A l’époque des Lumières , quand les hommes ont cherché à remettre en cause le principe de monarchie absolue de droit divin, ils ont du réfléchir à ce qui fonde l’autorité politique ; Au nom de quels principes les hommes, les citoyens, le peuple , vont-ils accepter le pouvoir de celui qui se prétend leur chef , leur leader, leur dirigeant.
Comment la parole politique incite-t-elle à l’action ?
Le texte que nous étudierons est un extrait de l’article de l’Encyclopédie, intitulé « Autorité Politique ». Diderot, philosophe et homme de lettres des Lumières , traite ici de la nature de l’autorité politique et dénonce implicitement les fondements de la monarchie absolue de droit divin . Cet article interroge la notion d’autorité et surtout s’emploie à contester les formes qu’elle revêt habituellement. En décrivant le pouvoir politique et son fonctionnement , il s’attaque à l’absolutisme tout en dissimulant sa critique derrière les arguments logiques de l’article encyclopédique.
Son argumentation se fonde d’abord sur
- la découverte de l’origine de l’autorité dans les sociétés primitives : distinction entre autorités naturelles et non naturelles
- l’usage de l’autorité par la force et la violence
L’article nous montre comment on passe ensuite de l’autorité par la force à celle par le consentement et quelle doit être la véritable autorité politique
Nous verrons donc que dans cet article d’encyclopédie, Diderot donne sa définition de l’autorité légitime, afin de faire de ce texte une condamnation du pouvoir autoritaire abusif.
L’autorité selon Diderot : d’où vient-elle et qu’est- ce qui la légitime ?
1) Origine de l’autorité :
Dans le 1er paragraphe, Diderot fait allusion à deux idées développées par les philosophes de ce siècle : la liberté et l’homme à l’état naturel.
(l.1) : dès son postulat, Diderot affirme qu’il y a une absence d’autorité naturelle et met en place le principe d’égalité des Hommes associé à la notion de liberté : droit naturel de l’Homme comme le rappellera d’ailleurs la constitution des droits de l’homme quelques années plus tard « les hommes naissent libres et égaux en droits »
Les tournures négatives et affirmatives sont en opposition : « n’a reçu »/ est (présent) ; « aucun homme »/chaque individu » ; « le droit de commander/ le droit de jouir » = . La liberté est donc un droit et les dirigeants politiques ne devraient diriger que grâce à l’accord de leurs citoyens et en respectant leurs droits .
Le postulat est présenté sous deux formes qui se complètent :
Une réfutation :(l.1) « aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres » et une affirmation : (l.2-3) « la liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il en jouit de la raison »
L’autorité n’est pas donc pas naturelle à une exception près …
2) L’autorité naturelle : l’autorité paternelle
(l.3-4) « Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle » : Diderot admet , au moyen d’un système hypothétique, que la nature a pu établir une autorité qui est celle du père de famille mais cette autorité est très vite limitée dans le temps ; le mot bornes marque ses limites .
« aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire ». Dès que l’enfant est adulte, il est capable de se gouverner lui-même et de ce fait, l’autorité paternelle cesse d’être légitime dès qu’elle n’est plus exercée par un père dans le cadre strictement familial. Par conséquent l’autorité d’un chef d’État ne saurait être comparée à celle d’un Père car les citoyens ne sont pas des enfants. Cet argument est implicite mais il est préparé..
3) L’autorité non naturelle :
(l.6) « Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature » L’auteur reprend l’idée catégorique du départ et s’applique à en définir les deux origines :
- autorité par la force et la violence (illégitime) : le verbe s’emparer marque le caractère violent et usurpé de ce pouvoir
- autorité par le consentement, le contrat des peuples (légitime) : il s’agit cette fois d’un accord passé entre les hommes qui délèguent une partie de leurs droits à leurs représentants ( ce que JJ Rousseau nommera le Contrat Social )
Ces deux autorités sont donc en concurrence et la seconde devrait toujours l’emporter selon Diderot car elle est la seule à garantir le respect des droits .
