Pour aborder la seconde partie du programme d’Humanités, intitulée Les représentations du monde , nous pouvons nous poser plusieurs questions et notamment quelle est notre place dans le monde et comment nous le représentons nous . Il conviendra donc d’aborder la découverte des nouveaux mondes , de l’altérité ( la rencontre avec l’Autre ) , nos possibilités de connaître le monde qui nous entoure ; à travers les voyages , les découvertes scientifiques et les progrès de la Science . On pourra également s’interroger sur nos représentations du monde , de nos espaces de vie et de socialisation comme les villes, les mondes imaginaires également , utopiques ou dystopiques. Mais pour aborder ce nouveau volet de notre second thème, nous intéresserons tout d’abord, à l’évolution de la relation entre l’homme et l’animal. Comment l’homme considère-t-il l’animal ? L’espèce humaine a -t-elle des devoirs envers les animaux ? L’animal est-il le miroir de l’homme ? Comment les deux espèces peuvent-elles communiquer ? Commençons par ce premier chapitre inspiré : de l’animal à l’homme , une frontière énigmatique ou l’homme est-il vraiment un animal comme les autres ?
L’animal est -il dépourvu de raison ? N’est-il qu’ une machine ? à partir du texte de Descartes p 244 édition Hachette
On définit l’homme par l’usage qu’il est capable de faire de sa raison : il serait donc un animal doué de raison contrairement aux autres espèces . Comment cette théorie a -t-elle été construite ? Commençons tout d’abord par chercher ce qui pourrait nous différencier de l’animal. Des philosophes , et notamment René Descartes , ont ainsi émis l’idée que les animaux seraient dépourvus de raison . Selon lui, les bêtes agissent naturellement et par ressort , ainsi qu’une horloge, écrit -il en 1646 . Il prend l’exemple de la migration des hirondelles, des grues, des animaux qui cherchent à enterrer , par instinct, dit -il leurs excréments. Pour lui ” bien que les bêtes ne fassent aucune action qui nous assure qu’elles pensent, toutefois, à cause que les organes de leur corps, ne sont pas fort différents des nôtres, on peut conjecturer qu’il y a une pensée jointe à ces organes. ” . Descartes poursuit en expliquant que si les animaux pensaient alors ils “auraient une âme immortelle ” et ceci lui parait tout à fait invraisemblable. Il n’exclut pas que pour certaines espèces comme les chiens ou les chats ou certains oiseaux, on puisse aller jusqu’à le penser mais il le réfute pour des espèces qu’il juge “trop imparfaits” : il cite comme exemple les huîtres, les éponges ; On pourrait ajouter de nombreux animaux à cette liste; Descartes pose donc la prépondérance de l’instinct chez les animaux et relie la présence d’une pensée à celle de l’existence de l’âme alors qu’aujourd’hui, de nombreux éthologues ont démontré la présence d’un raisonnement et d’opérations mentales liées à l’apprentissage chez de nombreuses espèces animales . Cette théorie dite des animaux-machines sépare donc radicalement les deux espèces : l’homme possède une âme et il est doué de raison ; Ce n’est pas le cas des animaux pour Descartes.
Un siècle plus tard, le philosophe Jean -Jacques Rousseau poursuit le raisonnement de son prédécesseur et affirme ” Je ne vois dans l’animal qu’une machine ingénieuse ,à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même , et pour se garantir, jusqu’ à un certain point , de tout ce qui tend à la détruire ou à la déranger. ” Il pense que l’homme est une machine également mais qu’il concourt en tant qu’agent libre à effectuer les opérations que la bête effectue en tant que prisonnière de son instinct; L’homme aurait donc des choix de comportements là où l’animal serait contraint de suivre ce que lui dicte son instinct .L’homme suivrait parfois sa volonté au détriment de sa nature et se livrerait à des excès dommageables pour lui et sa survie .Rousseau utilise l’exemple d’un animal qui mange habituellement des graines et qui serait incapable de se nourrir de viande ; Il mourrait ainsi près d’un tas de nourriture faute d’avoir pu changer son régime alimentaire . L’homme serait ainsi davantage capable de s’adapter mais surtout d’aller vers les excès . ” Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins ” Rousseau cherche donc à montrer que le Mal existe chez l’homme mais pas chez l’animal : l’homme peut choisir et décider d’être raisonnable ou au contraire de se livrer à des actes barbares ; Cette comparaison entre l’homme et l’animal a été établie dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes , en 1755.
