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La lecture du roman de Laurent Gaudé a été l’occasion pour les élèves de réaliser un florilège de citations. Comment devaient -il s’y prendre ? La méthode la plus simple consistait à prélever des citations au fur et à mesure de la lecture et à les noter sur un document . Relevez les numéros des pages permettait ensuite de les classer par thèmes et de réaliser une compilation organisée des phrases qui paraissaient définir la guerre et son cortège d’horreurs. 

 

« Si on n’arrive pas à percer quand on se lève tous comme ça, si on ne passe pas quand on est des milliers à courir en gueulant, je me demande bien où on reculera. »

« Je ne pensais pas que la mort pouvait avoir le visage d’un gamin de dix-huit ans. Ce gamin-là, avec ses yeux clairs et son nez d’enfant, c’était ma mort. »

« C’est comme une dernière éruption de vie et puis plus rien. Plus rien. La mort. »

« Je me demande bien quel visage a le monstre qui est là-haut qui se fait appeler Dieu, et combien de doigts il a à chaque main pour pouvoir compter autant de morts »

« Corps à corps pour la vie. J’étais une bête et je ne m’en souviens plus. J’étais une bête et je n’oublierai jamais. »

« Nous avions appris à décliner la peur dans toutes ses formes. Mais celle-ci nous était encore inconnue et je n’ai pas su m’en défendre. C’était la peur de l’attente. »

« Il fallait être vif. Ne pas penser. Ne pas faiblir. Percer et tirer sans cesse. Je n’ai plus vu personne. Corps à corps pour la vie. J’étais une bête et je ne m’en souviens plus. J’étais une bête et je n’oublierai jamais. »

« Tire et tue. Plus que cette seule idée en tête. Sois rapide. Plus rapide que les autres. Tire et tue. »

« La mort s’est joué de lui. Elle l’a pris de plein fouet. Pour sa première charge. C’était un homme et il méritait mieux que cela. »

« Nous n’avons pas le temps. Le sang nous est compté. »

« Fils de la guerre, père des tranchées. »

Jules : une petite armée d’hallucinés qui n’a plus peur et ne sait plus dormir

Marius : Alors nous sommes retournés vers cette immense bande de terre, dans ce terrain pelé qui n’est à personne, où personne ne s’arrête que les morts 

Jules : Personne ne peut se soustraire à la pluie d’obus

Castellac : Il aurait dû avancer vers la mort comme le commandant du navire en perdition qui va bientôt être englouti par les flots

Boris : Le grand pays rasé du champ de batailles, ce n’est qu’une succession terreuse de trou et d’amas, un pays barbelé.

Jules : La terre ici a perdu son visage vérolé.

Castellac : Nous avions appris à décliner la peur sous toutes ses formes.

Messard : Ils ont décidé de l’heure de l’apocalypse, ils ont fumé une dernière cigarette et puis, après avoir regardé leur montre, ils ont chargé leurs mortiers

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Le roman se termine  un peu comme il a commencé , avec la voix de Jules qui est la dernière à se faire entendre, la voix du porte-paroles de tous les soldats morts, la voix du survivant qui a fui la guerre. Quel sens donne ce final au roman et quel rôle y joue le personnage ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord rappeler ce qui s’est passé pour ce personnage, quelles ont été les étapes principales de son parcours. 

Jules ne cesse de courir depuis qu’il a fui le théâtre de la guerre. D’abord combattant, il a choisi de ne pas regagner le front et de poursuivre le combat sous une autre forme, en transmettant à l’arrière les paroles des soldats disparus, Il fait donc revivre le souvenir des morts par ses paroles adressées à la foule des villageois; Mais ces derniers le rejettent violemment , s’en prennent à lui , le traitent de fou et de déserteur et il est forcé de s’enfuir pour ne pas être lapidé. Le passage s’ouvre sur la course de Jules et on retrouve sa détermination “ je sais où je vais ” j’ai compris ce que voulait le gazé” ; Depuis le début du roman, il est en marche, en mouvement : d'abord marcheur silencieux, il ne parle à personne et garde la tête baissée sur la foule de ses camarades  condamnés . Ensuite dans le train, il saute car il a conscience qu'il lui faut emprunter d’autres chemins ; Il a bien du mal à se remettre debout et c’est lourdement qu’il se remet en marche.Poursuivi par des voix qui sifflent dans son dos, il accélère te se met à courir avant de comprendre qu’il doit les emmener là où il va.mais comment va t-il faire entendre toute ces voix ? désireux de ne pas rester sur l’échec de sa parole, il imagine alors un dernier moyen de transmettre la mémoire des cris des hommes.

Comment le travail artistique est-il décrit dans cet épilogue ? 

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1. Faire oeuvre de mémoire : répondre à une demande intérieure, à une nécessité

Jules n’agit pas en son nom mais pour ses camarades : cette dimension altruiste de l’art est mentionnée fréquemment. L’artiste obéit à une demande impérieuse qui provient des soldats : “ je leur ferai à tous une stèle vagabonde” Lorsqu’une statue est terminée, une voix s’apaise en lui comme si elle acceptait l’offrande de ce témoignage mais des voix aussitôt la remplacent  “sa voix s’est tue dans mon esprit”  (40) “mais une autre voix  a pris la place de la sienne”  Une à une les voix s’apaisent mais il en revient toujours ” ( 64). L’ art apparaît comme une réponse à un besoin impérieux de rendre compte de quelque chose d’important qu’il est nécessaire de conserver . L’artiste best ainsi investi d’une mission qui le dépasse et il apparaît comme un vecteur au service d’une entreprise collective. Gaudé souligne peut- être ainsi qu’un homme seul peut difficilement venir à bout d’une telle entreprise et que l’artiste se sent souvent impuissant ou démuni face à la tâche à accomplir.

C’est une vague immense que rien ne peut endiguer” : la métaphore de la vague déferlante est la même que celle qui a été utilisée pour rendre compte de la violence des assauts sur le champ de bataille. 

2. Construire une trace

Le roman peut se lire comme une tentative de restituer la multiplicité des voix et à l’intérieur de ce roman, Jules représente le créateur, l’artiste qui va donner vie ; il est donc la mise en abîme du romancier et de son travail . Les termes répétés “se mettre à l’oeuvre” (l 3/4) , commencé mon travail (10) ne pas ménager sa peine , travailler sans relâche ”  (12) “travaillé toute la nuit “34  “je vais travailler”  (58) soulignent tous la difficulté de l’acte de création artistique et l’importance du travail ; l’oeuvre nécessite un labeur parfois source de douleur et de nombreux artistes développent ce thème de la douleur de la création.

3 Jules ou le marathon du créateur :  savoir surmonter ses échecs

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Cette douleur n’est pas seulement liée à l’ampleur de la tâche : “Tous les carrefours. Toutes les places . Le long des routes ; partout ” , (47). L’artiste s’impose véritablement un travail colossal : “je couvrirai le pays de mes pas” , ” j’ai des routes entières à peupler ”  ( 58) à la mesure de ce qu’il doit accomplir. La difficulté de l’artiste provient également des choix artistiques qu’il doit effectuer ; Quel media utiliser pour être entendu ? poésie, théâtre, essai, roman ? quelle langue est à même d’être la mieux comprise ?  quelle forme donner au texte ?  Pour répondre à ces questions , l’artiste tâtonne et doit apprendre de ses erreurs : ” je ne ferai pas deux fois la même erreur” explique Jules (l 7) . Il se met à l’ écoute et  laisse parler les voix ‘l 44 ; Il renonce aussi à s’exprimer avec sa propre voix : on peut sans doute y lire un refus d’une expression personnelle  ou d’une forme de témoignage direct d’événements vécus. Le détour par la fiction, la création d’un roman permet la médiation  et la transformation à partir de laquelle l’oeuvre artistique permet de renvoyer au monde dont elle est extraite . Ainsi Jules déclare “Je ne parlerai plus. La pluie de pierres m’a fait taire à jamais. ” (l 54) . Il va donc devenir sculpteur et offrir aux villageois les statues pétrifiées des soldats morts. 

