Avant de pouvoir rédiger le commentaire, partons de quelques observations concrètes .
De quel type de texte s’agit -il ?
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Poème en vers formé de quatrains d’alexandrins en rimes croisées
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Poème engagé, qui dénonce la tyrannie de Napoléon III : une dimension satirique
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Appel à la lutte et à la résistance contre le tyran
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Registre lyrique pour l’expression de la plainte (tonalité élégiaque de l’exil forcé )
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Le titre indique une forme de gravité et désigne les derniers mots avant la mort ou ici, le départ .
Les axes d’étude : on peut observer un mélange des genres entre l’expression du combat et celui de la douleur de l’exil ; le poète comme porte-parole de la dénonciation de l’oppression et l’appel au collectif (le Je face aux autres )
Exemple de titres possibles pour des parties : la dénonciation de la tyrannie , une parole épique, une parole poétique politique , un portrait satirique de l’Empereur , la lâcheté des courtisans , le courage des proscrits, l’élégie de l’exil, la souffrance du banni, la solitude du poète , la force de la parole poétique, la solennité de l’engagement .
- Entrainez-vous à recomposer le plan de cette version du commentaire et à retrouver des titres possibles pour chaque sous-partie ..
- Entrainez-vous également à rédiger l’introduction …
Exemple de développement …
Hugo s’adresse d’abord directement à Napoléon III et lui exprime son mépris : il le tutoie (indices personnels de la 2e personne du singulier : « te, ton »). Le nom de « César » (v. 8) dont il l’affuble prend alors une valeur d’antiphrase ironique et contraste avec le croquis burlesque d’un bien piètre « César » dans son misérable « cabanon ». Par l’antithèse ironique – d’autant plus visible que les deux mots sont à la rime – entre ce « cabanon », qu’il mériterait vraiment, et le « Louvre », qu’il occupe indûment, le poète dénonce la folie, mais aussi la mégalomanie et l’usurpation de l’empereur.
Plus avant dans le poème, la désignation implicite de Napoléon III par l’évocation de « Sylla » (v. 26), dictateur romain qui a multiplié les proscriptions et les massacres, dénonce sa cruauté sanguinaire et fait de lui une figure légendaire dont la postérité gardera le souvenir au même titre que les pires tyrans. Le poème se fait satire.
Après l’avoir tutoyé, Hugo prend ses distances par rapport à Napoléon III, comme pour l’annihiler : l’utilisation du pronom « il », pronom de l’absence (« tant qu’il sera là », v. 13), marque son refus de nommer cet ennemi, son désir de lui ôter son identité, de le renvoyer dans le néant.
La critique s’étend à l’entourage de Napoléon III : Hugo dévoile la vérité sous l’apparence officielle et révèle la contagion des vices de l’empereur à tous ses partisans.
La métonymie des « têtes courbées » (v. 9), le terme péjoratif de « valets » (v. 7) pour désigner l’entourage de l’empereur, la lourdeur des sonorités en « on » qui reviennent par six fois dans les vers 6-7 et le rythme régulier que leur imprime la répétition du son « t » (« tandis, tes, te, montreront, ton, te, montrerai, ton ») suggèrent la soumission des courtisans et fustigent leur servilité. Le terme « trahisons » (v. 9) – dont le pluriel indique qu’il s’agit d’une pratique courante – dévoile la vraie noirceur de ce milieu.
Le clergé qui « bénit » (v. 4) l’empereur n’est pas exempt de cet « opprobre » : Hugo le désigne implicitement par l’indéfini « on » (v. 4), désireux d’en rejeter les membres dans l’anonymat et l’oubli, ce qui sera l’un de leurs « châtiments ». Il dénonce ainsi indirectement la complicité coupable de l’Église avec Napoléon III.
Mais Hugo sait marier satire et lyrisme, et change de ton quand il évoque son sort d’exilé qu’il partage avec ses « nobles compagnons » (v. 1).
