18. décembre 2024 · Commentaires fermés sur Cendrillon , mise en scène par Joël Pommerat · Catégories: Seconde · Tags: ,

Tout le monde a l’impression de connaître l’histoire de Cendrillon car les contes de fée alimentent notre imaginaire depuis fort longtemps . Mais quelle version connaissez-vous de ce conte et comment avez-vous compris l’adaptation proposée par le dramaturge Joël Pommerat ? Nous sommes bien loin de l’univers aseptisé de Disney .. Commençons par un petit tour d’horizon de la pièce : une petite fille perd sa maman et doit apprendre à vivre, avec son père ,  dans un nouvel environnement où elle ne paraît pas acceptée. L’ image de la  méchante belle-mère plane sur la tragédie familiale et Cendrillon souffre chaque jour un peu plus : reléguée dans une chambre sordide, sorte de caveau, elle paraît prisonnière de sa douleur . Peu à peu , Sandra devient Cendrillon et la matière du conte se mêle à la tragédie familiale qui est aussi une tragédie de la solitude et de la difficulté à accepter l’Autre. C’est également un apprentissage de la résilience et une sorte d’ essai  théâtral qui transforme la douleur de la perte en désir de vivre . Le deuil est le point de départ de la création théâtrale .

La pièce débute par la voix de la narratrice, personnage dont on précise qu’il n’apparaîtra pas sur scène . La matière du conte fait son apparition “je vais vous raconter une histoire d’ il y a  très longtemps”  La scène devient un langage universel comme le rappelle la narratrice qui se décrit comme une femme “tellement âgée que mon corps est devenu aussi léger et transparent qu’une plume ” . Elle introduit l’histoire de Sandra par une réflexion sur le pouvoir du langage  “ les mots sont très utiles mais ils peuvent aussi être très dangereux ” . Elle donne les éléments  traditionnels de l’exposition : “Une très jeune fille qui avait beaucoup d’imagination avait connu un très grand malheur : sa mère est atteinte d’une maladie mortelle “ ; Le spectacle se place sous l’égide de la tragédie avec la mention de ce malheur imminent ; On peut , bien sûr, penser à la mort de la mère comme motif archaïque qui débute de nombreux contes

La scène 2 se déroule dans le décor d’une chambre à coucher : la très jeune fille qui ne porte pas encore de nom est au chevet de sa mère ; Elle est en colère contre la maladie et s’exprime dans un langage simple : le dramaturge construit cet échange autour du quiproquo tragique; les dernières paroles de la mère sont inaudibles  et la petite fille comprend que sa mère lui dit de toujours penser à elle afin qu’elle reste en vie quelque part..En effet, on dit souvent aux enfant que les morts demeurent vivants dans nos coeurs lorsqu’on pense à eux . C’est une façon pour les hommes  de moins redouter la séparation et d’atténuer le chagrin de ceux qui viennent de perdre un être cher  mais ici, la petite fille , prend les mots pour argent comptant : “dans la vie, commente la narratrice , son imagination galopait parfois à toute vitesse dans sa tête et lui jouait des tours “ . Le dramaturge ne se contente pas de mettre en scène un événement tragique : il nous fait également réfléchir aux dangers des mots.

La scène 3 nous fait entendre la voix de la narratrice : la petite fille se fait offrir une très grosse montre pour contrôler le temps afin de ne jamais oublier de penser à sa mère  ” elle devint très angoissée ” . La scène suivante  campe un nouveau décor : une maison en verre où les deux filles et la belle-mère attendent l’arrivée de la jeune fille et son père qui a décidé qu’il était temps de se remarier . Les critiques ne se font pas attendre et c’est une véritable scène de comédie avec des commentaires désobligeants , au téléphone et entre eux, dans une langue familière . Changement d’ambiance donc : “ manque de pot, le type c’est le genre très moche.. la gosse on dirait qu’elle est débile ”  et comme ils ne trouvent pas l’entrée de la maison, , la mère s’agace et les soeurs s’esclaffent “ I’sont trop cons” . Le dramaturge met en scène un nouveau quiproquo mais ici, à valeur comique; la réaction des trois personnages révèle aux spectateurs que la recomposition familiale risque d’être compliquée.

La scène suivante montre le personnage de Sandra qui est plongée dans ses souvenirs grâce à un album photo : elle semble ne pas comprendre pas que le fait d’évoquer en permanence la relation entre ses parents, gêne fortement la nouvelle femme de son père . Sandra se montre têtue: elle veut garder son sac à dos , désobéit aux ordres de sa belle-mère et,  de manière très impolie , traite son père de débile.. On sent une certaine tension s’installer autour de la notion d’autorité et de respect.