4. L’artiste montreur d’ombres 

Jules doit trouver le moyen de faire partager son expérience et de la rendre accessible au plus grand nombre , à ceux qui ne la connaissent pas. L’art est donc conçu sous la forme du partage ; le sculpteur donne ses stèles en offrande et retrouve les gestes symboliques comme  “s’agenouiller par terre ” (10)   ” donner corps” “modeler “donner un visage ” Comme le disait Rimbaud, le poète donne une forme à ce qui n’en a pas encore . Jules crée à partir de la terre un peu comme Dieu a créé l’homme à partir de la glaise et les gestes du créateur donnent vie à ce qui n’existait pas . Il construit à partir “d’ un grand corps de boue informe ” et le transforme en “stèle ” en “témoin de son passage ”  Cette longue colonne d’ombres  ( v 55)  est offerte aux regards. Il est devenu “les mains de la terre“.  Cette image rend concrète le travail  de création artistique :

5. L’art comme réponse à l’oubli : vaincre la mort 

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Beaucoup d’artistes évoquent leur postérité en disant qu’il ont laissé des traces de leur passage sur terre et que leurs oeuvres témoignent de ce qu’ils furent mais dans cet épilogue, Jules est surtout préoccupé par le fait de rassurer ses camarades : “je voudrais lui dire qu’il peut se rassurer ” à propos du gazé qui craignait de mourir seul (l 3) Il s’adresse même directement aux morts : “Calme-toi le gazé. Tu peux te taire maintenant et mourir car, par cette statue embourbée dans la terre, tu cries à  jamais. ”  Il va proposer des souvenirs , sous la forme de statues pétrifiées “d’ une terre où l’on meurt” (70) Et ces statues demeureront à jamais les visages de leur mort et retranscriront leur douleur , non pas dans des cris , mais bouche bée (73) Le roman se termine sur cette expression d’un cri infini, qui ne s’entend pas mais que l’on devine et qui ne prend jamais fin . Au lieu d’entendre les cris de ces hommes, on les voit au moment où leur bouche s’est ouverte pour crier. L’art est donc un matériau fixateur qui permet de revivre indéfiniment cette sensation du soldat qui rencontre la mort dans “le grand incendie des tranchées” (40) . 

6. Le roman comme sculpture 

Jules est d’abord un soldat mais il doit s’extraire du théâtre de la guerre pour pouvoir témoigner : ce départ volontaire peut être vu comme une forme de désertion (ce que s’empressent de penser les villageois à l’arrière) mais il montre que pour créer, il faut prendre ses distances avec l’événement. Tout récit est forcément un différé . Gaudé a choisi de faire de Jules un sculpteur ; On peut s’interroger sur ce choix ; Il s’agit d’abord de celui de la simplicité car le matériau que va employer Jules est à sa disposition: c’est la terre , celle des tranchées, celle des champs de bataille qui va devenir la matière de son oeuvre; L’artiste est celui qui est capable d’utiliser la matière même de ce qu’il veut transmettre pour créer. Les traces de la  guerre se lisent  “jusqu’au plus profond de la terre “ comme le rappelle , par exemple, M’Bossolo et les soldats craignent d’être happés par la boue des tranchées. D’ailleurs les statues se présentent comme émergent tout juste de la terre ” s‘appuyant de toute ta force de ses bras sans que l’on sache si c’est pour s’extraire de la boue ou ne pas y être absorbé.” (l 27) . De plus, la terre rappelle l’oeuvre créatrice de Dieu et le geste du sculpteur rappelle les monuments aux morts qui ont fleuri dans les villages après la fin de la guerre. La sculpture également peut faire référence à l’importance de la composition  et de la forme du roman avec les voix entremêlées et l’image finale : le romancier devient un sculpteur de mots, à l’image du poète; Il doit chercher une forme avec des mots . 

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Les Anciens disaient déjà  “verba volant scripta manent”  ( les paroles s’envolent les écrits demeurent ) pour inciter les artistes à témoigner par l’écriture et pas seulement par les chants ou la parole de ce qui leur semblait important . Gaudé franchit une étape supplémentaire dans la précision de  la mission de l’artiste en imaginant ce personnage de Jules qui cherche le meilleur moyen de témoigner de ce qu’il a vécu à la guerre. L’artiste est d’abord celui qui s’exprime au nom des autres , pour leur donner une voix, un corps et pour qu’on ne les oublie pas. Ainsi, il joue un rôle sacré car il apaise les souffrances des disparus et fait taire leurs plaintes en les rendant visibles, palpables et présentes à l’esprit de celui qui lit. L’ art et les mots rendent présentes et éternelles les souffrances des soldats mais on ne doit pas chercher à les faire partager trop vite simplement il faut les faire voir. Ainsi les témoignages des horreurs de la guerre ne peuvent être partagés dans le temps de l’événement lui-même , seulement a posteriori quand la boue des statues a séché et qu’elles révèlent des ” visages de cratère et des corps tailladés ” Tout au long du  roman, l’écrivain montre ainsi la difficulté de son entreprise et sa détermination à réussir à nous faire entendre un peu les cris des hommes dans la guerre. 

 En écrivant Cris, le romancier Laurent Gaudé s’empare et s’inspire d’une expérience terrible : celle de la  guerre 14/18 dont les horribles batailles sont encore bien présentes dans notre mémoire collective. Pour raconter cette guerre, le romancier a choisi de donner la parole à plusieurs soldats qui représentent tous une manière de faire et de vivre cette expérience ultime. Chacun y affronte la mort et se comporte de manière parfois inattendue, souvent déconcertante. Chaque personnage du roman représente donc une attitude de l’homme face à la guerre ; le romancier tente ainsi de recomposer, à partir des réactions des différents personnages ,  une expérience de ce que les hommes ont pu ressentir au cours des assauts et des combats . Jules est en quelque sorte le soldat déserteur , celui qui quitte les horreurs du front pour ne pas mourir. 

