Un livre n’a pas pour principal objectif d’être lu comme un traité de morale mais la tentation est grande d’y chercher des valeurs morales; C’est pourquoi il importe de bien définir le mot morale dans son usage appliqué à l’oeuvre littéraire . On peut d’abord distinguer , un premier plan, l’observation des moeurs : comment un récit montre-t-il des manières de penser ou d’agir , par l’intermédiaire de ses personnages ou parrfois directement par des jugements ou des des pensées de l’auteur dans les Essais , par exemple. . Ensuite, on parle de morale prescriptive quand l’oeuvre littéraire contient une forme de jugement , de critique de ce qui est décrit ; cette critique peut être implicite ou explicite ; C’est le cas par exemple lorsqu’un narrateur commente les actions d’un personnage ou ses manières de faire . Enfin, on peut également penser qu’une oeuvre se fait l’écho de valeurs morales dans le choix des thèmes abordés et la construction des personnages ainsi que par son appartenance à un genre littéraire . ( roman, apologue, fable, tragédie, poésie ) Très souvent il s’agit de déterminer quelles valeurs morales sont diffusées par une oeuvre ? Il faut alors différencier les idées de l’auteur , ce qu’on sait de lui te de se prise de positions publiques et son projet littéraire ; essayons de clarifier ces notions en prenant quelques exemples ..
Par exemple, lorsque Molière, au dix-septième siècle, met en scène le destin d’un séducteur ,cela ne signifie pas que l’auteur défend le libertinage mais qu’il en montre plutôt les dangers : Don Juan, son héros, “grand seigneur mais méchant homme ” rend les femmes malheureuses et meurt foudroyé par une punition du Ciel ! C’est à travers le dénouement tragique de la pièce, qu’on peut comprendre la position morale que défend le dramaturge ; dans cette oeuvre jugée scandaleuse parce qu’elle donne le premier rôle à un séducteur impie , Molière n’approuve pas les agissements de son personnage car il le condamne en le faisant mourir . Montrer le mal ne signifie pas s’en rendre complice mais la pièce a été interdite à cause des positions anti-religieuses du personnage de Don Juan.
Quand on pense aux Fables de La Fontaine, on évoque souvent la morale finale des récits qu’on juge, parfois, immorale . Mais comment lire au juste les morales des fables? Le récit pourrait-il transmettre une réflexion sans morale ou serait-il moins aisé d’en déchiffrer l’enseignement ? Faire triompher le mensonge est-il moral ? Non bien sûr ! Mais montrer que les puissants dominent la société et que le mensonge devient la seule arme efficace pour leurs victimes , c’est écrire en moraliste soucieux de faire réfléchir ses contemporains. Le spectacle de Perrette qui perd en quelques secondes, à cause de son imagination, le produit d’un dur labeur, n’est pas fait pour nous réjouir ni pour nous désoler mais pour illustrer la puissance de l’imagination et peut -être, aussi, les dangers de perdre de vue la réalité; Toute l’habileté de La Fontaine consiste à ne pas faire entendre directement sa voix mais il s’arrange pour nous montrer ce qu’il souhaite que nous ne perdions pas de vue . C’est un moraliste qui ne s’appesantit pas sur les défauts des hommes même s’il leur accorde une place importante au sein de son recueil qui se veut quand même didactique ; le choix de la fable comme forme littéraire et celui de l’humour comme tonalité, rendent les leçons et les prescriptions plus digestes et moins lourdes pour le lecteur.
Madame de La Fayette, durant la même période, adopte une autre position de moraliste : elle dépeint un monde corrompu , gangrené par l’ambition et dans lequel la galanterie, loin d’être simplement un art d’aimer, s’apparente davantage à un art de la tromperie; Ses personnages souffrent tous de passions malheureuses et l’amour , en dehors du mariage, loin d’épanouir les individus, semble les condamner irrémédiablement , à se perdre.
Deux personnages , a priori, paraissent différents : Madame de Chartres qui a fait le choix d’éduquer elle-même sa fille et de la mettre en garde contre les séductions mais aussi contre les dangers de l’amour , et la princesse, héroïne du roman , qui se livre à un combat intérieur dont sa vertu finit par triompher , au détriment de son bonheur personnel . Que doit -on comprendre des agissements des personnages de ce roman qui se termine de manière tragique ? Quelles sont leurs valeurs morales déployées dans le récit et quelles sont celles de l’auteure ? Que nous apprend le destin tragique de l’héroïne ? qu’il faut renoncer à ce que notre coeur nous dicte ou qu’il ne faut pas écouter ce que nous dicte notre coeur car c’est une puissance trompeuse? Est-ce une condamnation de la Cour, de ses faux-semblants , de l’ambition permamente qui semble motiver chaque action . La sincérité des aveux de la Princesse a des conséquences terribles ! Et si chacun se fixait comme objectif d’aimer son mari et d’en être aimé, en irait-il autrement ? Autant de questions morales qui demeurent en suspens dans ce récit écrit par une femme qui paraît savoir ce dont elle parle ; sans doute pour l’avoir, en partie, vécu.
Toujours à la même époque, un autre écrivain poursuit, à sa manière , des ambitions de moraliste , en mettant en scène des spectacles tragiques qui effraient et tentent d’émouvoir les spectateurs. Pour pouvoir évoquer la dimension morale dans la tragédie de Racine, Phèdre, on doit, là encore, établir une différence entre les agissements des personnages et les pensées du dramaturge . Racine cherche à incarner sur scène des effets tragiques à travers notamment le choix des caractères : il justifie dans ses nombreuses Préfaces, le choix de “monstres gentils ” ; Il a besoin que Phèdre se rende coupable mais qu’elle puisse , sur certains points, paraître innocente , ou tout au moins victime d’une fatalité qui la dépasse; En articulant la malédiction divine et une passion humaine, le poète nous permet de ressentir de la pitié pour cette femme condamnée à l’avance par les Dieux; Nous sommes ainsi d’autant plus sensibles à sa souffrance qui ne semble pas feinte même si l’objet de son amour peut paraître immoral . On peut ,d’ailleurs, se demander si la référence à la fatalité ne constitue pas une sorte d’alibi pour cette amante qui ne peut pas être considérée comme entièrement responsable de son choix . Les souffrances de Phèdre, malheureuse dans son mariage avec Thésée, sont une preuve de la condamnation de la passion mais également une preuve de sa puissance; dans le combat que l’homme doit mener quotidiennement afin de faire triompher la Raison de l’emportement de ses passions, la victoire est lojn d’être assurée, constate Racine . Convaincu de la justesse de certains aspects du jansénisme, Racine ne semble pas se montrer plus confiant que la Fontaine, son ami, dans la capacité de l’Homme à effectuer les bons choix et à prendre les bonnes décisions, Madame de La Fayette est-elle aussi pessimiste ?