La dernière scène d’une pièce comporte habituellement les éléments du dénouement de l’intrigue ; A la scène 14 de l’acte II, Giraudoux met donc un point final à sa pièce et le spectateur comprend que la guerre va avoir lieu ; Cassandre prononce les dernier mots : “Le poète troyen est mort (il s’agit ici de Démokos ) .<em>;la parole est au poète grec (et le spectateur peut penser qu’il s’agit d’ Homère qui va raconter la guerre de Troie dans l ‘Iliade , son légendaire poème épique . Les paroles de la prophétesse peuvent toutefois paraître énigmatiques et Giraudoux a choisi un final très riche en rebondissements de tous ordres; jugez plutôt..
Andromaque au début de la scène paraît désespérée et consciente que tous les efforts déployés par son camp pour lutter contre la guerre semblent vains; Ulysse est en train de remonter à bord et tout le monde retient son souffle jusqu’à ce qu’il soit enfin parvenu à destination. Hector semble lui confiant et suit pas à pas le trajet d’Ulysse que le spectateur devine à travers les indications : “une minute encore” ..”il marche vite“..”le voilà déjà en face des fontaines ”
Trop angoissée, Andromaque a décidé de se boucher les oreilles pour ne plus rien entendre et elle n’entend donc pas Oiax arriver.Cet envoyé grec qui a pour mission de raccompagner Hélène à bord du navire grec va jouer un rôle prépondérant dans la suite des événements ; le plus dur semble donc fait et Cassandre entend bien calmer Oiax et lui faire entendre raison; Ce dernier est en effet “ivre” et son agitation pourrait avoir des conséquences dramatiques comme le pressent le spectateur
Giraudoux intercale donc des scènes de comédie à l’intérieur de son dénouement tragique : la première partie de ce vaudeville est constituée par le jeu entre Oiax , que Cassandre tente de neutraliser et “essaie par la force de l’éloigner” , Andromaque qui continue à se boucher les oreilles et Hector qui assiste à cette attaque sur Andromaque en se montrant de plus en plus menaçant (il lève son javelot) ; la scène peut tourner au drame et Cassandre rappelle les enjeux de cette ultime phase des négociations : “Ulysse est déjà à mi-chemin ” La référence humoristique à la double énonciation théâtrale rappelle aux spectateurs ce qui est en train de se jouer sous leurs yeux : A Oiax qui pense que des paroles “qu’on n’entend pas ” ne peuvent avoir de conséquences fâcheuses (en effet, Andromaque ne peut se sentir insultée car elle s’est bouché les oreilles ) , Cassandre rappelle , au contraire que ces paroles peuvent être très graves car Hector lui en est le témoin silencieux ; Oiax en rajoute dans le registre de la muflerie en embrassant de force Andromaque mais Cassandre finit par le maîtriser et il la suit “je viens je viens..Adieu” La menace semble a priori s’éloigner .
Au moment où il s’apprête à quitter la scène , premier coup de théâtre, Demokos, le poète belliciste, fait irruption et s’indigne avec virulence comme à son habitude, de la décision prise par Hector de rendre Hélène aux grecs; Sa véhémence le rend particulièrement menaçant car il appelle les Troyens “aux armes ” et s’apprête à entonner le “chant de guerre ” qu’il réserve à cette occasion tant attendue” Au moment où il crie à la trahison, Hector abaisse son javelot et le tue; ce qui constitue un fait pour le moins inattendu. Il peut alors affirmer à Andromaque “la guerre n’aura pas lieu Andromaque ” ; Cependant son épouse , qui a toujours les mains sur les oreilles , n’a pas entendu et elle contemple Démokos à terre, interloquée;
Le spectateur peut alors se dire qu’Hector a évité la guerre en devant un meurtrier et que l’assassinat de Démokos sert une noble cause : empêcher des centaines de morts ; Le dramaturge indique alors même qu’un dénouement vient d’avoir lieu que “le rideau qui avait commencé à tomber se lève peu à peu” Que va t-il se passer ?
Nouveau coup de théâtre : Démokos qu’on croyait mort alors qu’il n’est que blessé, lance, sur scène, une fausse accusation contre les Grecs en prétendant qu’il a été tué par Oiax ; en effet, s’il accuse Hector, le véritable coupable, personne parmi les Troyens ne voudra déclencher un conflit contre les Grecs; Hector tente à son tour de s’accuser du meurtre et dénonce le mensonge de Démokos mais il est trop tard : les Troyens ont tué Oiax hors scène comme le précise la réplique d’Abnéos. Cette fois la guerre paraît totalement inévitable car les Grecs vont avoir un prétexte en voulant venger la mort d’Oiax .
Hector a tout fait pour éviter un dénouement catastrophique et son sort paraît encore plus cruel car son dernier geste pour surseoir au caractère fatal de ce conflit, provoque , par des moyens détournés, le drame final. Sa menace d’achever Démokos s’il ne revient pas sur ses accusations ne trouve aucun écho chez ce dernier qui, comble de l’ironie, le traite avec condescendance : “Mon cher Hector, mon bien cher Hector ” réplique-t-il avant de réitérer son mensonge. C’ est donc sans la moindre haine mais au contraire avec beaucoup de bienveillance que le poète troyen déclenche la guerre.
On peut alors supposer qu’Hector le tue ou qu’il finit par mourir comme le laisse entendre l’avant dernier réplique de Cassandre : “
Il meurt, comme il a vécu, en coassant” . Ce verbe appliqué étymologiquement aux cris des grenouilles désigne les paroles désagréables de quelqu’ un et fait allusion à la médisance de Démokox dont les paroles mensongères sont véritablement à l’origine du mettre d’Oiax. Hector ne peut alors que constater , à haut voix, en s’adressant à son épouse : ” Elle aura lieu ” , paroles qu’entend cette dernière; Pour matérialiser cette nouvelle guerre, Giraudoux précise que “
les portes de la guerre s
‘ouvrent lentement. Elles découvrent Hélène qui embrasse Troilus ” Comment devons nous comprendre ce baiser entre Hélène et le jeune frère de Paris ? Peut être pour bien montrer que la guerre n’a pas été déclenchée pour un amour légendaire (qui ne semble pas très fort dans la pièce) mais pour des raisons liées au désir de l’homme de déclarer la guerre .
En multipliant les coups de théâtre qui animent le final , en se moquant des règles de bienséance de la tragédie classique (un mort juste blessé qui crie sur scène ) , en différant l’arrivée de la crise et en intercalant des scènes de vaudeville au milieu du drame, Giraudoux nous offre, au final, un dénouement surprenant par certains aspects même s’ il fallait bien s’ y attendre et s’y résigner, en effet, la guerre finira par avoir lieu.