Jules est le premier à prendre la parole et sa voix unifie celle des autres : il est également celui qui va propager le souvenir des disparus en désertant physiquement ; Jules est celui qui marche d’abord sans parler, de retour du front; il est comparé à “une ombre ” sourde qui glisse ver l’arrière où l’attend une permission . Jules est défini comme un rescapé et il refuse le titre de sauveur; Il a tué le jeune allemand lorsqu’il l’a vu assis sur “un uniforme qui portait les mêmes couleurs que le mien” . Jules se croit arrivé au bout de lui-même (p 24) et il est partagé entre le désir de sauver ce qui reste de sa vie et la volonté de continuer à veiller sur ceux qui restent  “rester avec eux. continuer à veiller les uns sur les autres.” ( p 24) On retrouve Jules toujours en marche page 47 : “je marche” ; il est désormais à l’arrière : “je suis le vieillard de la guerre qui n’entend plus rien et marche tête baissée” ; cette phrase sera répétée à plusieurs reprise comme si elle résumait le personnage de Jules qui échappe ainsi à ceux qu’il décrit comme des condamnés. (chapitre II )  Jules est désormais dans le train et toujours sourd : il a envie de pleurer et ne veut surtout pas s’endormir car le sommeil  fera remonter ses souvenirs (p 54) Dès qu’il s’endormira, ses cauchemars le ramèneront dans les tranchées où il revivra la guerre ; il se sent protégé dans le train et se mure dans le silence ; il marche dans le silence épais de sa surdité et se remémore sa dernière permission, les sensations d’avoir un corps qui se réveille à la vie avec le désir des femmes. Jules se pose des questions sur les transformations que la guerre fait subir aux hommes : “un homme qui a appris à tuer , un homme qui a tenu un fusil, qui a dû se plier aux règles de la peur et de la survie sauvage comme tu l’as fait, sait-il encore s’occuper d’une femme ? ” (p 57) Il est désormais vieux de milliers d’années. Il craint d’être allée trop loin te de ne pas pouvoir revenir parmi les hommes : “tu es une bête fauve qui veut manger par la bouche, manger par le sexe et boire toute la nuit. ” (p 58)  A u moment où, au front Barboni devenu fou commence à réciter le De  profundis, le romancier nous ramène alors brutalement à Jules , toujours dans le train vers Paris (p 79) Il repense à Marguerite et à leur rencontre dans ce bar, aux rires de cette femme rayonnante de crasse dans les bras de laquelle Jules a oublié ses fureurs et a apaisé sa soif. Il a , grâce à cette femme, “retrouvé la douceur d’être un homme.” (p 83)  C’est une sorte de prière que Jules adresse en fait à Margot et il la bénit entre toutes les femmes parce qu’elle est la face joufflue de la vie. Nous retrouvons la voix de Jules au début du chapitre III: il réalise que ce voyage le fait souffrir car ce permissions représentent  “l’espoir de quitter la guerre et de vivre” (p 88) alors Jules décide d’emprunter d’autres chemins et il saute du train en marche pour pouvoir enfin se reposer de cette immense fatigue qui le voûte. Jules se réceptionne au moment où sur le champ de bataille, l’homme cochon tue Boris. Jules a alors l’impression d’entendre des éclats de voix (p 103) Il semble avoir dormi dans la terre et considère sa désertion comme une évasion mais il est poursuivi par une rumeur et par des voix “comme si j’entendais crier des hommes ” p 105. Au début du chapitre Iv, nous retrouvons Jules en proie à ses voix qui sifflent dans son dos : des appels, des pleurs et il comprend enfin ce qu’elles disent ( p 110) et qu’il ne leur échappera pas car les voix sont en lui : “ sur le front gisent des milliers de soldats  épuisés; ils vont mourir et pleurent tout seuls. ils glissent à la terre leurs dernier mots..je les entends ” p 110. ” Ce sont les voix fatiguées de mes frères; Ceux que j’ai laissés derrière moi. Les voix embourbées de ceux qui n’ont pas pu se relever. Ils s’adressent à moi. Ils veulent parler par ma bouche. Ils veulent que je leur prête voix. (p 110 )  Ce chant hante Jules et il comprend qu’il va les emmener où il va.

Au moment où les hommes de la relève : Ripoll, Messard, Castillac, Barboni, Dermoncourt , font entendre leurs derniers souffles durant l’assaut, Jules arrive dans un village et commence un discours sur la place du village, noire de monde : il raconte la guerre et la mort mais personne ne veut le laisser continuer; on lui jette des pierres, on le prend pour un fou et on le traite de déserteur; Alors Jules s’enfuit sous les huées des villageois. Il a l’impression d’avoir échoué (137) . Le dernier chapitre s’ouvre à nouveau sur Jules qui décide de confier à la terre sa prière ; Cependant les voix continuent  de le traquer et à hurler dans sa tête (p 142); Il doit apprendre à “imposer le chant” , se montrer plus fort que la pluie de pierres. “je me mets à l’écoute des voix des tranchées” p 142: C’est une étrange voix qui s’impose à lui : celle du gazé qui dans le roman prononcera ses dernière paroles p 150; cette voix annonce qu’elle ne tiendra pus longtemps et demande qui se souviendra d’elle.. La dernière intervention de Jules a lieu p 156: c’est sa voix qui va clore le roman ; Désormais il court et va construire des traces pour les voix: il va ériger des statues de terre ,de cette boue  tant redoutée des soldats , stèles qui matérialisent les dernières paroles des morts ; il sculpte de grands corps de boue ; des stèles commémoratives où les hommes crient à jamais et décide d’en créer une à l’entrée de chaque village (p 158) Des statues immobiles , une colonne d’ombres , une armée, Jules est devenu les mains de la terre et sa voix s’est tue ; ” je donne vie, un à un , à un peuple pétrifié. J’offre au regards ces visages de cratère et ces hommes tailladés. ..Et mes frères de tranchées savent qu’il est  ici des statues qui fixent le monde de toute leur douleur. Bouche bée.”

Le personnage de Jules est celui qui , en devenant créateur, va relayer et faire revivre les voix des disparus. Il est l’image de l’artiste qui, par son oeuvre, redonne naissance et fixe le souvenir; silencieux durant tout le roman, il comprend lorsqu’il prend la parole publiquement, que les hommes ne sont pas prêts à entendre ce qu’il leur dit, le témoignage de la vérité et qu’il lui faut alors trouver un autre moyen pour devenir le réceptacle de toutes ces voix qu’il contient et qu’il unifie. Ce mode détourné de faire entendre et de faire saisir la matérialité et la vérité de ce qui fut, c’est l’art. Jules est celui qui est sorti de la guerre vivant et l’a fuie pour pouvoir témoigner de ce qu’ont vécu ses frères d’armes morts. 

Dans Cris, Gaudé montre à quel point l’expérience de la guerre peut transformer les hommes et il a choisi , à travers trois destins de personnages, de montrer la déshumanisation qui les guette et la tentation de la folie. Chacun de ces trois soldats, à sa manière, déserte le monde des hommes. Chacun représente une forme de folie pour échapper à l’horreur de la guerre. 

Marius est la troisième voix qui se fait entendre dans le roman, après celle de Jules et du gazé : il interviendra , au total 6 fois dans le premier chapitre ; absent du second chapitre car ce n’est pas son unité qui monte à l’assaut, on le retrouve dans la troisième partie du roman, juste après la voix de Jules qui est toujours placée en ouverture: il intervient à nouveau six fois et se lance avec Boris à la poursuite de l’homme-cochon; absent à nouveau du chapitre quatre qui montre l’anéantissement des hommes de la relève , on retrouve sa voix dans le chapitre final où il se transforme en Vulcain qui court dans le déluge crépitant et brusquement se croit mort, soufflé par un obus; mais sa voix retentit à nouveau et il s’empare d’un débris de tête humaine pour le brandir comme un trophée (150) ; il espère avoir tué l’homme cochon qu’il poursuivait inlassablement depuis la mort de Boris.De retour dans ses propres lignes, Marius est devenu un autre homme : “il fait nuit dans mon âme “dit-il (p 151) Le médecin aperçoit lors Marius: “visage noirci de terre. Yeux hirsutes de condamné à mort. l’uniforme déchiré, le corps tout entier secoué de tics nerveux.” ( p 152). 

