Jean de Léry est un ouvrier et explorateur français protestant qui s’est exilé à cause des guerres de religion qui ont eu lieu en France et durant lesquelles de nombreux protestants appelés huguenots , furent massacrés sur ordre du roi. L’auteur a publié, après son retour en France un livre de souvenirs de voyage dans lequel il relate sa rencontre avec les indigènes brésiliens. Il emploie les techniques de la maieutique pour faire prendre conscience aux Français de ce que pensent les Indiens de leurs pratiques commerciales.
Lorsqu’il relate son voyage en terre du Brésil et sa relation avec les Indiens de la tribu Toupinambas, Jean de Léry peint un portrait élogieux des Sauvages et les présente comme des hommes sages qui tirent de leur saine constitution physique et de leurs vertus morales, leur exceptionnelle longévité. Dans le texte précédent, il oppose leur absence de vices à la corruption qui , à la manière d’un poison, détruit la santé des Français. Le dialogue qu’il met en scène retrace les interrogations d’un vieillard à propos des exportations massives de bois”arabotan” ; ce dernier, grâce à de multiples questions orientées parvient à faire dire à l’auteur que les Français sont fous de vouloir enrichir leur descendance après leur mort. Quelle stratégie argumentative pouvons-nous repérer à travers ce dialogue ? Dans un premier temps, nous étudierons la construction du dialogue avant d’évoquer l‘utilisation du regard de l’étranger et pour terminer, nous montrerons comment l‘auteur intervient dans son propre récit pour nous persuader de la justesse des propos du vieillard .
Le dialogue met face à face deux locuteurs et il n’est pas rare, dans ce cadre, que l’un des deux prenne l’ascendant sur l’autre; le vieillard mène clairement l’interrogatoire et on relève de nombreuses modalités interrogatives : il est précisé dès la ligne 5 qu’il “m’interrogea” ; la plupart des questions sont fermées comme à la ligne 7 “n’y en-t-il point en votre pays ?” cette question rhétorique implique une réponse par oui ou non , comme celle de la ligne 23 : “cet homme si riche dont tu me parles, ne meurt-il point ?” La question ouverte de la ligne 27 “à qui est tout le bien qu’il laisse ” doit permettre à l’auteur d’expliquer le système d’héritage en usage en France et inconnu des Indiens. L’auteur répond donc au moyen de paragraphes argumentés et les marques des réponses rythment l’échange entre les deux hommes : “lui ayant répondu” ligne 8, “oui lui dis-je “répété à deux reprises , aux lignes 14 et 24. Le français est obligé d’acquiescer à chaque demande de son interlocuteur et il est quelque peu mis en difficulté par le Vieillard comme on peut le lire au lignes 21 et 26 : “m’interrogeant plus avant” qui marque une progression dans l’argumentation et enfin ” il me demanda de nouveau” .
Ce jeu de questions et de réponses a pour but de dévoiler la pensée de l’auteur qui, comme Montaigne ou Diderot, utilise le procédé du regard de l’étranger afin de dénoncer les défauts de ses compatriotes sans avoir l’air de porter contre eux des accusations. Les Brésiliens semblent tout d’abord “ébahis” ( ligne 6) de voir les efforts fournis par les Français pour emporter ce bois; le mot atteste d’une forme d’étonnement importante; à la ligne 20, nous trouvons une autre preuve d’étonnement avec , tout d’abord une exclamation de surprise transcrite par deux interjections “ha ha” et ensuite l’expression “tu me racontes des choses étonnantes” ; cet étonnement culmine dans le texte avec l’expression de la ligne 30 à 32 : vraiment : l’adverbe marque ici la force des propos “je sais maintenant ” ; ce deuxième adverbe nous fait comprendre que ce jugement vient de se former dans l’esprit du locuteur ; “ vous autres Français vous êtes de grands fous” ; En mettant cette critique de ses compatriotes dans la bouche d’un Sauvage, l’auteur ne peut être accusé de le penser; par le regard de l’étranger, il parvient ici à dévoiler ce qu’il pense en faisant endosser la responsabilité de ce jugement par quelqu ‘un d’autre; ce qui est une manière habile de se dédouaner ;
En effet, la stratégie argumentative de l’explorateur est habile: il se met, à la fois dans la position d’un témoin et donne à cette anecdote une valeur authentique en multipliant les effets de réel comme à la ligne 40 “voilà sommairement le véridique discours que j’ai entendu de la propre bouche d’un pauvre sauvage américain”; l’adjectif véridique confirme qu’il s’agit bien d’un histoire vécue <em>; Léry paraît ici rapporter des propos entendus mais on décèle un emploi ironique du mot “pauvre ” associé à “sauvage“; Jean de Léry tente ici de démontrer le raisonnement logique des Indiens et les arguments rationnels qu’ils peuvent opposer au pillage de leurs matières premières; mais il le fait en conférant au lecteur le pouvoir de juger les propos qu’il rapporte; Toutefois, la chute du texte nous permet de penser que l’auteur a pris le parti des Indiens contre les colons et qu’il se range donc dans leur camp; de plus, grâce aux