Quels étaient les points communs de ces trois textes qui utilisent chacun un regard étranger pour dénoncer les moeurs européennes ? En pièce jointe, la comparaison de leur efficacité.
Montaigne, Léry et Diderot font tous trois appel à un regard étranger qui va leur servir d’instrument dans leur démarche critique. Montaigne et Diderot se servent d’un événement historique attesté pour conférer une forme d’authenticité à leur fiction : en effet, Monsieur Bougainville a réellement découvert Tahiti et trois indiens d’Amérique se sont vraiment rendus à Rouen pour venir y témoigner de leur civilisation. Quant à Léry, il a pu véritablement vivre cette rencontre avec un sage indien de la tribu Topinambas durant l’année passée au Brésil. Le degré d’authenticité est ,en effet, un facteur important pour que l’argumentation soit efficiente. L’échange entre l’auteur et l’étranger fait l’objet de différents traitements : Montaigne se sert d’un récit et joue le rôle du témoin qui rapporte des faits ; Léry met en scène un dialogue socratique entre un sage Brésilien qui parvient à faire avouer la vérité au colon : les Européens sont vraiment “de grands fous” de venir au bout du monde en escompter une forme de profit; Quant au Sage tahitien imaginé par Diderot, il s’adresse sur un ton accusateur au chef de l’expédition, Monsieur Bougainville sous la forme d’un véritable réquisitoire. L’auteur n’est donc pas cette fois un personnage du texte à la différence des deux écrivains de la Renaissance. Si Diderot s’efface et utilise un porte-paroles , c’est peut-être parce que la critique est beaucoup plus explicite au cours de cette confrontation.
Les trois auteurs sont à la recherche d’un efficacité maximale dans leur argumentation et on va donc trouver des procédés communs car ils poursuivent un but identique : les questions rhétoriques, par exemple, sont une technique recherchée par les orateurs car elles impliquent le lecteur ; lorsque Léry fait dire à l’indien, à propos du bois, : “N’y en a-t-il point en votre pays” ou Diderot au Tahitien : ” quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ?”, ces deux questions font réfléchir le lecteur et provoquent son indignation. Montaigne , quant à lui, pratique une fore de dénonciation beaucoup plus implicite. Il passe par la confrontation des pratiques des deux civilisations afin de démontrer que les coutumes indigènes reposent sur du bon sens alors que les Français, qui se prétendent plus civilisés ont des usages étonnants pour un homme du Nouveau-Monde. C’est cette fausse naïveté du regard étranger qui est le vecteur de la dénonciation; nous sommes alors dans le domaine de l’implicite : la surprise, l’étonnement , servent de révélateurs pour le lecteur et Montaigne ne peut s’empêcher de conclure sur une note ironique : “mais quoi ils ne portent point de hauts de chausse” . Il feint ici de s’indigner à propos des usages vestimentaires des indigènes et ce jugement est l’écho de ce qu’il entend à la Cour; C’est une manière implicite de dénoncer les propres jugements de se contemporains qui s’en tient à l ‘apparence vestimentaire pour juger de la valeur d’un homme. Un dernier point sur lequel nous pouvons rapprocher ces trois textes, c’est celui de la présence du jugement de l’auteur et sur se propres commentaires. Diderot est totalement absent de son texte et ses idées sont celles qu’il prête au Tahitien; Léry joue son rôle de narrateur et produit un éloge soutenu des Sauvages, comme Diderot d’ailleurs, pour mieux, par comparaison, critiquer les colons
Quant à Montaigne, il joue un double jeu; à la fois témoin neutre est écrivain engagé, il présente les faits avec ironie et cette ironie est la marque de son jugement et de son point de vue. Les trois écrivain s’engagent donc pour dénoncer la colonisation et la domination européenne et militent, chacun à leur manière , contre l’ethnocentrisme naissant à la Renaissance et devenu patent au dix-huitième siècle. Le regard de cet étranger posé sur notre civilisation est une arme redoutable car il agit de l’extérieur et nous amène à décaler notre point de vue, à sortir de nos idées reçues, à voir les choses autrement. C’est pourquoi il demeure un procédé très utilisé, aujourd’hui encore, dans les textes argumentatifs