Dans cet article qui se veut une définition de l’autorité et une recherche de ses fondements afin de la légitimer , nous voyons bien qu’au-delà d’une simple description des différents systèmes autoritaires, Diderot défend un idéal de liberté
Diderot nous expose : sa thèse et les origines de l’autorité , illustre un exemple d’ autorité naturelle : l’autorité paternelle et conclut le premier paragraphe sur l’existence de 2 sources à l’autorité politique qu’il va , tour à tour , examiner.
Des lignes 8 à 15 , il est question de décrire l’autorité qui s’est imposée par la violence : le terme usurpation démontre son caractère trompeur et le rapport de forces s’établit entre les deux camps : ceux qui commandent ceux qui obéissent . L’autorité politique est en tension entre deux forces antagonistes et de leur équilibre dépend son maintien ou le renversement du pouvoir . La violence des révolutions trouverait une forme d’explication : le camp opprimé « secoue le joug » comme un animal qui se libère du fardeau qui l’oppresse et les mots « droit « et justice « changent, en apparence de camp mais sont tout aussi trompeurs.
Les parallélismes de construction sont nombreux : la même loi qui a fait l’autorité la défait « ; l’emploi du terme loi ici peut paraître surprenant mais il s’agit de la loi du plus fort te pas de la loi garanti par les textes de loi justement.
Le glissement s’opère alors de l’autorité de la puissance, et vers l’autorité du consentement : Diderot progresse du négatif vers le positif, du provisoire vers le durable à la faveur d’un cas particulier : quelque fois .. l’autorité change de nature et le consentement remplace la soumission . Le dirigeant change alors de nom lorsque son pouvoir change de nature : de tyran, il devient Prince.
A partir de la ligne 15, le dernier paragraphe décrit le fonctionnement idéal de l’autorité politique incarnée dans la personne du souverain.
Quelle est la “bonne autorité politique ? “
1) L’autorité consentie :
– présence d’un lexique à connotations positives : « consentement » (l.21), « usage légitime, utile, avantageux » (l.22), ce qui souligne que la réflexion porte sur un régime acceptable, en opposition avec le premier envisagé. Le philosophe présente les bienfaits de ce type d’autorité en insistant sur son utilité notamment.
Mais dès la première phrase ; il avance l’idée essentielle des limites du pouvoir. (« car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme…cette étape est liée au postulat de départ puisque « aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres » La formulation multiplie les négations pour rappeler le caractère inaliénable de la liberté des individus.
2 ) la réforme nécessaire de la monarchie
Faire dépendre la pratique de l’autorité politique de la notion de consentement remet en cause le principe de monarchie absolue héréditaire dans laquelle il n’y a pas de consentement des sujets. Ils sont sujets soumis, non citoyens. Il semble donc impératif de se tourner vers un autre type de gouvernement et c’est le modèle anglais qui retient l’attention de Diderot : celui de la monarchie constitutionnelle et à terme, le modèle idéal du Prince-Philosophe, qu’on appelle également despotisme éclairé .
3) L’argument religieux
Le refus d’une soumission totale et aveugle à un être humain, fût-il le roi, se justifie, selon Diderot, par la présence, l’existence, d’un maître absolu : Dieu « à qui seul il appartient tout entier » On retrouve ici l’argument qui servira de base à la dénonciation de l’esclavagisme .
Le lexique : « maître supérieur » « maître aussi jaloux qu’absolu » « droits » ; insiste particulièrement sur l’idée de domination divine et il faut avoir en tête l’athéisme de Diderot pour bine comprendre qu’il utilise la figure divine comme un prétexte pour dénoncer les abus de pouvoir des rois au nom de leur « identité divine » Diderot rejette , en effet, catégoriquement l’idée d’une transmission de l’autorité divine dans la personne du roi : or, ce postulat est justement celui qui légitime le pouvoir royal et sa transmission héréditaire car le roi est le représentant de Dieu sur terre et il s’en attribue les pouvoirs . Diderot refuse cet état de fait en expliquant à la ligne 19 que « Dieu ne perd jamais de ses droits et ne les communique point « Il est donc abusif, de ce point de vue, de penser que le roi serait l’-incarnation du pouvoir divin, Diderot entend , deux siècles avant sa réalisation effective, acter la séparation de l’Eglise et de l’Etat en dissociant l’autorité divine et l’autorité du monarque, qui, à ses yeux, n’est que le représentant des citoyens .
