12. mars 2017 · Commentaires fermés sur Gide : Les faux-Monnayeurs et les personnages · Catégories: Divers · Tags:
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Georges observé par Edouard

Dans son Journal, Gide indique vouloir pour ses personnages que chacun à leur tour, ils puissent occuper le devant de la scène du roman; Il mentionne également,à plusieurs reprises, éprouver des difficultés pour fabriquer autour du personnage isolé, un système avec des liens de parenté, des rencontres et des détails réalistes. Il prétend entendre ses personnages mais ne pas pouvoir se les représenter; Du coup, les détails physiques sont étonnamment absents de leurs portraits et ils ne livrent de leur passé que des bribes d’informations . Voyons d’un peu plus près quels sont les principes de fabrication des personnages dans le roman. 

1. Des êtres vivants ? 

Lorsqu’il évoque la vie de ses personnages, Gide semble parler d’êtres vivants : il indique ainsi que ses personnages se sont imposés à lui et qu’ils vivent à se dépens; Cette image peut traduire l’idée que la vie du romancier nourrit l’imagination qui elle-même produit les personnages du roman. Gide deviendrai en quelque sorte un peu de chacun de se personnages et oublierait sa propre personnalité pour s’incarner  tour à tour en chacun d’eux; Laura, Bernard, Edouard, Lilian seraient ainsi des parties de lui et grandiraient en lui comme pour l’envahir progressivement. Les personnages sont souvent présentés par les écrivains comme des êtres autonomes et dotés de réactions mais depuis Stendhal, la tendance la plus répandue consiste à considérer les personnages comme des projections de l’écrivain; ce derniers seraient les possibles qu’un seul homme ne peut jamais réaliser en une seule vie; chaque personnage, à sa manière te par certains de ses traits, représente une partie de ce à quoi leur créateur a renoncé ou un rêve qu’il ne réalisera jamais. Ils sont ses espoirs déçus, ses illusions perdues parfois ou se projet avortes; A la fois doubles de lui-même et rebuts de lui, ils représentent des compagnons d’existence  et beaucoup d’écrivains avouent entendre leurs personnages leur parler ou sentir leur présence à leurs côtés quand ils écrivent. 

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2. Des voix ?

Etres de papier , les personnages se caractérisent essentiellement par leurs voix: narration ou dialogues, conversations rapportées de plusieurs points de vue, chaque personnage va s’efforcer d’avoir une voix bien à lui, un style qui le distingue des autres . Gide prétend savoir à la fois ” comment il pensent; comment ils parlent. Je distingue la plus subtile intonation de leur voix ” écrit-il dans son Journal. (8/1921, p 58). En revanche, il ne voit pas leurs visages, leurs traits; Il tente de saisir l’inflexion de leur voix, leur ton et c’est selon sa conception du roman, leur discours qui va donner accès à leur état d’âme . Roman du flux de paroles, les personnages gidiens sont d’incorrigibles bavards et passent leur temps à discuter les uns avec les autres ou à lire les lettres qu’ils reçoivent (ce qui est une variante du même procédé ); Le lecteur peut parfois être étourdi de tant de conversations rapportées de différentes manières.  ” Pour moi, explique Gide, c’est plutôt le langage que le geste qui renseigne.” Et il ajoute “le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir; il les entend parler dès avant que de les connaître et c’est d’après ce qu’il les entend dire qu’il comprend peu à peu qui il sont.” Ainsi si l’on en croit son ami Roger Martin Du Gard , Gide bâtit un personnage à partir d’une forme verbale préexistante. 

3. Un milieu limité ? 

Cette méthode restreint le milieu dans lequel Gide va fabriquer ses personnages car ils doivent tous aimer parler, écrire, converser, échanger . Ils vont appartenir soit à la bourgeoise cultivée soit à l’aristocratie et le roman va ainsi se composer comme une suite d’échanges , de conversations, de réunions entre différents protagonistes. Gide se sert en fait de ces personnages comme des réservoirs d’idées mais il se fait un point d’honneur de “ne jamais exposer d’idées qu’en fonction des tempéraments et des caractères” (Journal 1919 15/11 ) ; chaque personnage va s’exprimer en fonction de son milieu d’origine : le lycée pour Bernard et Olivier , le monde de la littérature pour Edouard et Passavant , le monde des avocats pour Molinier et Profitendieu, la biologie pour Vincent, le libertinage pour Lilian. 

