Qu’est-ce qu’un poète et à quoi sert la poésie ? Beaucoup d’artistes ont tenté de répondre à cette double question et leurs prises de positions, souvent antagonistes, permettent de dessiner une image du poète selon les époques et les mouvements littéraires. Essayons d’y voir un peu plus clair et examinons les différents arguments qui sont résumés dans les Arts Poétiques célèbres. Commençons par la fin : voilà ce que dit le poète aujourd’hui..
Ce qu’il nous faut, c’est la parole vivante, qui bondit d’une cervelle à l’autre sans coup férir, avec le naturel des oiseaux et des fleurs qui finissent toujours par revenir au poème.
Ce qu’il nous faut, c’est la poésie génitrice qui franchit les biefs et les obstacles, sans perdre ses idées ni ses plumes, les chemins de la sève, les catacombes de la mémoire, la page ciselée polie à la main, le mot-action se propageant comme le feu dans l’universelle conscience. JP Rosnay
Bref, une très haute idée de la poésie..ce qui ne change pas tellement finalement de la conception du poète dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, les poètes sont considérés comme des envoyés des Dieux: ces derniers parlent par leur bouche et la parole poétique prend un caractère sacré. Orphée et Apollon sont les figures mythiques du poète : le premier est capable de charmer tous les êtres vivants au son de sa musique et le second est le Dieu des Arts du Soleil et il règne sur le Parnasse, domaine des Muses. Voilà ce qu’en dit Platon …en traduction
“Ce n’est pas… par art, mais par inspiration et suggestion divine que tous les grands poètes épiques composent tous ces beaux poèmes; et les grands poètes lyriques de même. Car le poète est chose légère, ailée, sacrée, et il ne peut créer avant de sentir l’inspiration, d’être hors de lui et de perdre l’usage de sa raison. Tant qu’il n’a pas reçu ce don divin, tout homme est incapable de faire des vers et de rendre des oracles.[…] . Et si le dieu leur ôte le sens et les prend pour ministres, comme il fait des prophètes et des devins inspirés, c’est pour que nous qui les écoutons sachions bien que ce n’est pas eux qui disent les choses si admirables, puisqu’ils sont hors de leur bon sens, mais que c’est le dieu même qui les dit et qui nous parle par leur bouche.”
La Renaissance célèbre en Pierre de Ronsard le prince des poètes et la Pléiade remet au goût du jour l’Antiquité; L’influence italienne de Pétrarque nous apporte le sonnet . L’idéal classique célèbre les vertus de la rime , de la versification et prône l’utilisation d’une langue soutenue qui se démarque de la langue commune. La poésie est considérée comme une activité bien plus noble que le roman . Au théâtre Racine et Corneille sont célébrés comme de grands poètes avant d’être considérés comme des dramaturges et on admire avant tout la musique de leurs vers.
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin, répondent au milieu ;
Que d’un art délicat les pièces assorties
N’y forment qu’un seul tout de diverses parties,
Que jamais du sujet le discours s’écartant
N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Boileau, Art Poétique, 1674
Les Lumières privilégient la littérature d’idées et se méfient de la poésie qu’ils considèrent comme trop éloignée souvent des préoccupations du peuple . Ils cherchent surtout à réformer les moeurs et à diffuser de nouvelles connaissances. La poésie leur paraît dangereuse car elle habille et travestit les idées avec des mots savants ou précieux qui risquent de ne pas être compris par tous. Ils la considèrent comme un art élitiste, ornemental et peu utile pour diffuser les idées essentielles au Progrès; Pourtant Voltaire écrit ses tragédies en vers et se plaint en poésie dans Le Mondain de ceux qui es tournent ver l’âge d’or et refusent ce siècle de fer.
Au dix-neuvième siècle, deux mouvements vont s’affronter et à travers eux, deux conceptions du poète vont être antagonistes ; il s’agit du romantisme et du Parnasse. Ecoutons Hugo et examinons ses arguments :
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir !
Peuples ! écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
On mesure à quel point le rôle du poète est important pour Hugo ; En revanche , Alfred de Musset à qui on demandait pourquoi il était devenu poète, répondit en des termes simples qui excluent toute forme d’engagement moral ou politique .
Faire une perle d’une larme :
Du poète ici-bas voilà la passion,
Voilà son bien, sa vie et son ambition.
Les Parnassiens et les disciples de Théophile Gautier qui a défini un mouvement appelé l’Art pour l’Art , défendent l’idée que la poésie est totalement inutile sur le plan social et politique; elle a comme unique fonction , selon ,eux de créer de la Beauté. Le poète dans l’idéal Parnassien devient alors un artisan habile qui met des rêves en mots. Le travail formel, selon eux, permet au message poétique de devenir pérenne et de résister à l’usure du temps
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Baudelaire partage cet avis parnassien même si on le situe plutôt au carrefour de trois courants romantisme, symbolisme et Parnasse : Ainsi, le principe de la poésie est strictement et simplement l’aspiration humaine vers une beauté supérieure […] ; En 1857, Baudelaire représente une étape importante dans l’histoire de l’évolution de la poésie : romantique par sa forme, il partage certaine idées des Parnassiens et découvre le Symbolisme. Verlaine prolongera cette tendance en renonçant à des formes classiques pour expérimenter des mètres impairs et il ira jusqu’à tenter de restituer une musicalité grâce à une langue simple rythmée et répétitive.
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
Verlaine a été marqué par sa rencontre avec Arthur Rimbaud (qui l’a conduit durant un an en prison en 1873pour tentative d’homicide) et ils ont longuement évoqué , à tarer leurs correspondances notamment , leurs conceptions assez voisines mais sensiblement différentes, de la poésie.
Rimbaud dans ses lettres définit avec précision ce que doit être , pour lui, le travail poétique.
La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière. Il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences.
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions. Si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;
Au vingtième siècle, le surréalisme va modifier durablement la conception de la poésie ; les poètes se lancent alors dans une double direction: la poésie comme jeu gratuit et futile ou la poésie comme activité révolutionnaire ; L’engagement divise les artistes ; certains y voient un déshonneur alors que les autres considèrent cet engagement comme vital ; Un poète peut également évoluer et modifier ses prises de position au fur et à mesure de son parcours artistique comme le feront Breton, Eduard, Aragon, Char . Voilà une définition humoristique du poète proposée par Supervielle
II traduit en langue nette
Nos infinitésimaux,
Ah ! Donnons-lui, pour sa fête,
La casquette d’interprète !
Comme vous l’a montré ce bref voyage en poésie, les poètes ne sont pas tous d’accord sur ce que doit être la poésie, mais ils en parlent tous avec une même passion et prennent leur rôle très au sérieux. .