S’initier aux sciences politiques avec … les schtroumpfs ! :) – 1/3
Les disicplines les moins évidentes peuvent s’approcher avec des outils d’une grande simplicité en apparence. Peyo nous offre, avec le deuxième volume des aventures en bleu et blanc des schtroumpfs, l’occasion de revenir sur quelques éléments clés des sciences politiques – avec l’espoir que n’importe quel docteur en sciences politiques qui s’égarerait à lire ces lignes, garde en tête que l’objectif n’est pas de former des politistes / politologues mais d’initier des adolescents de 16 ans à une réflexion particulière, avec un langage spécifique et des méthodes adaptées aux contraintes d’un programme d’enseignement en lycée…
Au tout début du Schtroumphissime, le Grand Schtroumph annonce aux siens qu’il doit partir. Il prend leur précaution de leur demander de rester bien “schtroumphs”, sans doute “sages”, puis il quitte le village comme il semble quitter la case, l’histoire qui se prépare… A chaque lecture, ce fringant vieillard me fait penser au roi philosophe, celui que Platon à tenter d’incarner en Sicile, avec moins de succès que le Grand Schtroumph. Sa demande laisse entendre que le risque existe que les Schtroumphs ne soient pas aussi schtroumphs qu’il l’espère…
Au pied de la même planche qui expose le départ du grand schtroumph, comme en réponse à ses craintes, alors qu’il est déjà loin, une bagarre générale éclate: la proposition du Schtroumph à lunettes de succéder temporairement au Grand Schtroumph, ne fait pas l’unanimité. Le roi philosophe n’est plus, quel roi pour le pays des Schtroumphs ? Son absence crée un vide qui se remplit de violence. Il reste aux Schtroumphs à trouver une solution avant de sombrer dans le chaos.
Schtroumph a compris: se faire élire, ce qui passe par des promesses à chacun. Servir l’intérêt particulier plutôt que l’intérêt général ? Promettre comme le pâtissier plutôt que raisonner comme le médecin ? La dernière bande de la planche souligne à quel point le temps presse, des allers retours encadrent le moment d’échange a priori innocent avec l’un ou l’autre…Il faut convaincre la majorité des Schtroumphs…ou les séduire…
Alors commence la campagne électorale: affichage politique, à la fois sauvage, sur les murs des maisons champignons, ou “officiel”, sur un panneau – la distinction ne vaut que pour les lecteurs.rices, semble-t-il, guère pour les Schtroumphs indifférents au support. Mais plus sensibles à la manifestation de soutien, qui rassemble nombre d’entre eux, ce qui est pour Peyo l’opportunité d’un plan large, vue de trois quarts aérien. Le village est en liesse ! Si ce n’est pas encore le défilé du vainqueur, c’est bien celui du grand favori, monté sur un char comme un chef militaire romain qui recueille les applaudissements du public. Un triomphe avant l’heure, qui annonce peut-être la tendance narcissique de Schtroumph…
Et les sciences politiques alors ? Ces moments de campagnes électrorales rappellent la vie politique au sens de celles de ses acteurs, rivaux dans la conquête du pouvoir, qui recourent à toutes les techniques de la rhétorique et de la communication pour arriver à leurs fins…
Utiliser la BD en EMC en 1STMG
Toute l’année scolaire dernière, des élèves de 1STMG ont été initiés à la lecture de Bandes dessinées, dans le cadre d’un concours de lecture créé par les médiathéquaires de la Médiathèque de Saintes, dont le thème était la différence. Voilà un thème qui relève tout à fait de l’EMC, qui traite, en première générale comme en première technologique, du lien social, donc de la différenciation des individus comme frein ou vecteur de lien social dans une société, la société française, fondée sur les principes de la liberté individuelle et du consentement à vivre ensemble par contrat – comment donc à la fois s’attacher à la société sans se fondre et se perdre dans la société ? Avec des angles très différents, les quatre ouvrages retenus abordent la fragilisation de l’individu, la recomposition du lien social, les identités revendiquées, l’intégration plus ou moins facile.
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Les élèves ont découvert des univers graphiques et culturels très variés, qui proposent des réflexions sur la question de genre (Le Jardin), sur les discriminations raciales (Blanc autour), le harcèlement (La Falaise) ou l’autisme (Le Spectateur). Deux autres lycées de la ville de Saintes complétaient avec trois classes, l’effectif de lecteurs et lectrices destinées à voter pour désigner leur BD préférée.
Les élèves ont majoritairement porté leurs suffrages sur Le Spectateur, dont le point de vue choisi, celui d’avoir l’illusion d’être à la place du personnage principal et de voir l’histoire de ses propres yeux, ceux du personnages et ceux du lecteur.rice, a profondément bouleversé ce jeune public.
