05. février 2024 · Commentaires fermés sur Andromaque : portrait d’une héroïne tragique · Catégories: Première · Tags:

 Pourquoi Andromaque est-elle selon vous, une héroïne tragique ? 

Qui est Andromaque ?  Femme d’Hector et princesse troyenne, elle survivra à la disparition de sa ville et deviendra la prisonnière du fils d’Achille , Pyrrhus;  Racine au dix-septième siècle, la choisira pour en faire l’héroïne de la tragédie qui porte son nom et  il la fait devenir reine d’Epire; Il a imaginé , en effet, un dénouement tragique plutôt heureux pour elle car victime d’un odieux chantage de la part de Pyrrhus, elle s’en sort saine et sauve et réussit à sauver son fils Astyanax , seul survivant de la famille royale troyenne. Pour Racine, elle représente la femme qui doit faire un choix impossible entre sa fidélité à son mari défunt et le devoir de sauver sa lignée en se sacrifiant.  Quant à  Jean Giraudoux, dans sa pièce La Guerre de Troie n’aura pas lieu , il en fait une femme valeureuse, enceinte d’Hector et  prête à tout pour empêcher la guerre : comparons ces deux univers et ces deux représentations de l’héroïne tragique . Plus »

06. juin 2018 · Commentaires fermés sur Un discours contre la guerre : Hector face aux soldat morts · Catégories: Première · Tags:

 Alerté par la dégradation des relations diplomatiques internationale et notamment franco-allemandes, Jean  Giraudoux  compose une  pièce en quelques semaines. Il s’inspire d’un mythe et imagine les quelques heures qui précèdent le déclenchement de la Guerre de Troie . Après l’échec des négociations , la pièce se termine avec l’ouverture sur scène des portes de al guerre. L’extrait que nous étudions se situe au moment où le roi Priam, plutôt favorable à un nouveau conflit, demande à son fils de prononcer un discours d’hommage à ses soldats morts au combat.  Hector , général  tout juste rentré vainqueur d’une guerre récente , accepte de prononcer cet hommage , comme le veut la coutume troyenne, . Il entend alors ,du côté du port les clameurs suscitées par l’arrivée des navires grecs et il vient prendre place solennellement “au pied des portes”  . Mais Hector n’est pas décidé à prononcer le discours qu tout le monde attend avec les compliments habituels et l’hommage aux disparus; Sa prise de parole prend rapidement un ton irrévérencieux et il montre avec ce discours iconoclaste que  seuls les survivants d’une guerre  sont les véritables vainqueurs . 

 Nous pouvons montrer , tout d’abord  que ce discours est éloquent : il s’inspire , en effet, de l’art oratoire . Hector, d exprime abord, respecte  la tradition théorique de l’art oratoire ;Il s'adresse au morts en employant des apostrophes pathétiques : “O vous ..qui ne nous entendez pas ” et il les fait revivre par ses multiples invocations, un peu à la manière des anciennes incantations qu’on adressait aux esprits dans les cérémonies antiques;  il leur pose même des questions rhétoriquescela vous est bien égal n’est-ce pas ? ‘ et fait comme s’ils allaient pouvoir lui répondre; les nombreux paradoxes de ce discours résultent  notamment  de la présence d’antithèses comme par exemple ” vous qui ne sentez pas, respirez ” ou “vous qui ne voyez pas, voyez;.”  Hector semble ici montrer le caractère absurde de sa situation d’énonciation: à quoi cela sert-il de s’adresser à des soldats disparus ” Le discours aux  morts de la guerre est en fait un plaidoyer hypocrite pour les vivants ” a-t-il admis quelques instant plus tôt . Hector cherche à créer un contact non seulement avec ses auditeurs supposés, les morts , mais également avec les auditeurs qui sont autour de lui; On peut ainsi parler de double énonciation ou de double destinataire . Les apostrophes  sont fréquentes te rythment l’hommage : vous qui ne sentez pas , qui ne touchez pas ..” En les appelant, Hector rappelle en même temps tout ce qu’ils ne peuvent plus faire. Et à la fin du discours, on retrouve notamment l’idée de leur inexistence avec une série d’adjectifs et de noms : ” vous absents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans être “, Non seulement les morts ne peuvent plus jouir des plaisir sue la vie car ils n’ont plus d’existence, de corps, de sens comme la vue, l’ouie  et le toucher ou l’odorat mais le fait même de les oublier semble les priver définitivement du moindre statut et les rendre “‘sans être”, comme s’ils étaient condamnés à errer .  

 Un discours décalé :  En plus de ces nombreuses oppositions , les détails intimes que révèle le général dans cette circonstance officielle, peuvent paraître choquants; En effet, Hector fait allusion , tout d’abord à des actions banales et quotidiennes comme manger, boire et faire l’amour et ensuite, il ajoute un détail qui peut paraître trivial ,  que les soldats survivants vont coucher avec les femmes des disparus  “Nous couchons avec nos femmes..avec les vôtres aussi. ” Hector montre ainsi que la  vie continue après leur mort et que leurs veuves devront se consoler de leur mort dans les bras d’autres guerriers.  Demokos, le poète belliciste s’empresse de crier ici au scandale mais Hector n’a nullement l’intention d’insulter les morts; il constate ce que la mort leur a fait perdre car il veut montrer toutes les choses simples auxquelles   les morts n’ont plus accès: au lieu d’imiter les éloges funèbres au cours desquels on célèbre la gloire, la bravoure des soldats tombés au champ d’honneur, Giraudoux ici, fait prononcer à son personnage de soldat dégoûté de la guerre, un sort d’hymne à la vie et à ses plaisirs.  En effet, le général rappelle la douceur de vivre avec des éléments comme le “clair de lune ” qui évoque poétiquement les joies nocturnes qui viennent prolonger les plaisirs diurnes : manger, boire te faire l’amour.  Cette dimension hédoniste  rend hommage à la vie. Ainsi , à côté de ces joies simples ,les décorations militaires à titre posthume, les cocardes ne valent rien ; seule compte “la vraie cocarde” c’est à dire le privilège d’être demeuré en vie et d’avoir gardé ses deux yeux pour voir ; Hector es réjouit tout simplement de voir encore  le soleil . 

Le discours d’Hector s’éloigne donc des poncifs habituels et dans sa seconde période, Hector fait preuve de sincérité , qui contraste donc avec les éloges officiels plus ou moins hypocrites; Ce dernier refuse , en effet, de glorifier la mémoire des disparus car  “tout morts que vous êtes, il y’a chez vous la même proportion de  braves et de peureux que chez nous qui avons survécu” . Le fils de Priam se démarque ainsi de l’idéologie officielle et fait preuve d’une certaine lucidité dans l’examen de la nature humaine;  il se met alors à vivement critiquer la guerre en employant une métaphore culinaire dépréciative :   “la recette la plus sordide  et la plus hypocrite pour égaliser les humains” ;  D’ailleurs les survivants sont même qualifiés de  déserteurs ; en employant ce mot qui crique habituellement les combattants qui fuient le champ de bataille, le dramaturge semble inverser les valeurs habituelles . Pour Giraudoux, tous les hommes ne se valent pas et certaines vies sont plus précieuses que d'autres , ce sont celles des hommes de bien; en les faisant mourir en grand nombre, la guerre tend à effacer la valeur des hommes et à les confondre tous dans le même lot de victimes: c'est ainsi oublier que certains furent des hommes dont la vie avait du prix, ils seront regrettés par beaucoup de gens qui les aimaient  alors que d'autres ne seront guère pleurés par leurs proches.

Des paradoxes : le discours officiel d’Hector est construit à partir de répétitions pour le moins étranges qui forment de véritables antithèses  : en s’adressant aux morts, Hector rappelle leur absence et l’apostrophe “vous qui ne nous entendez-pas se transforme en invocation : “écoutez ces paroles ” . Cette formulation marque ici clairement l’impossibilité pour les auditeurs de prêter attention à l’hommage qui leur est rendu. Leur disparition  est ainsi réaffirmée et rend le discours pathétique. “vainqueurs vivants s’oppose ainsi à vainqueurs morts  
 Un discours provocateur ? Cette position défendue par le dramaturge peut paraître polémique car elle fait de la mort une sorte de dénominateur commun à l’existence des hommes ; c’est pourquoi Hector précise , à la fin de son intervention : ” je n’admets pas plus la mort comme expiation au lâche que comme récompense aux héros pour bien montrer que la perte de la vie constitue le véritable scandale causé par la guerre ; il ne faudrait pas en effet, que le mort soit considérée comme quelque chose de banal tout simplement parce que les hommes meurent en grand nombre durant les guerres;  ses dernières paroles s’adressent à tous les “absents, inexistants, oubliés, sans occupation, sans repos, sans être” ; ces images volontairement provocatrices dénoncent en fait la banalisation de ces disparitions de masse; chaque disparu doit compter et chaque survivant doit être capable d’apprécier la vie et de “ressentir comme un privilège et un vol , la chaleur et le ciel ” . Ici le soleil et la lumière représentent la vie par opposition au froid et à l’ombre qui traduisent le vide et l’absence .

Ce discours d’Hector est donc pour le moins étonnant car il ne correspond pas au discours attendu dans une circonstance semblable , qui est un hommage officiel aux soldats victorieux de son armée et il rappelle l’opinion de Giraudoux : les vainqueurs morts ne sont pas les véritables vainqueurs des guerres car  ils ont perdu leur bien le plus précieux que chaque homme devrait s’efforcer de conserver à tout prix:  la vie .  Le général avoue d’ailleurs avoir “honte “ d’être resté en vie alors que tant des siens ont donné la leur pour une victoire dont ils ne profiteront pas .

Avec beaucoup de finesse et de subtilité, Giraudoux, ici par l’intermédiaire du discours d’Hector, nous amène à réfléchir sur la guerre, la victoire, la valeur de la vie et celle des hommes.  Le discours est à la fois éloquent (art du bien parler ) et lyrique (expression de sentiments personnels) : il exprime de manière touchante les convictions d’un ancien soldat qui fait preuve d’une sincérité inhabituelle en de telles circonstances ; A la fois insolite et poignant, ce moment solennel peut se lire comme un réquisitoire contre la guerre ; la mort ne peut en aucun cas être considérée comme une consolation ou une consécration: elle doit être montrée dans sa brutalité et ses conséquences irrémédiables.

