“zoom” de l’activité en haute mer d’un Manchot royal

11 03 2011

Étudier l’activité cardiaque en mer permet de progresser dans la compréhension des remarquables performances physiologiques réalisées par cet oiseau en milieu pélagique.

“Six jours de l’activité de plongée d’un manchot”

Ce graphique montre les rythmes d’activités d’un manchot équipé le 29 janvier et revenu le 9 février. Il montre clairement que l’immense majorité des plongées (depth = profondeur) ont lieu de jour, qu’il peut y en avoir plusieurs centaines sur 24h et qu’elles emmènent le manchot régulièrement au-delà de 200 mètres de profondeur. Les données de pression de l’eau sont enregistrées toutes les secondes, il est donc possible d’avoir un profil très précis de toutes les plongées en zoomant sur le graphe.

“Huit minutes de fréquence cardiaque en fonction de la profondeur de plongée”

Ce graphe est un zoom sur le graphe précédent. Il détaille l’activité cardiaque lors d’une plongée de 3.5 minutes qui a emmené le manchot à 100 mètres de profondeur. Sa fréquence cardiaque est passée de 200 BPM en surface à moins de 50 BPM au plus profond de sa plongée.

“Soixante minutes de fréquence cardiaque en fonction de la profondeur de plongée”

Ce dernier graphique montre une heure de l’activité d’un Manchot royal en haute mer. Ce manchot, E8 (pour 8ème ECG posé)a été équipé le 3 février, (à 9,25 kg). Il est revenu de son voyage en haute mer le 24 février, ayant grossi de 2,25 kg. Les courbes bleues indiquent les plongées successives, jusqu’à 100 m de profondeur, et les courbes vertes sont celles de la fréquence cardiaque. Le graphe montre clairement une diminution de la fréquence cardiaque lors des phases de plongée (de 200
BPM à 50 BPM), qui nécessite pourtant de puissants battements d’ailerons pour atteindre de telles profondeurs. C’est l’une des adaptations métaboliques du Manchot royal qui, couplée à une chute spectaculaire de la température corporelle dans certaines zones du corps (intestins, peau), lui permet de rester en apnée bien plus longtemps que ce que les modèles
théoriques ne le prévoient.

D’autres graphes inédits ont été tracés pendant cette campagne, notamment par Kozue Shiomi qui a équipé 10 manchots d’accéléromètres permettant de retracer le trajet du manchot dans les grandes profondeurs dans les 3 dimensions. Pour des raisons d’exclusivité mondiale, ces tracés ne seront pas diffusés avant leur publication par une revue scientifique.


Regard de Charly Bost sur les suivis réalisés lors de cette mission

11 03 2011

“Cette année, des Manchots royaux ont pu être équipés de balises Argos et de GPS, permettant la localisation précise de leurs
déplacements alimentaires à très grande échelle.
Les Manchots royaux sont des athlètes hors pairs, capables d’aller régulièrement à chacun de leur voyage alimentaire (qui dure entre 12 et 25 jours habituellement), à plus de 450 km, dans les eaux du front polaire.
Cette « barrière océanographique » est la limite d’influence des eaux de l’antarctique et abrite des stocks de ressources importants. Accomplies à la nage, dans l’océan Austral souvent démonté, ces performances sont encore plus étonnantes lorsqu’on sait que ces manchots accomplissent plusieurs dizaines de grandes plongées par jour, pouvant dépasser 300m.
Cette année, les manchots ont été plus loin que d’habitude. Certains comme le manchot baptisé “Crush” par le programme Argonimaux (et A2 par l’équipe du 394), est allé à plus de 780 km pour pêcher sa nourriture. La présence d’une anomalie chaude dans l’océan Indien, au nord de Crozet en est probablement la cause. Le suivi par balises Argos des Manchots royaux a
été lancé à Crozet il y a près de 20 ans. Un tel suivi fournit aux scientifiques une base de données unique pour étudier les déplacements interannuels des manchots en rapport avec la distribution de leurs principales proies, les poissons lanternes. Ces minuscules poissons (1 à 9g) sont à la base de l’alimentation d’une grande partie de la biodiversité des prédateurs marins  de cet océan (pétrels, otaries, éléphants de mer,..).  L’étude de ces trajets en mer est en train de permettre aux scientifiques du CNRS de Chizé de modéliser l’impact du changement climatique sur les manchots et leur survie. Les premières analyses sont pessimistes : si les eaux sont réchauffées dans le prochain siècle comme l’indique les modèles climatiques, les manchots devront aller beaucoup plus au sud,  400 km plus loin, ce qui va doubler leurs voyages en mer. Or, si les manchots restent trop longtemps en mer, ils reviendront trop tard à la colonie pour nourrir à temps leurs jeunes qui mourront d’inanition. La population de manchots de Crozet, une des plus au nord de l’aire de répartition, devra émigrer à moyen terme pour survivre, dans des localités plus au sud, comme Kerguelen ou la Péninsule Antarctique. ”

