15. mars 2022 · Commentaires fermés sur Le langage poétique de l’amour : petites variations amoureuses et histoire de la poésie . · Catégories: Seconde · Tags: , ,

La poésie lyrique médiévale, marquée par l’influence de l’amour courtois, brosse souvent une peinture idéalisée de l’amour : l’homme , le poète s’y décrivent comme des serviteurs de leur dame à laquelle ils attribuent de nombreuses qualités en employant le registre de l’éloge et les correspondances avec des éléments naturels comme les fleurs , les blés, l’eau pure. Toutefois, les poètes soulignent souvent la froideur de la femme aimée  et sa cruauté qui leur brise le coeur et les blesse. Ainsi l’amour, non partagé  est vu comme une maladie ; à la fois poison et remède. De nombreux troubadours utilisent la forme de la ballade pour célébrer l’amour de loin . Christine de Pisan est considérée comme la première femme à vivre de son art:  l’écriture et son livre des cent ballades connut un grand succès .  Elle évoque un amour qui est présenté comme un don de soi : la femme offre un baiser consenti à son amant .La souffrance amoureuse y prend comme souvent une dimension hyperbolique : celui qui souffre par amour est qualifié de martyr et la crainte de l’infidélité est bien présente.

Louise Labé surnommée ,la belle cordière , a composé un sonnet qui détaille les tourments et les plaisirs que procure l’Amour : une série d’antithèses tentent de nous faire saisir les intermittences du coeur ; Les sensations  physiques sont entremêlées et l’amoureuse passe , sans transition, comme l’indique la syntaxe, d’un état à un autre . L’Amour y ressemble à un tyran capricieux et l’amante subit cette passion sans pouvoir  la contrôler.  

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ; J’ai chaud extrême en endurant froidure :La vie m’est et trop molle et trop dure.J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie, Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ; Et, quand je pense avoir plus de douleur,Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,Et être au haut de mon désiré heur,Il me remet en mon premier malheur.

Avec Ronsard surnommé le Prince des poètes ,  nous entrons dans la Renaissance ; Il fait partie des poètes de la Pléiade qui remettent à l’honneur la mythologie et adoptent le sonnet , une forme qui nous vient d’Italie. Nous observons que la femme aimée est célébrée telle une déesse antique ou une Muse. Ronsard fut  notamment inspiré par trois femmes dont il rendit les prénoms célèbres : Cassandre, Marie et Hélène . Il vante leur beauté sous la forme d’une ode et multiplie les correspondances avec la nature ; Le teint de la jeune femme est semblable à une rose, ses cheveux sont comparés à des châtaignes, ses lèvres ont la douceur du miel et ses tétins ressemblent à des pommes ou à des monts de lait. Son coeur, pour finir est semblable à celui d’une fière lionne. 

Pierre de Marbeuf lui aussi s’adresse à la femme aimée , une certaine Philis et il lui adresse un touchant message marqué par l’amertume . Il compare le sentiment amoureux à la mer et file les métaphores : caractéristique du mouvement baroque , son poème suggère un monde en transformations permanentes ; L’amour et la mer sont mouvants, immenses et dangereux. Le thème de la traversée maritime est souvent utilisé pour désigner le chemin de l’existence : le port d’arrivée est la dernière destination du voyageur; sa mort et les tempêtes représentent les malheurs et les obstacles qu’il doit affronter au cours de son existence. L’amertume de l’amoureux déçu suggère le  goût de sel des larmes qui évoque lui aussi l’eau salée de la mer et l’immensité du chagrin est rendue par l’hyperbole : mer de larmes . Très musical avec ses paronomases, le poème de Marbeuf a été une source d’inspiration au cours des siècles . 

Vincent Voiture a la réputation d’être un bel esprit et sa poésie savante célèbre les beautés de la belle Matineuse : une femme dont la beauté est telle qu’elle surpasse en rayonnement le soleil et fait passer l’astre du jour pour une aube fragile et pâle . Baroque par son thème, celui des métamorphoses, la poésie de Voiture rejoint l’esthétique classique de la préciosité par le raffinement du lexique et le goût de la mythologie. Ce sonnet délicat fait l’éloge de la femme aimée , comparée à une divinité , une nymphe : l’Amour y est lumineux.

Le romantisme est le courant littéraire qui marque le début du neuvième siècle; il se caractérise par un lyrisme personnel et l’expression des sentiments y remplace l’observation du monde ; Les poètes chantent l’amour sous toutes se formes et notamment la souffrance amoureuse, celle de la rupture et de la séparation avec l’être cher.  Alfred de  Musset s’inspire de sa relation amoureuse mouvementée avec l’écrivaine Georges Sand pour célébrer la femme et la diviniser. Tantôt ange et tantôt démon, la femme devient une créature céleste , une divinité dont les mystérieux yeux noirs enchantent le poète. On retrouve également la métaphore de l’ivresse amoureuse : l’amour est souvent  comparé à une source , un divin breuvage, une douce ivresse.  

