A la Renaissance, les expéditions maritimes apportent aux Européens la connaissance d’autre hommes et d’autre modes de vie: qui sont les vrais Sauvages ?
Introduction : Auteur humaniste du seizième siècle, Montaigne saisit l’occasion de la découverte d’un Nouveau Monde, à peine un siècle plus tôt; pour s’interroger sur la nature humaine et sur la nature particulière de la relation entre les colons Espagnols et les Indiens d’Amérique. Il développe un point de vue étonnamment moderne pour un homme de cette époque car il ne se laisse pas aveugler par les préjugés et n’hésite pas à remettre en cause certains éléments constitutifs de la civilisation occidentale. D’ailleurs l’écriture des Essais et le choix de cette forme qui allie esprit scientifique et volonté d’introspection; témoigne bien de cet élan pour se démarquer des traditions. En imaginant, dans cet extrait, une rencontre entre des colons espagnols fourbes et des Indiens clairvoyants, l’écrivain oppose ainsi , en augmentant le contraste, deux systèmes de pensée; Quelle est ici sa stratégie argumentative ?
Dans un premier temps, nous étudierons la mise en scène de cette rencontre et les détails réalistes qui authentifient le récit. Ensuite nous montrerons comment Montaigne utilise l‘opposition entre les arguments fallacieux des Espagnols et la lucidité des Indiens; Nous terminerons cette étude en évoquant le caractère inévitable de la guerre et la remise en cause profonde de la légitimité même de la colonisation. (annonce de plan)
Partie 1 les détails “réalistes”
Le scénario inventé par Montaigne est élaboré à partir de témoignages et se réfère à des situations vécues , relatées par les marins et leurs récits de voyage. Comme l’indique la première ligne du passage, il s’agit , en effet d’une expédition maritime : ” en naviguant le long des côtes à la recherche de leurs mines..” . Il semble bien d’ailleurs que ce soit la cupidité qui pousse les marins à s’aventurer jusqu’à cette contrée “fertile et agréable, fort habitée”; la rencontre se déroule selon un certain protocole ; les Espagnols cherchent à amadouer les Indiens et à obtenir de la nourriture et de l’or et ne se montrent menaçants que lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet de la religion; L’humour de l’auteur se teinte d‘ironie quand il affirme ligne 11: “ils leur conseillaient d’accepter; ajoutant quelques menaces à ce conseil.” On peut aisément comprendre que le mot conseil est ici une forme de tentative d’intimidation et qu’on doit sans doute faire peur aux Indiens en leur expliquant ce qui les attend s’ils refusent de se convertir au catholicisme. Un autre procédé qui contribue à authentifier les propos lus par le lecteur, c’est l‘usage du style direct; Montaigne fait comme s’il s’agissait de paroles ayant été réellement prononcées par les personnages . Selon le même procédé , le discours des Indiens et leurs répliques sont traduits soit par du style direct comme ligne 11 à 31, parfois associé à des verbe introducteurs qui renvoient à des paroles rapportées : ” il dirent, ils ajoutèrent. Ces techniques visent toutes à donner un aspect authentique à cette scène afin d’en accroître la portée. Un autre détail réaliste consiste à évoquer la cupidité des colons à la recherche des mines d’or (l1) des Indigènes; Montaigne dévoilerai la véritable raison de la colonisation: le goût immodéré de l’or; Cette cupidité sera d’ailleurs dénoncée dan sale réquisitoire de l’Indigène contre l’attrait de l’or: Ce dernier affirme que l’or est méprisé car “tenu comme inutile au service de leur vie” ;(19) Ce trait contribue à opposer très fortement Espagnols et Indiens. C’est sur cette opposition que se construit l’argumentation.