Jean de La Fontaine , dans ses Fables , a cherché lui aussi à comparer le comportement de l’homme et celui des animaux ; La comparaison n’est pas en l’honneur de l’homme et plusieurs apologues comme L’homme et la couleuvre, par exemple, ou Le loup et les bergers montrent sa cruauté envers les autres espèces; Le fabuliste a beaucoup observé les animaux et il est admiratif de leur ingéniosité ; Dans son Discours à Madame de la Sablière, il critique explicitement la théorie de Descartes et prête aux animaux des sentiments, et la capacité d’effectuer des choix volontaires. Il prend l’exemple des castors et montre que leur travail est organisé; Les plus vieux forment les jeunes et chacun est utilisé pour ses compétences ; C’est ainsi que leurs barrages sont qualifiés de ” savant ouvrage ” et de “fruit de leur art ” . La Fontaine conclut ” que ces castors ne soient qu’un corps vide d’esprit / Jamais on ne pourra m’obliger à le croire “; Cependant si la Fontaine démontre que les animaux sont capables de penser , de réfléchir et de mettre en place des systèmes perfectionnés d’organisation du travail ( on pourrait penser aux insectes, aux fourmis par exemple, aux abeilles ), il n’ évoque pas le point principal pour Descartes, à savoir la présence ou l’absence d’une âme qui serait indissociable de la raison.
Un philosophe contemporain, Pascal Quignard , démontre même que dans L’ Odyssée d’Homère, le premier être qui est capable de reconnaître Ulysse sous son déguisement alors qu’il est de retour à Ithaque après plus de 10 ans d’absence, c’est son vieux chien Argos. Ce dernier grâce à son flair a su démasquer son maître et l’a reconnu à son odeur; Homère aurait utilisé, en grec, le verbe penser pour désigner l’action du très vieux chien qui meurt de joie en retrouvant son maître . L’intelligence animale consiste ici à voir ce que les humains ne peuvent voir , à démasquer la vérité sous les apparences ; Ulysse est déguisé en mendiant et seul son chien est capable de lui redonner sa véritable identité . On dit que les animaux sentent la peur, ressentent, dans l’air l’arrivée des séismes et certains chiens détectent des cellules cancéreuses invisibles à l’oeil nu. S’agit-il de pensée animale ou d’instinct supérieur à celui de l’espèce humaine dans certains domaines ?
Lisez le texte suivant : partagez-vous l’opinion de La Mettrie ? Sur quel point n’est-il pas d’accord avec Descartes ? Proposez une définition claire du matérialisme en philosophie
HOMME MACHINE * |
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L’homme est une machine. |
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Il n’y a, dans l’univers, qu’une seule substance diversement modifiée. L’homme est une machine fort bien faite qui remonte elle-même ses ressorts qui ne sont rien d’autre que la vie elle-même. Ces ressorts se distinguent entre eux par leur fonction et leur degré de force, et non par leur nature. Le principe de l’animal-machine de Descartes s’applique également à l’homme ; le dualisme corps-esprit est une illusion. L’âme n’est rien d’autre que la partie pensante du corps physique dont elle dépend totalement, et sans lequel elle ne saurait exister. L’athéisme n’est pas plus un signe de dépravation que la religion ne garantit la probité. L’Être Suprême existe probablement mais il représente une théorie qui ne nécessite en rien l’obligation d’un culte religieux. La raison d’être de l’existence se justifie par l’existence elle-même. « La Nature nous a tous créés uniquement pour être heureux ; oui tous, depuis le ver qui rampe, jusqu’à l’aigle qui se perd dans la nuée. » Dans cet ouvrage paru en 1748, ce médecin part d’une hypothèse : l’homme aurait reçu la capacité de distinguer le Bien du Mal et pas l’animal . La Mettrie n’est pas convaincu et il va le démontrer ; “Nous savons que nous pensons , dit il ” et que nous avons des remords ” mais nous ne pouvons juger les autres d’après notre connaissance de notre conscience car “pour juger des remords d’autrui, ce sentiment qui est dans nous est insuffisant” Autrement dit , nous ne pouvons pas savoir ce que pensent vraiment les autres hommes ; Nous ne pouvons qu’observer “les signes sensibles et extérieurs que nous avons remarqués en nous-mêmes lorsque nous éprouvions la même conscience et les mêmes tourments ” Et le savant donne l’exemple d’un chien qui après avoir mordu, semble le regretter . Il cite également des témoignages de cas d’animaux sauvages qui se prennent d’affection pour les hommes qui les recueillent et les nourrissent . Un animal, si l’on en croit , ses signes , serait ainsi capable d’éprouver du regret, de la culpabilité, de la reconnaissance . En réalité, c’est plus complexe car nous interprétons des signes comme s’ils avaient été émis par un humain dans les mêmes circonstances et nous ne pensons qu’avec des outils qui nous sont propres; Nos déductions sont parfois faussées ; Ainsi un chien qui a détruit un meuble ou un canapé ou fait ses besoins dans la maison sera apeuré par la voix que nous prendrons pour le gronder ; Il ne s’agit pas ici de culpabilité mais de