En 1995, Tim Robbins décide d’écrire un scénario à partir d’un synopsis qui provient d’un livre rédigé par une religieuse Soeur Héléne Préjean qui retrace son expérience d’accompagnement d’un prisonnier condamné pour le viol et le meurtre de deux adolescents et condamné à mort par l’état de Louisiane. Le titre fait référence aux paroles du gardien lorsque Matthew Poncelet se dirige vers la chambre d’exécution: il annonce officiellement “c’est la marche du mort” ; Auparavant soeur Hélène, qui était devenue sa conseillère spirituelle et qui demeura avec lui le dernier jour de sa vie, lui avait interprété un cantique (chant religieux ) où il est également question de marcher vers la mort sans avoir peur . Ce film n’est pas un simple plaidoyer contre la peine de mort: il enseigne aussi la valeur de l’amour et du pardon.
Le film débute par un portrait en actions du personnage de soeur Hélène Préjean: on la voit souriante et occupée à aider les enfants et les femmes de la communauté noire de son quartier alors qu’elle-même est issue, comme on le verra au cours d’un repas de famille, d’un milieu social beaucoup plus favorisé. Cette femme se caractérise par une bonté et un dévouement hors du commun et un désir très marqué d’aider son prochain et particulièrement les plus démunis; C’est sous cet angle que le spectateur comprend son engagement aux côtés du condamné Matthew Poncelet, accusé d’avoir sauvagement violé et tué un couple d’adolescents sans histoire, deux enfants qui faisaient la joie et la fierté de leurs parents et qui étaient promis à un bel avenir. Leur mort atroce paraît d’autant plus injuste et les images que le réalisateur choisit de montrer en montage alterné au moment où Porcelet va être exécuté , tendent à superposer les destins des victimes et celui du tueur; Il a certes ôté la vie et s’est montré inhumain mais sa mort décidée par la société le met dans la même position que les victimes ; la caméra filme ici en plongée les corps des adolescents qui forment une croix et celui du condamné sanglé sur la table .
.Le spectateur s’attache rapidement au personnage d’Hélène incarné par l’actrice Susan Sarandon et il la découvre , au début du film,malmenée par l’aumônier principal de la maison d’arrêt qui lui reproche de ne pas porter l’habit religieux; A travers ce personnage sévère , le réalisateur montre deux conceptions de la religion chrétienne qui s’affrontent : l’une, rigoriste et intransigeante , est basée sur la loi de l’Ancien Testament qui préconise la vengeance et la châtiment pour les fautes alors que soeur Hélène défend plutôt les principes du Nouveau Testament fondés sur le pardon des fautes . L’exemple de Jésus est souvent cité : on rappelle qu”il est mort pour nous sauver et on retrouve des images dans le film qui évoquent la crucifixion du Christ notamment quand le condamné est basculé sur la table d’exécution. On notera aussi que les religieux ne sont pas tous d’accord sur ce que leur foi leur enseigne : les parents de Hope ont perdu leur foi et ne pensent qu’à se venger alors que le père de Percy, Monsieur Delacroix, finit par retrouver le chemin de l’église et de la prière en rejoignant soeur Hélène à la fin du film.A travers cette confrontation des personnages, le cinéaste nous fait prendre conscience que la religion propose plusieurs idéologies qui se retrouvent en concurrence.
Une autre opposition qui traverse le film , c’est la réflexion sur l’existence et la pratique de la peine de mort et son application légale ; Certains américains comme l’avocat de Matthew Poncelet ou soeur Hélène, se battent pour son abolition alors que les parents des victimes dans le scénario ainsi que beaucoup d’autres (on peut penser à la femme médecin en prison qui pratique l’injection et qui a un rôle ambigu), s’y montrent favorables comme dans les Etats qui la pratiquent sous différentes formes (chaise électrique, pendaison, injection léthale) . L’habileté du film consiste à établir une évolution dans la relation du spectateur avec les deux principaux protagonistes; Le condamné se montre parfois totalement antipathique et parfois très émouvant .Depuis des dizaines d’années les arguments des abolitionistes reposent sur l’idée qu’en tuant un homme quand bien même il se serait rendu coupable des pires atrocités, on devient soi même, collectivement, des assassins. C’est la thèse à laquelle le réalisateur semble se rallier .
Le personnage du condamné est construit sur plusieurs ambivalences : incarné par l’acteur Sean Penn , il représente à la fois le mauvais garçon (bad boy ) et la victime de la société; Le spectateur le voit tour à tour comme un sale raciste , un fils qui cherche à protéger sa mère, un homme manipulateur, un “pauvre” victime de son incapacité à se défendre avec un bon avocat, un tueur cynique et sauvage. Soeur Hélène entretient avec lui, au cours de ses visites au parloir, une relation faite à la fois de fascination et de compassion. D’ailleurs cette question est posée à plusieurs reprises dans le film, qu’est-ce qui l’attire chez cet homme : est-ce son désir de sauver les plus faibles, ceux que tout le monde rejette ou sa fascination morbide pour le Mal ? C’est en effet une idée qui traverse également le film : comment devient-on un tueur ? Est-on prédestiné à fair tel Mal ?
Lors de ses échanges avec soeur Hélène, Matthew raconte l’alcoolisme partagé avec son père, la pauvreté mais le film montre aussi la haine cultivée dè l’enfance, le poids des préjugés et les difficultés de cette famille ; On sera sensible à la dernière visite en prison des trois jeunes frères du condamné qui ont l’air très mal à l’aise et pourtant, on sent que des sentiments existent entre eux , qu’ils ne parvient pas à exprimer; la peine de la mère du tueur est également un moyen que Tim Robbins utilise pour nous faire prendre le condamné en pitié parce que cette femme éprouve réellement du chagrin de perdre son fils .
Le film ne se contente pas de montrer les conséquences d’un meurtre : il révèle les bouleversements de ce geste meurtrier dans les familles des victimes et du tueur ; on retrouve ainsi des idées que Hugo a envisagées dans son roman Le dernier jour d’un condamné en montrant, la visite de Marie , la fillette du prisonnier qui comme Matthew, s’inquiète de la survie des siens : comment vont-ils s’en sortir sans l’argent qu’il ramenait de son travail ? Les spectateurs envisagent alors le condamné sous un autre angle ne dépit de ce qu’il a commis.
Autre idée clé du scénario : dresser un parallèle entre les souffrances subies par les noirs autrefois esclaves dans les plantations et les souffrances de ces deux jeunes gens victimes d’un duo de malfaiteurs ivres et drogués. On pense notamment à la scène où soeur Hélène, en voiture, regarde les ouvriers noirs travailler dans les champs et imagine , en même temps, la scène du meurtre où elle veut croire à l’innocence de Matthew. L’action de soeur Hélène apparait ainsi sous cet angle comme un moyen d’apaiser les souffrances humaines , passées et présentes. Ce personnage est totalement convaincant dans son interprétation . L’actrice a d’ailleurs reçu un oscar pour sa prestation.