On rêve tous parfois de partir au bout du monde , de traverser des terres inconnues, d’arpenter des déserts infinis ou d’aller à la rencontre de civilisations oubliées afin de découvrir comment les hommes vivent ailleurs, loin de l’occident et de sa société de consommation . Qu’est-ce qui nous pousse à vouloir partir toujours plus loin et que cherchons nous au juste ou parfois que fuyons -nous ? Le voyageur philosophe va à la rencontre de l’Autre , de la Nature, des individus porteurs de cultures différentes et il rencontre également des idées. En es décentrant , le voyageur goûte à la diversité et élargit à la fois sa conscience et sa perception du monde; Ses représentations du monde s’étoffent et sa sensibilité se façonne ; en même temps qu’il construit sa vision du monde, il construit son identité ; Il est important de distinguer trois aspects du voyage philosophique : la vie avec la Nature, la vie avec ses congénères et la vie avec les idées,les essences spirituelles, ses réflexions, ses méditations et parfois ses carnets de voyage ou les récits de cette expérience.
Selon Montaigne , le voyage nous offre le meilleur moyen de “frotter et lismer notre cervelle contre celle d’autruy ” . A la différence du touriste qui consomme du voyage , le véritable voyageur cherche , à travers ce mode d’apprentissage, à redonner une sens profond à son existence. Il importe donc de distinguer le touriste à la recherche de plaisir ou d’évasion, du voyageur philosophe comme le pélerin autrefois ou celui qui accomplit un voyage initiatique. Ces voyages comme celui qu’envisage Sylvain Tesson dans sa cabane en Sibérie ,deviennent des expériences de constructions identitaires.Tzevan Todorov pense en effet que ” c’est en explorant le monde qu’on va au plus profond de soi “; Ainsi le voyageur -philosophe se met à l’écoute du monde et de lui-même, et en perçoit la beauté ou la richesse dans une perspective esthétique : ce qui peut conduire à un sentiment d’émerveillement , ou d’effroi s’il est seul en milieu hostile . Historiquement la figure du voyageur philosophe ” homo peregrinus academicus” est incarnée par Hérodote , historien et explorateur grec. Ce voyageur humaniste est représenté par la pensée de Montaigne pour qui le voyage est une école de la vie . Il reproche notamment à ses contemporains de voyager ” “et il ajoute ” il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village ” et “où qu’ils aillent ils se tiennent à leurs façons et abominent les estrangieres “ A la Renaissance , les marins devient les nouveaux explorateurs et au siècle des Lumières ,le savant privilégie les expériences sur le terrain: botanistes, zoologues embarquent à bord des navires pour dessiner le monde rejoignant ainsi l’esprit du projet Encyclopédique. La dimension esthétique rejoint alors l’expérience même de la rencontre : le voyageur admire la beauté des paysages, il admire la Nature sauvage et cherche à vivre en harmonie avec elle, à accorder ses activités au rythme des saisons , imaginant parfois que c’est au plus loin de la présence humaine que la Nature nous offre sa présence.
L’expérience du voyageur philosophe semble donc s’inscrire dans une quête sensible et une quête de savoir : en découvrant l’Ailleurs, il se découvre lui-même, évolue et parfois même se transforme pour devenir Autre. En effet, le voyage nous met à l’épreuve comme le rappelle Diderot dans son Supplément au voyage de Bougainville ” tout navigateur s’expose, et consent de s‘exposer aux périls de l’air, du feu, de la terre et de l’eau.. il peut errer des mois entiers entre la mer te le ciel, entre la mort te la vie, .. avoir été battu des tempêtes, menacé de périr par naufrage, par maladie , par disette d’eau et de pain.. ” A ces dangers , on peut ajouter la notion de choc culturel définie ainsi comme : “une réaction de dépaysement , de frustration ou de rejet, de révolte et d’anxiété ” provoquée par la rencontre de modes de vie très éloignés et parfois incompréhensibles ou qui paraissent radicalement différents ; Ce choc, selon les ethnologues, permet justement une prise de conscience de notre identité sociale ou culturelle; Ces chocs parfois violents sur le plan émotionnel, sont des sortes de rencontres/épreuves avec l’autre . Enfin le voyage peut également être étudié comme une tranche de vie : il comporte un départ, une motivation, des étapes, des aventures et un retour . on peut ensuite en garder des souvenirs et en tirer un bilan ou en écrire un livre, un récit , une relation de voyage comme on disait autrefois.