Ce thème a été repris par un romancier contemporain Pierre Lemaître qui dans son récit Au revoir là haut, met en scène deux anciens combattants de 14/18 qui ont survécu, profondément blessés dans leur chair (l’un est mutilé au visage ) et qui ont décidé de vendre de faux monuments au morts dont ils envoient les dessins aux mairies désireuses d’honorer la mémoire de leurs disparus. Cette notion de devoir de mémoire n’existe pas encore à l’époque de Giraudoux et le discours d’Hector peut paraître choquant mais il nous fait réfléchir à l place de la mort et de la vie qui est la seule véritable victoire pour le dramaturge. Peut être peut -on également penser que les nombreux hommages rendus aux disparus de 14/18 sont ici évoqués indirectement . 

Quelques axes possibles pour répondre à des questions de bac …

Un discours éloquent ?

les apostrophes, les invocations, la situation d’énonciation 

Une parodie des discours d’hommage officiels aux disparus? 

la trivialité , le rappel des plaisirs de la vie , la critique des usages et le rappel de 14/18, les paradoxes 

Un hymne à la vie ? 

la critique de la guerre et de ses conséquences , les morts décrits par ce qu’ils ont perdu ,les antithèses , une réflexion sur la mort comme valeur 

22. avril 2018 · Commentaires fermés sur La guerre de Troie : tragédie moderne ou drame antique ? · Catégories: Première · Tags:

Ecrite en 1935, la pièce s’inspire d’une guerre tragique , mythique mais a pour fonction essentielle de fair prendre conscience aux spectateurs des enjeux de son époque et de l’imminence d’un nouveau conflit mondial . Comment Giraudoux choisit-il d’ordonner la matière dramatique afin de la présenter au public de son temps ? que conserve-t-il de la tragédie antique et comment renouvelle-t-il la tradition théâtrale ? 

Giraudoux divise sa pièce en deux actes seulement contrairement aux 5 actes de la tragédie classique mais il obéit, en apparence, aux règles de l’unité de lieu et de l’unité de temps: tout s’accomplit dans la même ville, Troie, en moins en vingt-quatre heures. L’auteur a donné une structure fermée à son drame , puisque l’action n’attend aucune suite après la fin de la dernière scène ; il a également choisi une structure circulaire: la première phrase que déclare Andromaque quand le rideau se lève n’aura sa réponse que vers la fin de la pièce, quand la catastrophe est irrémédiable. A la question qu’Andromaque pose à Cassandre lorsque le rideau se lève, c’est Hector qui répond dans la dernière scène :  « La guerre de Troie n’aura pas lieu Cassandre ».. Hector en personne répond :  «  Elle aura lieu, Andromaque. » Mais Giraudoux a su maintenir l’espoir jusqu’au bout:

Le premier acte apparait comme un acte d’exposition, où les scènes s’enchainent selon l’esthétique traditionnelle de la tragédie classique. Comme chez Racine, le rideau se lève sur une crise: Hélène a été enlevée, un envoyé grec vient la réclamer la guerre menace. Toute l’action de la pièce est subordonnée au personnage d’Hector. Elle se déclenche avec l’arrivée du général troyen et sa décision de rendre Hélène aux Grecs. Elle progresse à la scène IV, où Hector obtient de Paris, le principal intéressé, qu’il s’en remette à Priam. Une nouvelle étape est franchie quand Hector, en présence de Priam et des bellicistes hostiles (scène VI), fait accepter à Paris le départ d’Hélène. Enfin, le dernier événement important de l’acte premier : Hector convainc Hélène, l’autre principale intéressée, de retourner avec son mari. Peu de temps, perdu, en somme : les scènes de «pause», où Giraudoux nous met au courant des situations, nous renseignent sur la psychologie des personnages ; les idées qu’ils défendent, ou qu’il défend à travers eux, n’entravent pas la progression d’une action qui se suit facilement. Le dramaturge pourtant prend soin de ménager des pauses dans l’action dramatique : au début de l’acte II; l’action se relâche (scène I, II, III) avant de se développer avec la contre-attaque des bellicistes (scène IV),et la pression brutale d’Hector contre les bellicistes, qui s’achève par la fermeture des portes de la guerre.

Avec la plus grande habileté, Giraudoux crée en nous une attente et nous prépare à vivre avec l’arrivée des Grecs les derniers moments d’une action qui ne va cesser de s’accélérer. À partir de la scène IX,s’élargit  le conflit s’élargit et se déroule désormais entre Grecs et Troyens. Les événements se succèdent : Hector, fidèle à sa politique doit surmonter l’obstacle Oiax (scéne IX), puis, plus difficile encore, l’obstacle Ulysse, puis l’obstacle Demokos, (scéne X). Au moment où nous respirions enfin, un coup de théâtre se produit ; Oiax d’abord, Demokos enfin en mourant, remettent en question la victoire d’Hector, la guerre de Troie aura lieu.

La guerre de Troie n’aura pas lieu», est plus une tragédie philosophique, qu’une tragédie psychologique. Cependant, les personnages sont suffisamment typés et différenciés pour avoir du relief .

On va les classer, suivant une métaphore de Giraudoux, sur deux plateaux d’une balance. L’un d’eux représentera la paix, l’autre la guerre. Les poids vont s’équilibrer, l’aiguille se balancera hésitante á droite et á gauche, mais une force absurde va incliner finalement la balance du côté de la guerre.

Pour la Paix : Hector-Andromaque. Hécube Paris, Oiax_

Pour la guerre : Demokos. .Priam.Les vieillards Troyens.

Instrument du Destin : Hélène

Le couple Andromaque-Hector, dans la piéce de Giraudoux, joue le role d’un seul personnage, le défenseur le plus acharné de la paix, dont l‘opposé est Demokos, un poète qui ne veut que lancer son peuple à la guerre qu’il cherche toujours á provoquer. 

Le couple Andromaque-Hector, va nous montrer plusieurs aspects de leur vie au fur et à mesure que les scènes se déroulent .Ils vont nous faire des confidences sur leur amour, leurs soucis pour l’avenir du fils qui va naitre bientôt, leur relation avec la famille. Ce sont deux êtres humains que Giraudoux a caractérisés et qui sont son porte- parole, tandis que Demokos n’est qu’une caricature comique du fanatisme nationaliste. Le dramaturge souligne également le danger des mots et notamment de la poésie qui , en temps de guerre , est parfois utilisée pour la magnifier et la rendre attirante; Giraudoxu cherche à montrer le vrai visage de la guerre, un visage nu et sans fard. 

Le deuxième plan est occupé par le couple Hécube-Priam, deux personnages entre lesquels s’établit une relation d’opposition puisqu’ils sont les défenseurs de deux causes contraires. Giraudoux se sert aussi d’Hécube pour nous transmettre son opinion sur les faits qui se succèdent. Cette femme va être un personnage bien plus complet que celui de son mari,

Sur le troisième plan se placent des personnages qui n’ont pas une trajectoire définie, et se laissent influencer facilement par les événements. D’une part, Paris, le premier obstacle d’Hector pour réussir la paix, mais une fois surmonté, il collabore inconditionnellement avec son frère. Oiax, va réagir de la même façon face à Hector. D’autre part, les vieillards troyens, dont la faiblesse est manifeste. Tous ces personnages ne sont que des éléments représentatifs d’une ville. Giraudoux les a rassemblés sur la scène, pour donner une vision des différentes attitudes adoptées face à la guerre. 

II ne nous reste qu’un dernier personnage à classer: la ville de Troie, le témoin de cette catastrophe. C est un personnage collectif que Giraudoux a scénifié au moyen de ses habitants: le géomètre, les gabiers de Paris, les servantes, Troïlus, Abnéos, ils n’ont que cette valeur: être les témoins de l’action que nous allons analyser en reprenant la métaphore de Giraudoux. Ils représentent, en quelque sorte,  le personnage collectif du choeur dans les tragédies antiques 

Contrairement à la tragédie classique, Giraudoux ne respecte pas l’unité de ton et les passages poétiques en style soutenu voisinent avec les injures comiques . De plus, il réutilise comme le faisait Racine, la matière historique, ici mythologique , mais sous une forme qui s’apparente à la parodie . Toutefois,comme le faisait également Racine avant lui, trois siècles plus tôt Giraudoux a recours à la matière historique afin de provoquer un effet de distanciation, d’éloignement, des préoccupations contemporaines du public ; Cependant, tous les éléments ramènent le spectateur de 1935 au contexte politique de tensions internationales. C’est le paradoxe de cette distanciation théâtrale.

A la différence de Racine qui a choisi le point de vue des conséquences catastrophiques de la guerre en présentant Andromaque captive du fils d’Achille et qui cherche à raviver le souvenir de son peuple défunt et vaincu, Giraudoux a choisi lui de dévoiler l’avant-guerre, cette période d’incubation du conflit où on le voit grossir , s’éloigner pour finalement éclater sous nos yeux en dépit de tous les efforts d’Hector. 

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? · Catégories: Première · Tags:

Le titre choisi par Giraudoux en 1935 peut sembler énigmatique mais la plupart des spectateurs connaissent l’histoire de la guerre de Troie; l’utilisation du mythe permet d’instaurer une sorte d’attente tragique et de mesurer avec précision la progression de la fatalité qui va frapper , ainsi que le suggère la métaphore menaçante du tigre qui rôde. Voyons comment le dramaturge exploite ce thème de la menace imminente de la guerre. Etudions les forces en présence ..dans chaque camp et voyons quels arguments sont opposés ..

Bellicisme et Pacifisme dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu

La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux a paru en novembre 1935, après huit mois de gestation puisque le dramaturge a conçu le projet de sa pièce en avril 1935. Elle est mise en scène pour la première fois au théâtre de l’Athénée par Louis Jouvet le 22 novembre 1935. Le spectacle a été applaudi, et la pièce a été représentée plus de 190 fois en moins d’une année.