Le poème répond à la rumeur d’amnistie proposée par Napoléon III aux proscrits qui reviendraient en France. Hugo fait ici allusion à ce « piège » qui peut faire vaciller des volontés moins fortes, et peut-être même la sienne…
Le ton religieux, la solennité à l’antique : le thème de l’exil est abordé par le biais de l’apostrophe solennelle à ses pairs en exil, qui rappelle les exhortations à l’antique : le ton est quasi religieux. Ainsi, « culte » (v. 1), terme du vocabulaire religieux, évoque celui des Mânes antiques ; l’apostrophe collective « bannis » (v. 2) semble sortie d’un sermon ; enfin, la « République » qui « nous unit » (v. 2), personnifiéepar la majuscule, renvoie à une valeur antique essentielle. Ces références au bannissement, qui renvoient à la tradition politique de la République romaine antique, sont reprises par la mention de « Sylla » (v. 26) pour désigner Napoléon qui ne sort pas grandi de cette comparaison .
Le mouvement final de la dernière strophe est préparé par la désignation successive des proscrits dans le poème, la relation de Hugo avec eux étant marquée par un détachement progressif. Hugo part d’une sorte de fusion suggérée par les indices personnels de la 1re personne (« mes compagnons, nous unit, nous tente »), puis, de cette idée collective, il passe à une certaine individualisation (« si quelqu’un a plié », v. 23) et marque la distance instaurée avec ceux qui ont « plié » par le pronom indéfini « on » (v. 25). Si on ne sent de la part de Hugo aucun reproche, l’emploi au vers 26 de « ils », pronom de l’absence, et la formule impersonnelle « s’il en demeure dix » (v. 27) suggèrent cependant la séparation entre lui et ses anciens « compagnons » (v. 1).
Lorsqu’il répète comme un leitmotiv le nom de la « France », Hugo exprime son mal du pays avec des accents nostalgiques Ainsi, des expressions « ta terre », « ta rive » (v. 15 et 17) se dégage une impression de nostalgie . Le mot nostalgie est à prendre ici dans son sens étymologique de « désir de retour », comme en témoigne la forte opposition du vocabulaire du départ (« reverrai, s’en vont, tente ») et de la fixité (« croiserai les bras, planterai, resterai, rester, demeurer, être »).
Par endroits, le ton et le rythme se font élégiaques : la répétition de certains mots, l’anaphore de « Je ne reverrai pas » (v. 15 et 17) qui met en valeur la négation – et, par là, la souffrance du manque –, l’interjection « hélas » (v. 18) ou le vocabulaire de la douleur (« âpre exil », v. 21) font de ces vers une plainte douloureuse. Les sonorités mêmes contribuent à cet effet : les rimes féminines (v. 13, 15, 17…), les « e » muets (à l’intérieur des vers 14, 15, 17), sonorités douces, et le son « s » (v. 13-14, 15 : « sera, cède, persiste, France » deux fois, « douce, triste ») donnent à ces vers un ton nostalgique.
La peine toutefois est atténuée par le recours à la prétérition, qui consiste à présenter sa nostalgie par la négation.
Les sentiments passent par de discrètes allusions personnelles : la référence au « tombeau [de mes aïeux] » (v. 16) suggère implicitement celui de sa fille Léopoldine ; l’évocation du « nid de [s]es amours » (v. 16) est une métaphore qui rappelle son attachement à son pays natal
En contraste avec cette délicatesse affective, le ton se fait parfois poignant et ferme.
La triple apostrophe à la France personnifiée, qui se développe sur un ample groupe ternaire, rythme de l’émotion, et est mise en relief par la coupe et le hiatus (« aimée // et », v. 14), prend des accents épiques.
L’abondance tout au long du poème de verbes, conjugués pour la plupart au futur de certitude, insuffle élan et amplitude à la parole de Hugo.
Enfin, les bras croisés (v. 10), associés au verbe « Je resterai » (v. 20) qui suggère la permanence et la solidité, la solennité du dernier vers font penser à la statue d’un héros car ils évoquent une attitude méditative, mais ferme. La parole du Poète devient une force .
À travers l’expression de ses sentiments et la force de ses vers, Hugo se pose en figure emblématique du poète engagé dont l’arme est la parole.
La fréquence du pronom « je » (répété treize fois, le plus souvent en tête de vers) ou de sa forme tonique « moi » témoigne d’une forte présence de l’auteur qui se met lui-même en scène pour mieux affirmer son originalité.Hugo se présente dans la posture du héros romantique-type : il est « debout » (v. 20), les bras croisés…Complétant ce portrait physique, de nombreuses comparaisons soulignent son originalité : il apparaît ainsi sous les traits de personnages très divers, tantôt gardien de l’autel du souvenir, sorte de Romain chargé du « culte » de la « République » (v. 1-2) ; tantôt prophète à travers la mention du « sac de cendre qui [le] couvre » (v. 5) ; tantôt héros d’épopée évoquant Achille retiré à l’écart sous « sa tente » (v. 19) ; tantôt statue avec « mon pilier d’airain » (v. 12) ;
Ces diverses images composent le portrait théâtralisé et impressionnant du poète héroïsé.