En brandissant sa tête de Gorgone sanglante, un sourire de joie éclaire le  visage de Marius et le médecin comprend alors qu’il est allé trop loin et  “qu’il s’est perdu  trop longtemps dans des terres impossibles”. Lorsque le cri de l’homme cochon retentit à nouveau, Marius comprend que la guerre est plus forte que lui et son langage , à l’image de sa pensée, se disloque peu à peu pour devenir incompréhensible :  il sombre alors dans un mutisme éternel; on n’entendra plus sortir de sa bouche que “le souffle creux d’un homme vaincu” (p 155) Marius a d’abord été le veilleur, celui qui garde un oeil sur ses camarades ; dès sa première intervention, il se sent heureux d’être encore en vie mais ” vieux de plusieurs milliers d’années” (p 28) Resté à l’arrière pendant que l’unité du lieutenant Rénier monte au front, il pense à Jules qui est à l’abri et avec Boris, ils surprennent la silhouette voûtée d’un étrange humain redevenu une bête sauvage et dont les cris affectent le moral des soldats. (40) Il interroge le médecin sur ces étranges cris car le médecin est celui qui est resté le plus longtemps au front mais ce dernier ne peut le renseigner; Alors Marius retourne retrouver Boris et lui fait part de sa décision de sortir de la tranchée pour retrouver l’homme cochon (46) . Le chapitre III est consacré tout entier à cette chasse à l’homme ou à la bête ; sortis des tranchées sans autorisation, Boris et Marius contemplent le paysage dévasté et se trouvent brutalement face à l’homme- cochon qui pousse un grand rire “grotesque, un rire de boue et de crasse ” Il leur semble alors fouler les excréments de la guerre ” (99) Mais Marius arrive trop tard : l’homme-cochon vient de tuer Boris et Marius se sent horriblement coupable. A côté de lui, le fou se met à pousser des cris horribles alors que lui n’arrive ni à pleurer ni à parler : “Et ces grands cris fauves étaient ceux que j’aurais aimé pousser. le grand fou nu, le tueur à la baïonnette me prêtait sa voix pour pleurer mon mort. ” p 102. A partir de ce moment, Marius se persuade que s’il tue l’homme-cochon, la guerre cessera et il repart à sa poursuite. Alors que tous meurent au cours de la dernière attaque, Marius toujours concentré sur sa quête, semble devenu indifférent à la bataille. Il se prend pour Vulcain le Dieu du feu ( p 147) et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Quand a-t-il perdu contact avec la réalité ?  Une série d’événements l’ont éloigné peu à peu de la raison et il sombre dans la folie : “il faut que je te montre aux hommes; leur montrer le cri. Brandir devant eux ta bouche éventrée. ” 

L’homme-cochon lui, représente l’homme ravalé à l’état de bête sauvage, à cause des atrocités vues ou subies; Sa raison a totalement vacillé et il effraie les autres hommes car il leur montre les risques qu’on encourt au coeur de la bataille ; tous craignent de finir comme lui.

Quant à Barboni, il représente lui aussi une forme de folie, celle qui s’empare du soldat au coeur du combat: Sa peur se manifeste par un désir de violence irrépressible : “Il faut les saigner: au fusil, à la baïonnette , ou au couteau, il ne faut pas trembler . ” Ce sont ses premiers mots, p 64, quand il saute dans la tranchée ennemie. Il tue un allemand , d’une balle dans la nuque et il lance une grenade; ses gestes sont rapides et précis ;  Plus rapide que tout le monde, il abat d’une balle en pleine tête un jeune coursier allemand qui s’est perdu et qu’ils viennent de faire prisonnier; juste avant de commettre ce geste irréparable,  il murmure une prière ( p 76) , une sorte de défi à Dieu ; Choqués ses camardes considèrent que ce geste “est une malédiction qui le souillera à jamais” (p 77) Une des hypothèses proposées par Messard évoque une peur telle qu’elle le conduit à une sorte de suicide : “par ce meurtre, il s’est ouvert les veines” il mourra de cette hémorragie née de la tranchée où pour la dernière fois il a appelé Dieu (78) ; cette prière adressée à Dieu lui demande d’entendre sa voix et de ne pas tenir compte de ses fautes. Depuis ce moment, ses camarades n’osent plus lui parler ( p 112) Sous le feu, il semble secoué de tics nerveux “grimaçant comme un damné, il murmurait quelque chose” . Chaque explosion déclenche chez lui un rire nerveux et les hommes se demandent s’il ne faudrait pas l’abattre mais ils n’osent pas : “on ne peut éprouver pour Barboni qu’une immense pitié car , de ce front, il ne reviendra pas. Aucune balle encore ne l’ a transpercé dans sa chair , mais le front lui a brûlé le cerveau et il rit tristement sur sa vie. ”  (p 118) Dans un dernier sursaut de lucidité, Barboni, va finalement se sacrifier et s’emparer du lance-flammes ennemi pour donner à ses camarades le temps de s’enfuir : ce singe épileptique est-il devenu un héros par ce geste ?  ses  dernières paroles : ” je vais..je vais tous les tuer..tous..avec mon couteau..avec mes doigts..je vais..sans regard..sans pitié.” (p 125) Juste avant qu’il s’empare du lance-flamme; Messard pense qu’ainsi il a payé pour son crime; lui décide désormais de dire ses derniers mots avec les flammes: “je me suis senti indestructible..c’était mon heure “ (130) Il apparaît comme un titan hilare qui crachait du feu.  “son corps a explosé, s’ouvrant à l’infini. Mille morceaux d’hommes qui montent au ciel. J’ai vu Barboni et j’ai su qu’il était mort. ” ( 130) Sa conduite nous amène également à nous interroger sur le silence du Ciel, et de Dieu ainsi que sur la folie meurtrière qui peut s’emparer de certains soldats.

 

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Le personnage de Barboni dans le roman de Gaudé est au centre de deux épisodes dramatiques: l’exécution à bout portant d’un coursier allemand et le vol  du lance-flammes à l’unité allemande durant la seconde vague de l’assaut mortel. Le personange est recomposé par l’intermédiaire des voix de ses camarades  qui semblent se  prolonger et nous permettent de revivre l’action sous différents angles et avec un point de vue différent . 

Dans les deux épisodes, le procédé narratif est identique: des témoins de l’action la commentent, racontent ce qu’ils voient et proposent une interprétation des faits selon leurs propres convictions . Une chose est sûre : le personnage de Barboni laisse rarement le lecteur indifférent ; Il risque de le choquer, ou de lui faire ressentitr de la pitié. A travers lui, l’écrivain nous montre jusqu’où la guerre peut entraîner les soldats, leur faire oublier la morale, les limites entre le Bien et le Mal et les entraîner dans un univers qui n’est plus régi par les mêmes valeurs . 

La première rubrique pourrait porter sur la parole en tant que témoignage et relever dans les deux extraits, les marques qui visent à rendre le discours authentique : ce qu’on nomme les effets de réel. On notera, par exemple, les verbes qui font appel aux sens comme : j’ai entendu un coup de feu (l 1), j’ai vu (l 2) , j’ai tout vu (l 8) , je l’ai vu (l 8 et 9  ) A noter que dans les deux interventions suivantes, celles de Dermoncourt et Messard, ces verbes disparaissent au profit des interprétations . 

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La description des faits est prise en charge par chacune des voix  : chaque voix propose, en effet,  d’abord un témoignage et ensuite, dans un second temps, propose une explication à ce meurtre de sang froid. Les 4 voix sont le plus souvent concordantes mais ne privilégient pas toujours les mêmes analyses.  Le geste de Barboni est décrit soit comme un acte monstrueux avec notamment les détails réalistes horribles donnés par   Ripoll : “balle en pleine tête, à bout portant, vaste cratère sanglant , chair ouverte à vif” Comme si en abattant ce jeune coursier, il l’avait privé de son humanité et s’était du coup, privé de la sienne. Castellac propose de ce geste une explication placée sous le signe de la religion: il y voit une sorte d’extrême onction administrée au prisonnier dans le but d’abrèger ses souffrances : pas de brutalité ni d’horreur ici mais de la douceurse pencher d’abord doucement “l  9 “poser délicatement  l 10 ; Barboni est  alors comparé à un prêtre ( l 14) qui administre les derniers sacrements à un mourant pour l’apaiser . Cependant cette douceur contraste violemment avec la suite de la description : “il a tiré. en plein visage. Avec calme. Avec paix. Il a tiré ”  l 18 La répétition du verbe tirer semble ici encadrer l’action et le soldat la qualifie de “geste monstrueux” .  La douceur fait place à l’horreur et le contraste rend le geste d’autant plus saisissant, presque sacrilège.