La pièce s’nscrit dans une longue tradition qui consiste à créer un spectacle évoquant des faits d’actualité, à partir d’un mythe antique. De fait, en recourant au mythe de l’Ilion, ancien nom de Troie, Giraudoux a pu mettre en relief la problématique de la guerre et de la paix, qui correspond à l’une des grandes questions des années 30.L’analyse du conflit entre les bellicistes et les pacifistes nous permettra de mettre en avant le parti pris de Giraudoux, en comparant les qualités d’un représentant-modèle des pacifistes (Hector) à celles d’un représentant- modèle des bellicistes (Demokos / Oiax )

I- Le mythe de la guerre de Troie

C’est L’Iliade, épopée grecque attribuée à Homère comme L’Odyssée, composée de 15537 vers et divisée en 24 chants, qui relate le mythe de la guerre de Troie. L’enlèvement d’Hélène, l’épouse du roi de Sparte Ménélas, par le prince troyen Pâris est à l’origine du conflit entre les Troyens et les Achéens. Soutenu par Aphrodite qu’il a déclarée plus belle que les deux autres déesses Héra et Athéna, Pâris refuse de rendre Hélène aux Grecs. Pour sauver leur honneur et répondre à l’offense troyenne, les Grecs assiégent la cité d’Hector. Commandés par Agamemnon, les plus vaillants des Achéens sont Achille, Ménélas et Ulysse. Quant aux Troyens, ils ont pour chefs Hector et Anchise. Après 10 ans de siège, les Grecs occupent Troie, grâce à la ruse du cheval, gigantesque construction en bois cachant des guerriers, qui, pénétrant dans la ville, en ouvrent les portes à leurs compagnons d’armes. Ainsi, Ilion est incendiée, ses hommes massacrés et ses femmes réduites à l’esclavage.Inspirée de l’Iliade, La Guerre de Troie n’aura pas lieu entretient cependant un double rapport avec l’épopée homérique. Dans Le Figaro du 21 novembre 1935, Giraudoux note à propos de ses personnages :

Je les prends avant qu’ils soient entrés dans la légende, alors qu’ils sont encore « inemployés », que personne n’a parlé d’eux, même pas Homère

Le titre de la pièce suggère également que l’histoire de La Guerre de Troie n’aura pas lieu est une histoire d’avant-guerre, qui met en scène un conflit d’arguments qui précède le conflit des armes.

II- Le conflit entre les bellicistes et les pacifistes

Le conflit entre les bellicistes et les pacifistes est au centre de la pièce. De fait, on distingue deux clans;Les pacifistes sont regroupés autour des acteurs suivants : Hector, Andromaque, Hécube, la petite Polyxène et Pallas. Les bellicistes sont plus nombreux : Pâris, Priam, les vieillards dont Demokos et le géomètre, les prêtres, Oiax et Aphrodite. A l’exception d’Hector, les partisans de la paix sont des personnages féminins. Par contre, les partisans de la guerre sont essentiellement des personnages masculins.

Si nous écartons les personnages féminins, on peut remarquer que le pouvoir militaire, qui est représenté par Hector, défend la paix, alors que le pouvoir moral, qui est représenté par les vieillards, fait l’apologie de la guerre. Hector parle au nom de toute l’armée dont il est le chef, et affirme que les soldats qu’il a ramenés haïssent la guerre, et que tous ceux des Troyens qui ont fait et peuvent faire la guerre n’en veulent plus. En revanche, Priam parle au nom de tous les vieillards, qui, éloignés du combat, doivent servir « du moins à le rendre sans merci ».

Bien qu’il représente le pouvoir militaire, Hector s’oppose à la guerre, et réclame que « la seule tâche digne d’une vraie armée [est] de faire le siège paisible de sa patrie ouverte ». Dans la scène III de l’acte I, qui correspond à une scène de retrouvailles, les paroles d’amour et de tendresse font défaut, car Andromaque et Hector sont désemparés par l’arrivée menaçante des flottilles grecques. Evoquant l’évolution de son attitude à l’égard de la guerre, Hector affirme d’abord que le combat a longtemps signifié pour lui « la bonté », « la générosité », « le mépris des bassesses », « l’ardeur », « le goût à vivre », « la noblesse » et parfois « la sensation de devenir Dieu ». Cette image glorieuse a perdu progressivement à ses yeux tout son éclat, parce que son expérience lui a appris que son adversaire n’est pas forcément son contraire, qu’il est plutôt son « miroir », et que la mort qu’il lui donne est une sorte de « petit suicide ».

La troisième forme d’opposition entre les pacifistes et les bellicistes concerne leurs attitudes respectives à l’endroit d’Hélène. Les partisans de la paix considèrent Hélène comme une femme ordinaire. Dans la scène VI de l’acte I, Priam et Demokos sont déçus par l’indifférence d’Hector : Je vois une jeune femme qui rajuste sa sandale (…). Je vois deux fesses charmantes.Par contre, les partisans de la guerre sacralisent Hélène. Selon le géomètre, Hélène est la seule mesure de l’espace et de l’univers :C’est la mort de tous ces instruments inventés par les hommes pour rapetisser l’univers. Il n’y a plus de mètres, de grammes, de lieues. Il n’y a plus que le pas d’Hélène, la coudée d’Hélène, la portée du regard ou de la voix d’Hélène, et l’air de son passage est la mesure des vents”.Pour Priam, Hélène est le symbole de l’« absolution », car elle inspire à tous les pécheurs, à ceux qui ont volé et à ceux qui trafiquaient des femmes, qu’ils peuvent se soustraire à leur péché et gagner le pardon. Quant à Demokos, il la considère comme une source d’inspiration. Hélène symboliserait alors les muses et remplacerait le Parnasse du poète

Les opinions des bellicistes et des pacifistes à propos de la paix et de la guerre sont absolument contradictoires. Les bellicistes mettent en relief une image négative de la paix. Priam pense que la paix représente une forme de dépravation, et une source de culpabilité, parce qu’elle fait des hommes des êtres « veules, inoccupés et fuyants », et qu’elle décourage les guerriers, qui doivent au contraire témoigner de leur vigueur en combattant et de zèle dans la défense de leur patrie. Dans la scène V de l’acte II, il dénonce la paix comme un poison susceptible de mettre Troie en danger :Hector, songe que jeter aujourd’hui le mot « paix » dans la ville est aussi coupable que d’y jeter un poison.

En revanche, les pacifistes célèbrent une image positive de la paix. Pour Andromaque, la paix est la plus noble des valeurs, car elle exprime l’entente entre les hommes. Contestant l’argument avancé par Priam, selon lequel la paix fait des hommes des êtres lâches et sans mérite, elle chante les exploits de la chasse :” Aussi longtemps qu’il y aura des loups, des éléphants, des onces, l’homme aura mieux que l’homme comme émule et comme adversaire. Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous les femmes confondons le poil avec les bruyères, sont de plus sûrs garants de la vue perçante de nos maris que l’autre cible, que le cœur de l’ennemi emprisonné dans sa cuirasse.” Hector considère la paix comme une nécessité, pour que l’armée victorieuse qu’il guide, et qui revient épuisée de son combat contre les Barbares, puisse savourer la chance de se reposer.

Par ailleurs, les bellicistes représentent une image euphorique de la guerre. Symbolisant le chemin obligé de l’immortalité, elle transforme les hommes en véritables héros, et correspond à la forme suprême du patriotisme, comme le dit Demokos : La lâcheté est de ne pas préférer à toute mort la mort pour son pays.Refusant l’image traditionnelle de la guerre, dont il pense qu’elle « doit être lasse qu’on l’affuble de cheveux de Méduse et de lèvres de Gorgone »,1 Demokos propose de la comparer à Hélène, pour la réhabiliter et lui restituer sa propre beauté.Contrairement à Demokos qui chante le visage radieux de la guerre, Hécube en dénonce la laideur :Quand la guenon est montée à l’arbre et nous montre un fondement rouge, tout squameux et glacé, ceint d’une perruque immonde, c’est exactement la guerre que l’on voit, c’est son visage.”

Dans son discours aux morts, qui correspond à une parodie d’un véritable monument aux morts, Hector n’hésite pas à offenser les guerriers tués dans le combat de Troie contre les Barbares :”La guerre me semble la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains et (…) je n’admets pas plus la mort comme châtiment ou comme expiation au lâche que comme récompense aux héros.”

Ce qu’il faut retenir, au-delà de l’opposition entre les bellicistes et les pacifistes, c’est l’attitude originale d’Andromaque. De fait, à partir de la scène VIII de l’acte II, bien qu’elle continue à adorer la paix, Andromaque semble s’éloigner de plus en plus des pacifistes, et se rallier à un autre clan non moins important. Représenté par Cassandre et Ulysse, ce troisième clan considère la guerre comme une fatalité inéluctable.

L’évolution de l’attitude d’Andromaque pose la problématique de la fatalité. Définissant la guerre comme un « fatum », Cassandre et Ulysse postulent la suprématie du « destin ». Dans la scène I de l’acte I, Cassandre affirme que le destin, qu’elle définit comme « la forme accélérée du temps », et qu’elle représente métaphoriquement grâce à l’image du « tigre », veut que la guerre entre Troyens et Achéens ait lieu. De même, dans la scène des négociations entre Hector et Ulysse, ce dernier remarque que les Troyens ont outragé le destin, que « l’insulte au destin ne comporte pas la restitution »,et que l’univers, autre appellation du destin, sait bien que Troyens et Grecs vont se battre. Pour ne pas décevoir Hector qui s’accroche à la paix, Ulysse consent pourtant à « aller contre le sort », et à ruser contre lui, en acceptant la remise d’Hélène.

III- L’attitude du dramaturge

Dans le conflit qui oppose les partisans de la paix aux partisans de la guerre, Giraudoux semble plus favorable aux pacifistes. Outre la dichotomie, « jeunesse / vieillesse », Giraudoux présente une image ridicule des vieux belliqueux. Dans la scène V de l’acte I, il met en avant le comportement honteux des vieillards, qui, malgré leurs « poumons besogneux », ne cessent de descendre et de remonter par « des escaliers impossibles », pour voir et acclamer Hélène. Les vieillards, qui doivent être le symbole de la retenue et de la circonspection, sont ici tournés en dérision par le dramaturge, à cause de leur conduite indécente. Giraudoux brosse aussi une image foncièrement négative de Demokos et d’Oiax, qui sont les représentants du bellicisme par excellence. Oiax est tout à fait le contraire de son modèle primitif, le noble Ajax, qui dans l’Iliade est le plus vaillant après Achille. « [Le] plus brutal et le plus mauvais coucheur des Grecs »,32 Oiax n’est qu’un semeur de « scandale et de provocation », comme le suggère sa bruyante entrée en scène. En effet, « Oiax entre en criant », et à la question d’Hector qui lui demande ce qu’il voudrait, il répond : « la guerre ».De même, la scène finale le montre en train de faire la cour à Andromaque, qu’il veut « embrasser; Le poète Demokos est aussi représenté comme un agitateur en parallèle avec son ennemi Oiax. Ainsi, au moment où Hector semble triompher de ses adversaires et assurer la paix, Demokos entre en criant et en ameutant la foule des Troyens. N’hésitant pas à mentir, en prétendant être blessé mortellement par Oiax, il est à l’origine de la guerre de Troie.

Le regard des autres personnages insiste davantage sur les travers de Demokos, comme le suggère cette réplique de Pâris : Tu es lâche, ton haleine est fétide, et tu n’as aucun talent. Pâris qualifie également Demokos de « vieux parasite » et de « poète aux pieds sales ». Plus agressive, Hécube déshumanise Demokos, en le rapprochant d’un vautour et d’un serin, et en le considérant comme l’incarnation de « la bêtise, la prétention, la laideur et la puanteur ».

