Le monde cartographique d’Astérix – épisode 1

Posted by Michaël PIAT on 13 juillet 2021 in Géographie |

Chaque album des aventures de l’incroyable et surpuissant petit Gaulois est introduit avec un texte et une carte. Nous en proposons ici une lecture particulière…

La page de garde de chaque album d’Astérix est sans doute une des pages les plus familières du grand public comme des élèves. Elle offre une belle initiation à la transposition en langage cartographique d’un texte géographique. Bien sûr, la rigueur scientifique attendue dans les épreuves d’E3C n’est pas le souci de René Goscinny et d’Albert Uderzo, qui utilise le langage de la bande dessinée pour transposer leur texte et faire correspondre la carte et le texte. Il n’empêche : une corrélation intéressante existe entre le texte et la carte.

Nous disposons d’un certain nombre d’informations de temps et d’espace. Placées au Ier siècle avant J.-C., les aventures d’Astérix se déroulent dans un contexte géopolitique particulier : après la conquête des Gaules, présentées comme « la Gaule », tandis que la carte expose une nomenclature confuse, entre une Gaule en majuscule et des provinces aux dénominations inexactes, qui doivent parler tant de l’Antiquité que de la France des années 1950, dans une nomenclature également en majuscule mais dans une taille de caractère inférieure. Difficile de se situer dans l’espace historique des Gaules romaines avec ces indications ! La conquête elle-même ne se lit pas de manière conventionnelle : aucun graphisme ne montre aux lecteurs l’emprise des Romains sur ces territoires. Un seul élément polysémique la suggère : le [xxx]. Tel que Goscinny le plante, il produit un impressionnant effet de 3D, avec une vue en plongée et une ombre terrifiantes. L’objet est en effet planté : le choc contre la terre la fissure, non seulement, peut-être, en plusieurs provinces romaines telles qu’elles sont dites par la nomenclature, mais sans doute aussi pour suggérer l’écho de l’implantation et de la diffusion du pouvoir romain sur toute la « Gaule » au singulier. Diffusion à venir puisque nous ne sommes qu’au début de la romanisation de ces espaces. Les fissures peuvent aussi suggérer l’enracinement en profondeur à venir de la romanisation. Un seul élément pourtant confirme la romanisation au-delà de l’emblème du pouvoir romain : la cité de Lutèce, ancêtre de Paris, alors que Lyon devient la première capitale des Gaules – à qui s’adressent alors les auteurs avec cette carte ? Question déterminante en cartographie. La BD est-elle pour un lectorat qui ne peut penser l’organisation contemporaine de la France dans les années 1950 sans envisager une autre centralité que la centralité parisienne, ou les auteurs refusent-ils de s’affranchir de cette centralité pour conquérir commercialement le lectorat habitué à cette fausse centralité dans la deuxième moitié du Ier siècle av. J.-C. ? La cité reste néanmoins associée au figuré ponctuel du cercle, ce qui n’est sans doute pas par hasard : le carré suggère en sémiotique de la cartographie une certaine stabilité, pour ne pas dire une fixité certaine, tandis que le cercle est perçu comme une figure qui peut s’étendre – de Lutèce à Paris ?

Le texte envisage ensuite une résistance sur ce territoire : un « village » s’oppose aux Romains, le village des célèbres « irréductibles » Gaulois. Changement d’échelle donc, avec une traduction dessinée aussi forte que l’effet produit : une loupe posée sur le village. Le changement d’échelle correspond à un effet de zoom mais sur la carte elle-même, ce qui laisse les deux espaces, l’espace gaulois sous l’empire de Rome et l’espace du village encore indépendant, totalement associé. Une question se pose : où se trouve ce terrible village que César ne soumet jamais ? Normandie ou Bretagne ? La forme du trait de côte et l’effet de loupe suggère les deux littoraux du nord-ouest de la France actuelle mais la présence de trois rochers dans la mer rappelle le cap d’Erguy dans le nord du Finistère. Au fond, peu importe, sinon pour la gloire touristique des lieux qui revendiquent cette association géo-bédésque. Nous pouvons remarquer que cet effet de loupe est une réponse à l’emblème romain qui n’écrase pas finalement toute la carte.

Cette carte, enfin, évoque cette géographie vidalienne des années 1950, tout entière consacrée au relief, aux formes physiques du territoire, premières études de tout manuel de géographie. Les massifs montagneux et l’hydrographie sont reproduits avec une exactitude impressionnante, comme une page de manuel ou de livre de géographie, que chaque petit.e Français.e doit savoir reconnaître, comme si cette France existait dès la Gaule – remarquons que la carte semble à l’échelle nationale, celle de la France, pas vraiment à l’échelle des Gaules, ni à l’échelle des peuples celtiques, ni élaborée selon les informations que les Romains affectionnent de spatialiser.

Finalement, la codification du texte en image – une carte est avant tout une image – produit un discours bien plus complexe que le texte lui-même, riche de sens et d’ambiguïtés. Les deux sont indissociables, mais la carte enrichit le texte. Dans ce cas de figure, la carte n’est pas reproduction graphique du texte, ni équivalence stricte, elle transpose dans un autre langage les informations que contient le texte, et l’enrichit de représentations propres à l’époque des auteurs, même si certains éléments de leur langage cartographique sont encore utilisés aujourd’hui. Pour que fonctionne ce passage d’un langage à l’autre, il faut établir un compromis entre leur travail d’écriture de l’histoire racontée dans le texte d’introduction aux aventures d’Astérix et Obélix, et leur travail de maîtres de la bande dessinée qui ne font pas œuvre de géographique historique ou contemporaine, mais qui veulent spatialement informer leurs lecteurs et les faire rire – on peut supposer que l’effet de loupe annonce aussi les « gros nez » des personnages, les exagérations à venir, les mécanismes de la caricature, donc les déformations. Les auteurs provoquent avec la carte et la loupe, avec les informations spatio-temporelles, un effet de vérité qu’il faut impérativement contextualiser et déconstruire, au risque sinon de prendre cet effet au pied de la lettre. La vérité de la carte est donc relative et reste un point de vue, celui des auteurs. N’oublions pas que l’effet de loupe est un effet grossissant, donc déformant, comme si l’histoire qui doit se dérouler sur la carte est une histoire déformée mais qui prend pied sur un espace qui a existé – de tout temps comme la carte physique pourrait le laisser entendre ?

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