14. mars 2022 · Commentaires fermés sur Chant d’automne de Charles Baudelaire · Catégories: Commentaires littéraires, Première · Tags: ,

La fuite du temps est un thème qui a inspiré de nombreux poètes depuis l’Antiquité; Pendant la période romantique,  la fuite du temps apparaît sous différentes formes  souvent associée à la vieillesse et à la perte de l’amour .  Charles Baudelaire , dans son recueil Les Fleurs du Mal , paru en 1857,a consacré un certain nombre de pièces à cette thématique qu’il rapproche très souvent de son Spleen : cet état d’âme mélancolique et angoissé qui lui fait voir la vie en noir. Dans les sept quatrains d’alexandrins aux rimes croisées qui forment ce chant d’automne aux accents élégiaques  ,comment le poète a-t-il choisi de représenter le temps , cet ennemi qui lui ronge la vie et se fortifie du sang que l’homme perd ?

Tout d’abord , Baudelaire a envisagé le temps avec les symboles des saisons :  chaque saison représente un âge de la

 

vie de l’homme; L’été est associé à la lumière (vive clarté ) et sa disparition attriste le poète (adieu, trop court ) ; il exprime ainsi des regrets de cette fuite du temps et il craint d’aborder l’automne. L’été est également associé dans la seconde partie du poème à l’Amour ; Baudelaire a organisé des correspondances entre les yeux de la femme aimée et leur lumière verdâtre; cet amour apaisant et réconfortant ne parvient pas toutefois à lui faire oublier “le soleil rayonnant sur la mer ” c’est à dire la saison estivale et sa lumière éclatante, Autrement dit l’amour ne peut entièrement le réconforter de voir sa jeunesse le quitter . Au vers 19, amour est mis en parallèle avec ce soleil et l’expression rien ne me vaut consacre al préférence accordée à la jeunesse. Cet été par trop éphémère n’occupe qu’un seul vers à l’intérieur des quatre premiers quatrains qui sont dominés par l’Hiver.

Par opposition à l’été chaud et ensoleillé, l’Hiver est d’abord caractérisé par le froid et le manque de clarté : dès le premier vers, la périphrase “froides ténèbres” montre bien l’association de ces deux caractéristiques. Le premier quatrain débute également les correspondances entre cette quatrième saison et la mort . La présence de la mort va prendre différents aspects : on la retrouve au vers 3 avec le choc funèbre des bûches de bois “retentissant sur le pavé des cours” ; lorsque les températures baissent, les parisiens se font livrer du bois pour se chauffer l’hiver  et ainsi , lorsque le poète entend ces bruits, il réalise que l’été est fini; A partir d’une notation réaliste et d’une sensation auditive, le poète construit une sorte de paysage mental ; cet hiver qui pénètre en lui et “va rentrer dans mon être ”  et cela entraîne un cortège de sentiments négatifs ; on note d’ailleurs qu’hiver rime avec colère, polaire et sera associé à amer et  éphémère dans la seconde partie du poème formée des trois derniers quatrains .

Cet hiver intériorisé , en quelque sorte, a des conséquences sur l’état d’esprit du poète qui subit alors le Spleen : une avalanche de sentiments négatifs comme la haine, les frissons, l’horreur et le labeur dur et forcé , sentiments qui sont exprimés sous la forme d’une accumulation au vers 6. Baudelaire a recours à des oppositions frappantes en créant, par exemple, les deux oxymores des vers 7 et 8.  Le soleil, symbole de l’été, est retenu prisonnier dans un enfer polaire: cette image marque bien la victoire du froid et du désespoir car l’enfer est la désignation hyperbolique du Spleen ressenti par le poète. Le refroidissement des températures s’accompagne donc, par l’effet des correspondances, d’un refroidissement intérieur . Le coeur, métonymie du poète , devient un “bloc rouge et glacé” : cette antithèse associe et oppose en même temps le froid avec la glace et le chaud ou la douleur avec la couleur rouge qui peut aussi symboliser le coeur qui saigne . Le poète focalisé sur ses sensations notamment auditives  (j’entends au vers 3, j’écoute en frémissant au vers 9 ) se met alors à percevoir des signes mystérieux; Il rejoint ainsi l’esthétique du courant symboliste qui cherche à découvrir, à travers les symboles , la vérité qui se dissimule sous les apparences.

