Fabrice n’est encore qu’un adolescent quand le roman commence et il s’apprête à se lancer dans l’aventure napoléonienne mais au mauvais moment. Concetta elle, est au soir de sa vie et en dresse un bilan extrêmement négatif ; demeurée seule, sans amour, célibataire , sa famille a perdu son prestige à cause de la révolution garibaldienne . Les deux héros romantiques sont donc du mauvais côté de l’Histoire.
Si deux des romans ont été écrits dans le premier tiers du dix-neuvième siècle, qui correspond à l’essor et à la diffusion des idéaux romantiques, leurs auteurs n’ont pas le même regard sur leurs personnages. Madame de Staël à travers le triomphe de Corinne et son portrait en majesté , fait le tableau de la femme parfaite admirée par tous , consciente de sa beauté mais qui se garde d’ en tirer trop d’orgueil : elle parvient à conserver une attitude noble et modeste (l 14); De même , elle est caractérisée par un savant mélange d’ éclat extraordinaire et de naturel . Ce mélange caractérise aussi le héros masculin du même roman : doté d’un ensemble de qualités hors du commun : figure noble et belle, beaucoup d’esprit, un grand nom , une fortune indépendante ( l 2 et 3) , il est cependant décrit comme ” timide envers la destinée” (l 25) . Les deux héros sont donc dse personnages au caractère “mobile et passionné” Corinne fait preuve en dépit des manifestations d’enthousiasme de la foule, d’un “sentiment de timidité qui se mêlait à sa joie. ” ( l 16) . La délicatesse des sentiments est peut être la marque commune de ces héros qui tentent de ne pas se laisser déborder par leur sensibilité.
En effet, le héros romantique est souvent caractérisé par une forme de sensibilité exacerbée et beaucoup de larmes sont versées dans ces romans : Fabrice “répandit des larmes ” en faisant ses adieux à sa tante ; Lord Oswald souffre d’une grande tristesse et paraît inconsolable ; le chagrin a dévasté son être mais il semble, lui désormais, au delà des larmes : “quelque chose d’aride s’empara de son coeur ; il n’était plus le maître de verser des larmes quand il souffrait ” ( l 37)
Cette attitude de refus de l’émotion se retrouve chez Concetta , héroïne tragique, qui au soir de sa vie contemple son existence et n ‘a plus plus vraiment l’impression de faire partie des vivants comme si quelque chose en elle était mort avec son passé : “en elle , le vide était complet” lit-on ligne 17 mais on ressent toutefois une souffrance du personnage qui tente de se débarrasser totalement de ce qui la relie à son passé et à ses souvenirs douloureux. La situation de ce personnage est bien particulière et la mort aisément perceptible dans cet épilogue.
Une autre caractéristique du héros romantique demeure son aisance à se mouvoir dans un milieu marqué par la mélancolie : au château de Grianta règne une atmosphère de tristesse liée aux bouleversements que connait le pays et qui affecte la famille Del Dongo ; Lord Oswald quitte à regret son pays et va connaître la douleur de l’exil avant d’arriver en Italie et de rencontrer Corinne; le narrateur en commentant le triomphe de l’héroïne fait remarquer que le char de sa victoire “ne coûtait de larmes à personne “ Ce moemnt de bonheur semble bien excpetionnel comme le constate le narrateur : “nul regret comme comme nulle crainte n’empêchait d’admirer les plus beaux dons de la nature.” Quant à Concetta, elle vit dans les ruines de la splendeur passée de sa famille.
Un dernier point qui permet de reconnaître le héros romantique, c’est la richesse de son imagination : Lord Nelville est le personnage qui semble le plus souffrir et , à plusieurs reprises, le texte souligne le rôle de son imagination dans son affliction: ” l’imagination y mêlait ses fantômes “ lit-on ligne 9 et à la ligne 32, on retrouve “la funeste imagination des âmes sensibles ” . Sa solitude lui paraît insurmontable et il frémit souvent sous l’effet du chagrin. Sa peine contraste avec le bonheur de Corinne mais on retrouve sa sensiblité exacerbée lors de leur rencontre : ” ce beau ciel, ces romains ..et par dessus tout Corinne, électrisaient l’imagination d’Oswald.” l 29. Quant à Fabrice, chez ce jeune héros déterminé, l’ action prend le pas sur l’imagination et le narrateur ne peut s’empêcher de se moquer de son personnage dont il considère les raisons de rejoindre Napoléon “bien plaisantes ” (l 39)
Même s’il n’appartient pas au courant romantique, Lampedusa reprend dans son roman paru au vingtième siècle des thèmes chers au romantisme comme la nostalgie du passé et les regrets d’une vie ratée mais ces thèmes définiront plutôt en France , la seconde génération romantique et ils sont moins exacerbés que dans les ouvrages qui introduiront en France, par l’intermédiaire de Madame de Staël , cette nouvelle forme de sensibilité et d’attention portée à l’expression des sentiments et à leur complexité. Au fur et à mesure que ces nouveaux personnages apparaissent , ils se diversifient et parfois, comme chez Stendhal, on entend une voix , celle du narrateur, qui se moque de leurs excès.