Tout auteur , un jour, doit faire face à la critique; Certains s’agacent de voir leur talent contesté; d’autres comme Molière ,s’en remettent au public; d’autres encore comme Corneille passent leur temps à se justifier dans leur préfaces ou leurs postfaces; Respect des règles, innovation, modes ou imitation des Anciens, chaque point a son importance et les artistes peuvent parfois se montrer indifférents ou au contraire , extrêmement chatouilleux. Hugo n’a pas eu en tant que dramaturge le succès escompté et nombreux sont ceux, à son époque, mai également aujourd’hui , qui l’ont critiqué; Passons- en revue les principaux points sur lesquels il a été jugé..voici un petit florilège critique ..
Commençons tout d’abord par les deux sujets d’invention au choix :
Imaginez la réponse que Victor Hugo aurait pu écrire à Emile Zola après avoir lu sa lettre (document 4 )
Ou
Imaginez que Hugo aujourd’hui lise les critiques du site Babelio consacré à Ruy Blas (document 3) : il décide de répondre en écrivant un article où il prend la défense de sa pièce en tentant de comprendre le point de vue d’un lecteur d’aujourd’hui
Liste des documents
Document 1 : un article critique d’un spécialiste du théâtre hugolien
Document 2 : un rappel de sa position de chef de file du drame romantique
Document 3 : des articles de lecteurs tirés du site Babelio
Document 4 : la lettre d’Emile Zola à propos de la représentation de Ruy Blas en 1880
Document 1 : extrait d’un article publié dans la revue de l’ENS à propos des critiques du théâtre hugolien
Historiquement et essentiellement, le théâtre est un genre agonistique, pour ne pas dire polémique. Le conflit engendre le théâtre et, en retour, le théâtre provoque le conflit. Les nombreuses querelles et batailles qui jalonnent l’histoire du théâtre – Le Cid et Hernani, pour ne citer que les plus connues sinon les plus violentes – prouvent que le combat est infectieux et qu’il ne reste pas enclos dans le seul espace scénique. Parmi les confrontations que le théâtre appelle, qu’il nourrit et dont il profite, celle qui l’oppose à la critique que l’on appellera, faute de mieux, journalistique est haute en couleurs et en enseignements. Naguère, en effet, le théâtre vivait et mourait par la critique que dispensaient les journaux et leurs censeurs redoutés. Puisqu’il est un art de société, le théâtre s’expose plus qu’aucun autre genre littéraire et les dramaturges sont davantage aux prises avec les critiques que leurs (con)frères romanciers ou poètes. Plus attaqués que les autres, ils ont dû développer davantage leurs systèmes de défense et apprendre à répondre.
En tant que dramaturge, Hugo a rarement trouvé grâce aux yeux de la critique. Contre ce théâtre trop poétique, trop épique, trop sublime et trop grotesque – trop hugolien, en somme –, celle-ci fait rage et reproche à l’auteur tout ce qui fait son génie .Chacun de ses drames a été l’occasion d’un combat ; la publication en volume lui permet de se justifier et de riposter en cuirassant ses pièces d’un paratexte abondant, varié et destiné à anéantir les critiques qui ont été émises et prévenir celles qui viendront. La dimension agonistique perdure donc, quelle que soit la durée écoulée depuis le tumulte des représentations.
Hugo ne cite jamais les noms de ses détracteurs et ne relaie presque jamais les propos déplaisants qu’il a dû essuyer lors de la création des pièces : inutile d’élever la querelle en débat. Souvent il donne littéralement son congé à la critique : « L’auteur pourrait […] examiner une à une avec la critique toutes les pièces de la charpente de son ouvrage ; mais, il a plus de plaisir à remercier la critique qu’à la contredire »
Le vrai jugement est celui de la postérité. « Si son drame est mauvais, que sert de le soutenir ? S’il est bon, pourquoi le défendre ? Le temps fera justice du livre, ou la lui rendra. Le succès du moment n’est que l’affaire du libraire » écrit-il par exemple à la sortie de Cromwell.
Que lui a-t-on reproché ?
Hugo est fréquemment accusé de produire sur la scène des pièces immorales. Dans la préface de Lucrèce Borgia, il réplique et se défend.
On lui reproche également la dimension grotesque ;
En 1882, si le grotesque dérange toujours, Hugo est devenu une telle idole qu’on lui passerait la plupart de ses excès. La finalité de ces variantes n’est pas pratique mais polémique : montrer à quel point les versions finalement choisies par Hugo sont supérieures en raison même de ce que l’on considère encore comme une faute de goût.
