La défaite de 1870 a bouleversé les esprit mais le traumatisme provoqué par la guerre de 14/18 sera encore bien plus profond; en , effet, ce conflit mondial a causé une crise de conscience internationale et nous a amené à repenser la place de l’homme dans la guerre , à repenser même le visage de la guerre . Un peu plus d’un siècle après Verdun et le terrible chemin des Dames , la littérature ne cesse de produire des récits qui réinventent cette guerre alors qu’aucun poilu vivant n’ est plus là pour témoigner. Si Céline a combattu sur le front et dans les tranchées avant d’écrire Voyage au bout de la Nuit , si Guillaume Apollinaire a connu les combats et les bombardements, si Roland Dorgelès en écrivant Les croix de bois ou Henri Barbusse en écrivant Le feu, peuvent s’inspirer de leur vécu de soldats, il n’en va pas de même pour des romanciers qui naquirent par§s la seconde guerre mondiale . Pierre Lemaître avec Au revoir là haut, Sébastien Japrisot avec Un long dimanche de fiançailles, Markus Malte avec Le garçon, ou Laurent Gaudé avec Cris, Marc Dugain avec La chambre des officiers , tous témoignent de la violence de cette guerre avec des fictions . Quel rôle joue alors la fiction au moment où les témoins disparaissent ? Est-elle un instrument plus efficace pour refléter la violence des événements et les traces qu’ils laissent dans la mémoire des hommes
Les romans prennent , en quelque sorte, le relais de l’histoire tout en infléchissant son cours dans nos mémoires. Quatre années de guerre, plus de huit millions de mobilisés, plus de 1 million de morts, 3 millions 1/2 de blessés et 750 000 mutilés. La littérature patriotique va relayer la doctrine officielle : les patriotes comme Anatole France, Maurice Barrés, et Maurras exaltent la guerre , l’héroïsme, rappellent les combat anciens et vantent les exploits des guerriers; ils dénigrent tout ce qui est allemand et dépeignent les soldats du Kaiser comme des brutes sanguinaires. En opposition violente avec ces écrivains, les pacifistes comme Romain Rolland, Roger Martin du Gard , Jean Giono et Jean Giraudoux se révoltent contre l’imbécillité de la guerre et ce qu’ils nomment une incompréhensible folie collective. Bertol Brecht en Allemagne est également antibelliciste ; parmi les pacifistes, certains refusent tout simplement l’idée de la guerre, d’autres tentent de sauvegarder la paix à tout prix comme Giono qui sera arrêté pour pacifisme au début de la seconde guerre mondiale pour avoir affirmé : “j’aime mieux vivre à genoux que mourir debout.” De nombreux intellectuels réfléchissent aux causes des guerres : Alain accuse l’honneur d’être le responsable de la plupart des conflits mais force est de constater que la guerre est capable de séduire de très nombreux hommes; si cet attrait de la violence se retrouve dans de nombreux livres, les ouvrages rédigés par d’anciens combattants montrent surtout le dégoût de la guerre: “Je suis écoeuré, saoul d’horreur” écrit Genevois et Henri Barbusse, auteur du récit Le feu, ajoute à ce tableau d’horreur une note critique d’inspiration marxiste contre les gouvernements et le Vieux Monde : “les trente millions d’esclaves jetés les uns sur les autres par le crime et l’erreur dans la guerre de la boue , lèvent leurs faces humaines où germe enfin une volonté ” .
Comment la violence de cette guerre est -elle traduite dans les romans ?
Texte 1 : Céline
Analyses et observations au fil du texte
D’emblée la guerre est décrite avec son cortège de violences : L’expression “croisade apocalyptique “fait appel à des références bibliques qui promettent la fin du monde ; En effet l’apocalypse est synonyme de destruction du monde avec le Jugement dernier . L’homme face à la guerre est comparé à un puceau , qui n’a pas d’expérience et qui va découvrir pour la première fois, non pas le plaisir ici mais l’Horreur ; Céline , en mettant sur le même plan, deux univers aux antipodes l’un de l’autre , montre à quel point la guerre apparaît comme une expérience traumatisante. Elle surprend l’homme , le prend en quelque sorte au dépourvu comme le traduisent les questions rhétoriques qui marquent ici l’étonnement ” qui aurait pu prévoir -tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? ” Contrairement à certains penseurs qui voyaient la guerre comme une punition divine , Céline accuse directement les hommes d’être responsables de ces horreurs . La périphrase “meurtre en commun” montre que les valeurs qui s’appliquent en temps de paix , sont révolues ; un crime de guerre se justifie par la situation et ne peut être considéré comme un “crime ordinaire ” ; Le soldat reçoit le droit de tuer et on récompense les assassins les plus efficaces ; L’allusion de la fin du premier paragraphe: ça venait des profondeurs peut faire référence aux sources de la violence latente en chacun de nous.