Charles-André BOST, Chargé de Recherche au CEBC.

Responsable du programme de recherche N° 394 : “Oiseaux plongeurs”, soutenu par l’Institut Polaire Français, mené dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises.



« Regard d’Antoine sur les oiseaux de Crozet… »

11 02 2011

La colonie de Manchot royaux occupe entièrement la plage et les  premières centaines de mètres de la vallée. C’est la “Grande manchotière”constituée de 20 à 30 000 manchots royaux.


Le manchot
royal et son poussin, Crozet janvier 2011. © A.Joris

Plusieurs autres  espèces d’oiseaux fréquentent aussi la crique, toutes ou presque étant  intimement associées à la présence des manchots. Il y a les Chionis  (ou Bec-en-fourreau), drôles de petits oiseaux blancs de la taille  d’un pigeon, très curieux et voleurs. Ils courent partout entre les  manchots, entre les jambes des scientifiques, entrent dans les locaux pour y  voler un crayon, donnent des coups de bec à une paire de jumelles qui traîne  ou sur les bottes d’un chercheur assis sur la plage. Ils se nourrissent  de tous les petits déchets associés à la présence des manchots : oeufs cassés, fientes, bouts de cadavres. Ils ont donc un rôle important  de nettoyage de la colonie.

 Les Chionis, Crozet janvier 2011. © A.Joris 

Deux autres espèces ont également un rôle  prépondérant dans la bonne santé d’une colonie de Manchots royaux : le skua  (ou Labbe subantarctique) et le pétrel géant (en fait deux espèces : Pétrel  géant antarctique et Pétrel géant subantarctique, on ne les différencie que  par des détails de plumage).

Le Pétrel géant, Crozet janvier 2011. © A.Joris 

Le skua se charge d’évacuer les oeufs abandonnés et les petits poussins morts, dont il se nourrit. Il ne volera pas un oeuf ou un poussin couvé par un manchot adulte, ceux-ci sont inaccessibles dans la  poche incubatrice du manchot qui défendra férocement son unique petit. Quant au pétrel géant, son rôle est plutôt de débarrasser la colonie des  cadavres de manchots adultes ou de poussins de grande taille. Il lui arrive aussi d’abréger les souffrance d’un manchot malade et devenu incapable de  se défendre. Par contre il n’aura aucune chance de tuer un manchot en bonne santé, il se prendrait de violents coups de bec qui auraient vite fait  de le décourager. Lorsqu’un manchot meurt, la curée des Pétrels géants a  très vite fait de nettoyer entièrement le cadavre, dans un ballet  très impressionnant de grognements, de sang, de tripes et de coups de becs,  les pétrels étant très agressifs les uns envers les autres quand vient  ‘heure du repas.