Une autre critique fréquemment adressée à Hugo, comme à tous les forgeurs de fiction, est celle de maltraiter l’histoire dans ses drames. Sur ce point, sa défense ne variera jamais : tout en plaidant sans cesse pour la liberté du créateur, Hugo multiplie les preuves de bonne foi et d’érudition
Hugo, l’homme-océan, ne peut se contenir dans les limites usuelles qu’on impose aux dramaturges. S’il sait faire parler des personnages, il veut également prendre la parole lui-même jusqu’à l’extrême limite. Il entend montrer qu’il est le maître du jeu dramatique et éditorial, l’énonciateur tutélaire caché derrière tous les personnages, présent d’un bout à l’autre du volume et qui étouffe toute autre voix, fût-elle celle de la critique. Il prouve à nouveau qu’il est bien le « génie sans frontières » dont parlait Baudelaire. La mainmise qu’il voulait sur le théâtre comme art vivant, Hugo la réalise lorsqu’il imprime ses drames.
Document 2 : un rappel de sa position de chef de file du drame romantique
Chef de file du Romantisme : Le créateur du drame romantique
En 1827, la préface que Victor Hugo rédigea à sa tragédie, Cromwell – sa première œuvre dramatique -, devint immédiatement le manifeste du théâtre romantique. Ce traité se divisait en trois parties : la première, à finalité destructrice, condamnait les règles aristotéliciennes de l’unité de lieu et de temps (deux des règles appliquées dans le théâtre classique), la deuxième partie recommandait en revanche de conserver la seule règle aristotélicienne acceptable, celle qui concernait l’unité d’action, tandis que la troisième partie affirmait le droit et le devoir, pour l’art, de représenter la réalité sous tous ses aspects. Hugo définissait ainsi, contre l’esthétique du théâtre classique, les règles d’un nouveau genre théâtral, le drame romantique.
Le drame romantique né des théories de Hugo se caractérise par l’introduction du laid et du grotesque sur la scène théâtrale, par un plus grand souci de la couleur locale et surtout par le mélange des genres – puisqu’au sein d’un même drame figurent des éléments tragiques et comiques.
Le 25 février 1830, la représentation de la pièce Hernani, qui donne à Hugo l’occasion de mettre lui-même en pratique ses principes, se déroula dans une atmosphère surchauffée par les polémiques entre défenseurs de la tradition et tenants des nouvelles doctrines. C’est cette soirée mouvementée, restée dans l’histoire littéraire sous le nom de « bataille d’Hernani », qui fit officiellement de Hugo le chef de file du Romantisme français. Hugo illustra encore ses théories au théâtre, notamment avec des drames passionnés comme Le roi s’amuse (1832), interdit par la censure, Lucrèce Borgia (1833) ou Ruy Blas (1838), un de ses drames les plus connus.
L’homme de génie s’inquiète peu des diatribes, des harangues et des clameurs de ses ennemis; il sait qu’il aura la parole après eux. (Faits et croyances)
· Le beau n’a qu’un type; le laid en a mille. (Cromwell, préface)
Les grandes révolutions naissent des petites misères comme les grands fleuves des petits ruisseaux.
Document 3 : des articles de lecteurs tirés du site Babelio
- Quand un auteur est convaincu de l’enjeu politique et social de la littérature, il est inévitablement porté à s’intéresser au théâtre, art bien plus populaire que celui de la littérature, surtout au XIXe siècle, quand le théâtre était le seul moyen de transmettre une oeuvre écrite inaccessible à la majorité analphabète d’une population.
Victor Hugo étant un auteur ayant toujours cherché à créer pour ceux qui n’en n’ont pas les moyens et en ont le plus besoin, il était logique qu’il lance définitivement sa carrière littéraire par le théâtre, et pas n’importe quel théâtre, un théâtre débarrassé des restrictions classiques, un théâtre romantique, exalté, lyrique et emporté, cherchant à satisfaire autant l’intellectuel porté sur l’exactitude historique et le caractère des personnages que le sentimental adepte des intenses peintures des passions.
