Témoignage d’un ancien ouvrier de chez Citroën.

Ce week end, ayant rencontré un retraité qui a passé toute sa carrière professionnelle au sein du groupe automobile Citroën, j’ai décidé de l’interviewer : Voici ses réponses.

1- Savez-vous qui a inventé Citroën et vers quelle année ?
L’inventeur du groupe automobile Citroën est André Citroën. Il me semble que cet entreprise a débuté pendant la guerre de 14 pour fabriquer des obus aux alliés.

2- Quand êtes-vous entré dans l’entreprise Citroën et où exactement?
Je suis entré chez Citroën en 1962 à Saint Ouen dans la capitale, j’avais 23 ans. Je suis parti à la retraire en 1997.

3- Quelle était votre métier au sein de l’entreprise?
Au début j’étais contrôleur de pièces puis vers la sortie je suis devenu technicien.

4- Est-ce que l’organisation des ouvriers était sous une forme de travail à la chaîne?
Oui, j’ai été témoin des presses (=la chaîne) pendant toute ma carrière. Dans cette usine, on ne fabriquait que des petites pièces allant sur les voitures. C’est moi qui vérifiait si ces pièces fabriquées par les ouvriers étaient aux normes. On appelait ça les contrôleurs volants.  

5- Les mouvements étaient-ils répétitifs pour ces ouvriers?
Oui, c’était typique! On ne demandait aucune initiative de la part des ouvriers.

6- Etaient-ils chronométrés?
Oui, tous ceux sur presse.

7- Y avait-il des possibilités d’augmenter la cadence? Qui décidait de cela?
Oui, par des employés appelés les “chronos“: Ils arrivaient avec leurs fameux chronos et il fallait qu’ils comptent le nombre de pièces qui sortaient en 1 minute. Le but recherché était que le patron rentabilise la “boutique” le plus possible.

8- Est-ce qu’on vous demandait de chercher de nouvelles améliorations pour augmenter le rythme de travail? Seulement sur votre propre travail ou aussi sur celui des autres ?
Oui, on appelait ça des “suggestions“. On avait le droit de trouver des améliorations n’importe où sur la presse, n’importe où sur le travail des autre. Il y avait la boîte à suggestion, c’est là que l’on proposait nos idées.

9- Aviez-vous des primes grâce à cela ?
C’était du donnant-donnant, suivant si la suggestion était intéressante, nous avions une prime.

10- Et aviez-vous également une prime en fin d’année?
Oui, le 13ème mois. Cela était décidé par l’accord “inter-entreprise“. (aujourd’hui appelé convention collective)

11- Était-ce une prime individuelle ou une prime par rapport au travail effectué en équipe?
C’était une prime dont tout le monde bénéficié, et non par équipe.

12- Est-ce que les ouvriers travaillant sur la chaîne faisaient eux-mêmes l’autocontrôle de leur machine?
Non, il y avait moi pour ça! En revanche, si la machine avait une défaillance, on appelait un mécanicien. Chacun son travail.

13- S’il y avait un problème sur la presse, qui l’arrêtait?
C’était notre chef d’équipe de fabrication. Si une pièce était de mauvaise qualité ou une machine marchait mal, les ouvriers et moi-même étions déplacés dans une autre chaîne.

14- Etait-il demandé que vous soyez polyvalents sur l’ensemble de la production?
Non, les tâches étaient bien définis, on avait pas le droit à l’improvisation. Encore une fois, chacun son boulot.

15- Combien de temps aviez-vous pour déjeuner? Et les pauses en général?
30 minutes pour déjeuner et théoriquement 5 min par heure. Mais souvent cette pause n’était pas prise parce que les travailleurs préféraient partir plus tôt.

16- Ce temps de pause, a-t-il été réduit au fil des années?
Il y eu la réduction d’heures de travail et vis-vis de la loi, nous n’étions pas obligés de déjeuner ou alors nous mangions vite. Par conséquent, quelques employés de la cantine ont été virés puisque beaucoup moins d’ouvriers y mangeaient.

17- Quels étaient vos horaires de travail?
Je commençais à 6h20 et terminais à 15h. Et à l’époque nous travaillions 6 jours donc pas de week end, seulement le dimanche.

18- Est-ce que vous pointiez ?
Oui mais ça a été aboli avec 1968.

19- Est-ce qu’à mesure des années les machines, la robotisation ont remplacé les hommes?
Oui, nous étions 2000 à mon entrée chez Citroën et maintenant je sais qu’ils sont environ 700.

20- Un logement était-il proposé en entrant dans l’entreprise Citroën? Si oui, combien de temps?
Oui, c’était le foyer des jeunes travailleurs. C’était un immeuble presque neuf acheté par Citroën. Les appartements ont été transformés en foyer sans porte. On était en grande communauté. Ils nous fallait 1h30 pour arriver au boulot. En 1976, je me suis trouvé un petit appartement à 5 min à pied de mon boulot.

21- Un niveau de qualification était-il demandé à l’entrée de l’entreprise?
Absolument pas ! Nous étions tous pris.

22-Aviez-vous des formations proposées ou obligatoire au sein de l’entreprise?
Oui, il y en avait des proposées. C’était des examens internes. Ils amenaient à un meilleur grade si on le faisait. L’ordre des grades était P1, P2, P3 et pour finir technicien.

23- Est-ce que les ouvriers sur la presse étaient poussés à la productivité?
Oui, bien sûr.

24- Est-ce qu’on leur demandait de produire à la demande?
Oui, par rapport au nombre de pièce demandée. Le quota de la journée devait être rempli que ce soit un tel qui ait produit plus ou non.

25- Y’avait-il un syndicat?
Oui, mais celui qui entrait au sein d’un des syndicats pouvait être certain qu’il n’aurait pas de montée en grade. Il était “foutu“.

26- Etait-il possible de discuter avec le patron de Citroën pour améliorer les conditions de travail difficile des ouvriers?
Non, ce n’était absolument pas envisageable.

27- Y avait-il à l’époque une législation du travail?
Oui, mais elle n’était pas toujours respectée. Les appareillages de sécurité n’était pas toujours mis en place, c’etait plus ou moins appliqué. Je me souviens d’un portugais qui plaçait des pièces au milieu d’une plateforme métallique. Un jour, il a mal placé une pièce et le cylindre métallique pour faire le trou au milieu de cette pièce s’est abaissé et lui à coupé la main. Il avait tellement l’habitude qu’il n’a pas fait attention. Cela a coûté beaucoup à l’entreprise comme c’était un accident du travail.

28- Avez-vous apprécié votre travail ?
Oui, c’était pas désagréable.

29- Pensez-vous que les travailleurs à la chaîne ont été éreintés par la difficulté du travail demandé?
Oui beaucoup. Certains, ce n’était pas à cause de la pénibilité mais surtout à cause du bruit: ça a parfois entrainé des surdités ou des problèmes cardiaques.

Nous pouvons donc constater que Citroën a principalement copié le modèle tayloro-fordiste en ajoutant légèrement du toyotisme. Je pense que les moyens pour produire plus et plus efficacement ont été gardés mais que Citroën comme toute entreprise, a dû s’adapter à la demande du consommateur.