En revanche, le défenseur de la paix, Hector, semble réunir toutes les qualités et tous les mérites du héros. Guerrier valeureux, vainqueur du combat contre les Barbares, Hector est avant tout un fin tacticien. S’il réclame la paix, c’est, entre autres, parce que son armée a besoin de repos :Père, mes camarades et moi rentrons harassés. Nous avons pacifié notre continent pour toujours. Nous entendons désormais vivre heureux…Faisant preuve d’une extraordinaire endurance, il supporte les attaques insolentes d’Oiax, défie la volonté de toute la cour de Priam, et parvient à convaincre Ulysse et à s’assurer sa complicité. Aussi franc qu’Ulysse, il refuse la complaisance, démasque les bellicistes, qui veulent faire la guerre pour une femme, en prétendant se battre pour le symbole de la beauté, et dénonce la cérémonie vouée aux morts comme une infâme supercherie : Un discours aux morts de la guerre, c’est un plaidoyer hypocrite pour les vivants, une demande d’acquittement.

Malgré toutes ses qualités, Hector est le héros d’une seule faute, qui suffit pourtant à rendre la guerre inévitable. En tuant Demokos, il a offert à ce poète l’occasion de prétendre être blessé par Oiax, dont l’assassinat provoque la guerre.

La double image négative du poète troyen Demokos, et du chef grec Oiax, et l’image positive d’Hector dénotent que Giraudoux prend parti contre les bellicistes. 

IV- La dimension historique

Les multiples anachronismes qui jalonnent La Guerre de Troie n’aura pas lieu permettent de déplacer l’action de l’antique Troie du XIIe siècle avant Jésus-Christ à l’Europe de l’entre-deux guerres. Dans la scène VI de l’acte I, Pâris compare le rapport oppositionnel entre les pacifistes et les bellicistes à un conflit bourgeois : Cette tribu royale, dès qu’il est question d’Hélène, devient aussitôt un assemblage de belle-mère, de belles-sœurs et de beau-père digne de la meilleure bourgeoisie.L’emploi anachronique du terme « bourgeoisie » suggère combien la pièce est liée à l’actualité des années 30. Les références aux années 1914-1918 sont multiples. La réplique d’Andromaque, « (…) il m’a juré que cette guerre était la dernière »,renvoie à l’attitude des Européens qui ont longtemps espéré que la première guerre mondiale serait « la dernière des dernières ». En affirmant que son fils ne serait pas lâche, mais qu’elle lui aurait coupé l’index de la main droite, Andromaque évoque aussi une pratique répandue chez les poilus qui recourent volontiers à des mutilations pour se faire réformer. Les propos de Demokos, « Tu veux dire les médailles, les fausses nouvelles», font allusion, à certains communiqués de la guerre de 1914-1918, et particulièrement à l’empoisonnement des esprits par la propagande pendant la bataille de la Marne. Demokos fait également allusion aux associations d’anciens combattants qui sont fondées après la guerre de 1914-1918, lorsqu’il s’indigne qu’il soit « impossible de discuter d’honneur avec [les] anciens combattants ».De même, les références à l’actualité de 1935 sont nombreuses. Le discours de Demokos, « Et c’est de bon augure que ce premier conseil de guerre ne soit pas celui des généraux, mais celui des intellectuels », évoque l’engagement des intellectuels français dans les années 30.

Dans la scène XIII de l’acte II, l’attitude d’Ulysse qui explique à Hector la vanité des négociations peut être interprétée comme une allusion aux conférences de Locarno en 1925 et de Stressa en 1935, qui ont eu lieu à Genève, le siège de la Société des Nations. La réplique d’Ulysse, « Le chemin qui va de cette place à mon navire (…) est long comme le parcours officiel des rois en visite quand l’attentat menace », renvoie probablement à l’attentat de 1934 dont sont victimes Louis Barthou et le roi Alexandre de Yougoslavie.Enfin, le discours aux morts prononcé par Hector est la caricature des discours que Raymond Poincaré adresse chaque dimanche aux morts.

Comique, fantaisiste même, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, n’en est pas moins une pièce sérieuse. De fait, Giraudoux s’est servi du mythe de l’Ilion pour exprimer les problèmes politiques des années 30.

Conclusion

La Guerre de Troie n’aura pas lieu est fondée sur une série d’oppositions, comme le suggère le conflit entre les pacifistes et les bellicistes, les hommes et les femmes, le pouvoir militaire et le pouvoir moral. La dualité entre la veine comique et le sort tragique des personnages, et les images contradictoires de la guerre et de la paix, participent également de cette poétique du contraste, qui vaut à la pièce non seulement son succès éclatant et immédiat en 1935, mais le fait qu’elle intéresse encore les spectateurs aujourd’hui.

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur La Guerre de Troie n’aura pas lieu : synthèse finale · Catégories: Première · Tags:

Que faut-il retenir de cette pièce de Giraudoux qui revisite la matière antique sous la  forme d’un débat autour de la guerre ?  peut-on vraiment l’éviter ? de quel type de théâtre s’agit-il ? quel est le sujet exact ? l pièce a-t-elle eu du succès ?  autant de questions qu’on peut vous poser à l’oral ..alors révisez bien et complètes si besoin vos notes .

Principales adaptations et mises en scène

Première représentation en 1935 au théâtre de l’Athénée: succès incontestable,. Louis Jouvet et sa troupe de comédiens en sont les interprètes.

En 1962, Jean Vilar monte la pièce au TNP. Les costumes sont « antiques »

Niocolas Brancion en 2006 et Francis Huster en 2013 modernisent la pièce et renoncent oar exemple aux costumes antiques mais optent pour des tenues chics te une robe éclatante pour la beauté d’hélène.

Le renouvellement du théâtre

Tragédie ou comédie de boulevard ? A la lecture de la pièce, le spectateur peut être surpris par les différences de ton, d’un passage à l’autre et par les évolutions des personnages.

LLe sujet; il s’agit de l’arrivée à Troie d’une ambassade grecque venue réclamer Hélène, enlevée par le prince troyen Pâris. L’auteur mélange des éléments comiques qu’il ajoute au mythe homérique et conserve certains aspects tragiques comme par exemple, le caractère inéluctable du conflit.

La signification de la pièce

Dans les années 30/40, le théâtre se renouvelle notamment grâce à l’emploi des mythes antiques qui sont utilisés pour faire référence à des préoccupations actuelles comme , la montée des périls, l’émergence des dictatures en Europe et la menace d’une nouvelle guerre.

La pièce peut suggérer soit la toute puissance de la fatalité qui écrase les actions des hommes de bonne volonté, soit la force d’un humanisme actif qui peut faire changer les choses et peut-être, permettre d’éviter le pire. Homme de la paix, partagé entre la France et l’Allemagne dont il admire la culture, (il a été étudiant à Munich) Giraudoux pourtant n’a pas su prendre la mesure de l’affrontement qui se préparait alors et a accepté de faire partie du gouvernement de Vichy,en tant que délégué du ministre de l’Information.

Les raisons du succès de la pièce : la reprise du mythe avec de nombreux anachronismes qu else spectateurs comprennent , les dialogues vifs et le mélange d’humour à partir de sujets préoccupants.

La tragédie de l’histoire

Dans L’Allemagne vaincue, la violence est en germe. La parti nazi se développe sur fond de crise économique. La France est alors divisée entre nationalistes et pacifistes. En octobre 33, l’Allemagne quitte la SDN et une première tentative d’annexion de l’Autriche échoue en 1934.En janvier 35, Hitler alors chancelier rattache, de force la Sarre à l’Allemagne. On sent monter l’ombre d’un nouveau conflit et de nombreux intellectuels se mobilisent en créant le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et la ligue des droits de l’homme. De nombreux anciens combattants de 14/18 ont peur de voir ressurgir les horreurs qu’ils ont vécues. Hector, lui-même , dans la pièce, est un soldat qui rentre de la guerre.

Les règles : un jeu

Giraudoux respecte l’unité de temps et de lieu. L’action se déroule en une journée, bien remplie ; Hector, de retour d’ une guerre, va devoir empêcher la nouvelle de se déclarer. Toute l’intrigue fonctionne sur une série d’oppositions binaires : portes ouvertes ou fermées, jour de bonheur ou jour de malheur, naissance ou mort d’un enfant. Il n’y a jamais dans la pièce de troisième choix, de dépassement possible des contradictions.

Le poids des choses

Hector est le personnage qui représente le Destin (d’ ailleurs son arrivée se confond au début de la pièce avec celle du Destin ) mais il s’en sépare dans la mesure où le Destin finit par l’emporter. Il garde l’initiative pendant une bonne partie de la pièce mais le rapport de forces s’inverse quand il se retrouve face à son père, aidé par Démokos. Il doit, à chaque fois s’adresser à un nouvel adversaire pour obtenir ce qu’il souhaite: maintenir la paix mais ce combat, lui aussi, semble perdu d’avance.

Hélène est celle qui dit toujours oui: elle est en accord avec l’ordre des choses.

Tout au long de la pièce, l’échéance se rapproche mais le spectateur a toujours l’impression que le plus important a lieu hors scène: ce sont les événements extérieurs qui viennent influencer le cours des choses. Toute la pièce est construite sur un retardement, un système qui tend à maintenir un équilibre à peu près constant, entre le oui et le non, si bien qu’à la fin de la pièce, la question reste posée. Équilibre théorique, car le héros, homme de bonne volonté, a lui-même assez vite , le sentiment d’être insidieusement débordé par l’enchaînement des circonstances. Il garde le souci de combattre mais il est vite conduit à s’interroger sur l’efficacité de son combat. C’est toute l’idéologie des années 30 qui est en cause: en bref, le héros est-il encore sujet de l’histoire?

Giraudoux a dit pour expliquer son passage du roman au théâtre et le choix de son sujet , en 1930, à son retour d’Allemagne:

« la question franco-allemande est la seule question grave de l’univers(..) cet espace incompressible qu’il y a eu cinq ans entre nos tranchées, il est dramatique, au sens technique du mot.;Que les deux peuples où les bienfaits de la paix ont été poussés à leur perfection la plus raffinée et qu’aucune rivalité commerciale ne divise, soient désignés pour lutter en champ clos et trancher par leur duel, les différends des autres, c’est là un sujet qu’il convient de méditer un peu plus en commun, dans ces assemblées générales que sont les théâtres. »

« Ce qui me dégoûte dans la guerre, c’est son imbécillité.” Jean Giono, 1934

« L’honneur est la passion qui fait mourir » Alain, Mars ou la guerre jugée, 1921.

05. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Une scène d’exposition · Catégories: Première · Tags:

La scène d’exposition au théâtre a une triple fonction : elle présente le cadre spatio-temporel , les personnages  ainsi que leurs relations et l’intrigue de la pièce. Quel type d’exposition Giraudoux a-t-il choisi comme ouverture de La Guerre de Troie n’aura pas lieu

Il s’agit tout d’abord d’un dialogue entre deux femmes qui sont parentes et troyennes : Andromaque est la femme d’Hector, prince héritier de Troie, fils de Priam le roi et Cassandre est la soeur d’Hector et de Paris, la belle-soeur donc d’Andromaque. Les deux femmes sont en opposition sur pas mal de points ; une ambassade grecque vient d’être mandatée afin de déterminer si la guerre doit avoir lieu ; Andromaque optimiste pense pouvoir l’éviter alors que Cassandre, qui a un don de prophétie mais que personne croit jamais, paraît sûre qu’elle aura bien lieu . Se propos ont des allures catégoriques: ” Et la guerre de Troie aura lieu” Cette réplique fait suite à celle d ‘Andromque, à l’inverse ; Le ton de cette dernière  peut s’apparenter à de la colère et une pointe d’inquiétude comme pourrait l’indiquer le point d’exclamation: ” la guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre ! , ” Ce premier dialogue nous plonge au coeur du problème et de l’action ; L’arrivée d’Hector semble un point déterminant et on retrouve, au coeur de cette scène d’exposition, la plupart des éléments du théâtre classique tels que les définit Boileau dans son Art Poétique en 1674 : “Que dés les premier vers, l’action préparée,/ Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.”  et la règle des trois unités , résumée avec ces deux alexandrins : “Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli/ Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. Par bien des aspects en effet, le théâtre de Giraudoux s’inspire de la tragédie classique mais le dramaturge y ajoute un mélange des tons et une verve comique, qui caractérise le mélange des genres , pratiqué par de nombreux dramaturges en ce début du vingtième siècle . La première scène de la pièce révèle un thème tragique : l’imminence d’un conflit mais le sujet est traité sous une forme parfois comique avec notamment la familiarité de certains répliques et les arguments ad hominem utilisés par les deux femmes . Voyons comment nous passons en quelques lignes d’une dispute amicale à un conflit dramatique.  Tout d’abord, le début de la pièce peut paraître quelque peu déroutant pour le spectateur qui connait l’histoire de la Guerre de Troie et le destin tragique de la plupart des protagonistes.Les principaux acteurs de ce conflit, même ceux qui ne sont pas sur scène, sont nommés par les deux femmes; ces dernières se tutoient mais leurs liens familiaux n’effacent pas leur désaccord qui se manifeste clairement par la reprise , en version négative, de ce que l’une des deux ,affirme. Ce procédé met en valeur la radicalité de leur antagonisme : ” On la lui rendra ” affirme Andromaque, en parlant d’ Hélène, et Cassandre réplique immédiatement: ” On ne la  lui rendra pas” .  Ce procédé est utilisé à plusieurs reprises au cours de cette scène et lui confère ainsi un aspect comique et tragique à la fois .

Le différend entre les deux femmes semble également se prolonger lorsqu’elles évoquent  leur vision des choses : l’une  se veut optimiste et reproche à l’autre son pessimisme , sur un ton parfois agacé : ” Cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l’effroyable ? ”  Cette interrogation d’Andromaque est une critique de Cassandre et l’adjectif effroyable marque bien ce que représenterait une nouvelle guerre pour les Troyens: une catastrophe. Face aux sinistres prédictions de sa belle-soeur, Andromaque tend à se fermer de plus en plus et à refuser l’échange comme le montre cette évolution de ses répliques : elle commence par dire ” je ne sais pas ce qu’est le destin,” sorte de refus de la  notion même de fatalité, avant d’enchaîner, quelques phrases plus loin avec ” je ne comprends pas les abstractions” pour bien montrer qu’elle n’entend pas se laisser convaincre;  Cassandre emploie alors une image concrète “une métaphore pour jeunes filles ” . Elle sous- entend ici, non sans ironie, que tout le monde est capable de comprendre ce qu’est le destin et qu’Andromaque n’a ainsi plus d’excuse valable pour faire la sourde oreille .  La métaphore du tigre illustre en effet, assez bien ; la cruauté du destin, et l’idée qu’il frappe sans bruit, sans  forcément un signe annonciateur .  Andromaque, à court d’arguments logiques s’en prendra alors directement à la personne de sa belle- soeur en multipliant les attaques personnelles : “je ne te comprends pas ” et ensuite “”le destin s’agite dans les filles qui n’ont pas de mari“,   attaque à peine voilée au célibat de Cassandre qui pourrait susciter sa jalousie envers les femmes heureuses en ménage , et les futures mères .  Andromaque souhaiterait que sa belle -soeur cesse de parler et elle entend la faire taire : ce que reflète, en outre, la modalité injonctive de l’impératif dans “laisse-le dormir ” , à propos du tigre-destin . On note toutefois une évolution tragique car l’ incompréhension de la femme d’Hector  finit par se transformer en une sorte d’angoisse qui se manifeste dans la réplique, qui est cette fois davantage une supplique : “Ne me fais pas peur Cassandre”  On peut donc en déduire que Cassandre a pris l’ascendant sur la femme d’Hector et que c’est sa vision pessimiste qui pourrait l’emporter, à la fin de cette première scène, dans l’esprit du spectateur . Cette scène d’exposition remplit bien les fonctions traditionnelles : elle indique le cadre dans lequel va se dérouler l’action et présente  les liens entre les différents personnages . Elle introduit le spectateur in medias res : au milieu d’une histoire en cours

Le dramaturge donne également des indications sur le hors-scène : on apprend ainsi, en leur absence que le couple formé par Hélène et Paris ne s’aime plus guère ; ” Paris ne tient plus à Hélène ” ce qui pourrait constituer un argument pour les défenseurs de la paix ; Mais suffit-il de rendre à Mélénas sa femme pour que ce dernier considère que l’offense qui lui a été faite , est réparée ; Les Grecs qui ont fait le déplacement vont-ils accepter la restitution d’Hélène ? ne vont-ils pas réclamer des dédommagements pour le préjudice subi ? De plus ,Hector est présenté comme un guerrier victorieux : va-t-il renoncer à faire la guerre ? L’action se place au printemps et symboliquement “le plus beau jour de printemps” comme pour signifier que ce jour est propice à la paix; L’absence de didascalies peut nous faire hésiter sur la manière d’interpréter certaines répliques ironiques de Cassandre et il faut alors se référer au contexte mythologique pour comprendre les caractères inventés par le dramaturge .  Cassandre dit, en effet, toujours la vérité,  et elle connaît le futur : “la guerre de Troie aura lieu”  affirme- t-elle ici  en employant un futur . Cette affirmation  plonge le spectateur dans une attente tragique car il connaît l’issue inéluctable et les conséquences terribles de cette guerre qui va se déclencher . Toute l’habileté de Giraudoux consiste à différer le dénouement tragique en nous donnant de faux espoirs tout au long de la pièce. Andromaque compte sur Hector pour faire pencher la balance et le destin du côté de la paix et le spectateur est lui aussi dans l’attente de l’arrivée sur scène du personnage, arrivée imminente annoncée par les “trompettes” de la victoire . 

Un début traditionnel donc mais qui peut néanmoins surprendre le spectateur par les libertés prises par rapport aux personnages de la mythologie ; les noms sont respectés et correspondent essentiellement à la version d’Homère mais avec quelques variations; ainsi Andromaque est seulement enceinte alors qu’Astyanax est déjà né quand la guerre éclat dans l’iliade. De plus , Homère se place dans le camp grec pour raconter l’histoire de la guerre alors que Giraudoux situe l’action de sa pièce  à l’intérieur de Troie, avant que la guerre éclate. Le dramaturge es sert de matière antique comme d’une source d’inspiration afin de faire réfléchir ses spectateurs à la situation actuelle de la France en 1935, confrontée au péril d’une nouvelle confrontation avec l’Allemagne. La culture antique sert ici de paravent pour masquer l’actualité d’un questionnement ; Giraudoux utilise également les symboles comme le lavoir, qui dans l’Iliade représente la paix ou les remparts qui représentent le futur siège de Troie. Le spectateur peut davantage s’identifier au personnage d’Andromaque car elle relaie les craintes de la population à propos d’un nouveau conflit alors que les propos de Cassandre demeurent plus mystérieux . Les personnages eux-mêmes peuvent apparaître , par l’effet de la mise en abyme, comme les spectateurs de leur propre destin qu’il se contentent d’observer , en haut des remparts, sans pouvoir changer le cours des choses. Tout au long de la pièce, le dramaturge va exploiter la dimension poétique et la dimension symbolique des objets comme par exemple avec des répliques comme ” quand il est parti voilà trois mois, il m’a juré que cette guerre était la dernière.” qui  fait référence à la guerre 14/18, surnommée par les anciens combattants “la der des der.” Le problème politique déplacé dans un contexte antique permet ainsi la mise distance et suscite davantage la  réflexion. De  plus , la légèreté du ton de certaines réparties contribue à rendre l’atmosphère moins pesante. 

En conclusion, ce début de pièce annonce bien au spectateur ce qu’il découvrira par la suite. Il présente les personnages et leurs relations, il fixe le cadre spatio-temporel et il indique le sujet de l’histoire. Il donne également le ton de l’œuvre avec un renouvellement du genre théâtral de la tragédie, autant sur le fond que sur la forme. Après cette entrée en matière, le public souhaite évidemment en savoir plus. Il se demande si le titre sera réalisé, c’est-à-dire si Jean Giraudoux propose réellement une réécriture de l’histoire d’Homère avec une guerre de Troie qui n’aura finalement pas lieu. Il a hâte aussi de découvrir physiquement les autres personnages dont on lui a parlé dans cette scène d’exposition, notamment Hélène et Hector, personnages assurément clefs pour la suite de la pièce. 

14. février 2016 · Commentaires fermés sur Vous avez demandé la Belle Hélène ..qui est-elle au juste ? · Catégories: Première · Tags:

Le personnage d’Hélène dans la pièce de Giraudoux La Guerre de Troie n’aura pas lieu , se présente sous différents aspects : froide et détachée de tout forme de sentiments, beauté fatale, inconstante en amour et volage, douée de capacités d’adaptation hors du commun, comment le dramaturge a t-il décidé d’incarner cette femme dont on a souvent pensé qu’elle était à l’origine de la guerre ?

