De la réalité à la fiction
1. Les faits
Le 29 août 2005 la tempête Katarina touche une partie de la ville de La Nouvelle- Orléans et les pouvoirs publics doivent faire face à cette terrible catastrophe; Des pans entiers de la ville sont noyés, les habitants doivent être évacués en urgence et les dégâts vont se chiffrer en milliards de dollars. Les faits :dans la nuit du 29 août, le cyclone a durement frappé trois États du sud américain et a été qualifié de plus grande catastrophe naturelle de l’histoire du pays.
Le bilan provisoire des victimes du cyclone s’établit à plus de 250 morts . Les autorités estiment que Katrina pourrait avoir fait des milliers de victimes.-Près de 300 000 personnes sans-abri doivent être relogées dans des campements provisoires principalement au Texas . – Plus d’un million de Louisianais pourraient avoir été déplacés par la catastrophe.
Comment le romancier a-t-il, lui décidé de travailer à partir de ces éléments recueillis par la plupart des journalistes et les agences de presse ?
2 Le roman
Voilà le scénario du roman tel qu’il figure sur le site de l’éditeur du romancier : A La Nouvelle-Orléans, alors qu’une terrible tempête est annoncée, la plupart des habitants fuient la ville. Ceux qui n’ont pu partir devront subir la fureur du ciel. Rendue à sa violence primordiale, la nature se déchaîne et confronte chacun à sa vérité intime : que reste-t-il en effet d’un homme au milieu du chaos, quand tout repère social ou moral s’est dissous dans la peur ?Seul dans sa voiture, Keanu fonce vers les quartiers dévastés, au cœur de la tourmente, en quête de Rose, qu’il a laissée derrière lui six ans plus tôt et qu’il doit retrouver pour, peut-être, donner un sens à son existence…
Dans un saisissant décor d’apocalypse, Laurent Gaudé met en scène une dizaine de personnages qui se croisent ou se rencontrent. Leurs voix montent collectivement en un ample choral qui résonne comme le cri de la ville abandonnée à son sort. Roman ambitieux à l’écriture empathique et incantatoire, Ouragan mêle la gravité de la tragédie à la douceur bienfaisante de la fable pour exalter la fidélité, la fraternité, et l’émouvante beauté de ceux qui restent debout.
Le résumé du récit entrecroise le parcours de 5 personnages principaux dont les rencontres font avancer l’intrigue;
3 Les personnages du roman
Qui sont ces personnages ? Ils incarnent les habitants de la Louisiane. Tous les personnages du roman sont noirs sauf le révérend et l’énigmatique Paul The Cripple .
Joséphine la négresse des bayous âgée de près de cent ans, sorte de mémoire collective de l’histoire de la Louisiane, rappelle que La Nouvelle -Orléans a longtemps été le plus grand marché d’esclaves de cette partie de l’Amérique ; le personnage a gardé une part de cette colère liée à la ségrégation et au racisme qui perdure dans de nombreux anciens états esclavagistes. Joséphine est caractérisée par une sorte de parole prophétique : elle est la première à deviner l’approche de l’ouragan et elle tient par-dessus tout à rester chez elle ; Cependant , elle se retrouvera emmenée par des sauveteurs au Super Dôme où elle rencontrera sa voisine Rose à la recherche de son fils. Le roman qui s’est ouvert avec la voix de Joséphine se termine alors par son chant avec sa “voix voilée de toute une vie de combats ” p 151. Elle est “la dernière négresse debout qui pleure sur ses frères et sœurs ” “qui fait pleurer les arbres avec sa voix ” Elle chante la fidélité à sa terre , à sa douleur avec sa voix qui vient de très loin .” On entend dans ma hargne la mère endeuillée, le nègre exploité ..je chante de ma voix de colère sur les rues inondées,je chante sur les visages épuisés pour qu’ils soient au loin caressés,.. je chante pour dire que la vieille colère séchée sur nos peaux par le soleil de la soumission brûle encore, nous n’oublions pas les années de crachat ,de peur, les années de regards baissés et de frustration..”
Rose est une jeune femme d’une trentaine d’années mais déjà très abimée par les malheurs ; son grand amour Keanu, l’a quittée six ans plus tôt et elle a eu un enfant avec un homme qu’elle n’aime pas ; elle s’estime salie car cet homme lui a donné de l’argent pour coucher avec elle ce qu’elle finira par avouer en tenant la main de Keanu mourant ; sa relation avec son fils Byron est compliquée mais le retour de Keanu , qui au moment de sa mort déclare vouloir être le père de cet enfant , va transformer le regard qu’elle porte sur le petit Byron. Rose représente à la fois la solitude des femmes qui élèvent seules leur enfant et la précarité de la vie dans ce quartier de la Nouvelle -Orléans. A la fin du roman, elle devient une mère aimante et se confie à Keanu : “elle regarde son fils désormais et il a un nom dorénavant pour elle , c’est l’enfant de la tempête, l’enfant offert par Keanu Burns au moment de mourir.” Rose sera sauvée et évacuée par un hélicoptère avec son fils au moment où sa maison disparaît sous l’eau.
