“J’aimerais que l’on m’interviewe pour ce que je fais et pas pour ce que je suis !” Ultia, une femme dans le gaming

Dans le cadre de la Journée Internationale des Droits des Femmes, nous avons interviewé Ultia, une streameuse sur Twitch et vidéaste sur Youtube. Nous l’avons questionnée sur la difficulté d’être une femme dans le monde du gaming.

Peux-tu te présenter : toi, ton parcours et tes débuts dans le gaming ?

Je m’appelle Ultia, de mon vrai nom Carla. J’ai commencé à streamer en septembre 2017 car pour mon anniversaire on m’avait offert la Nintendo Switch et un boitier pour streamer. En parallèle je regardais d’autres streamers comme Pixia qui jouait aux Sims et Bibi TM à plein de jeux Nintendo, alors je me suis dit que j’allais faire pareil. J’ai fait du stream mon métier à partir de juillet 2020.

De ton point de vue, quels sont les inconvénients d’une femme dans le monde du gaming ?

Être une femme dans le monde du gaming, c’est comme être une femme dans la vie de tous les jours ! Certains viewers ne peuvent pas regarder des streameuses, ils préfèrent regarder un streamer (donc un homme, ndlr) comme si c’était leur pote. D’autres sont là pour m’insulter gratuitement, simplement parce que je suis une femme. On m’adresse donc des insultes “normales” et des insultes misogynes en plus, comme “Retourne à la cuisine”. Mais cela arrive aussi sur les plateaux de stream : on va me présenter comme la “belle” Ultia ou la “magnifique” Ultia ; les garçons ont des propos un peu sexistes sans s’en rendre compte alors qu’ils ne présenteraient jamais un autre garçon comme le “beau” Ponce (un streamer français très populaire, ndlr). Ils diraient plutôt le “boss” ou “l’extraordinaire” Ponce.

Est-ce qu’être une femme dans le monde du gaming , c’est devoir faire davantage ses preuves que les hommes ?

Oui. Quand tu es une fille, tu dois faire deux fois plus tes preuves. Quand j’étais en plateau pour le RéCAP Week-End je devais préparer deux fois plus mes chroniques alors que Ponce n’avait qu’à “être” Ponce. Quand tu joues dans un secteur plus masculin comme le gaming, les filles doivent faire plus de preuves et montrer qu’elles aussi peuvent aimer le gaming. Je devais donc être deux fois plus préparée.

D’après toi, les femmes sur les réseaux sont-elles systématiquement sexualisées ?

Oui, mais ça dépend des personnes. Dans les pubs, dans les jeux comme dans la vie de tous les jours, les femmes sont souvent mises en avant avec des décolletés et des robes… En France on retrouve peu de streameuses qui se sexualisent. En revanche lorsqu’on regarde le top des live des autres pays, on retrouve beaucoup de femmes en petite tenue. De mon point de vue, chacune fait ce qu’elle veut : je ne vois pas cela comme quelque chose de négatif et je ne porte pas de jugement.

Ultia, lors de notre interview. Crédit photo : Ultia/CGS Post

Penses-tu que l’on parle trop des femmes pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles font ?

Je trouve que cette question très intéressante. Je reçois beaucoup de demandes d’interview, pour passer sur des plateaux ou pour répondre à des journalistes et 90% du temps, ce sont des demandes d’interview pour savoir ce que ça fait d’être une femme dans le monde du gaming. On ne demande jamais à mes homologues masculins ce que ça fait d’être un homme dans le monde du gaming, et j’aimerais que l’on m’interviewe pour ce que je fais et pas pour ce que je suis !

Concernant la polémique du Z Event 2021 (voir notre article ici), crois-tu que si Inoxtag avait été une femme il aurait eu droit au même soutien de ses viewers ?

C’est évident que non. Si Inoxtag avait été une jeune fille de 19 ans et qu’elle avait invité un acteur mexicain de 29 ans, c’est elle qui aurait été insultée : elle aurait été une “pute” de lui dire des choses obscènes, de lui dire de “passer sous le bureau”, de lui faire des sous-entendus sexuels… C’est sûr que c’est la fille qui se serait fait insulter.

C’est pour cela que tu as réagi comme tu l’as fait ?

Pas seulement. J’étais fatiguée d’avoir streamé longtemps, et j’ai réagi comme ça parce que j’en ai marre que l’on rabaisse les femmes au rang d’objet, même si ce sont des amis, même si c’est pour rigoler. Là, c’était devant 400 000 personnes – un record sur Twitch – dont énormément de personnes jeunes et qui peuvent croire que c’est normal que faire répéter à une fille étrangère “j’ai une grosse b***” , c’est humiliant surtout devant autant de monde. Et même si elle avait parlé français ç’aurait été quand même humiliant. On sexualise sans cesse les femmes et c’est encore une fois un mec de 19 piges qui se permet de dire des choses obscènes à une femme devant 400 000 personnes, et le pic de viewers a été battu car les gens adorent sexualiser les femmes. Certains ont affirmé que j’étais jalouse mais je n’ai pas voulu faire le buzz et je n’ai pas gagné de viewers depuis la polémique. Je savais d’ailleurs que j’allais me faire insulter.

Pour finir, peux-tu décrire ton métier en 1 seul mot ?

Je dirais “partage”. Parce que c’est ça qui m’a donné envie de me lancer sur Twitch : le fait de pouvoir partager ses parties de jeux vidéos, de pouvoir parler dans le tchat, les prédictions, pouvoir rigoler, discuter ensemble… Les viewers rythment vraiment les parties, on n’est plus seul !