Hélène
n’apparaît qu’à la scène 7
de
l’acte I, mais dès leurs premières répliques dans la scène 1,
Andromaque et Cassandre parlent d’elle et montrent qu’elle est
l’enjeu de la guerre et de la pièce, confirmant ainsi ce que savent
déjà les spectateurs informés qui connaissent L’Iliade.
Mais
Giraudoux va au-delà du récit homérique en utilisant pleinement
les ressources du théâtre : quel va être ce personnage, cette
femme si belle qu’elle a déclenché la guerre  ? Le spectateur attend
avec impatience de la voir enfin, et ce d’autant plus que jusqu’à
la scène 7,  tous en parlent abondamment.

Tous
les hommes, de l’adolescent (Troïlus) aux vieillards, en sont fous
et clament sa beauté (« Vive la beauté ! Vive Vénus ! »,
crient les vieillards, acte I, sc. 4). Cassandre explique : « Ils
ont imaginé que c’était Vénus qui nous donnait Hélène pour
récompenser Pâris de lui avoir décerné la pomme », et
prévient Hector : « Priam est fou d’Hélène. Il livrerait
plutôt ses filles. Et tous nos frères, et tous nos oncles, et
tous nos arrière-grands-oncles. »

Hélène
est l’objet de tous les fantasmes masculins : les hommes
l’idéalisent à tel point qu’ils font paradoxalement de cette
femme grecque l’incarnation de leur terre troyenne, leur Muse
patriotique ; en effet, selon le Géomètre, « depuis qu’Hélène
est ici, le paysage a pris son sens et sa fermeté » (acte I, sc.
6).
Les femmes la considèrent, sans doute avec une pointe de jalousie,  comme une courtisane : « elle
fait le chemin de ronde », s’exclame Hécube à l’acte I, scène
4, et Cassandre note dans la même scène : « Elle rajuste sa
sandale, debout, prenant bien soin de croiser haut la jambe. » Mais
leurs réserves, leur ironie et leur mépris ne font en définitive
que confirmer sa beauté, qu’amplifier l’attente du spectateur.

À
ce dernier en définitive de juger s’il y a quelque chose derrière
la beauté d’Hélène ou si ce n’est qu’une ravissante idiote,
conformément à l’adage « Sois belle et tais-toi ». Dans la
légende, Hélène est l’incarnation de la beauté de la femme
grecque ; elle se réduit par là à une fonction : la séduction.
Et, par bien des aspects, l’Hélène de Giraudoux est conforme à
ce modèle ; on pourrait même dire qu’elle s’y conforme
complaisamment.

Est-elle
intelligente ? Dans la scène 7, elle se soumet aux volontés de
Pâris, répète ce qu’il lui dit de dire sans réfléchir. «
J’adore obéir à Pâris », dit-elle à Hector, mais elle
n’hésite pas à se contredire et, alors qu’elle a repris, comme le
lui demandait Pâris, « Ménélas ? Je le hais », à la scène
8, elle dit à Hector : « Pourquoi le haïrais-je ? » Elle semble
ne pas penser par elle-même.
À l’acte I, scène 9, Hector
parle de « cette tête obtuse », et Ulysse, à l’acte II, scène
13, du « cerveau le plus étroit ». Elle se dit paresseuse à
l’acte I, scène 8, paraît insensible, indifférente aux autres,
et Pâris confesse à l’acte I, scène 4 : « Même au milieu de
mes bras, Hélène est loin de moi. » Superficielle, frivole,
infidèle : « Je n’aime pas beaucoup connaître non plus mes
propres sentiments » (acte II, sc. 8). 

 Hélène a connu de nombreux hommes :  « quelques-uns » avant Pâris, et Hector constate : «
Vous n’aimez pas Pâris… Vous aimez les hommes ». Oui, dit-elle,
« c’est agréable de les frotter… ». Pour elle, l’amour n’est
pas une exigence, une passion, il est un plaisir.

L’épisode
avec Troïlus, à l’acte II, scène 1, confirme ce besoin de
séduction, non sans une certaine cruauté. Elle joue avec ce
dernier, se joue de lui, le cajolant, le menaçant faussement,  le contraint à se
contredire (« Je ne veux rien… Je veux tout »). À Pâris qui
s’étonne dans la scène suivante : « Quel est ce baiser inédit
que tu me donnes, Hélène ! », elle lui répond, en présence
de Troïlus : « Le baiser destiné à Troïlus. » Quel que soit
le destin qui lui est réservé, elle est constante dans sa
volonté de plaisir, ce que confirme son apparition, embrassant
Troïlus, à la fin de la pièce.

Il
est impossible néanmoins de réduire l’Hélène de Giraudoux à
cette seule dimension de séduction. Elle est en effet beaucoup plus
complexe, voire ambiguë. Elle est avant tout l’instrument du
destin ; et sans doute le sait-elle : « Je laisse l’univers penser
à ma place », « Je n’y peux rien. (Cette obstination) n’est pas
la mienne. » Ulysse, à l’acte II, scène 13, nous confirme
qu’elle est l’incarnation de la fatalité : « Elle est une des
rares créatures que le destin met en circulation sur la terre pour
son usage personnel.  Ainsi sa soumission et son désir de séduire ne sont
pas de l’inconscience ou de l’inconstance, mais une forme de sagesse
: d’ailleurs, comme Cassandre, elle a un don. Pour elle le monde
n’existe que par des images : « Entre les objets et les êtres,
certains sont colorés pour moi. Ceux-là je les vois. Je crois en
eux. Je choisis (les événements) que je vois », dit-elle à
Hector dans la scène 9 de l’acte I. « Je ne lis pas l’avenir. Mais
dans cet avenir, je vois des scènes colorées, d’autres ternes.
Jusqu’ici, ce sont toujours les scènes colorées qui ont eu lieu.
» Ainsi, elle voit la bataille, la chute et l’incendie de Troie, la
mort de Pâris et d’Hector : Ah vous croyez que c’est Pâris ? »

En «
voyant », elle est aussi miroir de l’univers, avec lequel elle est
en harmonie. Hector s’étonne devant ses yeux : « Qu’elle est pure,
la lentille du monde », et se bornant à voir et à recevoir,
Hélène a accès à une vérité qui échappe aux autres.

Elle
accepte néanmoins de céder à la demande d’Hector et cela lui
confère une indéniable humanité. Elle va faire comme si elle
avait le choix et prendre le parti de la paix. Elle va soutenir
Hector (acte II, sc. 10 et 11) face à Ulysse. Elle montre même
une certaine sensibilité et ménage Hector en esquivant ses
questions : « Personne n’est infaillible. » À Cassandre, elle
avoue : « Je ne l’ai pas dit à Hector. Mais le cou de son fils est
illuminé (…) où bat l’artère. »

On
peut constater aussi qu’elle ne manque ni de sensibilité poétique
(témoin ce qu’elle dit de la mort de Pâris à l’acte I, scène
9 : « Je vois un morceau d’aurore qui roule dans la poussière »),
ni de sens de la repartie (« S’il suffit d’un couple parfait (…),
il y a toujours le vôtre, Andromaque 

 Hélène a compris, peut-être mieux
qu’Andromaque, que les guerres se nourrissent de symboles,
d’illusion, d’apparence et non de vérité. Mais ces qualités
humaines, elle les exerce avec distance. En amour, elle oppose sa
vérité à celle d’Andromaque : « Je suis commandée par lui,
aimantée par lui. L’aimantation, c’est aussi un amour, autant que
la promiscuité. » Elle refuse d’y verser « la jalousie, la
tendresse et l’inquiétude ». Et elle refuse aussi la pitié.
Hélène a une connaissance du malheur, mais une connaissance
lucide, comme d’une loi du monde. Elle évoque avec des détails
réalistes les malheurs qu’elle a côtoyés dans son enfance et
elle se dit solidaire des malheureux : « Tous ces malheureux, je les
sens mes égaux (…) Je les admets. » Cette
distance en fait un personnage scandaleux, mais doué d’une
indiscutable sagesse, une femme à la fois forte et fragile, froide
mais entière et disponible, « bloc de négation qui dit oui »
comme le dit Hector à l’acte I, scène 9, et finalement paisible
et pacifiste dans ses soumissions successives.


14. février 2016 · Commentaires fermés sur Un dénouement rocambolesque : la Guerre de Troie aura bien lieu ! · Catégories: Première · Tags:

La dernière scène d’une pièce comporte habituellement les éléments du dénouement de l’intrigue ; A la scène 14 de l’acte II, Giraudoux met donc un point final à sa pièce et le spectateur comprend que la guerre va avoir lieu ; Cassandre prononce les dernier mots : “Le poète troyen est mort (il s’agit ici de Démokos ) .<em>;la parole est au poète grec (et le spectateur peut penser qu’il s’agit d’ Homère qui va raconter la guerre de Troie dans l ‘Iliade , son légendaire poème épique . Les paroles de la prophétesse peuvent toutefois paraître énigmatiques et Giraudoux a choisi un final très riche en rebondissements de tous ordres; jugez plutôt..

Andromaque au début de la scène paraît désespérée et consciente que tous les efforts déployés par son camp pour lutter contre la guerre semblent vains; Ulysse est en train de remonter à bord et tout le monde retient son souffle jusqu’à ce qu’il soit enfin parvenu à destination. Hector semble lui confiant et suit pas à pas le trajet d’Ulysse  que le spectateur devine à travers les indications : “une minute encore” ..”il marche vite“..”le voilà déjà en face des fontaines ” 