Lancé par “Cromwell” et surtout par “Hernani” , le drame romantique hugolien atteint son apogée avec “Ruy Blas“. Bien que ce texte puisse heurter, et même faire sourire, les professionnels de notre théâtre contemporain, il n’en garde pas moins une grande fraîcheur par la beauté et la vigueur de ses vers, la force de ses images et son indéniable caractère populaire. Il est vrai qu’aujourd’hui, les auteurs cherchent avant tout à ne pas être populaire et à créer, non pas pour tous, mais pour certains. le théâtre perd ainsi (peut-être au profit de la télévision et du cinéma ?) ce qui fit sa grandeur et lui donnait tout son sens : être l’élément déclencheur d’un engouement populaire, être créateur de lien social. Ce que Victor Hugo réussit à faire par son théâtre, par ce fameux drame éminemment politique d’un valet épris de la reine d’Espagne, d’un homme du peuple ayant des velléités d’insoumission, d’égalité et de liberté, dans un temps où les incompétences de l’aristocratie commençait à faire de l’ombre aux nouvelles forces et aux volontés aiguisées d’une classe bourgeoise désirant tenir, elle aussi, les rênes de son destin.
- J’adore cette pièce. Une histoire d’amour flamboyante, une imposture, l’arrière-plan du peuple en marche hugolien, un vilain digne de Frollo (Don Salluste) et une fin shakespearienne dans le sang. Je vénère Shakespeare, adore Hugo, et lorsque le second est le plus proche du premier, son maître, je ne peux qu’applaudir. Il déverse dans cette pièce toute sa passion, conjuguée à un décor espagnol qui s’y prête tellement
- Assez déçu par cette pièce de théâtre de Victor Hugo (je préfère ses romans et ses poésies à ses pièces de théâtre !). Ma déception est due au célèbre film “la folie des grandeurs” (avec Montand et de Funès) tiré de cette pièce et que j’ai vu et adoré. Dans cette pièce, les passages comiques n’apparaissent pas (ça je m’en doutais un peu, j’imagine mal Victor Hugo écrire le passage comique du chien qui baise la main à Alice Sapritch !!!). La pièce est plus dramatique car Don Salust surprend Ruy Blas avec la Reine et essaie de les faire chanter. Ruy Blas tuera Don Salust et se tuera en avalant du poison, c’est effectivement moins gai que le film !
- J’ai trouvé le thème de cette pièce très actuel, même si les hommes de pouvoir dont elle parle sont des aristocrates de l’Espagne du 17ème siècle… C’est son intérêt principal, sans compter, bien sûr, la belle écriture de Victor Hugo ! Mais à mon goût, l’intrigue est trop rocambolesque, l’histoire d’amour trop romantique. Finalement, ce que j’ai préféré, c’est la préface écrite par Victor Hugo ! Je pense que j’aurais plus apprécié cette pièce si je l’avais vue au theâtre, car elle pleine de rebondissements, de portes qui claquent, et il faut que ça aille vite, il faut du spectacle…
- Ne criez pas, madame! Je m’appelle Ruy Blas et ne suis qu’un navet!
Je n’ai pas un grand goût décidément pour le drame hugolien, même si Ruy Blas a des accents légèrement plus convaincants que ceux d’Hernani, tout m’y semble forcé, empesé, ampoulé, téléphoné- pour tout dire vaguement ridicule – alors que l’esthétique du drame devrait être celle d’une fertile liberté de ton, d’un créatif mélange des genres…
Si je suis tétanisée d’effroi, pétrifiée par la beauté des tragédies classiques, raciniennes ou sophocléennes, le drame hugolien, lui, me laisse de marbre et m’ennuie même énormément…
Je vais même vous faire une confidence, que je ne me risquerais jamais à faire sur un réseau de doctes lettrés comme celui de Babelio, mais nous sommes entre nous, pas vrai? Ruy Blas ne m’a vraiment transportée d’aise que quand j’ai vu, au cinéma, sa parodie, La Folie des Grandeurs, avec l’inénarrable de Funès dans le rôle de Don Salluste!!
Le théâtre de Victor Hugo – soyons cruel, pour une fois, envers cet immense auteur -, c’est un peu du sous-Shakespeare: ça mélange le tragique et le comique; ça parle beaucoup, dans des vers grandiloquents; ça passe de la perfidie la plus noire à la noblesse (forcément chez le serviteur, Hugo renverse toujours tout) la plus honorable. Un valet aime une reine, un perfide se venge, un voleur se fait voler, et tout cela s’exalte à foison, pousse de hauts cris, se veut grandiose. Bref, nous ne sommes plus des romantiques. Ruy Blas, pour les cyniques du vingt-et-unième siècle, n’est plus que le prélude à La Folie des Grandeurs, dont Hugo, à coup sûr, était atteint.