Les connotations dévalorisantes apparaissent avec le verbe souiller ( l 19 ) et la malédiction qui va s’abattre sur les autres hommes , par solidarité. Après avoir montré le geste de Barboni comme une sorte de bénédiction, l’auteur l’inverse ici et le révèle cette fois sous l’angle de la malédiction. Ces derniers se sentent coupables de ne pas avoir pu empêcher les faits de se produire . Dès le début de l’extrait , la prière de Barboni nous avait mis sur la piste d’une interprétation religieuse et  Demoncourt, qui est le troisième soldat à commenter la même scène, commence par évoquer le geste de son camarade comme un défi au Ciel ; ici le mot Ciel est la métonymie qui désigne Dieu et , à plusieurs reprises au cours du roman, les combattants vont  chercher à se tourner vers Dieu pour tenter de trouver des réponses aux questions qu’ils se posent.  

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Le silence de Dieu peut parfois sembler insupportable aux hommes car ils ont l’impression que ce qu’ils font n’a pas de sens ; la guerre les confronte au fait de devenir des meurtriers; ils tuent pour se défendre , pour sauver leur vie, pour ne pas mourir mais le simple fait d’ôter une vie a des répercussions ; Ainsi Jules, au début du roman,lorsqu’il sauve Boris est marqué par son geste et c’est aussi l’une des raisons qui peuvent le mener à déserter.  L’hypothèse de Dermoncourt est que Barboni a voulu faire réagir Dieu , attirer son attention sur lui .  Cette prière le De profundis , est en effet un cri  poussé par les croyants qui en appellent ainsi à la miséricorde divine. Prière des morts, prière prononcée à l’intention des morts pour qu’ils soient en paix, cet extrait des psaumes est une sorte d‘appel au secours et ce gouffre qui traduit le mot latin   de profundis .., peut être vu comme l’enfer de la guerre. Barboni a-t-il souhaité provoquer Dieu et l’insulter comme le suggère Dermoncourt à la ligne 27 ? Ou a -t-il simplement cherché à l’appeler avant de mourir , uen sorte de dernier cri comme un appel à l’aide ?  

Pour Dermoncourt, “le grand ciel gris de la guerre était vide “: le réconfort ne viendra donc pas de la foi pas plus que le salut ; “personne ne répondait ” et ce silence amplifie les appels au secours des hommes, le srend pathétiques et mêm tragiques ;  Messard évoque Dieu sous la forme du regard absolu (l 31) et il met le geste de Barboni sur le compte de la peur ” parce que la peur en lui était trop grande”  et il mentionne les conséquences de ce geste : ” C’est comme un suicide ” ; il le compare même à une hémorragie  : “par ce meurtre, il s’est ouvert les veines ” .  L’image de l’hémorragie évoque le sang versé , que ce soit celui de l’homme qui attente à sa propre vie ou celui que verse le meurtrier et cette image rappelle le “cratère sanglant ” au début de l’extrait . De plus, Messard indique que désormais son camarade va être banni : les autres soldats choqués, ne vont plus lui adresser la parole et envisageront même à un moment de le supprimer de peur qu’il ne devienne un danger pour eux .

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Nous avons donc vu que ce  meurtre hautement symbolique était , de l’avis général, considéré comme “monstrueux ” mais que les témoins lui attribuent une valeur légèrement différente : provocation ultime pour Dermoncourt, geste gratuit pour Ripoll, geste profondément religieux pour Castellac et suicide déguisé pour Messard. Tous s’accordent cependant à penser qu’il vient de se passer quelque chose de grave et qu’une limite a été franchie; à travers les répétitions de ces quatre voix, à travers leurs accords et leurs discordances, l’écrivain construit un personnage énigmatique dont la propre voix n’éclaire qu’imparfaitement les ténèbres intérieures . Ici, le personnage de Barboni ne fait pas entendre sa propre voix, il est focalisé par les regards de ses compagnosn et l’écrivain se fait l’écho de leurs interrogations, de leurs incertitudes et de leur subjectivité . Il ne s’agit pas de raconter une histoire qui serait toute faite avec un narrateur unique qui dirige les pensées des lecteurs mais justement de faire entendre, à travers ces différents cris, la diversité des voix et de proposer plusieurs interprétations d’une même scène afin de la recomposer sous nos yeux comme un kaléidoscope d’images qui se font et se défont . 

Le second extrait fonctionne selon le même encodage narratif : Barboni est toujours sous le feu croisé des regards de ses compagnons qui vont renouer un lien avec lui en dépit de la folie qui peu à peu le gagne te l’isole. Cet extrait peut être analysé d’abord comme une sorte de portrait collectif de Barboni  avec le jeu des regards des témoins et le travail sur les notations réalistes : ” s’est mis à bouger, je l’ai regardé minutieusement ..je voyais  sa bouche l 6 , il n’est pas impossible, je ne sais pas ” l 10 Le témoignage de Castellac laisse ainsi différentes interprétations ouvertes et donne au spectateur l’impression que la scène se déroule sous les yeux des personnages; Quand , par exemple, Castellac précise : “je voyais sa bouche articuler ” mais qu’il ne peut entendre le son de sa voix à cause du bruit de l’assaut , cela confère une forme d’authencité au récit du personnage et cela produit un gros effet de réel pour le lecteur.

Messard lui aussi se pose des questions et semble hésiter entre différentes interprétations : ” je me demande l 25, 26 et 30 . Il se pose des questions traduites par des interrogatives sans pour autant, chose étonnante, que les points d’interrrogation apparaissent à la fin des phrases  : peut -être 31, 36, qui de nous 33, 37, 38 ; Les nombreuses anaphores créent un effet de leitmotiv et traduisent une sorte de prière paienne celle là mais à mettre en relation avec la prière de Barboni. 

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La folie de Barboni fait l’objet de la plupart des visions: chacun de ses compagnons l’observe avec attention et tente de comprendre ce qui se passe en lui . Les symptômes physiques font l’objet de descriptions précises : tics nerveux ligne 3, comme rongé par des mites l 3 : ici la comparaison avec des insectes dévorateurs présente Barboni dans le rôle d’une victime; La nervosité du personnage se prolonge à son rire l 16 et son corps est traversé de décharges électriques l 18 qui se transforment en image du singe épileptique dans la voix de Messard ligne 43. Il est à la fois deshumanisé et présenté comme malade et sa folie , une fois de plus, le soustrait à l’humanité.

La guerre est souvent, dans les romans, un thème qui permet de faire réfléchir à la notion même d’humanité, de condition humaine et les interrogations des soldats à propos de la folie de Barboni vont dans le sens de cette réflexion à dimension philosophique . Cet extrait présente, en effet, differents aspects de la folie : elle peut d’abord se confondre avec une forme de souffrance  qui s’imprime sur le visage du personnage : ” grimaçant comme un damné ” l 5 avec les yeux levés au Ciel comme pour y chercher Dieu  ou attirer son attention  l 5 . Castellac évoque ensuite un gouffre d’inconscience l 33 et cela peut faire retour sur la prière aux morts de l’extrait précédent. L’image de la colline calcinée d’excommunié comporte elle aussi des références religieuses qui rappellent que les hommes  considèrent Barboni  comme écarté du monde des hommes . De nombreuses références au feu alimentent la métaphore filée qui peut d’ailleurs se confondre avec la guerre car on emploie aussi le mot feu pour désigner les combats : la colline calcinée par exemple ou l’oxymore pluie de feu ligne 18, les balafres fumantes qui personnifient la terre et l’assimilent à un visage humain blessé ligne 21, le mot brûlé à jamais ligne 30, repris à la ligne 42 avec le front lui a brûlé le cerveau . Ce feu se retrouve aussi dans le ciel à la fin de l’extrait où Messard fait remarquer que le ciel est rempli d’éclairs comme pour dévoiler la colère de Dieu ligne 60 et que seul Barboni a le courage de se tenir debout sous le feu ligne 66. 