Trop angoissée, Andromaque a décidé de se boucher les oreilles pour ne plus rien entendre et elle n’entend donc pas Oiax arriver.Cet envoyé grec qui a pour mission de raccompagner Hélène à bord du navire grec va jouer un rôle prépondérant dans la suite des événements ; le plus dur semble donc fait et Cassandre entend bien calmer Oiax et lui faire entendre raison; Ce dernier est en effet “ivre” et son agitation pourrait avoir des conséquences dramatiques comme le pressent le spectateur 
Giraudoux intercale donc  des scènes de comédie à l’intérieur de son dénouement tragique : la première partie de ce vaudeville est constituée par le jeu entre Oiax , que Cassandre tente de neutraliser et “essaie par la force de l’éloigner” ,  Andromaque qui continue à se boucher les oreilles et Hector qui assiste à cette attaque sur Andromaque en se montrant de plus en plus menaçant (il lève son javelot)  ; la scène peut tourner au drame et Cassandre rappelle les enjeux de cette ultime phase des négociations : “Ulysse est déjà à mi-chemin ”  La référence humoristique à la double énonciation théâtrale rappelle aux spectateurs ce qui est en train de se jouer sous leurs yeux : A Oiax qui pense que des paroles “qu’on n’entend pas ” ne peuvent avoir de conséquences fâcheuses (en effet, Andromaque ne peut se sentir insultée car elle s’est bouché les oreilles ) , Cassandre rappelle , au contraire que ces paroles peuvent être très graves car Hector lui en est le témoin silencieux ; Oiax en rajoute dans le registre de la muflerie en embrassant de force Andromaque mais Cassandre finit par le maîtriser et il la suit “je viens je viens..Adieu”  La menace semble a priori s’éloigner .
Au moment où il s’apprête à quitter la scène , premier coup de théâtre, Demokos, le poète belliciste, fait irruption et s’indigne  avec virulence comme à son habitude, de la décision prise par Hector de rendre Hélène aux grecs; Sa véhémence le rend particulièrement menaçant car il appelle les Troyens “aux armes ” et s’apprête à entonner le “chant de guerre ” qu’il réserve à cette occasion tant attendue” Au moment où il crie à la trahison, Hector abaisse son javelot et le tue; ce qui constitue un fait pour le moins inattendu. Il peut alors affirmer à Andromaque “la guerre n’aura pas lieu Andromaque ” ; Cependant son épouse , qui a toujours les mains sur les oreilles , n’a pas entendu et elle contemple Démokos à terre, interloquée;
Le spectateur peut alors se dire qu’Hector a évité la guerre en devant un meurtrier et que l’assassinat de Démokos sert une noble cause : empêcher des centaines de morts ; Le dramaturge indique alors  même qu’un dénouement vient d’avoir lieu que  “le rideau qui avait commencé à tomber se lève peu à peu”  Que va t-il se passer ? 
Nouveau coup de théâtre : Démokos qu’on croyait mort alors qu’il n’est que blessé, lance, sur scène, une fausse accusation contre les Grecs en prétendant qu’il a été tué par Oiax ; en effet, s’il accuse Hector,  le véritable coupable, personne parmi les Troyens ne voudra déclencher un conflit contre les Grecs; Hector tente à son tour  de s’accuser du meurtre et dénonce le mensonge de Démokos mais il est trop tard : les Troyens ont tué Oiax hors scène comme le précise la réplique d’Abnéos. Cette fois la guerre paraît totalement inévitable car les Grecs vont avoir un prétexte en voulant venger la mort d’Oiax .
Hector a tout fait pour éviter un dénouement catastrophique et son sort paraît encore plus cruel car son dernier geste pour surseoir au caractère fatal de ce conflit, provoque , par des moyens détournés, le drame final.  Sa menace d’achever Démokos s’il ne revient pas sur ses accusations ne trouve aucun écho chez ce dernier qui, comble de l’ironie, le traite avec condescendance : “Mon cher Hector, mon bien cher Hector ” réplique-t-il avant de réitérer son mensonge. C’ est donc sans la moindre haine mais au contraire avec beaucoup de bienveillance que le poète troyen déclenche la guerre.
On peut alors supposer qu’Hector le tue ou qu’il finit par mourir comme le laisse entendre l’avant dernier réplique de Cassandre : “Il meurt, comme il a vécu, en coassant” . Ce verbe appliqué étymologiquement  aux cris des grenouilles désigne les paroles désagréables de quelqu’ un et fait allusion à la médisance de Démokox dont les paroles mensongères sont véritablement à l’origine du mettre d’Oiax. Hector ne peut alors que constater , à haut voix, en s’adressant à son épouse : ” Elle aura lieu ” , paroles qu’entend cette dernière; Pour matérialiser cette nouvelle guerre, Giraudoux précise que “les portes de la guerre s‘ouvrent lentement. Elles découvrent Hélène qui embrasse Troilus ” Comment devons nous comprendre ce baiser entre Hélène et le jeune frère de Paris ? Peut être pour bien montrer que la guerre n’a pas été déclenchée pour un amour  légendaire (qui ne semble pas très fort dans la pièce) mais pour des raisons liées au désir de l’homme de déclarer la guerre .
En multipliant les coups de théâtre qui animent le final , en se moquant des règles de bienséance de la tragédie classique (un mort juste blessé qui crie sur scène ) , en différant l’arrivée de la crise et en intercalant des scènes de vaudeville au milieu du drame, Giraudoux nous offre, au final, un dénouement surprenant par certains aspects même s’ il fallait bien s’ y attendre et  s’y résigner, en effet, la guerre finira par avoir lieu. 
21. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Débat autour de la guerre : Acte I, scène 6 · Catégories: Première · Tags:

La pièce de Giraudoux, inspirée de la légende troyenne est en réalité le lieu d’une réflexion intense sur la guerre et les moyens de l’éviter. Fortement inquiet par la montée des nationalismes après l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, le diplomate français et germanophile, tente de nous faire partager ses craintes et évoque par la bouche de ses personnages les raisons qui poussent les hommes à vouloir s’entre-tuer. Le débat prend dans cette scène  la forme d’un duel entre Andromaque et son beau-père, le roi Priam; Tout semble opposer ces deux personnages porteurs d’idées divergentes à propos de la guerre; l’une est une femme et s’oppose à un homme, elle est jeune et porte la vie; il est vieux et ne tient plus vraiment à la vie.  Trouveront-ils finalement un terrain d’entente ? lequel des deux finira-t-il par l’emporter ? 

INTRODUCTION

Dramaturge de l’entre – deux guerres, il connaît le succès avec Siegfried en 1928,  puis avec Amphytrion 38 en 1929, viendront ensuite Electre et bien sûr La guerre de Troie n’aura pas lieu. Sa rencontre avec Louis Jouvet, un célèbre acteur et metteur en scène avec lesquels il monte ses pièces contribuera à son succès. Son écriture théâtrale originale s’inspire des mythes antiques et les mêle aux inquiétudes modernes.Il introduit dans ses tragédies un monde poétique, plein de fantaisie, un peu précieux et aussi la dérision avec des passages ludiques, anachroniques qui atténuent le pathétique de ses pièces.Créée dans l’entre – deux guerres, à une période où Giraudoux, éprouvé comme Giono par les massacres de la première guerre mondiale, sent la montée en puissance d’Hitler et avec elle la menace d’une autre guerre, la pièce en porte la marque.

En reprenant l’histoire de l’Iliade d’Homère, Giraudoux imagine que les Troyens attendent une délégation grecque dirigée par Ulysse qui doit demander raison de l’enlèvement d’Hélène par Pâris. Hector supplie son frère de laisser repartir Hélène pour éviter la guerre dont il est las car il en revient tout juste. Mais les vieillards de la ville , le belliqueux Démokos et le roi Priam ne l’entendent pas ainsi,. Dans ce passage, Andromaque, la femme d’Hector, cherche à faire changer d’avis son royal beau-père. Le dialogue qui oppose les deux protagonistes est bien représentatif du débat qui agite toute la pièce, à savoir : « faut –il déclarer la guerre de Troie ? ». Ici les arguments des deux parties apparaissent nettement au sein du débat qui traite autant de la guerre de Troie que de la guerre en général. Nous pourrons nous demander comment le dramaturge parvient à donner à cette délibération sur la guerre de Troie une dimension intemporelle.

 

I Une délibération sur la nécessité de la guerre

    Le dialogue met en présence deux thèses, celle d’ Andromaque opposée à la guerre, et celle de Priam, le roi favorable à sa déclaration. Le spectateur pourra délibérer sur la pertinence des arguments en présence.

A/ L’argumentation d’Andromaque pour le pacifisme

1er argument : l’argument affectif : « si vous avez cette amitié pour les femmes[…]Laissez – nousnos maris… »La guerre éloigne hommes et femmes, elle ne doit pas avoir lieu au nom de l’amour.

2ème argument :réfutation de l’argument de la nécessité de la guerre pour la virilité des hommes : « Pour qu’ils gardent leur agilité et leur courage, les dieux ont crée autour d’eux tant d’entraîneurs vivants ou non vivants. » Pour prouver son courage l’homme n’ a pas besoin de se battre contre son semblable à la guerre, il a les forces de la nature. Andromaque se réfère aux dieux qui dans la Grèce antique constituent un argument d’autorité ; plus largement cette référence signifie que c’est dans l’ordre de la nature qui a bien fait les choses. Elle a prévu que l’homme puisse dépenser son énergie, son besoin de combat dans l’affrontement avec les éléments (« Quand ce ne serait que l’orage ! »)et contre les bêtes (« Quand ce ne serait que les bêtes ! »). Elle emploie les termes d’ « agilité », d’« entraîneurs », d’« émule » et d’ « adversaire » pour parler d’eux plaçant ainsi la guerre sur le plan d’un besoin d’ activité physique et non plus d’ une activité noble pour défendre la patrie : « Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous les femmes confondons le poil avec les bruyères,  sont les plus sûrs garants de la vue perçante de nos maris que l’autre cible, le cœur de l’ennemi »(l.12 –16). On voit ici l’équivalence établie entre une « cible » et « le cœur ». Elle dégrade l’idée de guerre en la ramenant à un entraînement physique, ici exercer l’acuité visuelle. Andromaque s’exprime avec assurance comme le montrent les phrases assertives : « Aussi longtemps qu’il y aura des loups, des éléphants, des onces, l’homme aura mieux que l’homme comme émule et comme adversaire »(l.9 –11). Elle cherche à donner à son propos une portée générale, les références aux divers animaux concernent plusieurs types de pays.

3ème argument :  la guerre tue l’ennemi et les proches : « Pourquoi voulez – vous que je doiveHector à la mort d’autres hommes »(l.19 – 20) interrogation rhétorique qui présente l’affirmation comme une évidence. La métonymie pour désigner l’ennemi « le cœur de l’ennemi emprisonné danssa cuirasse »met l’accent sur son humanité .

4ème argument : la guerre tue les plus courageux et épargne les plus lâches (2ème réplique d’Andromaque)pire elle les honore : « Les soldats qui défilent sous les arcs de triomphe sont ceux qui ont déserté la mort »( l.36 – 37). Elle dénonce ici les faux – semblants et elle recourt à un raisonnement logique qui montre que « Pour ne pas y être tué, il faut un grand hasard ou une grande habileté ». Elle préfère la fierté d’un mari vivant plutôt que la gloire posthume : « Comment un pays pourrait – il gagner dans son honneur et dans sa force en les perdant tous les deux ? »

Conclusion en forme de question rhétorique : la guerre fait perdre à un pays ses forces vives (ses meilleurs combattants) et son honneur ( puisqu’on honore les plus lâches).

L’argumentation d’Andromaque est fondée sur l’amour, elle prône la paix au nom de l’amour et elle a une conception de la bravoure qui n’est pas celle de Priam.