La scène 6 précise les rapports entre les personnages : face à la chambre sordide , vide , obscure et froide qui est “préparée ” pour la petite fille, le père essaie vaguement de protester ” Non mais au premier abord on se demande ..ensuite avec tout ce que tu m’as dit on se dit que peut -être ” , il accepte pourtant  l’injustice flagrante et  dit qu’il repassera pour voir ..si elle ne manque de rien . La petite fille passe une horrible nuit : elle a peur et au moment où son père (scène 8 ) décide de lui apporter le mannequin qui porte la robe de sa mère, il se fait surprendre par sa nouvelle femme qui lui fait une scène de jalousie insensée “ jamais ton ex-femme ne viendra dans ma maison ” hurle-t-elle . mais elle est morte répond le Père ; ça m’est égal ” Il est hors de question qu’elle habite chez moi ” . Cette dispute illustre plusieurs enjeux de la recomposition familiale; Le père, pour justifier l’attitude de sa fille, qui demeure accrochée à ses souvenirs,  se réfugie toujours derrière l’argument  “c’est des trucs de gosse ça ” mais il la laisse faire et lorsque sa nouvelle femme lui lance un ultimatum ” Voilà tu réfléchis, tu choisis: ton ex-femme ou bien moi? ta vie ici ou bien ailleurs , voilà c’est clair ” , il se résout à reprendre la robe  ; Sandra qui souffre toujours autant cherche à se punir car elle se croit coupable de ne pas assez penser à sa mère .

Le lendemain , toute la famille est réunie (scène 10 ) pour écouter les règles de vie et notamment le partage des tâches ménagères: l’injustice est flagrante ; la pauvre Sandra est chargée des pires corvées comme dans le conte: elle doit notamment  ” changer les poubelles “: elle veut faire les choses les plus dégueulasses et ne peut s’empêcher de parler de sa mère ; ce qui provoque une terrible colère de sa belle-mère  qui va jusqu’à dire ” On n’en parle plus de ta mère ici. On n’en parle plus. Plus jamais ! On s’en fout de ta mère !”  Mais Sandra continue volontairement à évoquer le souvenir de sa mère  en dépit des signes de son père qui lui enjoint de se taire . Elle semble  défier sa belle-mère ; cette dernière, de plus en plus violente, lui confie les cadavres des oiseaux morts à ramasser , les sept sanitaires à nettoyer et les cheveux à ôter des canalisations des lavabos; Le père finit par lui demander de faire des efforts car il a envie lui de “tourner la page “Il ne veut plus vivre dans le passé : il veut refaire sa vie ; cependant , on le sent quelque part triste et lâche , dominé par sa nouvelle épouse qui a tout d’une marâtre acariâtre d’autant qu’elle est obsédée par l’idée de rester jeune et de ne pas paraître son âge.

Pommerat se sert de la matière de plusieurs contes et il construit notamment une image moderne de “méchante belle-mère jalouse du passé” . Quant à Sandra,elle cherche à souffrir encore plus dans une démarche d’auto-flagellation : elle se sent coupable de laisser ses souvenirs lui échapper alors que c’est un processus normal qui permet de pouvoir  vivre et d’être à nouveau heureux .

La scène 11 montre Sandra , surnommée Cendrier à cause de la tabagie de son père, de plus en plus nerveux , aux prise avec ses deux demi-soeurs; elle se propose de faire leurs  mini-corvées à leur place mais se fâche si on la traite de “gentille fille ” . Sa belle-mère la rudoie, en paroles : ” On dirait un poisson crevé qui flotte à la surface de l’eau .;on dirait que t’as quatre-vingt dix ans ” : elle la menace de lui faire porter un corset afin qu’elle se tienne droite et pas avachie . On retrouve chez la belle-mère  la peur obsédante de vieillir et de ne paraître assez jeune: les deux soeurs sont de plus en plus impolies et parlent très mal au père dont elles se moquent constamment.

  La scène suivante ( 13 ) évoque l’apparition d’une drôle de fée : personnage inventé par Charles Perrault et qui n’existe pas dans la version de Grimm . Ce personnage est drôle et apparaît en disant “merde de merde ” ; C’est une fée ratée qui fume comme un pompier et trouve la vie de Sandra  “chiante ” : elle se présente comme sa fée et tente en vain de lui faire un tour de cartes .  Ensuite, elle casse le lit de Sandra en s’asseyant , réussit presque un nouveau tour de cartes et s’avoue fatiguée à cause de ses 874 ans . ” Ouais les deux cent premières années ont été géniales, après j’ai commencé doucement à m’ emmerder. Et depuis à peu près trois cent ans, je me fais vraiment chier. Y a plus de surprises dans ma vie, J’ai tout fait. Le temps passe à la vitesse d’un escargot ..”  Mais Sandra chasse la fée car elle la déconcentre et l’empêche de penser à sa mère . La première partie de la pièce se termine donc avec cette drôle d’apparition d’un personnage qui présente une  conception de l’immortalité qui redonne de la valeur à la vie .

