment de 6 à 19h), nous montons 1x/heure au poste de pilotage pour relever différents paramètres (coordonnées GPS, température mer et air, force et direction du vent, vitesse et direction du bateau, pression atmosphérique, visibilité, état de la mer, couverture nuageuse). Ensuite, pendant 10 minutes nous identifions et comptons tous les oiseaux qui croisent la route du bateau (à moins de 300m).

En ce moment il y a très peu d’oiseaux, mais cela devrait changer quand on approchera des quarantièmes. Nous avons fait de nombreuses observations du Pétrel de Barau, un des 7 oiseaux endémiques de la Réunion (dont 2 sont des oiseaux marins, les autres sont terrestres).
Une petite bande de Dauphins tachetés nous a accompagné quelques centaines de mètres à la sortie du port. »

A bientôt, Antoine.

Depuis le Marion, filet à plancton.

© A.Joris

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Hier, jeudi 13 janvier, Antoine et l’équipe de « Mission Crozet – Biodiversité des océans » ont entamé les 8 jours du voyage qui les amènera sur l’île de la Possession.

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