Hugo ne fut pas seulement poète : romancier avec des romans réalistes comme Les Misérables , dramaturge avec Ruy Blas ou Lucrèce Borgia : on lui doit l’invention du drame romantique en 1827; Il a été également considéré comme le chef de file de ce mouvement romantique qui apparaît en France vers 1820. Poète lyrique qui célèbre la Nature et les saisons , poète engagé contre Napoléon III avec son recueil qui lui coûtera l’exil : Les Châtiments: il écrira également des poèmes épiques . En 1840, dans Les Rayons et les Ombres, il s’efforce de préciser quelles sont, selon lui, les fonctions d’un poète . Doit-il être un artiste détaché des contingent,ces matérielles ou au contraire un homme de combat? Doit -il chanter les beautés du monde ou faire naître la révolte ? Tout dépend , en fait du contexte dans lequel s’inscrit l ‘oeuvre;: Voyons d’un peu plus près comment Hugo définit le poète idéal …
La première strophe donne le modèle des 5 autres ; ce sont des dizains d’octosyllabes aux rimes soit croisées, soit plates soit embrassées. Une versification classique mais un rythme bouleversé par l’usage des enjambements pour apporter une touche d’originalité à la prosodie; D’emblée , la première strophe dépeint une situation catastrophique:le champ lexical du malheur est fortement présent avec “temps contraires ” v 1 “malheur” deux fois en anaphore vers 3 et 5 , haine , scandale et le verbe tourmentent qui garde à cette époque un sens très fort de “faire énormément souffrir,” presque torturer. Le poète doit donc affronter une situation marquée par le malheur et du coup, son rôle va changer ; Hugo pense, une effet, que lorsque le pays souffre, le poète ne peut se contenter d’être un simple chanteur , spectateur des malheurs de sa patrie: il doit donner toute sa mesure et devenir un penseur à part entière. On voit donc ici que l’engagement du poète est , selon Hugo, nécessaire, particulièrement en temps de crise.
La deuxième strophe précise la nature de la mission du poète grâce à des séries d‘antithèses : en des jours impies, il apporte des jours meilleurs ; le poète semble résolument porteur d'espoirs; le mot utopie désigne habituellement quelque chose qui ne se réalise pas, qui est plutôt de l’ordre du rêve; Or ici, le poète est associé au vers 13 à cet espoir naissant comme l’indique le complément de nom qui le définit: il est l’homme des utopies “; Nous retrouvons l’idée d’un apport de lumière avec l’image de la torche enflammée au vers 19 qui va servir à faire flamboyer l’avenir; La connotation ici du verbe flamboyer est clairement méliorative : on pense notamment au flamboiement de l’automne ou d’une chevelure; Il ne s’agit pas d’un feu dévastateur mais d’une flamme éclairante et réconfortante. Au vers 13, nous retrouvons l’idée que le poète appartient à la fois au monde terrestre et au monde céleste; en effet, il a bien les pieds sur terre et se doit d’être un homme d’actions, pas un simple contemplatif; mais il lève les yeux au ciel et voit ainsi plus loin que la plupart des hommes ; on retrouve encore dans l’imagerie romantique l’idée d’un lien entre le céleste et l’artiste; Son pouvoir est marqué par l’image de la main comme celle de Dieu dans laquelle tout tient; Hugo utilise les références au corps humain pour définir la nature du poète: il domine les autres hommes car sa tête est au-dessus des autres : ce qui lui permet d’avoir une meilleure vue notamment sur l’avenir . Rimbaud développera encore davantage cette idée de regard qui porte plus loin avec l’image du poète Voyant. Le mot prophète au vers 15 fait référence à la dimension sacrée du poète considéré par certains hommes comme un envoyé des dieux et celui qui apporte la bonne nouvelle, un message d’espoir et de délivrance pour les peuples opprimés. Le vers 18 fait mention de la position du poète au sein de la société : objet d’admiration il peut parfois être complimenté pour son talent et ce qu’il dit ; mais ses idées peuvent également ne pas être acceptées et il est alors marginalisé, critiqué par les autres hommes d’où la construction binaire de la phrase qui présente une alternative : qu’on l’insulte ou qu’on le loue .