Le skua  ou Labbe subantarctique, Crozet janvier 2011.© A.Joris 

Ces trois espèces, Chionis, Skua et Pétrel géant,  sont donc les nettoyeurs et charognards indispensables à la bonne santé d’une  colonie de manchots royaux comme celle que l’on trouve dans la baie du Marin.  Sans eux, les oeufs abandonnés et les cadavres pourriraient au milieu de la  colonie et mettraient en péril la bonne santé des autres manchots.

D’autres oiseaux fréquentent la Baie du Marin… Le manchot papou et le Gorfou macaroni. Alors que le Papou est présent tous les jours (quelques dizaines d’individus, qui se tiennent généralement à l’écart des Manchots royaux), le Gorfou quant à lui est un visiteur plus irrégulier.


Le manchot papou(Pygoscelis papua), Crozet janvier 2011. © A.Joris

En d’autres endroits de l’archipel par contre il peut être extrêmement abondant et ses effectifs à Crozet se situent entre 2,4 et 3,9 millions de couples soit deux à trois fois plus que les effectifs de Manchot royal.

Le Gorfou macaromi, Crozet janvier 2011. © A.Joris

Il existe une seule espèce de goéland/mouette à Crozet : le Goéland dominicain. Ce n’est pas un endémique puisque cette espèce opportuniste est présente sur toutes les côtes de l’hémisphère sud, et jusqu’en Antarctique.

Le Goéland dominicain, Crozet janvier 2011. © A.Joris

 

Par contre ce sont deux espèces de sternes qui nichent à Crozet : la Sterne antarctique, largement répandue sur pratiquement toutes les îles subantarctiques et la très rare Sterne de Kerguelen. Les effectifs mondiaux de cette dernière s’élèvent à seulement 2500 couples, dont 80% sur Kerguelen et le reste sur les îles Crozet et Marion. Les milliers de chats (sans doute plus de 10 000) présents sur les îles Kerguelen constituent une grave menace pour tous les oiseaux marins de petite taille, ayant déjà exterminé des millions de petits pétrels.


 

La Sterne de Kerguelen, Crozet janvier 2011. © A.Joris

Ces deux sternes fréquentent la Baie du Marin en petits nombres. Elles adoptent un comportement différent, celui de la Sterne de Kerguelen ressemblant plus à celui d’une guifette qu’à celui d’une sterne (les ornithos sauront ce que je veux dire !). Leur période de nidification diffère également, puisque si la Sterne antarctique est en pleine incubation en ce moment, celle de Kerguelen a terminé de se reproduire et arbore déjà son plumage hivernal, au front blanc caractéristique.

La sterne antarctique, Crozet janvier 2011. © A.Joris

L’oiseau le plus discret de la baie du Marin est lui aussi un endémique des TAAF (Crozet et Kerguelen uniquement): c’est le Canard d’Eaton. On dit ici que c’est le canard « le plus lourd du monde ». Je vous laisse comprendre pourquoi … Plus sérieusement, ce canard autrefois chassé par les membres des expéditions subantarctiques ressemble beaucoup à notre Canard pilet mais en nettement moins coloré, surtout à cette saison quand les mâles sont en plumage d’éclipse. La population de Kerguelen est elle aussi très menacée, pour le même motif que la sterne dont je parlais plus haut : les chats, oubliés sur l’île par nos prédécesseurs du 20ème siècle. En Baie du Marin, nous ne voyons pas le Canard d’Eaton tous les jours. Un ou deux couples se montrent de temps en temps.

 

 

Le canard d’Eaton, Crozet janvier 2011. © A.Joris

Voilà pour la seconde partie de la présentation des oiseaux de la Baie du Marin. Il y manque encore les trois espèces qui nichent un peu plus haut sur les pentes herbeuses : Albatros hurleur, Albatros à dos clair et Pétrel à menton blanc. J’y reviendrai ultérieurement, ainsi que sur un autre endémique : le Cormoran de Crozet.

A très bientôt

Antoine.