Mais l’auteur n’a pas pu venir à Saintes. Sans y perdre au change, les élèves ont rencontré Manon Dubaye, l’autrice de La Falaise, à qui ils avaient de nombreuses questions à poser, sur le déroulement de l’histoire, la construction du scénario et les choix graphiques pour dessiner les planches. Ce qui démontre qu’ils avaient un regard critique sur une histoire qui les a touchés particulièrement.
Regard d’autant plus affuté que les BD abordent des notions réutilisables en droit, une des nouvelles disicplines que les élèves découvrent dans une filière très exigente en connaissances, rigueur et investissement. La professeure de droit était donc naturellement associée à ces lectures. Confronter les points de vue, apprendre à décloisonner, formuler son opinion argumentée sur des lectures, voilà autant de compétences qu’il faut travailler au lycée en général, en EMC tout particulièrement.
Les échanges tout au long de l’année avec nos amies médiathéquaires ont été fructueux pour les élèves et pour elles. Des problèmes de santé ne m’auront pas permis de les accompagner jusqu’au bout de cette aventure de lecture. Nul doute cependant que le germe de la BD, du Manga, du comics ou encore de la BD indépendante, est planté…
Faire de la géopolitique avec Astérix
Les intentions des auteurs n’étaient sans doute pas d’initier les élèves de Première Spécialité Histoire Géographie Géopolitique Sciences Politiques (HGGSP – quel acronyme !) à la géopolitique en 2024, mais soyons un peu rêveurs et extrapolons – après tout, l’anachronisme est une marque de fabrique de cette fabuleuse série !
Reprenons la carte initiale – carte déjà évoquée dans un lointain passé – et regardons-la d’un autre oeil.
Deux éléments sautent aux yeux, l’étendard et la loupe. L’étendard ainsi posé ressemblerait presque à un javelot lancé de très loin, qui se plante en plein territoire de la Gaule. La projection à la fois de l’étendard et du regard du lecteur souligne la domination, la conquête de la Gaule, avec une possible nouvelle organisation à venir, que peuvent suggérer ces lignes qui s’échappent, ces fissures qui peuvent devenir les futures limites entre les différentes divisions administratives de ce qui devient un territoire gallo-romain. L’espace devient un cadre politique nouveau pour les populations, nous parlerons alors de géographie politique. Mais la conquête, l’effet de domination, la force qui se répand sur tout ce territoire, nous évoquent la puissance romaine. Nous parlerons alors de géopolitique: ce territoire a été conquis parce qu’il était un enjeu de puissance pour celui qui a décidé de cette conquête, Jules Césard. Enjeu, c’est-à-dire qu’il a envisagé ce qu’il avait à gagner et/ou à perdre dans cette conquête: la gloire, la puissance et une armée de soldats acquis à sa cause. Si nous suivons le raisonnement de François Thual, nous avons les acteurs, soit Jules César, la République romaine, l’armée romaine, mais aussi les peuples celtes; nous avons les motivations, soit la gloire et la puissance – officiellement celles de Rome, plus particulièrement celles de César -, le symbole de Vercingétorix par exemple; nous avons une dynamique: la conquête et d’autres processus, par exemple la romanisation que la typographie de la nomenclature pose déjà, avec ce mot “Gaule” dont le nom et la lettre veulent se rapprocher de l’écriture romaine:
Source: épigraphie |
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La conquête est ici à la fois annexion et extension de l’espace déjà dominé par Rome. Le jeu d’échelle en géopolitique est essentiel pour comprendre cette conquête, en relation avec les intérêts de Rome comme ceux de César. Ce dernier élargit à l’ouest un “empire” qu’il compte ensuite agrandir à l’est, sur l’espace dominé par les Parthes. Il se sent capable de faire l’unité d’un espace plus vaste donc, sous un titre qui lui est attribué dans la partie orientale de “l’empire”, mais qui garde une mauvaise réputation dans la partie occidentale, roi. Quelques coups de poignards en décident autrement…
L’extension vers l’est nous est suggérée – continuons d’extrapoler, c’est de toute façon très pratique pour présenter la géopolitique en classe – par l’ombre de l’étendard.
Cette ombre s’étale vers l’est, de l’autre côté du Rhin, vers la Germanie. Elle est menace de ce qui risque d’arriver aux habitants de l’autre côté du limes rhénan. Elle est expression de puissance des Romains. Et la géopolitique, en fonction des données disponibles et établies, peut envisager, sinon de prédire exactement l’avenir, mais des hypothèses crédibles sur la suite de la conquête – même si bien des analyses n’auraient pas parier, aujourd’hui, sur la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, hypothèse qui, rétrospectivement avec la prise de contrôle de la Crimée, restait cohérente si elle avait été formulée dès 2014, mais en la matière, il me manque du temps pour vérifier qu’elle a pu être formulée.