La troisième strophe met en évidence ses différents pouvoirs et s’ouvre sur le verbe voir qui définit ses capacités visionnaires ; le poète selon Hugo est capable d’entrevoir l’avenir et ainsi de conseiller les peuples ; Le verbe végéter qui s’emploie au sens propre pour des plantes dont la croissance est ralentie ou rendue difficile par la mauvaise terre ou l’absence de lumière, nous ramène aux malheurs des temps présents qu’évoquait Hugo dans la première strophe; le poète est ainsi celui qui ramène l’espoir grâce à ses rêves ; il entrevoit , à la manière d’un voyant , des bribes d’avenir grâce aux contacts qu’il peut créer avec les esprits ; ce sont ,en effet, les ombres des choses qui seront un jour qui peuplent ses rêves ; cette idée de communication possible entre les esprits de différentes époques était familière à Hugo qui pratiquait avec ses amis le spiritisme : réunis autour d’une table sur laquelle ils apposaient leurs mains , ils convoquaient les âmes des défunts qui leur transmettaient parfois des messages “codés “. Les insultes qui pleuvaient sur le poète au vers 18 prennent au vers 25 la forme de railleries c’est à dire de moqueries méchantes ; La connotation est ainsi nettement péjorative. Cependant le poète n’en tient pas compte; La construction du vers 25 en trois temps montre sa détermination: On le raille; Qu’importe; Il pense . Penser apparaît alors comme un acte fort, un acte de résistance face à l’opinion publique; Le poète est souvent seul contre tous lorsqu’il évoque l’avenir. Son âme s’oppose aux opinions de la foule présentée ici comme un ensemble de faux sages; Le poète pour Hugo se range toujours du côté de la Vérité et doit ainsi combattre les mensonges et les faux -semblants. Il garde néanmoins de l'amour et de la compassion pour ceux qui ne l'écoutent pas : il les plaint et leur garde son amour .
La strophe 4 début sur une apostrophe : le poète s’adresse directement aux peuples et leur lance un appel sous forme d‘impératif qui prend ici plutôt la valeur d’une prière ; cet appel insistant est repris au vers suivant en position forte : à l'attaque du vers. La périphrase “rêveur sacré” associée au contraste entre l’ombre et la lumière redéfinit les liens entre le poète et la divinité; choisi par Dieu pour être son interprète et son envoyé terrestre, le poète se pare ainsi de différents attributs plus ou moins divins; son front, à la manière des saints, devient éclairé par la lumière qui émane de dieu et le contact se crée également par la voix: en effet, au vers 39 Hugo mentionne les contacts entre le poète et l’esprit divin sous la forme de chuchotements : “Dieu parle à voix basse à son âme ” ; ce lien spirituel donne de la force au poète et des pouvoirs; Il lui permet notamment d’éclairer les zones d’ombre ; Ce contraste entre l‘ombre et la lumière symbolise à toutes les époques la lutte entre le Bien et le Mal, l’ignorance et la connaissance, ce qui est mauvais et ce qui est bon. Le poète se range toujours du côté de la lumière et son pouvoir le rend unique : lui seul est repris à l’anaphore des vers 34 et 36 et au vers 33, Hugo précise que sans lui , le peuple serait dans une nuit complète; Il réaffirme ici que la société a besoin des poètes : ils lui sont vraiment utiles grâce à leurs capacités visionnaires et leur faculté de dire la Vérité. Le poète est un homme différent des autres et il possède notamment une douceur qui le rapproche du monde féminin : cette idée est présentée sous la forme d’un paradoxe au vers 38 : “Homme ,il est doux comme une femme. ”
La strophe 5 fait du poète une sort d’image du Christ: comme lui, il est fils de Dieu et comme lui il souffre pour sauver les hommes ; le poète se peint comme une victime de la société et décrit ses souffrances sous la forme d’une énumération : épines, envie et dérision . On retrouve ainsi l’idée qu’il est la cible des moqueries de la foule qui ne le comprend pas ; Les épines font référence à la couronne d’épines dont on avait recouvert le front du Christ pour se moquer de lui et on l’avait affublé du titre de roi des juifs ; L’image du poète en Christ est un topos (cliché ) du romantisme : en effet, les poètes de cette époque ont recours à de nombreuses références religieuses pour dépeindre leur rejet . Aux vers 43 à 45 apparaît l’image du poète en moissonneur : tel le paysan qui se penche pour récolter le blé ou ensemencer la terre , il apparait courbé; là encore il s'agit d'un cliché du romantisme qui se fonde sur la métaphore de la culture. Le poète fait naître l'avenir grâce au passé: cette idée est reprise sous différentes formes à l'intérieur du poème; d'abord sous la forme de la fécondation au vers 44 et 45 ; en se servant de la tradition ; c’est à dire de ce qui nous vient du passé, le poète est capable de devenir un trait d’union entre les époques et il n’est pas en rupture avec le passé, il ne lui tourne pas le dos dans un désir de modernité; au contraire, il utilise le passé pour qu’il serve de support à l’avenir; le verbe féconder qui s’emploie également pour tous les êtres vivants ainsi que pour les végétaux signifie faire naitre la vie : il est associé à des connotations laudatives ( = positives = mélioratives ) ; La même idée d’un lien entre les époques est développée à travers la métaphore de l’arbre : le passé constitue nos racines et le feuillage l’avenir; Hugo refuse ainsi d’apparaître comme un révolutionnaire qui tournerait le dos au passé ; il se pose davantage en continuateur d’une certaine tradition qu’il entend juste moderniser .Poésie de continuité et non pas poésie de rupture : Hugo tente ici de rassurer ceux qui ne verraient en lui qu’un “révolutionnaire ” . Sur le plan de l’ oeuvre poétique, il se montre moins attaché au renouvellement formel que sur scène par exemple avec sa pratique du drame romantique et du mélange des genres .