C’est toujours pareil avec moi et les écrits d’Hugo : je trouve son style puissant, ses vers sublimes, et je déteste ses histoires. Je dois même avouer que j’ai éclaté de rire à la réplique finale !
Je me suis pressé à lire Ruy Blas, je n’ai pas réellement pu apprécier la complexité de la pièce. Malgré tout j’ai particulièrement aimé. Je ne connaissais pas Victor Hugo en tant que dramaturge, et pourtant il y a du talent. J’ai vraiment pénétré dans le Royaume espagnol de l’époque. J’ai adoré découvrir l’aristocratie, j’ai adoré la tirade de Ruy Blas au gouvernement, j’ai adoré la politique du personnage.
Document 4 : la lettre d’Emile Zola à propos de la représentation de Ruy Blas en 1880
ZOLA CONTRE RUY BLAS
Zola rend d’abord hommage à Hugo en tant que poète, mais critique sa philosophie “conduisant la jeunesse à tous les mensonges du lyrisme, aux détraquements cérébraux de l’exaltation romantique “. Il poursuit ainsi :
[…] Et nous venons bien de le voir, à cette représentation de Ruy Blas, qui a soulevé un si grand enthousiasme.
C’était le poète, le rhétoricien superbe qu’on applaudissait. Il a renouvelé la langue, il a écrit des vers qui ont l’éclat de l’or et la sonorité du bronze. Dans aucune littérature, je ne connais une poésie plus large ni plus savante, d’un souffle plus lyrique, d’une vie plus intense.
Mais personne, à coup sûr, n’acclamait la philosophie, la vérité de l’œuvre. Si l’on met à part le clan des admirateurs farouches […] tout le monde hausse les épaules aujourd’hui devant les invraisemblances de Ruy Blas. On est obligé de prendre ce drame comme un conte de fée sur lequel l’auteur a brodé une merveilleuse poésie. Dès qu’on l’examine au point de vue de l’histoire et de la logique humaine, dès qu’on tâche d’en tirer des vérités pratiques, des faits, des documents, on entre dans un chaos stupéfiant d’erreurs et de mensonges, on tombe dans le vide de la démence lyrique.
Le plus singulier c’est que Victor Hugo a eu la prétention de cacher un symbole sous le lyrisme de Ruy Blas. Il faut lire la préface et voir comment, dans l’esprit de l’auteur, ce laquais amoureux d’une reine personnifie le peuple tendant vers la liberté, tandis que don Salluste et don César représentent la noblesse d’une monarchie agonisante. On sait combien les symboles sont complaisants […] Seulement celui-ci, en vérité, se moque par trop du monde.
Voyez-vous le peuple dans Ruy Blas, dans ce laquais de fantaisie qui a été au collège, qui rimait des odes avant de porter la livrée, qui n’a jamais touché un outil et qui, au lieu d’apprendre un métier, se chauffe au soleil et tombe amoureux des duchesses et des reines ! Ruy Blas est un bohème, un déclassé, un inutile : il n’a jamais été le peuple. D’ailleurs admettons un instant qu’il soit le peuple, examinons comment il se comporte, tâchons de savoir où il va. Ici, tout se détraque. Le peuple poussé par la noblesse à aimer une reine, le peuple devenu grand ministre et perdant son temps à faire des discours, le peuple tuant la noblesse et s’empoisonnant ensuite : quel est ce galimatias ? Que devient le fameux symbole ? Si le peuple se tue sottement, sans cause aucune, après avoir supprimé la noblesse, la société est finie.
On sent ici la misère de cette intrigue extravagante, qui devient absolument folle, dès que le poète s’avise de vouloir lui faire signifier quelque chose de sérieux. Je n’insisterai pas davantage sur les énormités de Ruy Blas, au point de vue du bon sens et de la simple logique.
Comme poème lyrique, je le répète, l’œuvre est d’une facture merveilleuse ; mais il ne faut pas une minute vouloir y chercher autre chose, des documents humains des idées nettes, une méthode analytique, un système philosophique précis. C’est de la musique et rien autre chose.
J’arrive à un second point. Ruy Blas, dit-on, est un envolement dans l’idéal ; de là, toutes sortes de précieux effets : il agrandit les âmes, il pousse aux belles actions…(la suite sur votre document polycopié..)
À propos de l’entrée de Ruy Blas à la Comédie-Française, en août 1880