01. février 2019 · Commentaires fermés sur Zola écrit Germinal : une réflexion sur les mutations sociales et économiques · Catégories: Seconde · Tags:
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Le 2 avril 1884, réfugié dans sa maison de campagne de Médan, en Seine-et-Oise, Émile Zola écrit les premières lignes de son treizième roman de la série des Rougon-Macquart, Germinal. Ce projet est né tardivement dans l’esprit de l’écrivain. Une dimension politique, voilà ce que Zola voulait donner à son second roman ouvrier. Lorsqu’il entrevoit son projet, en 1882, il ne connaît pas encore le décor de son intrigue. Il pense aux chemins de fer, à la métallurgie, mais ce sera finalement sur le monde minier que son choix s’arrêtera, fin 1883. Il y a plusieurs raisons à cela. Une raison historique d’abord, parce que l’industrie minière est, dans le dernier tiers du XIXe siècle, l’une des plus représentatives du développement économique des nations occidentales . Le monde minier fait l’actualité. Les grèves d’Aubin, de La Ricamarie, de Montceau-les-Mines, d’Anzin ont suscité l’émoi auprès de l’opinion publique ; et la houille fait figure d’enjeu stratégique dans la course économique que se livrent la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Dans son désir de faire réagir l’opinion sur la condition ouvrière, Zola suit son intérêt et choisit un sujet envers lequel son lectorat est sensible. Il y a ensuite une raison littéraire à son choix, dans la mesure où la mine est un théâtre spectaculaire fait d’ombres naturelles et de lumières artificielles, un lieu presque mystique, propice au romanesque

 

Émile Zola est l’une des principales figures du courant naturaliste en littérature française. Plus poussé encore que le réalisme, le naturalisme souhaite peindre le monde avec un souci du détail qui amène le genre romanesque aux portes du documentaire historique. Au moment de se lancer dans le projet de Germinal, Zola est loin de connaître parfaitement le monde minier et il va devoir se documenter.

Zola était avant tout un écrivain bourgeois,avec  des représentations de classe sur le monde ouvrier. S’il dénonce dans son roman la condition misérable des mineurs, il ne porte pas, pour autant, un regard trop sévère sur les Hennebeau, famille dirigeante aisée mais prisonnière, elle aussi, de la Compagnie de Montsou. Et quand il dépeint les ouvriers, c’est souvent plus dans l’excès que dans la justesse .

Des mutations économiques dans le monde du travail

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L’essor industriel de la première partie du XIXe siècle a grandement profité du changement structurel qui s’est opéré dans le monde minier entre des méthodes d’extraction artisanales et une organisation de la production à grande échelle. La machine à vapeur a permis un épuisement des eaux (pour éviter l’inondation des galeries), et plus tard un aérage, rendant possible l’extraction de la houille à des profondeurs jusqu’à lors inconnues. Mais tandis que le charbon devenait de plus en plus accessible, et de plus en plus demandé, il était aussi de plus en plus cher à extraire. Pourquoi ? En raison d’abord de coûts fixes très importants. Si l’on omet les coûts de prospection de la houille qui sont déjà élevés , force est d’admettre que les infrastructures d’extraction sont elles-mêmes coûteuses (chevalement, machines d’épuisement, systèmes de culbutage des berlines, chemins de fer, L’investissement initial dans l’industrie minière doit donc être conséquent. Zola s’en fait l’écho dans Germinal.

Concrètement, ces lourds investissements ont des conséquences sur les structures industrielles en place, à savoir sur la taille des compagnies minières. Dans Germinal, Zola décrit deux types d’exploitants : la Compagnie de Montsou, forte et influente, figure du grand capital ; et l’entreprise de Deneulin, petit patron qui a choisi de relancer l’extraction dans le puits de Jean-Bart, au prix d’efforts personnels conséquents. Cette opposition entre grand et petit capital est un élément structurant du roman, voulu par Zola pour signifier le dépassement des hommes par les forces économiques Si Deneulin subit de douloureuses difficultés tout au long du roman face à la crise industrielle , la Compagnie de Montsou, elle, parvient à résister tant bien que mal aux soubresauts de la conjoncture grâce à sa taille et à sa force sans équivalent. Cette force, la Compagnie la tire de son histoire faite d’expansion et de fusion avec d’autres compagnies, selon le récit qu’en fait Zola :

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Vers le commencement du dernier siècle, un coup de folie s’était déclaré, de Lille à Valenciennes, pour la recherche de la houille. […] parmi les entêtés de l’époque, le baron Desrumaux avait certainement laissé la mémoire de l’intelligence la plus héroïque. […] Il venait enfin de fonder la société Desrumaux, Fauquenois et Cie, pour exploiter la concession de Montsou, et les fosses commençaient à donner de faibles bénéfices, lorsque deux concessions voisines, celle de Cougny […] et celle de Joiselle […] avaient failli l’écraser sous le terrible assaut de leur concurrence. Heureusement, le 25 août 1760, un traité intervenait entre les trois concessions et les réunissait en une seule. La Compagnie des mines de Montsou était créée, telle qu’elle existe encore aujourd’hui.