Les éléments se déchaînent et la guerre elle même se transforme en tempête comme souvent ; il est question de bourrasque ligne 25, de grande tempête ligne 35 et Messard ajoute lorsque Barboni ôte son casque et le jette aux allemands : “Aucun casque n’empêchera la tempête de nous disloquer ” ligne 70. L’homme paraît bien frêle face à ces éléments déchaînés et la folie peut être considérée comme une sorte d’écran protecteur contre  la réalité : ce qui expliquerait que ses camarades l’envient et envient sa joie ”  Les commentaires des trois soldats mentionnent les mêmes détails : “il ne voit plus personne ligne 27″ ,  “la folie le possède et peutêtre cela lui évite les peurs qui nous terrassent tous ligne 48 ou ‘La folie lui a voilé les yeux “. Barboni semble indestructible mais il n’est plus non plus tout à fait humain car la folie le prive d’une partie de son humanité : il a  des rictus déments ligne 19 te se met à rire comme un fou : il applaudit même chaque explosion comme le ferait un enfant ravi et piaffe de jouissance  l 30.  Ses compagnons sont partagés entre la pitié l 40 et l‘admiration de Demoncourt par exemple ligne 55 ” je voudrais lui demander de m’apprendre à rire ” “il semble indestructible” ; Et le lecteur lui aussi ne peut s’empêcher d’être à la fois ému par ce personnage et dégoûté aussi ; l’épisode du casque souillé joue un peu ce rôle mais le lecteur changera d’avis quand il comprendra le geste fou et héroïque de Barboni devenu une torche vivante et dont le corps se répandra en “mille morceaux d’homme qui montent au ciel “. De plus quand Barboni fera réentendre sa voix alors le lecteur comprendra aussi la folie destructrice qui désormais l’habite tout entier . 

Plan possible :  

1. Que représente le personnage de Barboni pour les autres soldats? 

a) un sujet d’observation : une grande attention lui est portée

descriptions précises de son état et de ses gestes , examen des symptômes physiques 

chaque soldat concentré sur lui : leurs voix s rejoignent ou divergent 

b) un sujet d’ inquiétude et de controverse 

la peur de la folie, de ses réactions : une joie étrange et choquante, redevenu enfant 

 certains sont prêts à le tuer et d’autres l’admirent et envient sa force ou son inconscience 

il semble orchestrer la tempête : tout puissant ? 

c) un sujet de réflexion

le geste sacrilège : peur panique ou provocation ultime ? 

les nombreuses questions qui se posent à son sujet 

l’envier ou le prendre en pitié : comment réagir face à sa folie ? émouvant ou irritant ?

Un personnage mystérieux décrit par des témoins qui n’ont pas le même pointe vue; nous n’avons pas accès à son intériorité et à ses pensées donc demeure énigmatique; permet la discussion autour des risques de la folie et des conséquences de la guerre sur les soldats . Annonce de son rôle dans la suite du récit.

Le lieutenant Rénier est l’un des seuls gradés de ce bataillon et il est envoyé au front , en première  ligne dans la tranchée de la Tempête pour relever ceux qui s’y sont battus. (p 29) Il commande la troisième compagnie, deuxième section. Il a pour mission de reprendre le kilomètre perdu au cours des dix dernières heures de combat. Il intervient huit fois au cours des deux premiers chapitres et il est  la voix principale qui raconte l’assaut au cours  duquel il meurt, après sa huitième intervention, p 63. 

Il reçoit ses ordres directement  du colonel.Il doit attendre la nuit et avec une dizaine d’hommes dont le caporal Ripoll, il va tenter de reconquérir le terrain perdu (p 31); Inquiet, il observe les hommes de la vieille garde: “on dirait un peuple de boue.;ils ont le regard vide ” des ombres sales et courbées qui ne saluent plus et qui forment un cortège fantôme (p 33) “Ecuyers fatigués de chevalier disparus” les combattants effraient la relève tant ils semblent sales et à peine humains : “ juste la démarche mécanique des chevaux de trait ” “des chiens malades ” pensera-t-il encore; cette tout petite poignée d’hommes qui défile devant eux, ce sont les survivants de l’attaque , les seuls à pouvoir quitter le front “même épuisé et sales” et le lieutenant commence à rêver un jour de leur ressembler. Avant l’assaut, il regarde ces hommes qu’on a lui a confiés : Quentin Ripoll : un roc, fauve, qui parle peu mais un vrai guerrier qui sait devenir chasseur. La relève commandée par le lieutenant Rénier est “accueillie ” par des tirs ennemis, des tirs de nuit qu’il nomment la salve de bienvenue pour déniaiser la relève.  

Ces premier obus blessent des hommes de la compagnie et le lieutenant s’est précipité pour s’occuper des blessés : “j‘ai maculé mon uniforme; pour la première fois, dans la poussière et la panique, pour la première fois au milieu de la douleur aigüe des hommes, j’ai pris à bras-le-corps la guerre et elle a dessiné sur mon uniforme son visage convulsé.”  (p 37) 

Il reçoit l’ordre de rejoindre la tranchée de la Tempête et s’enfonce avec ses hommes dans la nuit barbelée, en silence. L’arrivée du sergent vicieux de la guérite du poste  A rend les hommes nerveux et leur nervosité sera gravée dans cette “nuit de froid et de haine ” par les cris de l’homme-cochon (p 43)  Le lieutenant tire alors en direction des bruits un “coup de feu impossible contre le cri de la guerre ” 
Au début du chapitre II, c’est la voix du lieutenant, juste après celle de Jules, qui annonce le début imminent de l’attaque. “personne jamais ne m’avait préparé à cela”  Tout ce qu’il a appris durant sa formation semble totalement dépassé par ce qu’il voit et ce qu’il vit au front : “je vois des soldat termites” : “est -ce celui qui aura creusé le plus profond qui gagnera la guerre ? “  Le lieutenant n’imaginait pas que la guerre aurait ce visage : ils devinent des hommes de la terre. Meurtriers tapis au ras du  sol. C’est alors que le sergent sadique du poste A vient leur annoncer que l’heure de l’attaque a été fixée à 11 heures : commence alors l’attente et la peur monte;(61) il leur reste une demi-heure et plus personne ne parle: chacun s’occupe comme il peut ; Renier se pose des questions : “je me demande si je tuerai un homme cette nuit. Si je verrai son visage. Si j’aurai l force ou si je resterai blotti dans le fond de la tranchée comme un animal blessé..” p 61 
Tout le monde tremble te personne n’ose se regarder: chacun affronte sa peur; il a hâte de courir et son rôle d’officier lui tient à coeur; il va montrer l’exemple et devenir un guépard.A l’heure dite, il se lève, emplit d’air ses poumons, enjambe le parapet et court “sans faiblir; sans penser à rien” ..il se sent rapide comme un fauve, se dirige vers les ennemis et tombe : c’est Ripoll qui ira le chercher avec  Castellac (p 66) “Il était calme et élégant, avec sur la face une expression que je ne lui avais jamais connue: les yeux et la bouche grands ouverts; Comme s’il essayait de crier ou de boire tout l’air du champ de bataille. Comme si sa gueule affreuse s’ouvrait jusqu’au déchirement pour tenter de respirer encore. Une gueule de gargouille…il avait la gueule déformée de la mort. la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés..Au lieu de cela, il semble crier encore à l’attaque alors qu’il gît dans la boue, que son corps est froid et que plus personne jamais, n’entendra sa voix. La mort s’est jouée de lui. elle l’a pris de plein fouet. Pour sa première charge. C’était un homme et il méritait mieux que cela. ” 
Et Messard continue à faire le portrait du lieutenant : un fier dragonnier..avec lui disparaît tout son siècle..sa tête résonnait de la charge puissante de la cavalerie sabre au clair..fils du vieux siècle , il est mort car les chevaux se font inexorablement faucher par les mitrailleuses (p 68) Ce nouveau déluge ne ressemble à rien de ce que les hommes ont connu, ajoute Messard; désormais, nous sommes les fils de l’ogre et le grand siècle moutarde va nous dévorer...
Le personnage du lieutenant Rénier symbolise le courage des soldats et honore sa bravoure mais l’auteur constate que cette guerre d’un genre nouveau ne peut être uniquement gagnée avec d’anciennes méthodes; on ne peut plus se battre comme au cour des siècles passés car de nouvelles armes ont fait leur apparition et elles révolutionnent les méthodes de combat. La mort de Rénier permet de mesurer à quel point l’armée est inadaptée à ces stratégies inédites de fortifications et d’assauts à l’arme lourde. 
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Le personnage de Jules représente dans le récit la voix de l’écrivain , celle qui cherche à faire entendre les autres voix, une sorte de passeur de mémoire et de souvenirs mais cette tâche est difficile et il lui faudra s’y reprendre à plusieurs fois . Examinons le rôle de ce personnage dans le troisième extrait du roman que nous étudions .