Diderot se réfère à Dieu uniquement comme le garant de la raison : « il permet pour le bien commun te pour le maintien de la société.. » il s’agit donc d’un Dieu prévoyant et attaché au bon fonctionnement des institutions ; Un dieu qui agit avec « raison et mesure » « comme un véritable philosophe » ; Ce dieu sage n’autorise pas les excès et condamne « l’aveuglement « ainsi que « l’absence de réserve » dans la soumission à l’autorité politique. « la créature ne s’arroge pas les droits du créateur » : Le philosophe marque ici sa réprobation de l’adoration du peuple envers le roi et condamne toute forme d’idolâtrie comme les marques extérieures et affectées de soumission telles que
« fléchir le genou » ; On retrouve souvent chez les Lumières l’idée qu’une religion sincère est une religion intime sans manifestation ostentatoire et il en va de même pour les marques du pouvoir qui ne doivent pas être les « marques d’un culte civil et politique » On retrouvait déjà cette critique au siècle précédent avec La Bruyère par exemple lorsqu’il décrit le cérémonial et le culte rendu au Roi . Mais la critique de Diderot va beaucoup plus loin car elle prend pour cible l’existence même de la monarchie absolue de droit divin.
La stratégie argumentative de Diderot est extrêmement habile car athée, il utilise Dieu comme argument contre le Roi et contre le culte royal.
Implicitement, Diderot combat l’autorité de la monarchie absolue selon laquelle le monarque absolu a la totalité des pouvoirs. Diderot utilise bien Dieu pour nier l’existence de la monarchie absolue qui est soi disant basée sur « le droit divin »
Selon le texte, Dieu accorde à l’homme sa liberté et devient le garant de ses droits ;
C’est pour cela qu’il y a nécessité de limites pour éviter un autoritarisme excessif pour que le souverain ne soit pas un remplaçant de Dieu.
Pour Diderot, toute soumission illimitée serait une offense à Dieu.
3) L’espoir d’une situation future plus juste : utopie politique
Le fondateur de l’Encyclopédie dresse le tableau d’une société idéale , synonyme de liberté : grâce au consentement populaire avec le contrat et grâce à une réglementation des lois et des règles pour en fixer des limites et les rendre plus justes .
La limitation de l’autorité du souverain est nécessaire et conduit à envisager une répartition des pouvoirs en adoptant un modèle politique qui repose sur une constitution.
L’autorité appartient d’abord aux citoyens et cette possession est inaliénable : ils en font don provisoirement et en passant contrat, à un dirigeant qu’ils s’engagent à respecter et auquel ils sont soumis, par consentement mutuel.
Ainsi il s’agit bien d’un plaidoyer pour la liberté que Diderot fait ici : en effet, il condamne tout d’abord l’autorité prise par la force, semble ensuite concéder l’autorité par le consentement des peuples, pour aboutir à une autorité raisonnée et régulée.
C’est un texte novateur où Diderot tente d’orienter la réflexion des lecteurs vers le rejet des régimes politiques autoritaires et surtout celui de la monarchie absolue.
Diderot fait ici appel au raisonnement pour convaincre son destinataire. Raisonnement rigoureux auquel il est difficile de répliquer . Tout en se maintenant dans le cadre de l’article encyclopédique, Diderot met en place un discours qui s’attaque le fondement même de l’autorité politique du moment. La tonalité “objective” de l’article lui permet de développer une argumentation à la logique implacable qui, en retournant les arguments religieux de ses adversaires, lui permet de détruire la légitimité du monarque de droit divin, Le Dieu de Diderot est l’alibi qui rend impossible la tyrannie : l’homme croyant se retrouve logiquement condamné à la liberté par la volonté de son créateur et maître .
EN résumé
Diderot nous expose : sa thèse et les origines de l’autorité , illustre un exemple d’ autorité naturelle : l’autorité paternelle et conclut le premier paragraphe sur l’existence de 2 sources à l’autorité politique qu’il va , tour à tour , examiner. A la lumière de ces réflexions,pensez-vous qu’on puisse imposer une autorité politique sans user de la violence ?