B/ L’argumentation de Priam en faveur de la guerre

  Priam renverse les arguments d ‘Andromaque :

1er argument : La guerre est une nécessité, elle permet de garder l’honneur d’un peuple y compris pour les femmes à qui il s’adresse (pour répondre à Andromaque qui lui demandait de faire quelque chose pour les femmes), elle préserve la vie d’un peuple qui risque de perdre sa liberté : « Savez – vous pourquoi vous êtes là, toutes si belles et si vaillantes ? » Les termes « belles et vaillantes » font référence à la possibilité d’être heureuses et libres.

 Il utilise  un raisonnement hypothétique qu’il développe en deux temps pour montrer cette nécessité : « S‘ils avaient été paresseux aux armes, s’ils n’avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elles, c’est vous qui seriez lâches et réclameriez la guerre. » A noter la montée en crescendo des subordonnées hypothétiques (avec allongement  dans le deuxième groupe) puis la chute brutale avec la principale qui est courte et suggère ainsi que l’on se heurte aux nécessités : l’ absence de la guerre entraînerait les femmes à la réclamer.

 2ème argument : La tradition de la guerre est ce qui entraîne le courage des hommes

 « C‘est parce que vos maris et vos pères et vos aïeux furent des guerriers »(l. 23- 24). L’énumération en rythme ternaire rappelle que les guerres existent à chaque génération et qu’elles sont donc consubstantielles à la vie des hommes ; il part des plus proches, les maris, et va aux plus lointains, les aïeux. La guerre est donc une tradition. Elle donne sens à la vie : « cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elle »( l.25 – 27). Les verbes « justifie » et « illumine » montrent que la vie a un autre éclairage et prend un autre sens dans le dépassement de soi pour la patrie. Etre prêt à se battre oblige à se détacher de sa propre vie, à se dépasser  pour atteindre une dimension plus grande qui dépasse le simple destin humain, c’est ce qui donne du courage aux hommes : « Il n’y a pas deux façons de se rendre immortel ici – bas, c’est d’oublier qu’on est mortel »(l. 29 – 30). L’anacoluthe présente comme inéluctable le choix de se battre ; les termes « immortel » et « mortel » se répondent en antithèse.

3ème argument : Refuser la guerre est une lâcheté.

« la première lâcheté est la première ride d’un peuple »( l.40 – 41). Pour Priam, refuser de se battre peut mettre la patrie en danger comme le suggère la métaphore de la ride, signe de vieillesse et donc de faiblesse.

 Priam prône donc la guerre au nom de l’honneur et il considère qu’un peuple est courageux quand se  maintient la tradition de la guerre et que ses hommes méprisent la vie au nom d’un idéal supérieur.

    Les deux prises de position,  argumentées de façon relativement équilibrée, émanent de deux conceptions philosophiques différentes que Giraudoux soumet à la réflexion du spectateur. Andromaque, plutôt humaniste croit en l’homme et à son accord avec la nature, elle refuse une guerre qui vient rompre cet équilibre. Priam, plutôt nationaliste croit en une guerre qui permet à la nation de se maintenir et aux hommes de se dépasser.

 

II Un échange théâtral vivant

 La dynamique d’un dialogue saisi dans le quotidien des héros ainsi que  le choix de personnages et de registres opposés permettent aux idées de s’incarner de façon vivante.

A/  Des personnages opposés : une femme, un homme ; une jeune, un homme âgé ; une épouse

 Andromaque : elle incarne le point de vue des femmes et sa stratégie de persuasion est féminine

-elle parle au nom de toutes les femmes « Si vous avez cette amitié pour  les femmes » (l.2) / « Ecoutez ce que toutes les femmes du monde vous disent par ma voix »(l.3)/ « nos maris » (l.4) « nous les femmes »(l.13)

– elle est lyrique : son exaltation ( exclamatives), son langage poétique( l’image des « entraîneurs vivants et non vivants », la désignation de l’ennemi par la métonymie du  cœur « emprisonné dans sa cuirasse », l’énumération des bêtes + les détails donnés : « Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous confondons le poil avec les bruyères ») , sa référence à la nature, son implication personnelle (expression de ses sentiments pour Hector : « Chaque fois que j’ai vu tuer un cerf ou un aigle, je l’ai remercié. Je savais qu’il mourait pour Hector »l.17 – 19) et les marques de sa sensibilité.

– elle a recours au pathétique :  cf apostrophe pour apitoyer Priam + supplication « Mon père, je vous en supplie. »l.1) et injonctions larmoyantes (» « Ecoutez ce que … » « Laissez nous…  (l. 2 – 4))

Sa spontanéité, le pouvoir émotionnel de sa prise de parole ainsi que son lyrisme concret touchent le spectateur.

Priam : il incarne le point de vue des hommes, il a un discours viril, il est le chef de la cité ( c’est le roi, celui qui décide de la guerre, qui a la responsabilité des décisions).

  – il répond à toutes les femmes cf l’énonciation où « savez – vous pourquoi vous êtes là » et  il parle au nom des hommes « vos maris et vos pères… »

  – son raisonnement est plus froid que celui d’Andromaque : les termes d’articulation logique mis en avant «  C’est parce que … » (l.23) « S’ils…s’ils… »

 – il adopte un registre didactique : cf questions / réponses, termes affectueux qui placent Andromaque en position d’inférieure « ma petite chérie », maximes avec emploi de présents de vérité générale : «  Il n’ y a pas deux façons de se rendre immortel ici- bas, c’est oublier qu’on est mortel », « La première lâcheté est la première ride d’un peuple ». Ces formules assertives marquent la certitude de celui qui sait et qui explique à celui qui ne sait pas.

  – il a des valeurs masculines : l’honneur, le courage VS la lâcheté.

Priam a une rhétorique moins passionnée que celle d’Andromaque. L’efficacité de son discours vient de sa capacité à renverser les arguments d’Andromaque et à user de formules lapidaires comme celle de sa dernière réplique.

B/ Un échange vivant

– un dialogue pris dans une action puisque leur discussion aura un impact sur les choix qui seront faits : s’engager dans la guerre ou non

– enchaînement d’arguments et de contre – arguments : Priam répond à l’accusation de vouloir faire mourir Hector, Andromaque réplique à l’argument de l’immortalité

– Un dialogue simple entre deux personnes de la même famille cf termes affectueux : « Mon père »(l.1), « Ma petite chérie »(l.21), « Oh ! justement père » (l.31) , « Ma fille » (l.40)

 – Une tolérance et un équilibre des points de vue.

 – Des registres variés : lyrique, pathétique, didactique

  L’échange joue à la fois sur la différence un peu stéréotypée entre le pacifisme féminin et la virilité guerrière et sur le recours à des stratégies argumentatives différentes : Andromaque est davantage dans la persuasion et le lyrisme tandis que Priam est dans la conviction et le didactisme. Ces oppositions ont l’intérêt de faire apparaître nettement les idées et de leur donner vie. Mais l’art de Giraudoux consiste aussi à faire de ce débat ancré dans l’histoire antique une discussion universelle sur la question de la nécessité de la guerre.

La double énonciation théâtrale permet de se demander quel est le point de vue de Giraudoux : l’argumentation de Priam apparaît plus lapidaire, c’est lui qui a le dernier mot mais Andromaque a du talent  et touche fortement le spectateur. Ce qui est sûr, c’est que Giraudoux veut faire réfléchir le spectateur et donner au débat une portée universelle…

 

III Une portée intemporelle et universelle

   La réécriture du mythe infléchit la portée de la réflexion.

A/ Une tragédie antique revisitée

Le mythe grec de la guerre de Troie = moyen de dramatiser une actualité de l’époque et de lui donner du poids.

Andromaque femme d’Hector, Priam, roi troyen évoquent tous deux la célèbre histoire de la guerre de Troie, la guerre de référence des occidentaux.

– le mythe donne à la pièce et à la scène une dimension plus conséquente, il inscrit le problème de la guerre dans une dialectique plus grande que la simple contingence temporelle. Il place l’homme dans un destin qui le dépasse.

B/Une tragédie moderne :

– des personnages de tragédie : un roi, une princesse./ un registre pathétique ( évocation des conséquences de la guerre)

–  Mais un langage familier, des termes affectueux qui ne sont pas du registre de la tragédie.

– Des relations entre les personnages qui sont simples : pas de respect des grades, de l’étiquette

–  des images de référence intemporelles : les images animales chères à Andromaque. Elles placent l’homme dans son rapport éternel à la nature.

C/ Une préoccupation de l’époque : la guerre.

Giraudoux traite de préoccupations de l’époque avec la distance que donne le théâtre. Il donne à réfléchir avec le recul du temps par le choix du mythe. Il évite de traiter les questions particulières pour montrer que la guerre est une question qui dépasse les simples contingences d’une époque mais qu’elle concerne quelque chose de plus profond    / Une réflexion générale sur ce qui pousse l’homme à la guerre : les pulsions meurtrières et l’envie de se sublimer pour atteindre l’éternité.    

      Le choix de la guerre de Troie pour parler des préoccupations de 1935 et le souci qu’ a Giraudoux de mettre au jour ce qui  dans le psychisme humain porte à la guerre confèrent au dialogue écrit dans une langue moderne une dimension universelle qui dépasse le cadre de la tragédie grecque et même celui de l’époque dans laquelle il a été écrit pour prendre une dimension intemporelle.

CONCLUSION : A travers ce dialogue théâtral qui propose un débat entre deux héros de tragédie qui incarnent des positions opposées, Giraudoux exprime la difficulté de délibérer sur la guerre. En effet, les deux points de vue sont argumentés et se justifient mais tous deux font apparaître un certain pessimisme sur la nature humaine animée de pulsions agressives et de volonté de puissance. Le dialogue s’inscrit dans l’histoire antique de Troie mais il prend une dimension plus large grâce à une réécriture moderne du mythe. Dans le contexte de la deuxième guerre mondiale qui se prépare, Giraudoux a voulu atteindre l’universel pour permettre au spectateur de réfléchir et de faire ses choix en toute connaissance de cause. Le théâtre permet de mettre à distance les problèmes pour mieux les juger, Giraudoux estime d’ailleurs, comme de nombreux dramaturges, qu’il a une fonction édificatrice, il disait en 1941 dans son Discours sur le théâtre  : « Le spectacle est la seule forme d’éducation morale et artistique d’une nation. Il est le seul cours du soir valable pour adultes et vieillards, le seul moyen par lequel le public le plus humble  et le moins lettré peut être mis en contact personnel avec les plus hauts conflits, et se créer une religion laïque, une liturgie et sessaints, des sentiments et des passions. »On peut espérer que le théâtre par sa fonction distrayante puisse assumer encore longtemps cette fonction instructive pour peu que le public continue à y aller…