Le bruit des bûches de bois lui fait alors penser au bruit qu’on fait quand on cloue un cercueil en bois, soit au moment de l’assemblage , soit au moment de la mise en bière; en effet, lorsque le mort est déposé dans le cercueil , ce dernier est alors cloué avant d’être descendu en terre au cimetière, dans le caveau creusé sous la tombe.  ce cercueil évoque donc l’image de la mort et le thème du bois va se retrouver également dans le symbole de l’échafaud, construction en bois destinée le plus souvent  à accueillir les condamnés  à mort par pendaison .

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Ces sensations auditives  qui découlent au départ ,au vers 3, du bruit anodin  des bûches prennent alors de l’ampleur et se transforment : un écho sourd se crée au vers 10 qui semble faire résonner ce bruit de plus en plus  angoissant et il finit par devenir un véritable martèlement :  les coups d’un bélier infatigable et lourd ; au vers 12; il a donc gagné à la fois  en intensité mais surtout, grâce aux symboles et à leur plurivalence, il  matérialise la défaite du poète rattrapé par le temps qui passe et conscient que sa vie diminue chaque jour un peu plus. Chant d’automne obéit à une esthétique symboliste car les nombreux symboles permettent d’entrevoir la vérité cachée sous les apparences , dans une sorte de mouvement de dévoilement de mystérieuses correspondances entre le sensoriel et le spirituel .

A partir d’une sensation, le poète construit ici une sorte de paysage mental qui traduit l’amertume du poète face à la jeunesse qui s’enfuit. Submergé par des émotions négatives, il se laisse guider par son Spleen et le monde autour de lui s’obscurcit.

L’automne représente alors une saison intermédiaire entre la rigueur hivernale, cette obscurité grandissante , et l’été blanc et torride du vers 27; En automne, le soleil peut encore nous procurer de la chaleur et de la lumière sous la forme d’un rayon jaune et doux; une sorte de tendresse et de tiédeur à mettre en relation avec les images de l’amour dans les derniers quatrains; En effet, de nombreux poètes considèrent que l’amour est un antidote à la fuite du temps et qu’il permet de gagner l’ éternité; pour Baudelaire, cet amour a surtout la forme d’une tendresse apaisante et à la rime, on retrouve le genou de la femme, où l’amoureux vient se réfugier et l’adjectif doux .

Saison de la mélancolie, l’automne permet de profiter des derniers beaux jours et même si sa douceur demeure éphémère, elle constitue une sorte de répit avant l’hiver. Ce glorieux automne triomphe dans le poème mais il n’empêche pas l’angoisse de se manifester avec cette idée d’urgence à en profiter : l’adjectif glorieux désigne la luminosité des soleils couchants; il s’agit d’un terme utilisé par les peintres pour caractériser les ciels lumineux dans leurs tableaux ; Baudelaire emploie parfois dans ses poèmes des termes picturaux . C’était un amateur de peinture et il fréquentait de nombreux artistes avec lesquels il comparait l’art de la poésie et l’art de la peinture; il a même écrit des commentaires d’expositions de tableaux qu’on appelle des Salons.

Cet automne constitue une sorte de sursis avant le drame final ; l’homme est, par essence,  une créature mortelle et le tragique de la condition humain est un topos poétique fréquemment associé au topos de la fuite du temps; Pour traduire cette idée philosophique, Baudelaire a repris comme les poètes antiques ou comme Ronsard à la Pléiade, le symbolisme des saisons en reliant chaque saison à une étape de la vie ; Il a également créé des correspondances entre les sensations et les sentiments et nous fait ressentir l’impuissance de l’homme face au temps qui passe.

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Tenté de chercher du réconfort auprès d’une femme , le poète n’entrevoit à travers cette consolation qu’une douceur éphémère comparable à celle que procure la lumière automnale; la beauté  de la femme est associée à la douceur et à la lumière aux vers 17 et 18 et cet amour est considéré comme nécessaire ; il a des vertus apaisantes et consolatrices à l’image du cercle protecteur formé par l’asile des genoux au vers 26 mais cet amour ne peut triompher du temps qui passe; le vers 25 évoque l’image très inquiétante, angoissante, de la tombe ouverte qui attend le poète et Baudelaire l’associe à l’avidité; Dans L’Horloge, le Temps était déjà qualifié de “joueur avide ” comme pour montrer qu’il en veut toujours plus; cette fois, c’est la mort qui réclame son dû. L’interjection lyrique Ah, à l’attaque du vers 26 traduit cette plainte et marque comme un soupir musical du poète.

Chant doux mais plainte en même temps, ce poème reflète le tragique de la condition humaine évoqué musicalement par l’intermédiaire du symbolisme des saisons; L”amour tente de retarder l’issue inéluctable mais il semble ne pas peser lourd et c’est l’amertume du poète face à l’approche de la mort, qui domine .