Partie 2. Une opposition nettement marquée
Montaigne ne se contente pas seulement de mettre en scène de manière imagée son argumentation, il utilise , pour ce faire, un contraste entre le discours mensonger des Espagnols et les arguments convaincants des colons. Chaque argument avancé par les colons est aussitôt repris et contredit de manière rationnelle par les Indiens. Leur sens de l’observation leur permet ainsi de contredire le soi-disant caractère de “gens paisibles” allégué par les colons à la ligne 3; Comme le remarquent les Indiens , leur attitude dément cette allégation : ” ils n’en portaient pas la mine” trouve-t-on à la ligne 12. Et un autre détail renforcera cette hypothèse : ils sont “armés” (l 29). Alors que les Espagnols prétendent qu’is sont envoyés par leur roi qui a reçu du pape “la principauté de toutes les Indes ” (l 6), les Indiens rappellent que cette façon de revendiquer , selon un droit religieux, leurs terres, va inévitablement être une source de “dissension” . Ce reproche peut se lire comme une critique du pouvoir religieux , représenté dans le texte par l’autorité du Pape, chef de l’Eglise catholique et représentant de Dieu sur terre (l 5); Les indigènes se pensent, à juste titre, possesseurs de la terre où ils vivent et ils récusent les titres de propriété que vont leur présenter les colons. De nombreux conflits vont ainsi découler de cette situation: les Indiens refuseront ,pour la plupart ,que les occidentaux prennent possession de territoires qui sont déjà occupés par des populations qu’ils vont s’efforcer de soumettre. Montaigne n’hésite pas à se montrer caustique dans son argumentation; Ainsi, il fait dire aux Indiens que leur “roi devait être indigent et nécessiteux” pour oser réclamer des choses qui ne lui appartiennent pas; c’est qu’il en a fort besoin et cela peut apparaître comme une critique de la complicité du roi dans le processus de colonisation. L’argumentation des Indien ses base sur des liens logiques indiscutables; ils répondent point par point (quant aux menaces,quant au Dieu unique..en indiquant les causes de leur refus : “pour cette raison, l 20; Leurs arguments sont donc parfaitement recevables ce qui contribue, de ce fait, à discréditer davantage la position des Espagnols et leurs mensonges.
Partie 3 : la dimension polémique ; un texte qui remet en cause les fondements même de la colonisation
Dès le début du texte, le lecteur découvre l’hypocrisie des colons; L’adjectif habituelles qui caractérise ici, à la ligne 3, les déclarations hypocrites car faussement bienveillantes des colons, marque leur duplicité ; ils sont donc coutumiers du fait et passent ainsi pour de sordides menteurs. leur tentative d’intimidation est un échec et les Indiens ont le dernier mot en parvenant à les faire fuir; l’auteur ridiculise les Espagnols en faisant ainsi parler les Indiens : “quant aux menaces, c’était un signe de manque de jugement” ou un peu plus avant ” ils avaient l’habitude de ne prendre conseil que de leurs amis ou connaissances” (l 25). Montaigne révèle au lecteur que les Indiens ne sont absolument pas dupes des paroles mensongères des des marins . Ces dernier doivent se résoudre à partir sous la menace; On leur montre “les têtes de certains hommes exécutés ,autour de leur ville” (31) . Les paroles des Indiens sont claires ; ils exigent le départ immédiat des Espagnols : ” qu’ils se dépêchassent et promptement de quitter leur pays.” L’auteur emploie ironiquement le mot enfant (32) car il vient de démontrer que les Indien sont doués de clairvoyance et savent parfaitement raisonner ; ils sont loin d’être des enfants qu’on pourrait berner en leur offrant des colifichets en échange de l’or, si précieux pour les Occidentaux. De plus, leurs arguments dissuasifs ont été couronnés de succès dans la mesure où l’auteur précise : ” ni en ce lieu, ni ne plusieurs autres où les Espagnols ne trouvèrent pas les marchandises qu’il cherchaient, ils ne firent d’arrêt ni d’entreprise guerrière.” Le discours des Indiens a donc été persuasif. Ils ont, sans doute, réussi à fair peur aux Espagnols.
Ce passage a donc comme fonction essentielle de nous montrer un versant de la colonisation, du point de vue des Indiens qui ont perçu la menace que va faire peser l’attrait des richesses sur leur civilisation. Si l’homme blanc a longtemps considéré les sauvages comme des êtres inférieurs, à peine doués de raison, Montaigne ose ici, dès le seizième siècle, affirmer le contraire ; son point de vue est minoritaire car les théories antiques et notamment celles d’Artiste, sont encore largement répandues. Aristote affirme , en effet, pour justifier l’existence et la pratique de l’esclavage dans la Grèce antique que les Dieux ont fait naître certains hommes pour commander et d’autres pour obéir. Ces thèses antagonistes seront illustrées par deux personnages au cours d’une célèbre controverse qui s’est tenue à Valladolid ; Il s’agissait de se demander si les Indiens étaient des créatures semblables aux Espagnols et s’ils avaient une âme. Le tribunal qui a jugé cette dispute a donné raison aux défenseurs des Indiens et a interdit qu’on les massacre mais , en contre partie, le même tribunal, autorisé et conseillé aux colons espagnols d’utiliser de la main d’oeuvre africaine pour remplacer les Indiens dans les plantations; Cet événement marque le début de la traite des noirs en Europe.
Compare les deux stratégies argumentations mise sen place par Montaigne dans les textes 1 et 2…. Entrainement à la question de synthèse..