Un point d’abord sur ce qui existe : En 1925, quelles sont les attentes des lecteurs de roman et qu’est-ce que Gide entend en prétendant vouloir renouveler le genre romanesque ? Avec la naissance du courant surréaliste, le roman est montré du doigt à cause de se artifices et de certains choix esthétiques ; Ainsi André Breton, le fondateur du courant surréaliste affirme que : “le roman avec se descriptions inutiles et sa psychologie rationaliste ne relève que les moments nuls dans la vie. ” On lui reproche d’être un genre facile et de chercher à copier la vie ou au contraire de s’en écarter trop artificiellement. Gide rêve d’un roman pur et il prend modèle sur la littérature étrangère, russe et anglaise qu’il apprécie et sur laquelle il travaille. Certaines de se techniques seront reprises et retravaillées ; 20 ans plus tard par le courant littéraire du Nouveau-Roman qui ira encore plus loin dans la contestation du réalisme.
En effet, Gide va fortement s’inspirer de ses lectures pour imaginer des principes de composition romanesques novateurs en France . Il réfléchit beaucoup dans son Journal des FM à l’élaboration des différentes catégories du récit et notamment aux principes de composition des intrigues.Il cherche à imiter de nombreux éléments empruntés à Dostoïevsky comme :
- l’oeuvre naît de la rencontre des idées et des faits
- les personnages sont encore informes, en construction et en évolution intérieure
- l’auteur doit créer le plus de relations et de réciprocités possibles entre les différents personnages
- des personnages restent parfois longtemps dans l’ombre
Gide a cherché dans son roman à imiter certaines de ses techniques romanesques par volonté de se démarquer réalisme et également par désir de réfléchir à ce qu’est le roman . La multiplicité des points de vue et des perceptions nous empêche ainsi de saisir une pensée ou une vérité unique.
Que pouvons-nous dire à propos de l’organisation du roman ? Ce qui frappe au premier abord, c’est l’absence de continuité et l’impression de déséquilibre de l’ensemble.
Gide a utilisé différents modèles comme le roman d’apprentissage mais il y glisse quatre intrigues sentimentales qui vient se greffer sur les aventures de Bernard et Olivier ; et surtout il ajoute le personnage d’Edouard et ses carnets qui permettent de fabriquer une dimension supplémentaire et un regard décentré. Il place également en arrière -plan une intrigue policière avec cette bande de jeunes faussaires mêlés à des affaires de moeurs plus ou moins louches et qui forment une sorte du secte.
Ainsi si l’on suit l’itinéraire séparément de chaque personnage, on perçoit les jonctions avec les différentes formes prises par le roman. Au premier plan dès le chapitre 1 : Bernard ; l’adolescent révolté qui aimera deux femmes et reniera son milieu . Au départ Gide avait souhaité que ce soit ce regard (il appelait ce personnage Lafcadio ) qui découvre la plupart des événements du roman comme une sorte de touriste curieux.On retrouve certains de ses aspects chez Bernard notamment quand il épie Olivier, le suit, vole la valise à la consigne de la gare après avoir dérobé le billet.
Quand Bernard quitte le premier plan, on voit apparaître Edouard qui est secrètement amoureux de son neveu Olivier mais n’ose lui avouer cet amour et le dissimule derrière une fausse indifférence à la limite de la froideur. Edouard va faire le lien avec Laura et Vincent du coup qui est le grand frère d’Olivier; on voit avec cet exemple à quel point Gide s’efforce multiplier les liens entre les différents personnages . Alors qu’il rdv d’avoir Olivier à ses côtés, c’est d’abord Bernard qu’il engage comme secrétaire et emmène avec lui à Saas-Fee : les rôles sont mal distribués de même que le couple Vincent / Lilian et le couple Edouard/ Laura ou Bernard /Laura.
Ce principe de mal assortir les couples de personnages permet ainsi au roman de procéder à des réajustements, à des redistributions et permet de faire évoluer les intrigues qui sont toutes entrecroisées. Ainsi tout semble pourtant découler du choix originel d’Edouard : en ne choisissant pas Laura, il la condamne à se marier avec un homme qu’elle n’aime pas Félix Douviers , à ensuite avoir un amant qui la délaisse pour une autre femme Lilian qui, elle, ne l’aime pas … et Laura recueillie par Edouard dont elle est toujours amoureuse, éprouvera l’amour de Bernard sans le partager..poussant ce dernier dans les bras de Sarah , sa soeur ….autant de combinaisons, de substitutions et de redistributions amoureuses toutes imbriquées le unes dans les autres.
