Associer les deux oeuvres revient en fait à chercher ce qu’elles ont en commun, notamment dans les thèmes qu’elles abordent sous des angles différents; Le journal ,en effet, décrit les réflexions et les nécessaires interrogations d’un auteur face à la création littéraire Le roman met en pratique les choix effectués par l’auteur et permet de vérifier s’il applique à sa propre fiction les principes intellectuels de la création . Entre la théorie et la mise en pratique , la réflexion de Gide peut avoir évolué et nous chercherons à repérer dans le roman s’il applique les principes qu’il énonce.
Les personnages :parmi les problèmes récurrents revient la question de la création des personnages : hostile à la description, Gide fait vivre les personnages par l’intermédiaire des dialogues et imagine des relations entre eux essentiellement sous la forme de liens familiaux et de rencontres. Les rôles que doivent jouer les personnages, leur lien avec l’auteur mais également avec le lecteur font l’objet de nombreuses réflexions à la fois dans le Journal de Gide ( p 33,37,58,66 ) mais également dans le Journal d’ Edouard (fin de la seconde partie ) et à travers les discussions littéraires des personnages d’écrivains notamment (Edouard, Robert, Lucien, Armand, Strouvilhou )
Le cadre: lieux définis mais non décrits, déplacements à travers l’espace et lieux de rencontre ou de rassemblements , l’auteur réfléchit à la localisation des scènes ; Paris, Saas-Fée, la Corse et les voyages des personnages définissent des espaces symboliques .
L’intrigue : Gide semble se refuser à agréger des éléments épars afin de les unifier ; Il multiplie à la fois les récits secondaires, les intrigues connexes et les changements de points de vue; Si certaines scènes font avancer l’action du roman, au final il ne se passe pas grand chose; Bavards, Les personnages parlent beaucoup plus qu’ils n’agissent.L’introduction du Journal d’ Edouard à l’intérieur d’une fiction constitue une mise en abyme et permet d’insérer les difficultés du romancier dans l’univers de la fiction ; Gide semble en fait hésiter sur ce qui fait le sujet même de l’intrigue et de son roman : la piste des faux-monnayeurs ne constitue pas l’intrigue principale et le départ de Bernard même s’il est un élément déclencheur , ne permet pas de résumer le roman . Gide pensait d’ailleurs dans son Journal qu’il y matière à deux livres comme s’il se révélait incapable de choisir une trame événementielle (p 14 du Journal )
La narration : elle est complexe ; le statut même du narrateur est à définir ; régisseur , il intervient pour guider le lecteur ; la présence d’ Edouard en tant que narrateur de son propre journal introduit une première difficulté car le roman est composé à partir des notes du Journal. De plus, les nombreuses lettres écrites ou lues par les personnages introduisent à chaque fois un nouveau narrateur. La multiplication des points de vues et la même scène éclairée différemment (comme par exemple le geste de Boris ou la liaison Laura-Vincent ) font du lecteur une sorte de voyeur autorisé ou une sorte d’écrivain bis.A plusieurs reprises, En effet, le lecteur possède des informations qu’un personnage ne possède pas .Pour décrire l’art du roman, Gide utilise dans son Journal, la métaphore musicale de l’art de la fugue qui consiste à laisser une oeuvre inachevée; La ligne mélodique principale est prolongée par des contrepoints qui forment des lignes secondaires, un peu comme des intrigues secondaires . La métaphore musicale se prête à différentes interprétations pour l’art du roman; elle peut désigner , à la fois, la multiplication des intrigues, des modes de narration, les personnages en écho , la mise en abyme.
Une réflexion en mouvement : l’écrivain s’interroge en fait sur la plupart des domaines de la création littéraire; où et comment débuter (l’incipit ) , comment finir (l’excipit ou l’absence d’excipit ) , comment raconter , quel genre de roman inventer, quels thèmes privilégier ?
Roman et morale : le roman aborde des thèmes importants comme l’amour, l’amitié, les relations familiales , la bâtardise, l’existence de Dieu et du Diable, la place de l’individu au sein d’un groupe , le mensonge et la sincérité, le couple. En cela , il est une vision du monde