peur quand il entend qu’on est en colère . La littérature a souvent utilisé les animaux pour faire ressortir la cruauté des hommes et leur pseudo supériorité; En 1960 , le romancier Pierre Boulle imagine une dystopie dans laquelle la Planète terre est gouvernée par des espèces de singes qui utilisent les humains comme du bétail ; dans ce roman, les singes sont des êtres savants, des scientifiques intelligents et les hommes eux, ne savent pas parler, Leur intelligence est rudimentaire; Les singes proposent l’explication suivante : ” le cerveau du singe s’est développé, compliqué et organisé, tandis que celui de l’homme n’a guère subi de transformation. Certains savants songent à une mystérieuse intervention divine ; D’autres soutenaient que l’esprit du singe tenait avant tout à ce qu’il possédait quatre mains agiles. Avec deux mains seulement, aux doigts courts et malhabiles, il est probable que l’homme a été handicapé dès sa naissance, incapable de progresser et d’acquérir une connaissance précise de l’univers. ” Ici le romancier a réutilisé, avec humour, certains des arguments dont les hommes se servent pour expliquer leur évolution “supérieure “: soit parce que Dieu les a créés supérieurs, pour dominer les autres espèces, soit parce qu’ils sont devenus bipèdes.. Pierre Boulle s’amuse à reproduire , dans la bouche des grands singes, les principaux raisonnements que l’homme utilise pour justifier sa supériorité. Que faut -il retenir de ce corpus ? Voilà les éléments essentiels du cours résumés . La question de l’âme : pour Aristote chaque être vivant , homme, animal et plante, possède une âme ou principe de vie ( appelée psyché en grec ) mais ce principe est plus ou moins développé et l’homme disposerait de mémoire et d’imagination , deux facultés qu’il ne partagerait qu’avec certaines espèces animales. Descartes lui soutient que les animaux n’ont pas d’âme, de principe spirituel ; ce sont juste des machines et ils agissent mécaniquement : c’est la théorie des animaux-machines. Les philosophes des Lumières réfutent la théorie de Descartes et affirment la primauté des sensations dans la formation de nos émotions et de nos pensées; Ils attribuent aux animaux une sensibilité mais doutent , comme Rousseau,de l’existence d’un libre-arbitre chez l’animal . Qu’est-ce qui est le propre de l’homme ? C’est une méthode qui consiste à rechercher ce qui fait la particularité de l’espèce humaine : certains évoquent le langage et la pensée ; Aristote utilise le mot grec logos qui désigne à la fois la pensée et le fait de parler. L’homme est donc un animal doué de logos . Le romancier de la Renaissance , Rabelais a lui pensé à définir l’homme par le rire , faculté qui n’existerait pas , selon lui, chez les animaux, à l’exception toutefois des singes. Rousseau ,lui, définit l’homme par sa capacité à agir librement, sans être dépendant de son instinct. Cette théorie sera remise en cause par les découvertes de la psychanalyse deux siècles plus tard. De nos jours, on cherche encore à identifier certaines de nos facultés propres comme la conceptualisation , notre capacité à nous projeter dans le futur et notre sens esthétique , notre production artistique. Nous sommes donc des animaux pas tout à fait comme les autres : nous avons des ancêtres communs avec les singes mais l’évolution de notre espèce a été différente Exercice : Pourquoi les animaux ne parlent-ils pas ? Voilà des éléments de réponse d’un savant appelé Buffon qui vivait au siècle des Lumières. Selon lui, le langage servirait à l’homme à rendre compte de ce qui se passe en lui; il communiquerait sa pensée par sa parole; Les hommes sauvages eux aussi peuvent parler et ils parviennent à apprendre le langage des autres hommes , de ceux , par exemple, qui viennent conquérir leurs territoires ; Pour Buffon ce n’est pas une histoire d’organes mais c’est le signe que les animaux n’ont pas de pensée . Même si on parvient, selon lui, à enseigner des mots aux animaux , notamment à leur faire répéter des sons comme on entend parfois certains perroquets reproduire des mots qu’ils ont entendus, il est , toujours selon Buffon, impossible à un animal d’avoir l’idée que ce mot représente; Les animaux donc ne parleraient pas parce qu’ils ne penseraient pas et parce qu’intellectuellement , ils n’ont pas accès au monde des idées . Il réfute ainsi l’idée selon laquelle il s’agirait d’une déficience liée à leur constitution physique : il donne comme preuve incontestable le fait que certains animaux sont justement capables de reproduire des sons similaires à ceux du langage humain . On peut toutefois objecter à Buffon que les animaux communiquent , entre eux, en émettant des signes que nous ne comprenons pas toujours mais qui constituent une forme de langage élaboré. Voilà une petite présentation de la tentative d’un écrivain :Tristan Garcia pour “traduire ” le langage d’un chimpanzé nommé Doogie dans Les Mémoires de la Jungle . Qu’en pensez-vous ? Cela vous donne-t-il envie de lire le roman ? Quel est le parti-pris de l’écrivain ?
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