La seconde partie de la pièce débute dans une ambiance plus légère : la famille vient de recevoir une invitation pour une soirée festive organisée en l’honneur du jeune prince , par son père le roi. La belle-mère  y voit une chance de “devenir intime avec des personnalités en vue  et chacun cherche à se mettre sur son 31 . Pommerat parodie certains détails du conte de Grimm: par exemple, une des soeurs dit qu’elle se ferait couper un pied pour voir le prince avant tous les autres; dans la version de Cendrillon écrite par Grimm, les soeurs de Cendrillon,  pour pouvoir enfiler le soulier oublié par la mystérieuse princesse inconnue, se mutilent les pieds et on retrouve du sang dans la chaussure.  Une fois qu’ils sont partis excités à la pensée de cette soirée déguisée , la fée fait son retour à la scène 4 et propose à la très jeune fille de lui confectionner une robe pour aller au bal, comme dans la version de Perrault. La fée, toujours aussi maladroite, rate ses deux premières tentatives : elle force Sandra à entrer dans une boîte magique et la  transforme d’abord en majorette et ensuite en mouton. Pendant ce temps, la famille arrive au bal mais ils portent des costumes d’époque style Louis XIV alors que tout le monde est habillé en tenue de soirée moderne ;La jeune fille arrive accompagnée de la fée : elle porte la robe de mariée de sa mère; Le personnage du Prince a l’air gêné d’être la vedette de sa fête d’anniversaire: il  semble préoccupé et attend un mystérieux coup de fil de sa mère .

La scène 8 marque la rencontre entre Sandra et le Prince  qu’elle percute en arrivant : ils ne savent pas quoi dire au point d’évoquer l’absence de soleil au milieu de la nuit .. et partent chacun de leur côté . Le lendemain, le roi se présente au domicile de la famille pour rechercher la personne pour laquelle son fils a manifesté de l’intérêt .  Il se fait rabrouer par Sandra qui attend , en râlant, qu’il termine pour pouvoir passer l’aspirateur.  Le roi précise que depuis la mort de sa femme,  il raconte à son fils que sa mère est partie en voyage et qu’elle a du mal à rentrer à cause d’incessantes grèves de transport. Chaque soir, il doit inventer un nouveau mensonge… pour justifier qu’elle n’appelle pas . 

Le soir de la seconde fête, la fée vient chercher la jeune fille et se fâche : elle lui parle très sèchement  ” Mais tu commences à nous emmerder avec cette montre .. On te demande pas de plus penser à ta mère, on te demande de ne pas y penser tout le temps ce qui n’est pas pareil. merde elle est morte ta mère. Parce que ta mère elle est pas immortelle , elle est morte et c’est comme ça. Je suis désolée. ”  Sandra décide alors d’accompagner la fée “pour lui faire plaisir ” .

La scène 12 a lieu devant le palais ; La belle-mère se lance dans une déclaration d’amour au très jeune prince : ce dernier est quelque peu effrayé et le roi se fâche “ Eh bien Madame, n’insistez pas. Vous êtes grossière ou bien complètement irresponsable. Je vous demande de partir d’ici immédiatement.”  Elle perd une chaussure dans sa fuite , sous les huées de la foule. Arrive alors Sandra ; Le jeune prince lui parle de son rendez-vous téléphonique quotidien avec sa mère : “Ca commence à bien faire ? J’en ai marre; ça va faire bientôt  dix ans. ”  ajoute-t-il et  Sandra essaie de lui ouvrir les yeux “ Tu trouves pas qu’il y a comme un problème avec cette histoire ? ” Elle finit par lui dire que sa mère est morte en ajoutant ” j’aurais préféré qu’on parle d’autre chose pour une première fois qu’on parle vraiment mais  c’est la conversation qui est partie toute seule.”  Elle console alors le jeune prince qui a fini par se rendre à l’évidence  “y a quelque chose qui tournait pas rond dans cette histoire ; merci “  En souvenir de cette soirée et pour la remercier, il donne à Sandra une de ses chaussures.

Dans la maison de la famille, la mère n’est toujours pas sortie de sa chambre et Sandra n’ a plus très envie d’obéir aux ordres de ses soeurs.  Le roi fait son entrée ; il est à la recherche de la mystérieuse inconnue à laquelle le jeune prince a donné sa chaussure : ils ont oublié d’échanger leurs coordonnées; Sandra va chercher le soulier et le roi repart tout joyeux ” je crois que vous êtes en train de transformer sa vie et la mienne par la même occasion.”  