Jules établit le lien entre les scènes de guerre et le reste du monde ; celui des hommes qui ne connaissent la guerre que par l’expérience des autres . Le passage que vous présentez se situe à la fin de l’avant dernier chapitre : Derniers souffles. Jules est un combattant de la première escouade qui a été relevée par les hommes du lieutenant Rénier et son état inquiète ses  camarades car Marius, par exemple , lui trouve un regard de haine ; il a dépassé le stade de la peur et risque de se faire tuer à tout instant. Il se définit en marchant jusqu’à la gare comme un rescapé et comme le vieillard des tranchées . Ce passage se compose de 3 parties: l’arrivée au village , le discours désarticulé et la réaction de violence des villageois. Que représente ici le personnage ?  Tout d’abord, il est un élément perturbateur ; Pour reprendre la définition d'Aristote qui considère le personnage comme le support d'une action, Jules  va briser la quiétude de ce village tranquille ( description du village, ses bistrots, son marché, la vie banale ) en y apportant le souffle de la guerre et ses voix . Jules est également un porte-paroles : à la fois des combattants mais aussi des morts ; Il a ici une double dimension. en effet les voix qu’il tente de faire entendre il les a enregistrées comme témoin et ancien combattant : il a en effet partagé l’expérience des assauts avec ses compagnons mai lui a survécu ; les voix qui le hantent sont celles des soldat morts et c’est sa culpabilité qui les fait résonner en lui. En 1960, des chercheurs définirent ce qu’on nomme le syndrome du survivant et l’écrivain s’inspire ici des réactions constatées par de très nombreux rescapés après un choc qualifié de post -traumatique . Les survivants ont besoin de se libérer de leur culpabilité en servant de relais pour leurs compagnons morts.

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Les efforts déployés par Jules pour se faire entendre (répétitions, impératifs, prière) aggravent son sentiment d’échec quand on se moque de lui et qu’on le chasse comme un gueux. Quant à l’hostilité des villageois (lapidation, gradation, furie et références antiques) , elle fait pendant à la violence de la guerre ; La course folle de Jules pour échapper à la pluie de pierres imite celle des soldats au front qui tentent d’échapper à la pluie de feu et ce parallélisme peut montrer , à la fois la similitude de leurs destins soumis à la violence des hommes mais l’auteur peut aussi tenter d’illustrer au moyen de cette image la contagion de la violence; le récit de Jules qui es fait l'écho des violences subies par les soldats  fait naître la violence à son tour parmi les civils car il est insoutenable . La lapidation est sans doute une référence ici à la Bible (voir le fichier joint dans la clé USB à l afin de ce billet ). La communauté chassait celui qui avait commis une faute par peur qu'il apporte le malheur sur eux.  Chasser Jules revient  également, dans une interprétation plus moderne, à nier ce qui se passe au front , faire la sourde oreille. On peut penser au silence des voisins des premier camp d'extermination : les premiers témoignages ont été  violemment rejetés par une grande partie de la communauté européenne qui ne pensait pas de telles horreurs possibles. Plusieurs écrivains ont tenté , à leur manière de témoigner de l'horreur de la guerre  au moyen d'oeuvres littéraires et Jorge Semprun, par exemple; à son retour de déportation,  a mis plus de 20 ans avant de réussir à écrire un roman: L’écriture ou la vie, dans lequel il doute de la possibilité de l’écriture de pouvoir tout transmettre. Lisez son témoignage et parlons en ensemble en classe. Son expérience en ressemble-t-elle pas à celle vécue par Jules ? 

Pourtant, un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l’expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d’un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l’artifice d’un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n’a rien d’exceptionnel : il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques.

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On peut toujours tout dire, en somme. L’ineffable dont on nous rebattra les oreilles n’est qu’un alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l’amour le plus fou, la plus terrible cruauté. […]

Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ? En auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaires ? Le doute me vient, dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d’avant, du dehors – venus de la vie-, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers. »  Folio, p 26 et 27

Plans possibles à partir de 2 questions  pour cet extrait :

 1) En quoi ce personnage est-il le porte- paroles des autres ? 

Un discours collectif : 

 a) a choisi un village et a pris la parole devant la foule

 b) faire entendre les différentes voix qui le hantent = objectif du personnage depuis qu’il a quitté les tranchées et décidé de ne pas y retourner 

c) irrépressible besoin de parler mais difficulté marquée par …

Un accueil hostile inattendu 

a) le déni ou la peur ? les civils face aux soldats : 2 mondes qui s’ignorent ? 

b) le retour de la violence , sa contagion : gradation de la colère, la lapidation, un acte symbolique , les parallélismes entre ici et là bas (leurs derniers souffles de vie) 

c) l’échec de la transmission par la parole : la déroute du personnage , sa fuite à corps perdu : référence à Oedipe

Jules représente le rescapé, le survivant, le témoin qui se sent coupable d’avoir abandonné ses camarades (syndrome du survivant  )

Ccl : passage dans l’épilogue à un art visuel, la sculpture qui donne non pas voix mais corps aux soldats morts.

2) De quel échec s’agit-il pour le personnage ? 

a) échec du dire

discours hâché, morceaux de voix sans liens, pas de souffle

b) échec de la transmission 

personnage ne se fait pas entendre : les gens rient et l’insultent 

rejet par la foule ; se fait chasser, à bout de souffle

c) échec de sa mission 

il devait faire entendre les voix de ses camarades restés au front : n’y parvient pas 

déclenche la violence et considéré comme un traitre et un criminel , un déserteur 

 

Durant le dernier assaut, les hommes de la relève meurent : Barboni se sacrifie et s’empare du lance-flammes pour donner une peu d’avance à ses camarade qui fuient ; une balle tirée dans le réservoir de son arme le fait exploser. Ripoll qu’on croyait perdu est sauvé par un soldat à la peau noire.

