Le roman s’ouvre sur un procès en cours : une jeune femme comparait dans une salle d’audiences . Les juges sont comparés à des “gredins en robe blanche” qui débagoulent avec “l’énergie de la haine de ceux qui abominent les femmes parce qu’elles ne sont pas des hommes ” Dès sa naissance, Bilqiss a le sentiment d’être déjà accusée par son sexe . Elle s’apprête à être lapidée et considère que dans le pays où elle vit, sa vie vaut moins que celle d’un volatile. Dans sa cellule, chaque nuit pour retarder le moment des cauchemars, elle imagine son arrivée au paradis . Les charges retenues contre elle sont multiples et peuvent paraître dérisoires: détention de maquillage, de chaussures à talons et de sous-vêtements, pince à épiler, musique, livres et même une bougie parfumée. Un soir , après une audience particulièrement mouvementée, le juge , un ancien charpentier dont la femme s’est suicidée , vient trouver la prisonnière dans sa cellule pour la prier de demander pardon .
Son crime : avoir prononcé l’appel à la prière à la place du muezzin saoul et incapable de se lever. Le juge décide d’interroger l’accusée sur la mort de son mari : mariée à 13 ans à un homme de 46 ans, elle subit sa violence jusqu’au jour où elle décide de le tuer à coups de poêle à frire . Avec la complicité de soldats américains décrits comme des brutes épaisses racistes , elle déguise le meurtre en accident . Au tribunal, l’accusation lui reproche d’exciter le désir des hommes en portant du vernis à ongle et un bracelet de cheville sous sa burqa.Bilqiss propose alors de tuer le Mal à sa source c’est à dire de broyer, écraser, écrabouiller ..le pénis des hommes . Ce qui provoque la colère des hommes dans la salle. Chaque soir Hasan retrouve la prisonnière pour des échanges verbaux et elle le soupçonne de faire durer son procès pour une raison inavouable : serait-il en train de tomber amoureux d’elle ?
Bilqiss réfléchit à la nature des relations entre les hommes et les femmes et pense que ces derniers imposent leur domination à la manière des chiens qui pissent pour délimiter leurs territoires en y laissant une empreinte olfactive : le sexe est un moyen pour les hommes de dominer les femmes . Elle constate que l’image de la femme dans les films pornographiques est une atteinte à la dignité des femmes qui deviennent des objets de soumissions et de fantasme et sont mises en scène dans des postures humiliantes ( p 49 ) . La jeune femme subit une séance de 37 coups de fouet après avoir été jugée insolente ; Brisée par la douleur , elle réalise que “ses blessures avaient effacé la moindre trace de cynisme..” le juge vient lui apporter de la nourriture et de la crème pour son dos mais refuse de lui étaler sur ses plaies car ce serait “un péché absolu” . Il repousse la date de la lapidation en prétextant des irrégularités administratives . C’est alors qu’arrive Leandra Hersham, la journaliste américaine.
Le chapitre II , p 63 , est raconté du point de vue du juge. Ce changement de point de vue rend le récit plus complexe. Hasan lorsqu’il était charpentier est tombé amoureux de la maîtresse d’école, une indocile, disait -on d’elle au village, à laquelle les livres donnent des ailes. Nafisa est révoltée contre l’utilisation de la religion par les hommes de son pays et elle décide de se murer dans le silence et de se donner la mort. De retour chez elle après avoir été hospitalisée en raison d’une première tentative de suicide , elle veut un jour, sortir sans voile et les bras découverts parce qu’il fait trop chaud. Son mari tente de la convaincre que c’est une folie car Dieu, dit -il , veut protéger les femmes en les couvrant . Elle lui répond aussitôt : ” protéger de quoi, de qui ? de vous les hommes , vous admettez donc que vous êtes dangereux ? ” Hasan demande alors à Bilqiss de venir veiller sur son épouse et il leur procure, pour les distraire , des livres de contrebande car la poésie répare en partie le monde que les religieux détraquent . Un jour, désepérée, Nafisa se mange les veines et Hasan la laisse mourir, vaincu par sa détermination . Sa nouvelle femme est docile, inculte et il trouve la vie bien plus paisible. Lorsqu’un matin , il entend l’adhan chanté par une femme, il comprend alors que Bilqiss est venue remplacer Nafisa. Il brûle d’un désir fou pour elle ” trahissant d’un même souffle ma raison mes convictions et la loi ” (84 )
Le troisième chapitre est raconté du point de vue de Léandra, la journaliste américaine . Léandra est fille d’une actrice et d’un milliardaire et vit dans le luxe mais elle a été élevée avec l’idée qu’il fallait aider son prochain. Devenue journaliste à New-York, elle cherche un nouveau sujet et visionne sur le net, des enregistrements du procès de Bilqiss; Elle décide alors d’écrire son prochain article sur cette affaire . Une fois arrivée dans le village de Bilqiss, elle observe la vie quotidienne des habitants et découvre des femmes qui la jugent parfois sévèrement l’accusant de venir ” pétrie de bonnes intentions donner de la voix à une héroïne “ (119 ) . Elle obtient du juge qu’il la laisse parler à la prisonnière et à son départ, nous découvrons que Bilqiss lui a menti en inventant l’histoire du baiser avec le juge . Elle la considère d’ailleurs comme ” une pintade romantique avec des velléités de journaliste de terrain ” : nous voilà de retour à la salle d’audience pour la suite du procès .
