“Oradour” de Jean Tardieu in les Dieux Etouffés (1944)

tardieuOradour n’a plus de femmes

Oradour n’a plus un homme

Oradour n’a plus de feuilles

Oradour n’a pas plus de pierres

Oradour n’a plus d’église

Oradour n’a plus d’enfants.

plus de fumée plus de rires

plus de toits plus de greniers

plus de meules plus d’amour

plus de vin plus de chansons.

Oradour j’ai peur d’entendre

Oradour je n’ose pas

approcher de tes blessures

de ton sang de tes ruines,

je ne peux, je ne peux pas

voir ni entendre ton nom

 

Oradour je crie et hurle

chaque fois qu’un cœur éclate

sous les coups des assassins

une tête épouvantée

deux yeux larges deux yeux rouges

deux yeux graves deux yeux grands

comme la nuit la folie

deux yeux de petit enfant :

ils ne me quitteront pas.

Oradour je n’ose plus

Lire ou prononcer ton nom

Oradour honte des hommes

Oradour honte éternelle

Nos cœurs ne s’apaiseront

que par la pire vengeance

haine et honte pour toujours.

 

 

Oradour n’a plus de forme

Oradour femmes ni hommes

Oradour n’a plus d’enfants

Oradour n’a plus de feuilles

Oradour n’a plus d’église

plus de fumées plus de filles

plus de soir ni de matins

plus de pleurs ni de chansons.

 

Oradour n’est plus qu’un cri

et c’est bien la pire offense

au village qui vivait

et c’est bien la pire honte

que de n’être plus qu’un cri

nom de la honte des hommes

le nom de notre vengeance

qu’à travers toutes nos terres

on écoute en frissonnant

une bouche sans personne,

qui hurle pour tous les temps.

 

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