Ecrite en 1935, la pièce s’inspire d’une guerre tragique , mythique mais a pour fonction essentielle de fair prendre conscience aux spectateurs des enjeux de son époque et de l’imminence d’un nouveau conflit mondial . Comment Giraudoux choisit-il d’ordonner la matière dramatique afin de la présenter au public de son temps ? que conserve-t-il de la tragédie antique et comment renouvelle-t-il la tradition théâtrale ?
Giraudoux divise sa pièce en deux actes seulement contrairement aux 5 actes de la tragédie classique mais il obéit, en apparence, aux règles de l’unité de lieu et de l’unité de temps: tout s’accomplit dans la même ville, Troie, en moins en vingt-quatre heures. L’auteur a donné une structure fermée à son drame , puisque l’action n’attend aucune suite après la fin de la dernière scène ; il a également choisi une structure circulaire: la première phrase que déclare Andromaque quand le rideau se lève n’aura sa réponse que vers la fin de la pièce, quand la catastrophe est irrémédiable. A la question qu’Andromaque pose à Cassandre lorsque le rideau se lève, c’est Hector qui répond dans la dernière scène : « La guerre de Troie n’aura pas lieu Cassandre ».. Hector en personne répond : « Elle aura lieu, Andromaque. » Mais Giraudoux a su maintenir l’espoir jusqu’au bout:
Le premier acte apparait comme un acte d’exposition, où les scènes s’enchainent selon l’esthétique traditionnelle de la tragédie classique. Comme chez Racine, le rideau se lève sur une crise: Hélène a été enlevée, un envoyé grec vient la réclamer la guerre menace. Toute l’action de la pièce est subordonnée au personnage d’Hector. Elle se déclenche avec l’arrivée du général troyen et sa décision de rendre Hélène aux Grecs. Elle progresse à la scène IV, où Hector obtient de Paris, le principal intéressé, qu’il s’en remette à Priam. Une nouvelle étape est franchie quand Hector, en présence de Priam et des bellicistes hostiles (scène VI), fait accepter à Paris le départ d’Hélène. Enfin, le dernier événement important de l’acte premier : Hector convainc Hélène, l’autre principale intéressée, de retourner avec son mari. Peu de temps, perdu, en somme : les scènes de «pause», où Giraudoux nous met au courant des situations, nous renseignent sur la psychologie des personnages ; les idées qu’ils défendent, ou qu’il défend à travers eux, n’entravent pas la progression d’une action qui se suit facilement. Le dramaturge pourtant prend soin de ménager des pauses dans l’action dramatique : au début de l’acte II; l’action se relâche (scène I, II, III) avant de se développer avec la contre-attaque des bellicistes (scène IV),et la pression brutale d’Hector contre les bellicistes, qui s’achève par la fermeture des portes de la guerre.
Avec la plus grande habileté, Giraudoux crée en nous une attente et nous prépare à vivre avec l’arrivée des Grecs les derniers moments d’une action qui ne va cesser de s’accélérer. À partir de la scène IX,s’élargit le conflit s’élargit et se déroule désormais entre Grecs et Troyens. Les événements se succèdent : Hector, fidèle à sa politique doit surmonter l’obstacle Oiax (scéne IX), puis, plus difficile encore, l’obstacle Ulysse, puis l’obstacle Demokos, (scéne X). Au moment où nous respirions enfin, un coup de théâtre se produit ; Oiax d’abord, Demokos enfin en mourant, remettent en question la victoire d’Hector, la guerre de Troie aura lieu.
La guerre de Troie n’aura pas lieu», est plus une tragédie philosophique, qu’une tragédie psychologique. Cependant, les personnages sont suffisamment typés et différenciés pour avoir du relief .
On va les classer, suivant une métaphore de Giraudoux, sur deux plateaux d’une balance. L’un d’eux représentera la paix, l’autre la guerre. Les poids vont s’équilibrer, l’aiguille se balancera hésitante á droite et á gauche, mais une force absurde va incliner finalement la balance du côté de la guerre.
Pour la Paix : Hector-Andromaque. Hécube Paris, Oiax_
Pour la guerre : Demokos. .Priam.Les vieillards Troyens.
Instrument du Destin : Hélène
Le couple Andromaque-Hector, dans la piéce de Giraudoux, joue le role d’un seul personnage, le défenseur le plus acharné de la paix, dont l‘opposé est Demokos, un poète qui ne veut que lancer son peuple à la guerre qu’il cherche toujours á provoquer.
Le couple Andromaque-Hector, va nous montrer plusieurs aspects de leur vie au fur et à mesure que les scènes se déroulent .Ils vont nous faire des confidences sur leur amour, leurs soucis pour l’avenir du fils qui va naitre bientôt, leur relation avec la famille. Ce sont deux êtres humains que Giraudoux a caractérisés et qui sont son porte- parole, tandis que Demokos n’est qu’une caricature comique du fanatisme nationaliste. Le dramaturge souligne également le danger des mots et notamment de la poésie qui , en temps de guerre , est parfois utilisée pour la magnifier et la rendre attirante; Giraudoxu cherche à montrer le vrai visage de la guerre, un visage nu et sans fard.
Le deuxième plan est occupé par le couple Hécube-Priam, deux personnages entre lesquels s’établit une relation d’opposition puisqu’ils sont les défenseurs de deux causes contraires. Giraudoux se sert aussi d’Hécube pour nous transmettre son opinion sur les faits qui se succèdent. Cette femme va être un personnage bien plus complet que celui de son mari,
Sur le troisième plan se placent des personnages qui n’ont pas une trajectoire définie, et se laissent influencer facilement par les événements. D’une part, Paris, le premier obstacle d’Hector pour réussir la paix, mais une fois surmonté, il collabore inconditionnellement avec son frère. Oiax, va réagir de la même façon face à Hector. D’autre part, les vieillards troyens, dont la faiblesse est manifeste. Tous ces personnages ne sont que des éléments représentatifs d’une ville. Giraudoux les a rassemblés sur la scène, pour donner une vision des différentes attitudes adoptées face à la guerre.
II ne nous reste qu’un dernier personnage à classer: la ville de Troie, le témoin de cette catastrophe. C est un personnage collectif que Giraudoux a scénifié au moyen de ses habitants: le géomètre, les gabiers de Paris, les servantes, Troïlus, Abnéos, ils n’ont que cette valeur: être les témoins de l’action que nous allons analyser en reprenant la métaphore de Giraudoux. Ils représentent, en quelque sorte, le personnage collectif du choeur dans les tragédies antiques
Contrairement à la tragédie classique, Giraudoux ne respecte pas l’unité de ton et les passages poétiques en style soutenu voisinent avec les injures comiques . De plus, il réutilise comme le faisait Racine, la matière historique, ici mythologique , mais sous une forme qui s’apparente à la parodie . Toutefois,comme le faisait également Racine avant lui, trois siècles plus tôt Giraudoux a recours à la matière historique afin de provoquer un effet de distanciation, d’éloignement, des préoccupations contemporaines du public ; Cependant, tous les éléments ramènent le spectateur de 1935 au contexte politique de tensions internationales. C’est le paradoxe de cette distanciation théâtrale.
A la différence de Racine qui a choisi le point de vue des conséquences catastrophiques de la guerre en présentant Andromaque captive du fils d’Achille et qui cherche à raviver le souvenir de son peuple défunt et vaincu, Giraudoux a choisi lui de dévoiler l’avant-guerre, cette période d’incubation du conflit où on le voit grossir , s’éloigner pour finalement éclater sous nos yeux en dépit de tous les efforts d’Hector.