parenthèses, nous suivons, à l’intérieur du dialogue, la progression des idées de l’ auteur; son jugement est retranscrit au moyen de parenthèses comme à la ligne 14 oui lui dis-je (pour le persuader) ; Le lecteur pourrait alors croire que c’est bien l’auteur qui mène l’argumentation mais il n’en est rien; alors que ce dernier explique ,un peu comme on le ferait à un enfant, en simplifiant et en exagérant qu’un marchand en France serait assez riche au point d’acheter tout le bois du pays, le vieillard démontre l’inutilité de la capitalisation en évoquant la mort qui frappe tous les hommes ; Léry reconnait alors sa qualité de “grand discoureurs” ( ligne 25) qu’on pourrait traduire par bon orateur ou habile manipulateur; La litote de la ligne 30 “n’était nullement lourdaud ” qui qualifie l’ingéniosité du brésilien est précédée de la mention “comme vous le jugerez” . Léry engage donc, par ces mots, le propre jugement du lecteur qu’il s’efforce de guider au moyen de cet échange rythmé et animé. Le dernier paragraphe comporte une série d’arguments tous recevables et convaincants, fondés sur des liens logiques; “la terre qui vous a nourris n’est-elle pas suffisante pour les nourrir ?” Cette nouvelle question rhétorique constitue une preuve de l’absence de bon sens dont font preuve les colons; ils sont, en quelque sorte, prêts à endurer de nombreuse souffrances : tant de maux l 33 pour assurer à leur descendance une richesse superflue alors que l’homme a juste des besoins primaires à satisfaire selon eux: se nourrir en cultivant la terre essentiellement .
Ce dialogue met donc en évidence le bon sens et le pragmatisme du vieillard brésilien et la capacité des Sauvages à tenir un raisonnement cohérent et efficace , en utilisant des techniques héritées de la sagesse antique , la maïeutique socratique; Léry comme Montaigne s’efforce de déjouer les préjugés qui pèsent sur les moeurs des Sauvages et donne à croire à ses lecteurs qu’ils sont des êtres humains dotés des mêmes facultés intellectuelles que les Occidentaux; ni sous-hommes, si sur-hommes, simplement des hommes comme eux, en un peu mieux.
Un dialogue constructif entre un colon et un brésilien : le témoignage de Jean de Léry
Jean de Léry est un ouvrier et explorateur français protestant qui s’est exilé à cause des guerres de religion qui ont eu lieu en France et durant lesquelles de nombreux protestants appelés huguenots , furent massacrés sur ordre du roi. L’auteur a publié, après son retour en France un livre de souvenirs de voyage dans lequel il relate sa rencontre avec les indigènes brésiliens. Il emploie les techniques de la maieutique pour faire prendre conscience aux Français de ce que pensent les Indiens de leurs pratiques commerciales.
Lorsqu’il relate son voyage en terre du Brésil et sa relation avec les Indiens de la tribu Toupinambas, Jean de Léry peint un portrait élogieux des Sauvages et les présente comme des hommes sages qui tirent de leur saine constitution physique et de leurs vertus morales, leur exceptionnelle longévité. Dans le texte précédent, il oppose leur absence de vices à la corruption qui , à la manière d’un poison, détruit la santé des Français. Le dialogue qu’il met en scène retrace les interrogations d’un vieillard à propos des exportations massives de bois”arabotan” ; ce dernier, grâce à de multiples questions orientées parvient à faire dire à l’auteur que les Français sont fous de vouloir enrichir leur descendance après leur mort. Quelle stratégie argumentative pouvons-nous repérer à travers ce dialogue ? Dans un premier temps, nous étudierons la construction du dialogue avant d’évoquer l‘utilisation du regard de l’étranger et pour terminer, nous montrerons comment l‘auteur intervient dans son propre récit pour nous persuader de la justesse des propos du vieillard .
Le dialogue met face à face deux locuteurs et il n’est pas rare, dans ce cadre, que l’un des deux prenne l’ascendant sur l’autre; le vieillard mène clairement l’interrogatoire et on relève de nombreuses modalités interrogatives : il est précisé dès la ligne 5 qu’il “m’interrogea” ; la plupart des questions sont fermées comme à la ligne 7 “n’y en-t-il point en votre pays ?” cette question rhétorique implique une réponse par oui ou non , comme celle de la ligne 23 : “cet homme si riche dont tu me parles, ne meurt-il point ?” La question ouverte de la ligne 27 “à qui est tout le bien qu’il laisse ” doit permettre à l’auteur d’expliquer le système d’héritage en usage en France et inconnu des Indiens. L’auteur répond donc au moyen de paragraphes argumentés et les marques des réponses rythment l’échange entre les deux hommes : “lui ayant répondu” ligne 8, “oui lui dis-je “répété à deux reprises , aux lignes 14 et 24. Le français est obligé d’acquiescer à chaque demande de son interlocuteur et il est quelque peu mis en difficulté par le Vieillard comme on peut le lire au lignes 21 et 26 : “m’interrogeant plus avant” qui marque une progression dans l’argumentation et enfin ” il me demanda de nouveau” .