Les structures et pratiques économiques décrites dans Germinal s’inscrivent non seulement dans les problématiques minières, mais également dans les problématiques industrielles au sens large. La question des conditions de vie ouvrières est sans doute la plus marquante du roman pour le lecteur moderne, tant la description que Zola fait des corons et du quotidien des mineurs est visuelle et clairvoyante. Germinal est un roman sur la condition ouvrière avant d’être un roman sur la mine. Mais c’est un roman sur la condition ouvrière dans les mines, ce qui lui confère un caractère singulier, en un sens spectaculaire :

Les quatre haveurs venaient de s’allonger les uns au-dessus des autres, sur toute la montée du front de taille. Séparés par les planches à crochets qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres environ de la veine ; et cette veine était si mince, épaisse à peine en cet endroit de cinquante centimètres, qu’ils se trouvaient là comme aplatis entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient, pour attaquer la houille, rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras levés et brandissant de biais la rivelaine […]. En haut, la température montait jusqu’à trente-cinq degrés, l’air ne circulait pas, l’étouffement à la longue devenait mortel.

Les conditions de vie des mineurs ne sont pas seulement difficiles au fond de la mine, elles le sont également dans la vie quotidienne, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les salaires versés aux travailleurs semblent dérisoires. Zola fait d’ailleurs tenir à ses personnages, et en particulier à l’anarchiste Souvarine, un raisonnement sur la loi d’airain selon laquelle les salaires n’excèdent jamais le minimum vital :

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Augmenter le salaire, est-ce qu’on peut ? Il est fixé par la loi d’airain à la plus petite somme indispensable, juste le nécessaire pour que les ouvriers mangent du pain sec et fabriquent des enfants… S’il tombe trop bas, les ouvriers crèvent, et la demande de nouveaux hommes le fait remonter. S’il monte trop haut, l’offre trop grande le fait baisser… C’est l’équilibre des ventres vides, la condamnation perpétuelle au bagne de la faim.

Les conditions de travail

La division du travail et l’apparition de nouvelles fonctions dans l’activité minière sont une constante qui traverse tout le XIXe siècle, et qui se prolonge au XXè siècle. À l’époque où se déroule Germinal, les postes disponibles sont déjà nombreux (haveurs, herscheurs, rouleurs, remblayeurs, cantonniers, receveurs, basculeurs, trieurs, machinistes, chauffeurs, charpentiers, lampistes ).. Cette fragmentation du travail de la mine a modifié l’image même du mineur : travailleur complet, celui-ci a peu à peu perdu de sa polyvalence, pour devenir un ouvrier spécialisé

C’était un avis de la Compagnie aux mineurs de toutes les fosses. Elle les avertissait que, devant le peu de soin apporté au boisage, lasse d’infliger des amendes inutiles, elle avait pris la résolution d’appliquer un nouveau mode de paiement, pour l’abattage de la houille. Désormais, elle paierait le boisage à part, au mètre cube de bois descendu et employé, en se basant sur la quantité nécessaire à un bon travail. Le prix de la berline de charbon abattu serait naturellement baissé, dans une proportion de cinquante centimes à quarante, suivant d’ailleurs la nature et l’éloignement des tailles.

Cet événement n’est d’ailleurs pas qu’affaire de spécialisation des tâches, il révèle aussi des mouvements plus fondamentaux dans les formes de rémunération s’appliquant à l’industrie minière

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La crise commerciale est la toile du fond de Germinal : c’est elle qui amène Étienne à Montsou, et c’est elle qui provoque d’un côté la grève des mineurs, et de l’autre la faillite de Deneulin.

Sur fonds de préoccupations sociales et tout en décrivant avec précision les évolutions qui marquent le monde du travail et particulièrement le travail des mineurs , le romancier peint une grande fresque avec ce que cela comporte d’exagération et de systématisation.