La voix de la narratrice donne les éléments de la fin de l’histoire : le père et Sandra quittent cette maison . Il épousera une femme moins désagréable et les oiseaux cesseront de se cogner contre la maison de verre . Mais on continuera à entendre le bruit d’un impact . La jeune fille demande alors à la fée, devenue son amie, de pouvoir réentendre les derniers mots prononcés par sa maman avant de mourir .  ” Ma chérie si tu es malheureuse pour te donner du courage pense à moi mais  n’oublie jamais si tu pense à moi fais le toujours avec le sourire . ” Elle avait cru entendre  autre chose : son imagination lui a joué des tours ..la dernière scène montre le prince et Sandra qui dansent et s’amusent : ils restèrent amis et continuèrent à ” s‘envoyer des mots même de l’autre bout du monde et ça jusqu’ à la fin de leur existence. “ Pommerat a donc choisi une fin heureuse mais  il s’éloigne du happy end  simplificateur du conte. 

Voilà pour compléter ce tour d’horizon de la pièce Cendrillon , l’article paru dans l’Humanité et signé Marie-José Sirach en novembre 2011

Cendrillon et la maison de verre

Joël Pommerat revisite librement et sans complexe le conte de fées des frères Grimm et Charles Perrault en livrant 
une version magique de Cendrillon. 

Ils ne se marièrent pas et n’eurent pas beaucoup d’enfants. Sandra, dite Cendrier alias Cendrillon, croisera le prince – qui n’a rien de charmant – au cours d’une fête, et non d’un bal, donné en son honneur. De cette rencontre, naîtra une amitié, de celle qui dure toute une vie.

Le Cendrillon de Pommerat, c’est l’histoire du deuil impossible, celui de deux enfants qu’on laisse seuls se dépatouiller avec la mort de leur propre mère. Si l’un se réfugie dans une solitude princière, la jeune fille se retrouve propulsée dans une belle-famille qu’elle n’a pas choisie (aujourd’hui on dirait famille recomposée), cantonnée aux pires tâches, soumise comme pour mieux se punir de l’absence de sa mère. Cendrillon obéit, sans le moindre signe de rébellion, physiquement emmaillotée dans un corset, vaquant dans une maison de verre totalement transparente sur laquelle les oiseaux viennent se cogner et mourir.

L’envol de Cendrillon

Dans cette cage translucide, les barreaux sont dans la tête. De la belle-mère, tyrannique, névrotique, obsédée par sa quête de jeunesse éternelle. Des deux frangines, bécasses pendues à leur téléphone portable qui pouffent pour un oui ou pour un non. Du père, hésitant et lâche. De notre héroïne. L’apparition de la fée viendra briser ce cercle. Clope au bec, cartes en main, elle tue le temps, immortalité de fée oblige, en s’essayant à des tours de magie, même si elle n’est que très moyennement douée. C’est par son entremise que Cendrillon s’éveillera de son engourdissement pour prendre, enfin, son envol.

Joël Pommerat n’en est pas à sa première adaptation de contes de l’enfance. Son Chaperon rouge comme son Pinocchio ont bouleversé l’approche théâtrale en imprimant une lecture revivifiante sans rien renier de leur trame historique. Tous les ingrédients du rituel initiatique – la peur, la séparation, l’humiliation, la recherche de l’amour – sont là. La cruauté du conte est mise à nu, sans fard. On ne parle pas de la mort par périphrases interposées. Si les adultes s’obstinent à la nier avec violence, les enfants l’évoquent sans tabou.

Au pays de l’imaginaire

La scénographie, les lumières, le son, la direction d’acteurs, tous les outils à disposition du metteur en scène repoussent ici les limites de la théâtralité et ouvrent la porte à l’enchantement, au mystère. C’est un théâtre de l’illusion qui frise la perfection, qui vous emporte loin au pays de l’imaginaire. Une fois de plus, on est bluffé : par ce décor incroyable, inlassablement vide, dessiné et suggéré par les lumières qui découpent des noirs, dessinent des silhouettes, allongent les ombres à l’infini jusqu’au mystère ; par les voix et le mouvement des corps amplifiés ; par la musique qui vient briser le silence oppressant. Pour Cendrillon, Pommerat a travaillé avec des acteurs belges (le spectacle a été créé au Théâtre national belge). Déborah Rouach, oisillon tombé du nid dans le rôle de Cendrillon, Catherine Mestoussis, dans la peau de la marâtre, tout comme Noémie Carcaud et Caroline Donnelly (les deux sœurs, le prince et la fée) sont d’une justesse à couper le souffle dans leurs personnages, leur donnant une part de vérité qui se niche dans un jeu réaliste aussitôt contrebalancé par la part fictive du propos.