Le corps sous contrôle : la tyrannie de la beauté

Maquillages, régimes amincissants, tatouages, piercings , chirurgie esthétique, séances de musculation, jogging, … Notre corps nous préoccupe sans cesse. Un nouvel idéal a pris possession de nos sociétés : il faut être beau et en bonne santé.  Ceci reflète un profond besoin de se faire aimer, reconnaître, admirer.

La beauté est injuste. Elle crée des inégalités entre individus qui, bien quelles ne soient pas reconnus explicitement, ont de très fortes implications sur le marché de l’amour ou sur celui du travail.  Dans Les Mots (1964), Jean-Paul Sartre a vécu un véritable traumatisme le jour où, à l’âge de 7 ans, on lui a coupé les cheveux.  Avant, il portait une longue chevelure blonde et bouclée qui cachait son visage. Mais d’un coup sa nouvelle coiffure va montrer à sa famille le vrai visage qu’il possède : c’est un enfant dit laid et qui louche. Sa famille vécut ça comme une tragédie. Mais son visage dit laid sera compensé par son génie ce qui fera de lui un vrai séducteur. Pour prendre un exemple plus récent, il y avait Serge Gainsbourg qui lui aussi était un vrai séducteur alors qu’il ne possédait pas forcément de grands atouts physiques, ce qui quand même ne l’a pas empêché d’être en compagnie des plus belles femmes de son époque.

Mais toutes la population dite laide n’est pas de Serge Gainsbourg, ils sont vus comme une “malédiction”. Car la laideur physique est un lourd handicap, sur le marché de l’amour comme sur le marché du travail.

– Dans la peinture occidentale, la laideur est associée à la souffrance, l’enfer, les monstres, l’obscène, le diable, la sorcellerie, le satanisme. Car la laideur suscite le dégoût, mais aussi la peur, la dérision, au mieux la compassion. Jusqu’à quelques décennies, les gens avait encore peur des noirs sous prétexte qu’ils n’étaient pas comme tout le monde. Les gens ont tout simplement peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Pourtant, l’esclavage paraît bien loin.

– Dans les contes populaires, la sorcière a toujours été perçue comme une femme vieille, méchante et « laide » : nez crochu, sourire satanique, dos courbé, menton en galoche. La laideur a souvent été assimilée à ce qui est tordu, courbé, fripé, ridé, balafré, difforme, petit, gros, gras et vieux.

Ce qui est beau est bien

La beauté est injuste, elle se révèle très inégalitaire. Mais ce n’est pas tout. Le beau a un privilège supplémentaire: il est associé au bien (moral) et au bon. On parle d’une « belle personne » en parlant de ses qualités morales et « vilain » est synonyme de « méchant », comme s’il suffisait d’être beau pour posséder toutes les qualités. Les enquêtes de psychologie sociale le confirment : la beauté est spontanément liée à l’intelligence, la gentillesse, la santé, la sympathie, etc.

On peut alors se demander quel impact la beauté a dans la vie quotidienne.  Ses facteurs pourraient jouer, de façon plus ou moins consciente, non seulement en amour, mais aussi à l’école, sur le marché du travail ou dans la justice.

La sélection par le beau

La sélection beau/laid opère dès l’école. Elle débute dans la cour de récréation où les moches sont déjà persécutés. De nombreux enfants souffrent en silence  de ces nombreuses persécutions faites envers ceux qui ont le “malheur” d’être trop gros, trop petits, de loucher ou d’avoir des dents mal placées.

Il se peut aussi que les enseignants puissent avoir aussi une préférence pour les beaux. Expérience: Prenez une pile de copies et faites la corriger par un groupe de professeurs. Relevez les notes puis proposez les mêmes copies à un autre groupe d’enseignants en y adjoignant la photographie des étudiant(e)s. Résultat : les physiques vus comme plutôt sympathique améliorent leur note et les physiques vus comme moins regardant perdent des points. À l’oral, le phénomène est effectivement encore plus marqué puisque l’examinateur et en contact direct avec la personne. L’apparence joue en faveur des plus beaux sans que les enseignants en aient conscience.

Le même protocole peut être appliqué aux entretiens d’embauche. Un visage disgracieux sur une photo de candidature est un handicap. De même, un CV avec un visage d’obèse a moins de probabilités de décrocher un entretien d’embauche qu’un autre. Certaines entreprises recrutent en tenant compte explicitement de l’esthétique. C’est le cas pour certains métiers où les salariés sont toujours regardés : hôtesse d’accueil, de l’air, présentateur de télévision, etc. Il est toujours mieux pour l’image de marque d’une entreprise que les salariés qui représentent celle-ci soient beaux. De plus, il a été démontré par des sociologues que les personnes les plus belles attirent plus de sympathie de la part de leurs collègues. On recherche plus à se rapprocher de celle-ci. Et inversement, il y a une mise à l’écart des obèses, des laids ou des handicapés. La discrimination par la beauté qui existait déjà à l’école se poursuit au travail.

Les beaux vers les beaux et inversement

Une “belle gueule” a évidemment infiniment plus de chance de pouvoir séduire la femme de ses rêves que quelqu’un ayant moins d’atouts physiques. Mais tout le monde n’a pas forcément l’intelligence débordante de Sartre pour compenser un physique vu comme ingrat.

Il y un développement certain dans le maquillage, la musculation, les régimes amaigrissants, les produits « antiâge », antirides, la chirurgie esthétique, le Botox. On ne s’en rend pas forcément compte mais la beauté est un atout considérable dans les relations humaines. De nos jours, il faut être mince, beau, intelligent et surtout ne pas vieillir. Vieillir est perçu comme la “détérioration” du corps, donc l’apparition du laid, et la réduction des capacités physiques. Ce conformisme renvoie a de nombreux problèmes connus comme l’anorexie ou la boulimie pour “être aussi mince” que les femmes perçues comme parfaites : les mannequins.

Cependant, une personne dite moche peut très bien être vue comme sublime par une autre personne et inversement. Heureusement, les personnes avec un physique dit non avantageux ne sont pas non plus condamnées ! (Puisque celles-ci peuvent très bien être adorées par quelqu’un d’autre qui possède des préférences diverses de la majorité). Nos goûts sont différents même si la société nous incite à aimer les personnes “conformes”; mais c’est cette diversité qui fait que nous sommes tous intéressants. Si nous nous ressemblions tous, la vie serait certainement ennuyeuse et il n’y aurait rien à découvrir.

D’après l’article de Jean-François Dortier, Sciences humaines.