La dernière strophe figure l’apothéose du poète rayonnant de lumière. Le verbe rayonner indique l’intensité de la lumière qui émane de lui et qui irradie son entourage ; Hugo associe la lumière de la flamme, qui est aussi classiquement la métaphore du sentiment amoureux , à la notion de Vérité; Le poète est comparé à une sorte de vainqueur dans son habit de lumière ; Les hyperboles des vers 54 et 55 : “merveilleuse clarté” “inonde de sa lumière ” traduisent bien les pouvoirs du poète; Ces derniers s’étendent partout comme le montre le double parallélisme : “ville et désert, Louvre et chaumière “ ; Ces deux derniers mots désignent la demeure des rois et celle des paysans; Le poète n'est pas seulement un homme de cour qui vit et agit parmi les grands, et uniquement au service des Puissants, c'est également un artiste qui se préoccupe des petites gens, de ceux que Hugo nomme le Peuple . L’idée d’un poète qui prête sa voix et fait entendre la parole des plus démunis fera son chemin au siècle suivant et on la retrouvera avec certains surréalistes comme René Daumal. Elle se traduira par la notion d’engagement mais ici un engagement pour la cause des plus démunis dans cette société inégalitaire du dix-neuvième siècle. Ainsi le poète est partout et son pouvoir paraît illimité ; le pluriel du vers 57 les plaines et les hauteurs a pour effet d’accroître la dimension “extraordinaire ” du poète qui se transforme en une sorte de Dieu qui règne sur le monde; D’ailleurs il est placé en haut (vers 57) d’où il peut surplomber l’humanité , comme une divinité; La dernière image du quatrain assimile la poésie à l’étoile du berger; On retrouve ici l’idée de quelque chose qui brûle, un astre lumineux, placé dans le ciel à la manière d’un être divin et qui sert de guide aux bergers; Grâce à cette image, le poète parvient à unir les trois dimensions du pouvoir poétique : une force divine associée à un guide pour le peuple et quelque chose d’utile . Il rappelle enfin que la poésie est faite pour tous , pour les rois comme pour les pasteurs; Les connotations du mot pasteurs rappellent le contexte sacré car dans la Bible l’étoile guide les rois mages vers le Christ et Dieu a choisi de simples bergers pour entourer Jésus; On retrouve ainsi en filigrane l’image du poète associé au chemin qui mène vers le Christ. Pour les romantiques,le poète incompris figure très souvent en Christ pour traduire les souffrances qu’il peut endurer et son désir de sauver les hommes.
Voilà une lecture expliquée de ce poème mais elle ne constitue pas un commentaire littéraire; Pour l’oral du bac, vous devrez y ajouter
- une introduction qui rappellera la problématique (il est d’ailleurs d’usage de la lire sous cette forme …Pour répondre à la question que vous m’avez posée, nous allons tout d’abord voir comment Hugo montre que le poète est un être atemporel ; nous verrons ensuite que l’auteur assimile le poète à un être divin et ensuite nous montrerons la nécessité pour le poète de servir les hommes et qu’il risque d’en souffrir.
- vous rangerez vos remarques et interprétations à l’intérieur d’un plan détaillé
- une conclusion qui ouvrir sur le thème et qui mentionnera d’autres textes du corpus ou d’autres oeuvres
Rappel du plan vu en cours qu’il est important de bien mémoriser …
I Poète à 3 dimensions : relie passé présent et futur
1/ passé qui sert à construire l’avenir
2/ présent temps de malheurs
3/ poète prépare des jours meilleurs
II Poète être sacré
1/ sa lumière
2/ un rêveur sacré: l’homme des utopies
3/ un prophète, un guide
III Poète au service de la Cité toute entière
1/ Un homme qui sert
2/ un penseur utile porteur de la vérité
3/ un homme incompris et qui peut souffrir
Un lien à consulter pour compléter vos notes ou comparer d’autres interprétations ….
Fonction du poète, Victor Hugo : commentaire