29. juin 2021 · Commentaires fermés sur Le bal des folles , un roman de Victoria Mas · Catégories: Le livre du mois · Tags:

L’action se situe à la fin du dix-neuvième siècle, en 1885 , à Paris dans le cadre de l’hôpital de la Salpêtrière, rue Soufflot, où on regroupait alors les aliénées, souvent des jeunes femmes en marge de la société, condamnées pour leurs mœurs ou qui souffraient d’épilepsie . L’histoire se déroule essentiellement entre les murs du service du célèbre professeur Charcot , un neurologue qui pratique l’hypnose sur ses patientes afin de leur faire revivre les traumatismes qui sont à l’origine de leurs lésions . Il est idolâtré par Madame Geneviève, l’infirmière en chef qui l’assiste de son mieux. A l’extérieur, toutes sortes de rumeurs planent sur le service des hystériques comme on le nomme ” On imagine des femmes nues qui courent dans les couloirs, se cognent le front contre le carrelage, écartent les jambes pour accueillir un amant imaginaire, hurlent à gorge déployée de l’aube au coucher. On décrit des corps de folles entrant en convulsion sous des draps blancs, des mines grimaçantes sous des cheveux hirsutes”.  ” Entre l’asile et prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gèrer, les malades et les folles .” Les folles fascinent et font horreur mais dans le service règne le plus souvent un  grand calme . Ses femmes souffrent de tics nerveux et de troubles du comportement : lorsqu’elles font une crise , un interne leur presse les ovaires ou dans les cas les plus sérieux, les endort avec de l’éther.

Les portraits des personnages se complètent au fil de l’intrigue : Geneviève Gleizes cette fille de médecin auvergnat, écrit des lettres à sa sœur morte des années plus tôt  d’une tuberculose  , Ce décès tragique lui a fait perdre la foi et lui a donné la vocation d’aider aux avancées de la médecine ; Thérèse est une prostituée qui passe ses journées à tricoter et à veiller sur les jeunes femmes , enfermée, 20 ans plus tôt, pour le meurtre de son proxénète; Louise une jeune fille violentée par son oncle et abusée par un gardien sans scrupule dont elle est tombée amoureuse et qui lui promet le mariage La jeune fille finira paralysée suit à une séance d’hypnose .  Eugénie Cléry est internée à la demande de sa famille car elle leur a avoué pouvoir s’entretenir avec les esprits notamment celui de son grand-père mort lorsqu’elle avait 12 ans et qui vient souvent lui rendre visite  ; son frère finira par accepter de la délivrer lors du fameux bal organisé à l’hôpital pour fêter la mi-carême. dans les salons , on prétend que certaines femmes ont fini enfermées à la Salpêtrière car elles es comportaient comme des hommes : on évoque le cas d’une jeune femme internée de force par son mari car elle prétendait diriger avec lui la brasserie familiale, d’une autre qui aurait menacé de mort son mari infidèle en public, d’une quadragénaire enfermée pour avoir aimé un homme de 20 ans son cadet ; L’asile fait fonction de “dépotoir pour toutes celles nuisant à l’ordre public” ( p 34 ). avec les progrès de la médecine arrive une nouvelle catégorie d’internées: on les nomma hystériques, épileptiques, mélancoliques, maniaques ou démentielles. Les chaînes et les haillons laissèrent place à l’expérimentation sur leurs corps malades : les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d’hystérie; l’introduction d’un fer chaud dans le vagin et l’utérus réduisait les symptômes cliniques ; les psychotropes – nitrite d’amyle, éther, chloroforme, calmaient les nerfs des filles ; l’application de métaux divers – zinc et aimants- sur les membres paralysés avait de réels effets bénéfiques . ” p 97 ; Zola, Maupassant , et Sigmund Freud assistent aux séances publiques de Charcot assisté par  Babinski et Gilles de la Tourette. Ces trois médecins axèrent leurs recherches sur le système nerveux central ; On leur doit la découverte de la maladie de Charcot, du test de Babinski et du syndrome de La Tourette.  Les internées étaient les nouvelles actrices de Paris et on citait leurs noms avec un soupçon de crainte et d’admiration. ” Les folles pouvaient désormais susciter le désir. Leur attrait était paradoxal.” p 98 . Un photographe Albert Londe venait réaliser des clichés d’aliénées et le bal des folles était un événement mondain fort prisé.

On y trouve beaucoup de jeunes femmes victimes de violences sexuelles ou de traumatismes: Aglaé a effectué une  tentative de suicide après la mort d’un enfant, Rose-Henriette, une femme de chambre   qui a  subi le harcèlement de son patron et qui est désormais victime d’attaques de panique.

Avant d’être internée , Eugénie étudiait le livre d’Allan Kardec , pseudonyme d’Hypolite Rivail , philosophe et  fondateur du spiritisme dont les ouvrages seront édités par son ami Pierre-Gaëtan Leymarie , libraire rue Saint jacques et passionné d’ésotérisme. Elle s’est confiée à sa grand-mère et lui a révélé un secret que seul son grand-père connaissait . Mais sa famille prend peur et elle se retrouve internée contre son gré. Son père la considère comme diabolique ” on ne converse pas avec les morts sans que le diable y soit pour quelque chose ” avoue-t-il lors de l’entretien d’admission mené par   Geneviève . Peu à peu les deux femmes se lient d’amitié : la soignante est, tout d’abord, ébranlée par les révélations d’Eugénie qui prétend être en contact avec sa soeur morte à 18 ans, Blandine . Elle lit à son tour le livre des esprits et Eugénie lui indique que son père  a fait une chute sur le carrelage de sa cuisine; Geneviève réussit à prendre un train de nuit et découvre son père alité . Lorsqu’elle lui avoue qu’elle a  été prévenue par l’esprit de Blandine , il la traite de folle et la renvoie à Paris; Elle intercède alors directement auprès du docteur Charcot, en faveur d’Eugénie pour la faire sortir de l’internement mais ce dernier  se montre condescendant et la prie de ne pas outrepasser son rôle  au sein de l’institution. Humiliée par les propos du neurologue, elle va alors œuvrer, dans le plus grand secret pour libérer Eugénie, au cours du bal . Ce soir là , le public observe les jeunes femmes à l’affût du moindre symptôme   “on cherche un défaut, une tare,on remarque un bras paralysé sur une poitrine, des paupières qui se referment un peu trop fréquemment. On se bouscule pour voir de plus près ces animaux exotiques comme si l’on était dans une cage du Jardin des Plantes , en contact direct avec ces bêtes curieuses. ”   p 214. Ce soir là , Louise après un nouveau viol, tombe dans une catalepsie qui durera deux ans et Geneviève est internée pour avoir aidé Eugénie à retrouver sa liberté. Elle continue inlassablement à écrire des lettres à Blandine, sa sœur décédée., en regardant la neige tomber sur le parc de l’hôpital.