Le chapitre IV est raconté du point de vue de Bilqiss .Elle débat avec ses accusateurs sur Allah . Elle considère qu’elle a le droit de se revendiquer de son nom et d’appliquer les principes du Coran et du prophète; Ainsi considère -t-elle que ” l‘encre de l’élève est plus sacrée que le sang du martyre ” . Le procès est suspendu et la jeune femme regagne sa cellule où la rejoint Léandra. Elle accuse l’américaine de venir se jeter sur son histoire “ pour l’écrire avec des larmes teintées de mascara “ (154 ) . Bilqiss en voyant sa photo sur un mug pense qu’elle est devenue un produit dérivé de l’humanitaire pour donner bonne conscience aux occidentaux . Dans un nouvel entretien avec le juge , elle déverse sa colère , avoue le crime de son mari “dans ce pays maudit, soit on est proie, soit on est charognard ” le monde avance sans vous, ajoute -t-elle , alors vous lui crachez dessus, vos doctrines délétères ont fini par corroder vos âmes et vous persévérez dans le mal parce que vous vous savez condamnés ( p 168 ) . Un dernier face à face oppose les deux femmes qui se critiquent violemment et se disputent leur vision du monde. Quant au juge, il a le cœur broyé par les dernières déclarations de sa prisonnière qui prétend qu’elle préférerait tuer un nourrisson et éventrer sa propre mère plutôt que de l’aimer et d’accepter de s’enfuir avec lui . “elle me gomma comme une rature là où j’avais espéré laisser une empreinte “pense amèrement le magistrat. Léandra est profondément révulsée par le châtiment injuste et indigne qui attend Bilqiss : elle décrit la lapidation comme ” la chose la plus abjecte et la plus inconcevable qui soit ” mais la jeune musulmane lui reproche son “unanimisme émotionnel” .
Les deux femmes s’affrontent idéologiquement : l’américaine critique le monde musulman, ses mauvais choix et Bilqiss se moque des bonnes intentions de l’occidentale ; En réalité, elle avoue, au final, l’envier profondément : ” chaque chose que Léandra possédait je le voulais.. j’aurais voulu être elle pour avoir une chance d’être celle que j’aurais du être si j’étais née ailleurs. Celle que j’aurais pu être si l’on ne m’avait privée dès le plus jeune âge de la plus infime liberté.” (177). Alors Léandra se met à raconter , pour faire plaisir à Bilqiss, sa vie là-bas ; pendant ce temps, le juge se rend sur le lieu de l’exécution et il prend soin de choisir chaque pierre une à une , par haine et par amour déçu.
Seniz son épouse , explique à Bilqiss ce qu’il est en train de faire et lui suggère d’implorer son pardon. “j’allais au contraire tout faire pour mourir ” pense l’héroïne et elle prétend que Seniz ne peut la comprendre car ” elle a été programmée pour être celle qu’elle était” Bilqiss elle ,veut mourir pour en finir avec l’espoir. Léandra fait la connaissance du soldat américain qui a aidé Bilqiss : Dick Stone et il lui raconte sa première rencontre avec Bilqiss, alors femme de ménage dans la caserne voisine. Il admire sa force , sa confiance en elle et surtout sa foi. Pour leur dernière entrevue, Bilqiss demande à Léandra de lui jeter la première pierre afin de lui épargner de longues souffrances et de ne pas faire de sa mort un spectacle . Les dernières pages nous révèlent le discours de Bilqiss dans une ultime prière à son Dieu ” Allah n’a jamais eu besoin d’une cour de flagorneurs pour asseoir Sa puissance ..” déclare -t-elle à ceux qui sont venus la voir mourir. Au moment où Léandra s’apprête à lui jeter une grosse pierre , le juge s’interpose et meurt en lui murmurant “ Mes cinq piliers étaient construits sur du sable mouvant. T’avoir aimée en a renforcé le socle. Cela m’a éloigné des dogmes et rapproché de ma foi. Je pars la conscience lourde mais le coeur léger. Mourir pour toi sera mon salut. Laisse moi être le feu qui alimentera tes combats; Combats -les, Bilqiss..”
Saphia Azzedine a donc choisi une fin ouverte : cette histoire , par bien des traits, ressemble à un conte voltairien. A la manière de Voltaire, elle dénonce le fanatisme et le dogmatisme de ceux qui se cachent derrières des diktats religieux pour écraser les “hérétiques” les incroyants ou simplement ceux qui ne partagent pas la même définition de la foi. A travers quelques personnages , quatre femmes et deux hommes, l’autrice dresse un portrait du choc des civilisations et nous fait réfléchir à la condition des femmes et à leur oppression. Écrivaine militante , elle nous invite à participer au combat engagé par l’héroïne. La fiction se met ici au service d’une dénonciation de certaines réalités et contribue à la lutte contre les préjugés .
L’auteure vient faire la promotion de son roman dans une émission de télévision : écoute le podcast et réponds ensuite aux questions du QCM