Cela pourrait déjà donner le tournis au lecteur mais ce qui contribue encore davantage à lui emmêler l’esprit et qui rend parfois la lecture du roman difficile, voire rebutante, ce sont les choix de Gide de multiplier les points de vue et de relater les mêmes événements sous des angles différents et au moyen de techniques d’insertions de points de vue. Ce principe d’emboîtement des niveaux de narration peut paraître un peu artificiel aujourd’hui mais à l’époque , il imite les techniques des romanciers anglais. Ainsi Bernard a accès à des lettres qui relatent une partie inconnue de son passé et une partie de celui d’Edouard lui est connu grâce à la lettre de Laura; Lilian raconte à Robert de Passavant, au cours d’une conversation avant l’arrivée de Vincent, une anecdote dont elle a été la victime autrefois et Georges et Olivier racontent chacun comment ils ont découvert l’intrigue amoureuse entre Vincent et Laura.
Toutefois Gide complique encore les choses car pour donner l’impression de quelque chose de naturel, il ébauche des intrigues dont il semble ensuite se désintéresser et qui n’aboutiront pas . Ce sentiment d’inachevé peut parfois dérouter le lecteur qui cherche d’instinct à renouer les fils entre tous les récits, à la manière d’une construction intellectuelle. Pour décrire l construction du roman , plusieurs termes peuvent convenir par métaphore.
- une composition nébuleuse : un livre qui ne s’achève pas par épuisement du sujet mais par au contraire, son élargissement et son absence de contours: un livre qui doit “s’éparpiller, se défaire ” écrit Gide dans son Journal des FM; à la mort de Boris, tous les liens entre les personnages semblent ainsi se défaire .
- une composition symphonique : Gide utilise la comparaison avec l’art de la fugue en musique pour qualifier la composition de son roman. Lorsqu’Edouard affirme qu’il souhaiterait composer un livre qui imiterait l’art de la fugue, il fait référence à un livre qui explique qu’en musique, dans une fugue, les thèmes et leurs imitations successives doivent se fuir et se poursuivre en même temps. Le roman reprendrait donc cette idée en associant les intrigues amoureuse qui renvoient les unes aux autres et en entrelaçant les différents sujets . Trois suicides, deux duels, trois adultères et deux naufrages : ces motifs sont orchestrés à travers les différentes intrigues et les différentes parties du roman. “je suis comme un musicien qui cherche à juxtaposer et imbriquer un motif d’andante et un motif d’allegro.” (journal des FM juin 1919 )
- une composition symétrique : en plus des références musicales , l’écrivain construit ses personnages et leurs intrigues autour de principes de ressemblances et d’oppositions; On pourrait presque parler de glissements ou de variations autour de certains principes. On peut aussi évoquer un désir de décentrement car Gide a longtemps explique qu’il avait tenté d’associer la matière de deux livres différents : “il n’y a pas à proprement parler un seul centre à ce livre, autour de quoi vient converger mes efforts.c’est autour de deux foyers, à la manière des ellipses , que ces efforts es polarisent. ” (Journal des FM août 1921 )
- une technique de contrepoint : le journal d’Edouard peut être considéré comme un élément majeur de la composition du récit car il introduit une ligne différente qui converge avec l’intrigue pris en charge par la voix narrative centrale. Cette présence duelle ainsi que l’introduction de différents points de vue au moyen des lettres par exemple crée une composition tournoyante et complexe.
- une composition symphonique : Gide utilise la comparaison avec l’art de la fugue en musique pour qualifier la composition de son roman. Lorsqu’Edouard affirme qu’il souhaiterait composer un livre qui imiterait l’art de la fugue, il fait référence à un livre qui explique qu’en musique, dans une fugue, les thèmes et leurs imitations successives doivent se fuir et se poursuivre en même temps. Le roman reprendrait donc cette idée en associant les intrigues amoureuse qui renvoient les unes aux autres et en entrelaçant les différents sujets . Trois suicides, deux duels, trois adultères et deux naufrages : ces motifs sont orchestrés à travers les différentes intrigues et les différentes parties du roman. “je suis comme un musicien qui cherche à juxtaposer et imbriquer un motif d’andante et un motif d’allegro.” (journal des FM juin 1919 )