Le poème progresse sur le mode de la gradation descendante qui focalise le lecteur sur le personnage du poète mis en scène. Le jeu sur les chiffres, reposant sur une progression qui va s’accélérant de « mille » à « cent », puis « dix », puis « un », crée un mouvement qui semble irrépressible. À cette gradation correspond le jeu sur le rythme des vers : le vers 25 est fragmenté (les troupes sont nombreuses, les rangs instables) ; la relative stabilité du vers 27, coupé à l’hémistiche, soutenue par un parallélisme dans la place de « dix » et « dixième » en fin d’hémistiche, amorce un équilibre qui suggère force et stabilité ; enfin le vers 28 obéit à un équilibre parfait dans son rythme ferme et tonique et l’adéquation entre « un » et « celui-là ».
Hugo joue aussi sur les rimes pour donner plus de force à ce final épique : les rimes masculines sonores en « a » de « Sylla » et « celui-là » qui portent l’accent tonique, s’opposent fermement. Les sonorités orchestrent ce tableau : aux vers 25 et 27, la répétition de la voyelle aiguë « i » (9 occurrences) alliée à des sons forts (« que » répété, « qu’un », « [celui-]là ») met progressivement l’emphase sur le dernier vers, très théâtral.
Cette mise en scène spectaculaire a pour but de montrer que la parole du poète est aussi forte que des actes. Par la répétition du verbe dire (au sens plein de « proclamer », v. 6), Hugo signifie que la parole a un puissant pouvoir sur le monde.
La parole dévoile, perce les apparences, renverse l’échelle des valeurs : ainsi, par la puissance du verbe, l’« insulte » deviendra « gloire » (v. 3), ce qu’on « bénit » sera entaché d’« opprobre » (v. 4) ; la réunion de ces contraires dans un même vers matérialise le pouvoir du poète.
La parole confère aussi l’identité et la suprématie, comme en témoigne l’utilisation des pronoms personnels : ainsi le « je » du poète en début de vers 3 et 4 s’affirme fermement, face à un « on » anonyme, derrière lequel se profile implicitement le tyran, Napoléon III.
Le dire du poète est enfin détenteur du futur, synonyme d’espoir et de sa confiance dans l’efficacité de sa mission : les futurs « Je jetterai l’opprobre » (v. 4), « Je serai […] la voix » (v. 5-6) s’opposent au passé ou au présent des « traîtres » qui se soumettent au tyran, celui qui « a plié » (v. 26), ceux qui « s’en vont » (v. 27). Le ton se fait ici prophétique et rappelle une des missions du poète romantique : il éclaire le peuple et sert de guide pour l’avenir.
Pour conclure ,le changement de la date de composition du poème (2 décembre au lieu du 14 décembre 1852) est significatif : la date choisie – celle du coup d’État – prend une valeur symbolique et révèle l’importance du poème. De même, son titre latin, très solennel, lui donne l’importance d’une déclaration solennelle placée sous l’autorité de l’Antiquité et des grands orateurs et proscrits. Hugo, le républicain, se bat avec son arme – les mots – et avec force, contre le criminel politique, tout en montrant sa détermination inébranlable, sa destinée unique face à tous. Il s’investit du rôle suprême de modèle : la bouche qui dit « non », par un effet de mise en abyme résonne comme un écho à sa propre voix. Le poème montre l’efficacité de la poésie engagée, pour peu qu’elle ne soit pas trop ancrée dans les événements auxquels elle se réfère et accède à un degré d’universalité qui lui fasse transcender le temps. Le poème de Hugo peut être le chant de tout opposant (Napoléon III n’est pas nommé), de tout exilé insoumis, une leçon de démocratie. Il a son écho au siècle suivant dans les poèmes résistants d’Aragon (« L’Affiche rouge ») ou d’Eluard (« Liberté ») qui dénoncent les atrocités commises par l’occupant allemand .