L’aménagement flexible est “un déclencheur”

L’aménagement flexible est “un déclencheur” pour changer la façon d’enseigner (Marion Tellier, AMU)

Alors que plus de la moitié des écoles innovantes du plan “Marseille en grand” proposent des projets de classe flexible, la chercheuse Marion Tellier présente les 1er résultats d’une étude réalisée dans un collège, un niveau rarement observé sous l’angle de l’aménagement de l’espace d’enseignement. Elle se penche sur le choix de l’assise et montre comment il “facilite l’engagement dans la tâche scolaire” et “influence les pratiques pédagogiques des enseignants”. La diminution des “moments frontaux et des enseignements descendants” favorise des “parcours d’apprentissage plus personnalisés”.

Le projet Aflex étudie le choix par les collégiens de l’assise qui leur convient et l’effet qu’ils ressentent sur l’attention, la motivation, l’autonomie et le bien-être à l’école. Droits réservés – DR

“Ce ne sont encore que les résultats préliminaires d’une étude qui a démarré à l’automne 2021”, prévient Marion Tellier (laboratoire Parole et langage, Aix-Marseille université-CNRS) qui, mi-décembre 2022, présente le projet Aflex, sur l’aménagement flexible des classes, financé par le pôle pilote de formation des enseignants Ampiric (1), ainsi que par l’institut Créativité et Innovations (AMU). 

Elle analyse le choix par les élèves de l’assise qui leur convient : au sol, sur des coussins, contre le mur sous le tableau, sur un ballon, une chaise à roulettes, un pupitre mobile… à certains moments de la classe pour faciliter leur engagement dans la tâche scolaire.

Marion Tellier suit les classes de 6e, 5e, 4e et 3e de six enseignants de français, anglais, mathématiques et provençal du collège Alphonse Silve à Monteux (84), par le biais de séquences de cours filmées, 14 à ce jour, et d’entretiens avec les élèves – 39 avec 49 collégiens. “C’est un collège classique, qui ne bénéficie d’aucun financement particulier, avec des classes à 30 élèves environ”, précise Marion Tellier. L’ensemble des entretiens sont transcrits dans un logiciel pour être analysés par thématiques.

CONFORT ET AUTONOMIE DES ÉLÈVES

Dans ces classes, les enseignants proposent à leurs élèves “des moments flex” : après avoir écouté la consigne de travail, l’élève peut se lever et s’installer où il le souhaite pour réaliser la tâche demandée. “En début d’année, on constate que les élèves aiment beaucoup s’asseoir par terre, ils ont envie d’expérimenter”, remarque Marion Tellier. “Ils sont beaucoup moins nombreux en fin d’année car ils se rendent compte que ce n’est pas confortable pour écrire. Ils essaient et tâtonnent pour voir ce qui est le mieux pour eux.”

Interrogés, les élèves confient comment ils s’approprient cette nouvelle pratique et l’effet qu’ils ressentent sur l’attention, la motivation, l’autonomie et le bien-être à l’école. “Ils apprécient de pouvoir sociabiliser avec les élèves de leur choix, et se rapprocher ainsi d’un ami à qui il sera plus facile de demander de l’aide. Ils parlent aussi du confort, de leur droit à s’asseoir où ils veulent et de la possibilité de bouger. Autant de libertés dont ils sont plutôt privés au collège”.

“Les élèves se sentent également plus autonomes, c’est-à-dire à l’écoute de leurs propres besoins : trouver l’assise qui leur correspond leur permet de mieux se concentrer et mieux travailler. Un élève m’a dit : je me suis mis seul au fond pour ne pas parler”, poursuit Marion Tellier. Avec le choix de l’assise, les élèves apprennent aussi à se respecter dans leurs besoins d’adopter des postures différentes.

L’enseignant peut circuler entre les élèves et passer plus de temps avec ceux en difficulté, observe Marion Tellier.  | Droits réservés – DR

DES RÈGLES POUR PRÉVENIR LES DÉRIVES

Les enseignants ont mis en place des techniques contre d’éventuelles dérives, et exposent très explicitement les règles à respecter. Par exemple, un timer minute le temps d’installation. Ailleurs, un code couleur réglemente le niveau sonore autorisé dans la classe selon la nature de la séquence de travail. La consigne du travail à faire est donnée avant l’annonce du moment flex pour éviter toute dispersion d’attention.

L’autorégulation semble aussi bien fonctionner. “S’il y a une difficulté, l’enseignant ne change pas l’élève de place, il le laisse tester”, remarque Marion Tellier. “En expérimentant, l’élève se rend compte de lui-même de ce qui marche ou pas pour lui. Le rôle de l’enseignant consiste simplement à le lui faire verbaliser.”

UN SYSTÈME APPROPRIÉ POUR LA DIFFÉRENCIATION PÉDAGOGIQUE

La flexibilité des assises semble stimuler “la créativité des élèves”, relève-t-elle aussi. Par exemple, les collégiens s’installent volontiers sous les tables. Elle influence aussi les pratiques pédagogiques des enseignants. “Un professeur qui introduit des assises différentes dans sa classe est amené à revoir tout l’aménagement de sa classe, lequel influence sa pratique professionnelle. L’aménagement flexible est un déclencheur.”

Marion Tellier observe ainsi “une diminution des moments frontaux et des enseignements descendants” au profit de “parcours d’apprentissage plus personnalisés”. “La recherche reconnaît d’ailleurs que l’aménagement flexible est un système approprié pour pratiquer la différenciation pédagogique”, rappelle-t-elle. Ainsi, “les activités réalisées en autonomie ou en petits groupes sont plus nombreuses. Les élèves les plus à l’aise peuvent s’autocorriger et passer à un exercice de difficulté supérieur sans attendre, tandis que l’enseignent peut circuler entre les élèves et passer plus de temps avec ceux en difficulté.”

(1) Ampiric est soutenu par l’Etat dans le cadre de l’action “Territoires d’innovation pédagogique” du PIA 3.