Ce jeu de questions et de réponses a pour but de dévoiler la pensée de l’auteur qui, comme Montaigne ou Diderot, utilise le procédé du regard de l’étranger afin de dénoncer les défauts de ses compatriotes sans avoir l’air de porter contre eux des accusations. Les Brésiliens semblent tout d’abord “ébahis” ( ligne 6) de voir les efforts fournis par les Français pour emporter ce bois; le mot atteste d’une forme d’étonnement importante; à la ligne 20, nous trouvons une autre preuve d’étonnement avec , tout d’abord une exclamation de surprise transcrite par deux interjections “ha ha” et ensuite l’expression “tu me racontes des choses étonnantes” ; cet étonnement culmine dans le texte avec l’expression de la ligne 30 à 32 : vraiment : l’adverbe marque ici la force des propos “je sais maintenant ” ; ce deuxième adverbe nous fait comprendre que ce jugement vient de se former dans l’esprit du locuteur ; “ vous autres Français vous êtes de grands fous” ; En mettant cette critique de ses compatriotes dans la bouche d’un Sauvage, l’auteur ne peut être accusé de le penser; par le regard de l’étranger, il parvient ici à dévoiler ce qu’il pense en faisant endosser la responsabilité de ce jugement par quelqu ‘un d’autre; ce qui est une manière habile de se dédouaner ;
En effet, la stratégie argumentative de l’explorateur est habile: il se met, à la fois dans la position d’un témoin et donne à cette anecdote une valeur authentique en multipliant les effets de réel comme à la ligne 40 “voilà sommairement le véridique discours que j’ai entendu de la propre bouche d’un pauvre sauvage américain”; l’adjectif véridique confirme qu’il s’agit bien d’un histoire vécue <em>; Léry paraît ici rapporter des propos entendus mais on décèle un emploi ironique du mot “pauvre ” associé à “sauvage“; Jean de Léry tente ici de démontrer le raisonnement logique des Indiens et les arguments rationnels qu’ils peuvent opposer au pillage de leurs matières premières; mais il le fait en conférant au lecteur le pouvoir de juger les propos qu’il rapporte; Toutefois, la chute du texte nous permet de penser que l’auteur a pris le parti des Indiens contre les colons et qu’il se range donc dans leur camp; de plus, grâce aux parenthèses, nous suivons, à l’intérieur du dialogue, la progression des idées de l’ auteur; son jugement est retranscrit au moyen de parenthèses comme à la ligne 14 oui lui dis-je (pour le persuader) ; Le lecteur pourrait alors croire que c’est bien l’auteur qui mène l’argumentation mais il n’en est rien; alors que ce dernier explique ,un peu comme on le ferait à un enfant, en simplifiant et en exagérant qu’un marchand en France serait assez riche au point d’acheter tout le bois du pays, le vieillard démontre l’inutilité de la capitalisation en évoquant la mort qui frappe tous les hommes ; Léry reconnait alors sa qualité de “grand discoureurs” ( ligne 25) qu’on pourrait traduire par bon orateur ou habile manipulateur; La litote de la ligne 30 “n’était nullement lourdaud ” qui qualifie l’ingéniosité du brésilien est précédée de la mention “comme vous le jugerez” . Léry engage donc, par ces mots, le propre jugement du lecteur qu’il s’efforce de guider au moyen de cet échange rythmé et animé. Le dernier paragraphe comporte une série d’arguments tous recevables et convaincants, fondés sur des liens logiques; “la terre qui vous a nourris n’est-elle pas suffisante pour les nourrir ?” Cette nouvelle question rhétorique constitue une preuve de l’absence de bon sens dont font preuve les colons; ils sont, en quelque sorte, prêts à endurer de nombreuse souffrances : tant de maux l 33 pour assurer à leur descendance une richesse superflue alors que l’homme a juste des besoins primaires à satisfaire selon eux: se nourrir en cultivant la terre essentiellement .
Ce dialogue met donc en évidence le bon sens et le pragmatisme du vieillard brésilien et la capacité des Sauvages à tenir un raisonnement cohérent et efficace , en utilisant des techniques héritées de la sagesse antique , la maïeutique socratique; Léry comme Montaigne s’efforce de déjouer les préjugés qui pèsent sur les moeurs des Sauvages et donne à croire à ses lecteurs qu’ils sont des êtres humains dotés des mêmes facultés intellectuelles que les Occidentaux; ni sous-hommes, si sur-hommes, simplement des hommes comme eux, en un peu mieux.