Keanu est un ouvrier qui a accepté de partir travailler sur une plate-forme pétrolière pour gagner davantage d’argent mais il a vu des hommes mourir déchiquetés par les machines et ce spectacle l’a incité à s’enfuir. Au début du roman, il ne parvient pas à quitter la chambre du motel dans lequel il s’est réfugié et il va décider de rejoindre Rose; Il effectue le trajet de 400 km vers La Nouvelle -Orléans au moment où la plupart des habitants cherchent à fuir ; Il doit passer par les routes secondaires pour éviter les barrages de police. Il ouvre la porte de la maison de Rose alors qu’une une pluie diluvienne s’abat sur la ville et les deux personnages vont d’abord se parler et ensuite se retrouver. Avant de mourir, Keanu confiera lui aussi un secret à Rose : il pense avoir oublié de fermer le robinet du gaz et il serait responsable de la mort des ouvriers sur la plate -forme. Le baiser de Rose efface ses dernières peurs ” O le long baiser ..qui balaie les nuits pesantes, soulève les poussières de nos errances ; ses lèvres qui effacent les peurs inutiles et la fatigue de vivre ..” p 134
Le révérend est le personnage le plus étrange du roman: homme de Dieu, il vient tous les mardis “observer le visage du mal ” dans la Prison où est enfermé Buckeley; les prisonniers sont traités comme des chiens et d’ailleurs se mettent à aboyer lors du passage du révérend. “Tueurs, pilleurs, voleurs, alcooliques, drogués: c’est la face immonde de la ville qui se tient là : ils me dégoûtent et je dois vaincre ce dégoût ” Il recueille dans son église, qui devient une sorte de nef dans la tempête , les plus malheureux de la ville et rejoint en plein ouragan,des voix qui semblent l’appeler; Il se retrouve face à Paul The Cripple, une apparition fantastique qui lui montre les dizaines d’alligators qui viennent attaquer les animaux dans le cimetière. Paul disparaît dans l’eau, au milieu des reptiles laissant le révérend ramasser son hachoir; il est alors persuadé que Dieu ne lui demande pas de protéger les hommes mais plutôt de l’aider à se venger d’eux, d’être le bras armé de la colère divine. “je cherche les hommes pour les châtier; la main serrée sur le hachoir, je vais par les rues.Je vais détruire et mettre à bas puisque c’est ce que vous voulez..” ( p 99 ); Devenu fou , le révérend tuera deux hommes avant de finir au milieu des alligators “je n’entends plus que leur bourdonnement sauvage sur moi et la douleur. “ ( p 146 )
Les prisonniers de Parish Prison constituent une sorte de personnage collectif : ils vont réussir à s’évader car l’eau a envahi les cellules et déverrouillé les gâches électriques; Buckeley, la voix principale du groupe, suit huit autres prisonniers mais rapidement ils se divisent après la mort des deux policiers . Pickhow. Buckley et deux de ses compagnons vont voler une barque et croiser Rose qu’ils vont déposer chez elle sans lui avoir fait de mal. La voix de Tocpick se forme alors pour raconter la violence qu’ils sèment sur leur passage. Tocpick est abattu par le révérend et Buckley, libre désormais, continue de s’enfoncer dans les bayous, dans ce que les anciens surnommaient “la tombe humide ” et qui a été pendant longtemps le surnom de La Nouvelle Orléans.
Les avions déversent des pesticides sur la ville afin d’éviter la propagation des infections . “tant d’autres sont morts avant moi ..nègres pourchassés, esclaves évadés, voleurs en cavale.; cela ne me fait pas peur . “ ( 147 ) Ici commence ma grande liberté.. la fin du personnage demeure donc énigmatique .
Ce roman , à partir de la trame d’un fait divers, tisse les destins de ces personnages qui incarnent une facette de notre humanité. Le thème de la punition divine liée à l’ouragan apparaît souvent dans le roman ; l’auteur suggère ainsi une lecture de la catastrophe comme une forme de vengeance divine contre les crimes des hommes, un peu à la manière de la lecture biblique des grandes catastrophes telles que le Déluge, les sept plaies d’Egypte ou le feu qui s’abat sur Sodome et Gomorrhe. Le roman se double ainsi d’une dimension mythique et transforme un fait divers en événement providentiel qui révèle les personnages et les transforme.