4. Des réservoirs d’idées ? 

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Boris arrive à la pension

Gide se sert en fait de ces truchements pour exposer une grande partie de ses idées personnelles mais il n’endosse pas les revirements de ses personnages et ne prend ainsi pas à son compte leurs évolutions successives ; Cette faculté de dépersonnalisation qu’il évoque à plusieurs reprises dans son Journal pourrait être assimilée à l’inaptitude à s’exprimer en son nom propre.”il m’est certainement plus aisé de faire parler un personnage, que de m’exprimer en mon nom propre; et ceci d’autant que le personnage crée diffère de moi davantage…” Pour le romancier, aucun de ses personnages n’est réellement un double de lui-même ; Il avoue juste que des personnages comme Edouard sont plus proches de lui que passavant par exemple. 

5. Premier et second plan

L’une des particularités du roman gidien réside dans le changement de statut des personnages qui tantôt jouent un rôle de premier plan et tantôt devient des figurants; Le romancier se vante de faire attendre ses personnages avant de les amener au centre des regards et en multipliant les scènes du roman, il augmente d’autant le passage de ces principaux protagonistes à l’arrière plan. De plus, il s’attache à décrire avec précision les personnages qui ne vont jouer aucun rôle et à mettre en lumière certains détails de leur portait physique notamment comme Dhurmer dont on apprend , dès le premier chapitre que c’est “un petit barbu à pince- nez, sensiblement plus âgé que les lycéens. On ne saura rien des détails physiques qui nous permettraient d’imaginer Bernard, Olivier ou Laura.

6. Couples et doublons

Même si dans l’absolu, Gide aimerait que chacun de ses personnages soit “orphelin, fils unique , célibataire et sans enfant” il s’efforce de créer des regroupements entre les différents acteurs de son récit. Le premier principe de regroupement , ce sont les lien familiaux qui permettent de regrouper les personnages par groupes  issus des mêmes familles ; On distingue ainsi les Molinier et l’oncle Edouard, les Profitendieu, et les Vedel-Azaïs ; Le second principe de liaison des personnages, ce sont les liens d’amitié amoureuse comme à la base les couples Edouard/ Laura et Olivier/Bernard ou Passavant/Lilian . Chaque élément de ces couples va ensuite former un nouveau couple avec un personnage associé : Laura avec Vincent , le frère d’Olivier et ensuite avec Bernard; Edouard avec Olivier et ensuite avec Bernard. Passavant va échanger Lilian contre Olivier avec l’appui du frère de ce dernier alors que Lilian va avoir une aventure avec ce même frère Vincent. Au niveau générationnel, les parents s’opposent assez singulièrement à leurs enfants car le dessein du romancier est notamment de montrer comment , après avoir critiqué le mode de vie de leurs parents, les enfants ont tendance à refaire la même chose 🙁 Journal , 20 non 1924 ). Certains comparses n’interviennent qu pour séduire ou détourner un personnage d’un avenir plus ou moins tracé; Ce personnages comme Lilian, Miss Aberdeen , Strouvilhou et Ghéridanisol .

7, Les reflets 

 
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Olivier et Passavant en Corse

Gide a organisé des son système des personnages en se défiant de la conception romantique qui consistait selon lui à ” opposer un personnage à un autre ou de faire des pendants.”   (Journal 17/06/1919 ) Néanmoins, on peut remarquer des personnages , issus de la même tranche d’âge le plus souvent qui représentent différentes possibilités de réactions face à l’ordre établi. On trouve ainsi deux romanciers qui ont des conceptions différentes de la littérature; parmi les enfants d’une même famille, certains s’opposent radicalement et d’autres se ressemblent ; Comme il le souhaitait , il adopte l’art  musical de la fugue comme principe de construction du roman et chaque personnage est construit avec des variations de son modèle : deux grand-pères , deux anglaises , deux serviteurs , et plusieurs démons.