Dans l’immédiat, il revient à l’armée romaine de contrôler tout un territoire. Dès que les moyens militaires sont évoqués, nous quittons la géopolitique pour la géostratégie, qui envisage les moyens à l’échelle globale pour réaliser les objectifs géopolitiques. La loupe nous oblige à changer d’échelle et de vocabulaire:
Les célébrissimes camps romains nous sont dévoilés grâce à cette loupe – au passage, notons que c’est impossible d’accéder à la réalité de l’espace géographique avec une simple loupe posée sur une carte, d’autant moins que la carte est déjà par elle-même interprétation de la réalité, et la réalité qui nous est dévoilée est incomplète si nous la comparons avec celle qui entoure le village dans les albums, soit de la forêt et des sangliers ! La disposition des camps est celle d’un siège: c’est la tactique choisie. A l’échelle “globale”, générale, à petite échelle (géographique), la stratégie. A l’échelle locale, à très grande échelle (donc espace étroit mais détaillé), la tactique. L’efficacité des moyens déployés dépendra des allers retours, des connections entre les échelles par les acteurs, donc de leur lecture complexe de l’espace.
Les albums d’Astérix sont souvent l’occasion d’observer les Romains s’organiser – palissade autour du village dans Le Tour de Gaule, camp romain dans Astérix légionnaire, bataille rangée entre Romains et Gaulois du village – tiens, encore un paradoxe intéressant: les habitants du village refusent de se soumettre à l’ordre romain, à la pax romana, mais revendiquent d’être considérés comme des Gaulois, noms que les Romains donnent aux peuples conquis ! Sans la conquête, pas de Gaule, mais d’autres espaces et d’autres peuples. Des peuples qui se battent contre les Romains à peu près comme les “Gaulois” du village: on fonce dans le tas, ou presque – il faut bien caricaturer un peu, sans oublier l’expérience des Romains dans la guerre et leur organisation, malgré la défaite de Ségovie.
Mais au fait, qu’allait faire César dans cette galère ? Personne ne lui donne mandat pour conquérir tout cet espace qui devient le territoire des Romains. Pour le savoir, une seule méthode: étudier l’histoire de Rome dans la première moitié de dernière siècle avant notre ère.
La géopolitique joue donc avec les échelles en géographie, avec les intérêts des acteurs qu’ils projettent sur des territoires, avec les temporalités donc avec l’histoire. La géopolitique est une excellente méthode pour comprendre les tensions, les rivalités, les conflits entre les acteurs politiques (mais pas seulement) de l’espace. François Thual invite à se poser les questions suivantes: “qui veut quoi ? Avec qui ? Comment ? Pourquoi ?” et à connecter les champs de la connaissance pour approcher la complexité d’une situation.
Encore merci à Gosciny et à Uderzo de m’avoir offert la possibilité de cette extrapolation !!!
Viva Chile !
Chili, France et BD
Dans deux semaines se tient à Saint-Dié-des-Vosges, le fameux Festival International de Géographie, le FIG. Le pays invité d’honneur de ce festival n’est autre que le Chili cette année. Ce sera l’occasion, un peu plus tard, le temps du festival, de faire un tour d’horizon de quelques BD sur le Chili et du Chili. Un premier regard est déjà offert aux Editions PLG.
Le Festival invite également Désirée et Alain Frappier à discuter autour de leur roman graphique en deux volumes, dont le deuxième concerne directement les années 1970 – 1973, les “mille jours” de l’Unité Populaire et du gouvernement de Salvador Allende, objet également de la thèse de Franck Gaudichaud.
Une BD et ça repart !
Pendant que les derniers jours avant le retour en classe s’égrènent tranquillement, les BD se préparent à remplir les sacs et les têtes. Un digipad se complète peu à peu, de lectures anciennes et de parutions récentes, de coups de coeur et de classiques à revisiter, de rencontres et de partages !
Le lycée en parle…
Un article sur le site du lycée Bellevue (Saintes, 17), évoque la rencontre avec Flore Talamon le 23 mai dernier à la Médiathèque de Saintes puis dans les murs du lycée. Signé par votre humble serviteur…
L’histoire de Raymond Avrillier, un engagement citoyen (5/5)
Raymond Avrillier, un engagement citoyen (5/5)
L’histoire de Raymond Avrillier, le silence des médias locaux (4/5)
Raymond Avrillier et le silence des médias locaux
L’histoire de Raymond Avrillier, l’enjeu de l’eau à Grenoble (3/5)
Raymond Avrillier, l’enjeu de l’eau à Grenoble
L’histoire de Raymond Avrillier, une vie de militant (2/5)
Raymond Avrillier, une vie de militant