Le goût du voyage : Sylvain Tesson a servi de modèle pour beaucoup de jeunes qui ont voulu suivre son exemple et qui , après la lecture de son récit ” On a roulé sur la terre ” paru en 1999, ont décidé eux-aussi, de partir à l’aventure .Au départ, c’est souvent un défi qu’on se lance à soi-même et pour certains, un désir de fuir la société de consommation et ses modèles . On retrouve parfois une envie de prendre des risques, de repousser ses limites , de se confronter à des dangers . L’appel de la Nature est également une motivation pour d’autres voyageurs-philosophes, à l’écoute des mystères du Monde et fascinés par un type de paysage: les déserts, la forêt , la jungle, la neige, le pôle et la glace. Chacun aurait ainsi une destination de rêve et on peut retrouver une approche mystique du voyage comme le moyen de renouer avec des forces occultes de l’Univers, contenues dans les éléments. La dimension magique de l’expérience est souvent mentionnée. Enfin, certains départs sont déclenchés par une crise existentielle: une séparation, un décès, un déplacement géographique. Le voyageur se prépare à ce départ et fait notamment l’expérience de la solitude . Si elle permet l’immersion dans la Nature, peut conduire à l’émerveillement et facilite l’introspection, elle avive également les doutes et peut faire naître l’angoisse .
Au final, tous les voyageurs ont éprouvé leur humanité et ont acquis une forme de conscience élargie; Leurs voyages ont modifié durablement leurs représentations du monde et leur être- au monde . Leurs expériences du mysticisme de la Nature notamment peut dissoudre momentanément la conscience d’un moi séparé du monde; ils ne font plus qu’un avec ce qui les entoure comme s’ils étaient la forte, ou la montagne ou le désert . A la fois rencontre de l’Autre et retour sur soi, le voyage pour le voyageur- philosophe dévoile son caractère , développe sa sensibilité et éprouve le Temps, se met à l’écoute de son cœur et de ses instincts, devient… tout simplement .
Quelques pensées inspirées des récits de Sylvain Tesson
Où est -il allé ?
Traversée à vélo du désert central en Islande, spéléologie à Bornéo, tour du monde à bicyclette, traversée de l’Himalaya, à pied, ou encore traversée de l’Asie centrale à cheval, pour finir en ermite, reclus dans une cabane au fond de la Sibérie.
Le Temps . ” L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elles coulent de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et, soudain, on ne sait même plus qu’il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont.”
“Et si la liberté consistait à posséder le temps? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures?Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. “
La Richesse . “On dispose de tout ce qu’il faut lorsque l’on organise sa vie autour de l’idée de ne rien posséder.”
Moi et les Autres . “Il est bon de n’avoir pas à alimenter une conversation. D’où vient la difficulté de la vie en société? De cet impératif de trouver toujours quelque chose à dire. “
L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est l’obligation de vivre avec eux. Le mieux consiste donc à construire un donjon solitaire avec le ciment de son rêve suffisamment solide pour que le ressac du monde extérieur s’y fracasse. “
Les livres “… les citations ne sont pas des paravents derrière lesquels se réfugier. Elles sont la formulation d’une pensée qu’on a caressée un jour et que l’on reconnait, exprimée avec bonheur, sous la plume d’un autre. Les citations révèlent l’âme de celui qui les brandit. “
Le voyageur ” Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n’appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins de monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d’avancer. “
La Nature : “S’asseoir devant la fenêtre le thé à la main, laisser infuser les heures, offrir au paysage de décliner ses nuances, ne plus penser à rien et soudain saisir l’idée qui passe, la jeter sur le carnet de notes. Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir. “
“Lorsqu’on quitte un lieu de bivouac, prendre soin de laisser deux choses. Premièrement : rien. Deuxièmement : ses remerciements.” L’essentiel ? Ne pas peser trop à la surface du globe. “
L’ermite “En ville, le libéral, le gauchiste, le révolutionnaire et le grand bourgeois paient leur pain, leur essence et leurs taxes. L’ermite, lui, ne demande ni ne donne rien à l’Etat. Il s’enfouit dans les bois, en tire substance. Son retrait constitue un manque à gagner pour le gouvernement. Devenir un manque à gagner devrait constituer l’objectif des révolutionnaires. Un repas de poisson grillé et de myrtilles cueillies dans la forêt est plus anti-étatique qu’une manifestation hérissée de drapeaux noirs.
L’ermite se tient à l’écart, dans un refus poli. Il ressemble au convive qui, d’un geste doux, refuse le plat. Si la société disparaissait, l’ermite poursuivrait sa vie d’ermite. Les révoltés, eux, se trouveraient au chômage technique. L’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. Il est physiquement inoffensif et on le tolère comme s’il appartenait à un ordre intermédiaire, une caste médiane entre le barbare et le civilisé.”