Le second paragraphe brosse quelques éléments de portrait du colonel : ce qui peut sembler absurde aux combattants , c’est qu’on les envoie sans cesse au front , reprendre elles quelques centaines de mètres , perdus la veille . Les massacres à la sortie des tranchées de tous ces soldats fauchés par les balles ennemies, parait une “abomination ” . La puissance de feu qui résulte de l’utilisation des armes modernes a été largement sous-estimée par les autorité militaires et les hommes pensent qu’on sacrifie inutilement leurs vies . En 1917, on note d’ailleurs que le nombre des mutineries et des mutilations volontaires ne cesse d’augmenter : les soldats préfèrent s’infliger des blessures douloureuses plutôt que de retourner au front.
Jusqu’au bout Ferdinand Bardamu voudrait croire à une erreur : le champ lexical de la méprise apparait à plusieurs reprises avec “abominable erreur “ maldonne et la nouvelle question rhétorique : “donc pas d”erreur ? ” au début du troisième paragraphe . Le point de vue du soldat envisage alors le droit de tuer en toute impunité comme un renversement des valeurs communément admises , une sorte d’irrationalité “se tirer dessus.. sans même se voir .. faisait partie des choses qu’on peut faire ” ; On ressent ici la stupéfaction te même l’indignation du soldat ; L’auteur utilise la focalisation interne afin de faire épouser au lecteur l’avis de son personnage . Le combattant se retrouve seul face à un ennemi puissant , la Guerre , ici insultée avec l’expression familière “la vache” .
Céline termine de décrire la violence en mentionnant le caractère inéluctable de la mort imminente qui terrorise les soldats “ De la prison , on en sort vivant, pas de la guerre ” ; La formule lapidaire, le coté sentencieux, reflètent une forme de fatalité ; Les combattants vivent avec ces pensées morbides qui les assaillent ; Bardamu ne vient même , à regretter, par une sort ed paradoxe, de ne pas avoir été condamné à une peine ede prison: ce qui lui aurait évité d’être en danger de mort au front.
Question d’interprétation : Par quels moyens Céline révèle-t-il le sentiment d’absurdité face à la guerre ?
Plan détaillé :
- La guerre : une erreur ? question rhétorique, champ lexical méprise, incompréhension
- Une abomination meurtrière focalisation interne , insistance sur la mort , croisade apocalyptique
- Un événement qui renverse l’ordre du monde et les valeurs , le droit de tuer, le meurtre en commun , puceau de l’Horreur
Textes complémentaires : extraits de Markus Malte Le garçon
La der des der : même pas
Les soldats de 14 espéraient que leurs épreuves et leurs témoignages empêcheraient de nouveaux massacres pour qu’au moins, cette guerre soit la der des der comme ils l’avaient surnommée. Il n’en fut rien et certains qui , en 14 justement défendaient la paix , se mirent en 39, à désirer la guerre pour des raisons idéologiques . Simone Weil , par exemple , qui affirmait “qu’aucune paix n’est honteuse quelles qu’en soient les causes” ira combattre en 1936 en Espagne contre le général Franco et finira déportée en 1943.Dans les années 20, l’optimisme est encore de rigueur avec la Société des nations et le désarmement: les chefs d’Etat se bercent pourtant d’illusions à Locarno et à Thoiry; en moins de 15 ans, la conquête de la Mandchourie par le Japon, la montée du parti nazi en Allemagne et la victoire du fascisme en Italie sont pourtant des signes annonciateurs du désastre. Le danger devient manifeste avec le réarmement de l’Allemagne , la guerre d’Espagne et l’annexion des Sudètes ainsi que la partition de la Tchécoslovaquie. Ce qui change cette fois , c’est la nature de la menace; il ne s’agit plus de lutter contre l’impérialisme de Guillaume II mais de résister contre ce qui menace les valeurs humanistes .