Dermoncourt meurt sans qu’on sache comment : d ‘épuisement ou d’une balle dans le dos ” ( p 132) et Ripoll voit mourir sous ses yeux Castillac (le crâne fendu) .Il ferme les yeux avant de pouvoir distinguer Messard.Les hommes sont balayés par la vague des ennemis et Ripoll a l’impression de s’enfoncer dans la terre ; Il entend “des sons étranges dans la brume.;comme si la terre parlait avant de m’accueillir en son sein “ p 143

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M’ Bossolo le porte et le ramène vers les lignes arrières : il sait que le temps leur est compté : il doit agir vite et sans faiblir (p 145). Il fait partie pour Ripoll de ces hommes de la nuit avec leur peau “brûlée toute entière, leur peau lisse et noire, plus sombre que la boue” . Il les prend pour des ombres de la terre. Gaudé mêle toujours un élément fantastique dans ses récits et cette dimension mythique est apportée ici par ces soldats étrangers, des tirailleurs sénégalais. Voici quelques éléments histotriques pour mieux comprendre le rôle de ces soldats durant le conflit. 

  16 avril 1917 au petit matin, 15.000 tirailleurs sénégalais s’élancent à l’assaut du plateau du Chemin des Dames, dans l’Aisne, entre Soissons et Laon. Ce jour là, 1.400 d’entre eux meurent dans ces combats.Ces soldats venus de loin pour combattre sur le sol français sont fauchés par les mitrailleuses allemandes, encore opérationnelles après des jours d’intenses bombardements.  

En 1917 enfin, 20 bataillons sont placés sous le commandement du général Mangin, l’officier général qui publiait déjà en 1910 un ouvrage au titre retentissant,  La Force noire. Celui-ci croyait dans les vertus guerrières des Africains, ces qualités permettant de constituer des unités d’une « incomparable puissance de choc ». Malgré une préparation militaire effectuée dans le Midi de la France, éprouvante déjà, plus d’un millier de ces soldats coloniaux sont évacués avant le commencement de l’offensive de printemps. La dureté du climat en ce début d’année décime leurs rangs. 

En première ligne et sur les deux ailes de la VIème armée, ces « tirailleurs sénégalais » ne sont pas épargnés lors de ces combats, très meurtriers, qui dureront jusqu’à la fin de l’été. 

Au total, 29.000 de ces soldats coloniaux et africains sont morts au cours de la première Guerre mondiale, soit un homme mobilisé sur cinq. Et, si ces taux de pertes correspondent à ceux des troupes métropolitaines également engagées dans les combats de la Grande Guerre, la « force noire » méritait bien un hommage spécifique de la nation. Peu d’entre eux en effet seront médaillés. Mais, le 13 juillet 1924, à Reims, un monument « Aux héros de l’Armée noire » est inauguré. Le même groupe en bronze sculpté par Paul Moreau-Vauthier est également élevé à Bamako, au Mali. 

Sur le Chemin des Dames, il faudra attendre le 22 septembre 2007 pour que soit inauguré la « Constellation de la douleur », une œuvre sculpturale due à Christian Lapie, sur l’initiative du Conseil général de l’Aisne. Ces neuf sculptures, depuis sont implantées sur une parcelle appartenant au Département, à proximité de la Caverne du Dragon, sur les lieux même où ces tirailleurs africains sont tombés par centaines en 1917. Selon l’artiste, « ces figures sans bras ni visage, monumentales et puissantes, interrogent et déstabilisent », le passant.

Dans le roman, M’ Bossolo représente cette force noire , dernier espoir pour de nombreux blessés; La voix chaude de M,Bossolo coule sur les plaies de Ripoll qui comprend que les hommes de la nuit le ramènent vers les siens (p 146); Décidé à le porter jusqu'u bout , M' Bossolo représente "une pauvre humanité en marche qui porte ses blessés comme des divinités de bois ”  Au delà des tranchées et des champs de bataille, le corps de Ripoll voyage jusqu’en Afrique, en des lieux sûrs où la guerre ne peut pénétrer (p155) et le soldat devient alors un géant qui traverse des continents et qui, fort de ce qu’il a accompli, reviendra terminer le combat : “t’avoir mis en lieu sûr me rendra indestructible”  (p 156) ; Désormais , M’Bossolo se transforme en un ogre broyeur de métal et qui plantera ses dents dans l’ennemi.

Ce personnage réapparaîtra dans une autre nouvelle de Gaudé : Colonel Barbaque: Ripoll a voulu rejoindre l’Afrique et découvre les marques horribles du colonialisme. Il devient alors une sorte de vengeur,un horrible Dieu de la guerre. Quant à MBossolo l’écrivain l’a fait mourir de la grippe espagnole quelques jours après avoir sauvé Ripoll et ce dernier part en Afrique pour devenir noir et découvrir le pays de son  Sauveur. Vosu trouverez en pièce jointe le plan d’étude réalisé en classe pour étudier le personnage de M Bossolo (texte 16 ) 

 

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Le titre du roman de Laurent Gaudé Cris  nous permet de découvrir le coeur de la guerre par l’intermédiaire des voix des différents personnages comme Jules, Marius , Boris, Ripoll, Barboni, Dermoncourt, Le lieutenant Rénier, Dermoncourt, Le Médecin, le Gazé. 

Chacun de ces personnages fait entendre une voix singulière qui le différencie de autres. A votre tour, donnez naissance à d’autres voix : vous inventerez au minimum 3 nouvelles voix .

Au choix, fabrique de nouveaux personnages et donne leur une voix ; par exemple,   invente la voix du courrier de la page 38 qui vient donner l’orde de monter au front aux  hommes commandés par le lieutenant Rénier. Invente la voix d’un soldat de la relève qui croise Jules à la gare lorsqu’ il monte dans le train  en direction de Paris (p 48). Invente la voix de la mère de Messard qui loin de ses quatre fils, pense à eux (p 74) . Tu peux aussi inventer la voix du jeune coursier allemand que Barboni va abattre à la page 77 après avoir lancé une dernière prière au Ciel .

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Marguerite, la jeune femme avec laquelle Jules va passer une nuit , peut également faier entendre sa voix  et son rire p 81 à 83. Tu peux aussi faire entendre la voix douloureuse du blessé avec des douleurs insupportables aux jambes à la page 102 que le médecin s’efforce d’apaiser. Le coureur de la page 111 qui apporte l’ordre de repli pourrait lui aussi devenir une voix du roman . La voix du colonel qui est en place au fort et qui demande qu’on transfère le poste de secours pourrait tout à fait être fabriquée à partir des notations de la page 121. Tu peux aussi faire naître la voix d’un soldat à l’arrière losrqu’il aperçoit la fusée bleue de Castellac comme un dernier adieu (p 134) Tu peux aussi imaginer une  des voix qui hantent Jules  page 141 et lui donner la forme d’un personnage nouveau , un de ces soldats de l’armée des ombres , un de leurs frères, une de leurs femmes, un de leurs enfants

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. Un cri qui parle de l’homme au coeur de la guerre , de sa grandeur et de sa misère, de sa douleur et de sa force. Chacune de tes voix sera construite comme celles de Gaudé et comportera des éléments qui assureront  vraiment le lien avec  le ou les personnages du roman  ainsi qu’avec les actions du récit .

Critères d’évaluation :

expression : justesse et qualité / 4

choix des personnages : un cri particulier et identifiable pour chaque personnage  /4

à la manière de Gaudé : respect de la mise en voix et polyphonie  /4

le lien avec l’action du roman : les événements évoqués correspondront aux situations du roman. /4