Hériter du romantisme, Charles Baudelaire en 1857 publie un recueil intitulé Les Fleurs du Mal ; Il y adresse des poèmes à des femmes aimées. Dans l’Invitation au voyage, l’amour permet au poète de s’envoler vers un pays imaginaire et magique où il pourra enfin rejoindre l’Idéal ; ce pays rêvé est composé à partir de ses sentiments pour la femme et d’analogies avec le paysage ; Il ressemble à une ville qui dort , baignée de lumière : “ Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ” chante le refrain.  Dans ce paysage amoureux, les soleils y sont mouillés et les ciels brouillés ; on y trouve des fleurs rares et des parfums, des objets luxueux, des soleils couchants, des canaux, des hyacinthes et une lumière dorée , comme dans un tableau . Le poème est une invitation à rêver : les yeux de la femme font naître ce mystérieux paysage exotique et familier à la fois. Voilà le lien vers l’explication détaillée de de  poème . https://blogpeda.ac-poitiers.fr/motamot/2021/05/30/linvitation-au-voyage-baudelaire-nous-invite-a-laccompagner-dans-un-endroit-paradisiaque/

Anna de Noailles

Le poème de Stéphane Mallarmé

        Apparition
La lune s’attristait.
Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts,
Dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un Rêve au coeur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Mallarmé évoque à travers ce poème , une rêverie amoureuse dans un cadre romantique : un clair de lune qui baigne le décor crépusculaire d’un halo de lumière blanche et vaporeuse et une apparition fantastique : celle d’une “fée au chapeau de clarté ” qui apparait dans le soir avec du soleil dans les cheveux . Femme mystérieuse,  surgie du rêve , lunaire et solaire à la fois, protectrice comme une mère qui veille sur le sommeil de son enfant et laisse dernière elle , après son baiser du soir, une traînée d’étoiles parfumées . Cette apparition fugitive ressemble , par bien des points  à celle que Verlaine évoque dans son rêve familier .  Une femme pleine de douceur  et de sollicitude, mais qui emprunte certains traits au souvenir d’une défunte ; Le symbolisme dans les deux poèmes est composé par ce mélange de rêve  et de mystère . Les synesthésies y sont nombreuses et tissent ainsi d’étranges correspondances entre rêve et réalité comme ces “blancs sanglots ” ou ces “bouquets d’étoiles parfumées ” ; Pour Verlaine, ce songe paraît à la fois “étrange et familier ”  
Guillaume Apollinaire lui aussi a chanté son amour et notamment sa passion pour Louise de Coligny, surnommée mon Lou ; Lorsqu’il combattit dans les tranchées, au milieu des horreurs de la guerre, la présence de Lou fut pour lui d’un grand secours et son souvenir réconfortant l’aida à surmonter cette épreuve ; Dans cette lettre poétique, ce qui frappe surtout c’est ce mélange entre l’univers de la femme et celui de la guerre avec des associations comme tes cheveux sont fauves comme le feu d’un obus ou ta bouche est une blessure ardente, ton coeur est ma caserne . La femme aimée laisse son empreinte dans l’univers du poète et l’accompagne à la manière de l’ombre d’un cheval qui galoperait à ses côtés . Apollinaire en supprimant la ponctuation et en créant d’étranges associations est un précurseur du surréalisme .  
Dans la poésie d’ Anna de  Noailles comme dans ce recueil qui date de 1924, on retrouve des influences médiévales et des accents de Louise Labbé; L’amour y est décrit comme un étrange mal qui peut conduire à la mort et à la souffrance : les deux premiers quatrains formés d’alexandrins aux rimes tantôt alternées et tantôt embrassées reprennent des clichés comme l’inconstance de l’être aimé et le poison amoureux , à la fois mal et remède. La Nature , l’amour et la mort sont toujours intimement liés dans son oeuvre et son âme slave donne à ses épanchements lyriques une forme de tristesse vague et pénétrante.
Quand tu me plaisais tant que j’en pouvais mourir,
Quand je mettais l’ardeur et la paix sous ton toit,
Quand je riais sans joie et souffrais sans gémir,
Afin d’être un climat constant autour de toi ;

Quand ma calme, obstinée et fière déraison
Te confondait avec le puissant univers,
Si bien que mon esprit te voyait sombre ou clair
Selon les ciels d’azur ou les froides saisons,…

Quant à Louis Aragon, il remet à l’honneur la forme médiévale du blason pour célébrer son amour pour sa compagne Elsa; Dans les yeux d’Elsa, il fait tenir l’univers tout entier dans les yeux de la femme aimée et adresse également un chant d’amour à sa patrie menacée . Les yeux d’Elsa sont tour à tour une fontaine de jouvence, un océan dans lequel il a envie de se noyer , un trésor  aux profondeurs insondables ; le Monde est contenu dans le regard de la femme aimée .